Le jour se levait à peine quand un autobus aux couleurs de l’Académie, rempli d’une cinquantaine de cadets en uniforme, se présenta au pied de l’USS Baltimore.
Le commodore Anton Van Peelse fut le premier à en sortir, et grimpa l’escalier qui menait au vaisseau, d’un pas léger bien qu’il ait dépassé la cinquantaine. Il avait la peau blanche, des pommettes saillantes, des petits yeux enfoncés et brillants d’intelligence. Un début de calvitie dans ses cheveux filasse et une épaisse moustache de même couleur complétait le tableau.
Harlington, T’Savhek, O’Connor et Lupescu l’accueillirent .
– Permission de monter à bord, commandant ? demanda Van Peelse en souriant.
– Accordé, commodore, répondit Harlington. C’est un honneur et un plaisir de vous avoir à bord, monsieur. Je vous remercie à nouveau d’avoir…
– Trêve de bavardage, lieutenant, je crois que mes hommes ont du travail. Faites-leur indiquer leurs positions. Et accordez-moi le plaisir d’une petite promenade à mes côtés.
– Comme vous voudrez, monsieur. T’Savhek, je vous laisse gérer les affectations.

Les deux officiers se mirent à déambuler parmi les vaisseaux stationnés alentour.
– Lieutenant, je dois bien admettre qu’il y a quinze jours, après avoir accepté d’envoyer ma classe travailler sur votre vaisseau, j’ai eu du mal à croire les ordres que vous aviez reçu. Avec un équipage traditionnel, il est impossible de remettre en état un vaisseau tel que le vôtre, obsolète par bien des côtés et ayant subi des avaries jamais réparées jusque-là. Surtout en seulement un mois. Si vous m’expliquiez ce que cela signifie ?
Harlington réfléchit longuement avant de répondre.
– Vous avez entendu parler des événements à bord de l’USS Eagle ?
– Vaguement. Lors de sa dernière mission, le capitaine est mort, le second s’est avéré incompétent, et deux membres d’équipage ont réussi à sauver le vaisseau du désastre.
– Les deux membres d’équipage en question étaient T’Savhek et moi-même. Elle était déjà sous-lieutenant, et moi simple aspirant. Non seulement son grade a été confirmé, mais elle a été nommée lieutenant. Quant à moi, cet exploit m’a valu d’être nommé sous-lieutenant, et de recevoir un commandement. Celui du Baltimore.
– Bizarre que ce ne soit pas elle qui a reçu un commandement, vu qu’elle était la plus gradée de vous deux.
– C’est…surtout moi qui ait agi, et elle m’a suivi, m’apportant d’ailleurs une aide essentielle.
– Je vois, c’est votre prise d’initiative qui est à l’origine de votre promotion.
– Oui, monsieur.
– Mais qu’est-ce que c’est que cette promotion pourrie ? J’ai accès aux archives des Quartiers Généraux, concernant le présent et le devenir des vaisseaux, or le Baltimore devait prochainement être mis sur la liste des navires à désassembler.
– Quand le capitaine de l’Eagle est mort, c’est le commandeur Peter Sanders, son officier en second, qui a pris le commandement. Il a paniqué, provoquant la mort de dizaines de membres d’équipage. Aussi a-t-il été dégradé et rendu à la vie civile à notre retour de mission.
– Quel rapport avec le Baltimore ?
– Quand il a été notifié que j’allais recevoir un commandement, un des amiraux de Starfleet a fait en sorte que je passe sous sa responsabilité. L’amiral Graham Sanders.
– Graham Sanders…comme dans Peter Sanders ?
– Oui. L’amiral est l’oncle de mon ancien supérieur. Il semblerait qu’il n’ait pas digéré le fait que T’Savhek et moi ayons sauvé l’Eagle, tandis que son neveu faisait n’importe quoi aux commandes.
– Il vous tient pour responsable de la chute de son neveu, et vous a donné des ordres impossibles à réaliser pour se venger ?
– C’est ce que je pense, monsieur. Plusieurs de mes connaissances à l’Amirauté ont confirmé cette version.
– Je vois. Il existe des familles qui, de génération en génération, se vouent à Starfleet, par tradition. Et il est vrai que les Sanders y ont une certaine importance. Vous avez conscience que l’amiral n’en restera pas là, même si vous réussissez cette première mission ?
– Oui, monsieur. Mais il va bien falloir que je réussisse à tenir en attendant que l’orage s’éloigne.
Van Peelse se tut. Ce petit avait du courage, aucun doute là-dessus. Grâce à ses propres relations, le commodore estima qu’il était peut-être possible de lui donner un coup de pouce en cas de besoin, si la situation se dégradait pour ce jeune officier.

