Harlington avait très peu de connaissances médicales, ce qui ne l’empêcha pas de faire une compression de l’artère fémorale à Mitchell, malgré l’affirmation de Valment que la blessure était bénigne. Le responsable de la logistique était plus muet que jamais, et pour cause : il avait fini par basculer dans l’inconscience.
Harlington s’assit par terre, jambes croisées, mains sur les genoux et tête tournée vers le sol. Hébété, il avait besoin de reprendre ses esprits. Comment avait-il pu échouer à ce point ? Sa carrière, qu’il voulait glorieuse, était d’ores et déjà finie, au bout de quinze jours à peine passés dans l’espace. Il se demanda si un précédent commandant de bâtiment de Starfleet avait fait pire. Quelle que soit la réponse, il eut le sentiment qu’à l’avenir, l’univers entier le montrerait du doigt et l’écraserait de son mépris.
Il sortit vite de son abattement, car quelque chose en lui le poussa à se relever et à réagir. Tout était sûrement terminé et l’amiral perdu, mais cela n’allait pas l’empêcher de tout tenter pour réparer ses erreurs. Quand, une demi-heure plus tard, T’Savhek parvint à forcer la porte du local, il était prêt. Les kidnappeurs n’allaient pas l’emporter au paradis.

Harlington sortit du local et s’effaça aussitôt pour laisser passer Sulok, sa mallette médicale à la main. Plusieurs membres de l’équipage se trouvaient là, et tous avaient un point commun : l’air honteux qu’ils affichaient. Seule T’Savhek demeurait la personnification de l’impassibilité, et Harlington ne vit pas le moindre signe que son attitude n’était que façade.
– Tout le monde à son poste ! T’Savhek, avec moi, dit-il sèchement en se dirigeant résolument vers l’ascenseur le plus proche.
Dès qu’ils y furent entrés et qu’il eut ordonné à l’ordinateur de bord de les conduire sur la passerelle, il attaqua d’une voix froide :
– Rapport de situation !
– A l’exception de l’aspirant Mitchell, personne n’a été blessé. Dès que les pirates ont mis la main sur Sanders et Viligo, ils les ont emmenés avec eux. Notre équipe capturée sur le SS Orcus a été téléportée sur le Baltimore, et les pirates, après avoir détruit notre antenne subspatiale, sont passés en vitesse de distorsion, il y a vingt-trois minutes. Ils ont en outre dérobé nos cristaux de dilithium, y compris ceux de secours. Commandant, je prends l’entière responsabilité de l’échec de…
– Pas de ça avec moi, T’Savhek, il n’y a qu’un seul commandant à bord, donc un seul coupable.
Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent, et ils pénétrèrent sur la passerelle. Garcia et Inriek, aux consoles de pilotage et de communications, se retournèrent vers eux avec une expression de chiens battus. Harlington les ignora et s’assit dans son fauteuil. Il appuya sur le bouton de l’intercom intégré à l’accoudoir de son fauteuil et dit :
– Ici le commandant. Je n’ai pas dit mon dernier mot quant à notre situation. Vos nouvelles instructions ne vont pas tarder à suivre.
Il coupa la communication et se tourna vers le Zaldan :
– Inriek, collez-vous à la console scientifique, analysez les traces énergétiques qui subsistent dans la zone et identifiez la signature de l’Orcus. Dès que vous l’aurez, transmettez vos données à l’enseigne Garcia, afin qu’il nous calcule une trajectoire de poursuite. Inriek se contenta d’acquiescer, même s’il brûlait d’envie de rappeler à Harlington que sans leurs cristaux de dilithium, ils n’avaient plus accès à la vitesse de distorsion. Mais vu le ton presque mordant qu’employait son supérieur, il n’osa pas s’y risquer.
Harlington pianota à nouveau sur l’accoudoir et dit :
– Infirmerie, ici Harlington. Comment va l’aspirant Mitchell ?
– Il irait mieux plus vite si vous ne m’interrompiez pas dans cette opération chirurgicale délicate, répondit froidement Sulok.
– Je vous saurais gré de vous dispenser de commentaires mal placés, docteur. Je suis encore le commandant de bord, et je veux votre rapport médical.
– La blessure n’est pas grave, bien que spectaculaire. Le régénérateur de tissus est déjà à l’œuvre. Il faudra entre douze à dix-sept jours pour que l’aspirant Mitchell soit intégralement remis et puisse reprendre ses fonctions à bord.
– Bien, docteur, voilà qui est beaucoup mieux. Harlington, terminé.
Il se tourna vers son officier en second et dit :
– Lieutenant T’Savhek, j’ai lu avec la plus grande attention tous les rapports concernant la remise en état du navire. Je veux dire tous les rapports techniques, dans lesquels apparaissent toutes les pièces qui ont été changées, celles qui ont été évacuées comme celles qui ont été amenées à bord. Ainsi, dans l’un des rapports, il était noté que nous avons deux jeux de cristaux de dilithium : un principal, et un autre de secours. Mais une chose m’a frappé à cette lecture, et j’ai vérifié ce point plusieurs fois : il n’était nulle part fait mention des anciens cristaux de dilithium, qui se trouvaient pourtant à bord lors de mon arrivée, même s’ils avaient été déconnectés du système. Ma question est donc : qu’est-ce que vous en avez fait ?
Harlington eut la satisfaction de voir son interlocutrice incapable de dissimuler sa surprise…pendant au moins deux secondes, une éternité émotionnelle pour une Vulcaine.
– Les cristaux précédents étaient fissurés, et donc trop sujets à une explosion pour y avoir recours. Mais j’ai préféré les conserver à bord, en cas de nécessité absolue…
– Le cas où, c’est maintenant, T’Savhek ! Faites remettre ces cristaux en place, et nous irons chercher nous-mêmes l’amiral Sanders !
– Mais…ils sont fissurés, commandant. J’ai moi aussi pensé à l’éventualité de les utiliser, mais j’estime que c’est trop dangereux. Ils pourraient bien nous lâcher au bout d’une minute.
– Ou d’un mois, rétorqua Harlington. Vous renforcerez le champ de contention autour, et surveillerez seconde par seconde leurs performances, afin que nous puissions les désamorcer sur-le-champ en cas de problème. Je vous laisse gérer les problèmes techniques, vous êtes mieux armée que moi pour cela. A moins que vous n’ayez une meilleure idée ?
– Non, commandant. Je m’en occupe immédiatement.
Garcia et Inriek, l’air de rien, n’avaient pas manqué une miette de cette conversation, et savoir qu’il y avait une chance pour qu’ils réparent leurs erreurs leur donna un regain de motivation pour s’atteler à leur tâche.

Trois quarts d’heure plus tard, Garcia et Inriek avaient réussi à déterminer la trajectoire du SS Orcus. Presque deux heures après, T’Savhek annonça que les anciens cristaux de dilithium avaient été installés, et restaient stables pour le moment.
– En avant toute, Garcia ! ordonna Harlington sur un ton de colère froide.