Journal de bord du commandant, coefficient espace-temps 1588,1. Nous avons engagé la poursuite des ravisseurs depuis trois heures, et parvenons pour l’instant à suivre leurs traces. J’ai demandé à l’enseigne Garcia d’essayer d’anticiper la trajectoire de l’ennemi, mais il s’avère impossible de deviner où il compte se rendre. Notre base de données scientifique n’a pas été actualisée depuis deux ans en ce qui concerne cette région de l’espace. Cette dernière ne figurait pas sur notre plan de vol, et nous n’avons pas d’équipe scientifique à bord. Cela explique cette lacune, qui devra être corrigée dans les meilleurs délais dès notre retour.

Harlington, assis dans son fauteuil de commandement depuis des heures, était d’un calme olympien qui l’étonnait lui-même. Il parvenait à évacuer l’énorme pression qui pesait sur ses épaules, et avait la lucidité nécessaire pour réfléchir à la suite des événements.
Il avait ordonné à T’Savhek et Lupescu de préparer une équipe d’abordage, ce qui pouvait toujours servir, et surtout, il avait passé en revue tout ce qu’il avait appris ces derniers jours dans les ouvrages du commodore Jericho. Il se rendit compte, avec une surprise teintée de satisfaction profonde, qu’il avait retenu beaucoup de choses sur les engagements spatiaux.
Il n’était pas certain de se sentir prêt – car pouvait-on jamais réellement l’être quand il s’agissait de mettre en balance sa vie et celle de son équipage ? – mais avait la certitude de pouvoir défendre leurs chances en situation de combat.
Peut-être se trompait-il. Cela, il ne le saurait que le moment venu.

  • *

La réunion de crise eut lieu à Starfleet Command, présidée par l’amiral en chef Heihachi Nogura. Les douze amiraux présents ignoraient la raison de leur convocation, mais ne tardèrent pas à le savoir, quand le chef suprême de Starfleet prit la parole :
– Merci d’être venus, mes amis. Vous savez peut-être que l’amiral Graham Sanders a embarqué à bord du NCC-1152 USS Baltimore, corvette de classe Pluton, il y a quinze jours. Sa mission était d’inspecter nos bases stellaires avancées le long de la zone neutre romulienne. Depuis hier, nous avons perdu le contact avec le Baltimore, et nous avons reçu ce message, directement envoyé à l’Amirauté.
Nogura fit un pas de côté pour laisser libre l’écran géant qui se trouvait derrière lui. Un humain au visage buriné par le temps et pourvu d’une longue barbe apparut et prit la parole, l’air revêche :
Pour ceux qui ne me connaissent pas, je suis l’ancien capitaine de Starfleet Jack Merridock Valment. Vous trouverez dans mon dossier les raisons qui ont vu mon éviction de Starfleet, au terme d’une comparution, aussi injuste que honteuse, devant la cour martiale de l’Amirauté. Comme je l’ai toujours clamé depuis cet événement indigne, j’ai toujours été innocent des griefs qui ont été lancés contre moi, mais tout le monde m’a ignoré et tourné le dos. La faute à un homme. L’amiral Graham Sanders. Je ne suis pas le seul officier à avoir subi ses foudres : chaque fois qu’il a commis des erreurs, il a trouvé des boucs émissaires à qui faire porter le chapeau. Des dizaines d’officiers compétents ont ainsi été radiés des cadres par sa faute.
Aujourd’hui, ces anciens officiers, que je commande, et moi-même détenons l’amiral Graham Sanders. Nous allons nous pencher sur toutes les exactions dont il s’est rendu coupable au cours de sa carrière, pendant un procès que vous aurez l’occasion de suivre en direct. Et ne vous leurrez pas : le verdict sera la mort.
Valment, terminé.

Un silence de mort s’abattit dans la pièce. Nogura, qui avait déjà visionné le message, en avait profité pour observer les réactions des membres de l’État-Major présents. Il avait eu droit à un beau florilège d’émotions : sourires à peine dissimulés, colère, impassibilité, perplexité.
Pour sa part, et même s’il n’aimait pas Sanders, Nogura était partagé entre une inquiétude légitime pour le Baltimore et son équipage, avec qui tout contact avait cessé, ce qui laissait supposer le pire, et une colère sourde contre les ravisseurs. Ils avaient raison sur un point : plus d’une fois dans sa carrière, l’amiral Sanders s’était sorti de situations compliquées de manières peu orthodoxes, voire suspectes pour certaines. Mais dans la mesure où aucune preuve de sa déloyauté n’avait jamais été apportée, Nogura était obligé de considérer Sanders comme étant blanc comme neige.
Sa colère avait deux sources : les méthodes des ravisseurs et l’enlèvement en lui-même. Ce pseudo-procès qui s’annonçait le mettait hors de lui, car si les enquêteurs et les services secrets de Starfleet n’avaient jamais pu trouver de griefs officiels à reprocher à Sanders, nul doute à ses yeux que les « preuves » que les kidnappeurs avanceraient lors du procès ne seraient qu’allégations et ragots. Le fait même qu’un amiral puisse être enlevé et utilisé comme une marionnette le faisait bouillir intérieurement : c’était une attaque directe contre les institutions de Starfleet.

  • *

Sur la passerelle du Baltimore, chacun s’activait en silence, pleinement concentré sur sa tâche. Harlington passait inlassablement en revue tout ce qui pourrait se produire dans les heures suivantes. Comme il n’était pas devin, ses réflexions ne pouvaient lui être d’aucune utilité, mais elles lui faisaient passer le temps.
Derrière lui, les portes de l’ascenseur chuintèrent en s’ouvrant, et Sulok vint se poster près de lui, à sa gauche.
– Comment va Mitchell, docteur ? demanda Harlington.
– Le processus de guérison est entamé, commandant.
– Bien.
– J’ai cru comprendre que nous nous sommes lancés à la poursuite des ravisseurs ?
– En effet, docteur, nous avons un amiral à récupérer, au cas où vous l’auriez oublié.
– Commandant, je… euh… permission de parler librement ?
Harlington fronça les sourcils mais opina du chef.
– Je pense que nous devrions faire demi-tour, commandant. Il est évident que nous ne sommes pas armés pour une telle « récupération ». Notre équipage n’est pas au complet, et notre navire n’est sans doute pas assez puissant pour mener cette opération. Sans parler de nos cristaux de dilithium abîmés, véritables bombes à retardement. La logique suggère que nous mettions le cap sur la base stellaire la plus proche et que nous passions le relais à un vaisseau plus adapté à ce type de mission, comme un navire de classe Constitution, par exemple.
– Vous avez été promu officier en second, Sulok ? demanda sèchement Harlington.
– Non, commandant.
– Pourtant, vos remarques ressemblent fort à celles dont T’Savhek m’a fait profiter.
– Mon opinion conjuguée à la sienne vous fera-t-elle changer d’avis, commandant ?
– Non.
– Mais commandant, je vous l’ai dit, la logique…
– Je laisse la logique aux Vulcains, ayez donc l’amabilité de laisser l’irrationalité aux humains. Autre chose, Sulok ?
– Non, commandant, fit Sulok sur un ton guindé, avant de quitter la passerelle.

La porte de l’ascenseur venait à peine de se refermer que l’enseigne Garcia annonça de sa console de pilotage :
– Commandant, je crois que nous les tenons !
– C’est-à-dire ?
– La piste s’arrête, et d’après nos cartes, il y a un ancien astéroïde minier tout près d’ici.
– Bien. Alerte rouge, tout le monde aux postes de combat !