Quand ils revinrent au Baltimore, les élèves de Van Peelse étaient déjà à pied d’œuvre. Leur professeur fronça les sourcils, et dès qu’il fut monté à bord, multiplia les coups de gueule et les imprécations, les mâtinant néanmoins d’encouragements. L’équipage habituel du vaisseau fut presque jeté dehors, car il gênait les apprentis ingénieurs. Seule l’équipe technique du bord resta, ainsi que Harlington qui, inutile, dut se contenter de se faire tout petit afin de ne déranger personne. Un comble pour le commandant de bord.

Au milieu de l’après-midi, T’Savhek rejoignit Harlington et lui annonça d’ores et déjà que la majeure partie des réparations serait finie dans les temps. Et selon elle, le reste pourrait fait en vol. Leur problème numéro un venait d’être résolu. Tout le stress accumulé jusque-là s’envola aussitôt.

Quand les élèves de Van Peelse quittèrent le navire, dix jours plus tard, T’Savhek estima que le Baltimore était opérationnel à plus de 93%, et quoi qu’il en soit en état de voler.
Entre-temps, Harlington avait appris de la part de l’Amirauté qu’il n’y aurait pas d’équipe scientifique d’affectée à bord pour le moment. Et il reçut une convocation de son supérieur hiérarchique, l’amiral Graham Sanders.

Sanders avait été ravi de dégotter le dossier du NCC-1152 USS Baltimore, quand il avait fallu fournir au fraîchement promu sous-lieutenant Harry Harlington un premier commandement. N’importe quel officier supérieur sain d’esprit aurait décrété que le vaisseau était bon pour la casse. Voilà qui serait parfait pour mettre fin à la carrière du jeune insolent, à cause de qui son neveu avait été cassé et renvoyé.
L’amiral avait cru s’étrangler de rage en apprenant l’intervention de la classe du commodore Van Peelse. Mais toutes les procédures ayant été respectées, il n’avait pu s’y opposer. Et cette première mauvaise nouvelle à son goût n’était rien à côté de celle qui avait suivi. Les Services Techniques de l’Amirauté lui avaient demandé un rapport sur le pourquoi de ses ordres, concernant un navire qui aurait dû être retiré du service, ainsi que sur le délai imparti pour mener sa réfection.
Conscient qu’il avait dépassé les bornes et que sa carrière pourrait en souffrir, il avait longuement réfléchi avant de répondre point par point. Il était économiquement plus rentable et plus rapide de renflouer un vaisseau, plutôt que d’en faire construire un nouveau. Et il avait ajouté que comme Harlington avait déjà donné la mesure de ses capacités d’improvisation, il n’avait pas douté qu’il parviendrait à remettre le Baltimore en état en un mois. Sanders avait failli pleurer de rage en écrivant ces lignes : il ne voulait que la chute de ce misérable sous-lieutenant, et voilà qu’il était obligé de le complimenter pour couvrir ses arrières.

Quand il le reçut dans son bureau de l’Amirauté, il avait eu le temps de se calmer. Il le fit patienter une bonne heure avant de la faire entrer. Juste pour lui apprendre qui était le patron. Bien qu’il se trouva mesquin sur ce coup là, cela lui fit un bien fou.
– Asseyez-vous, lieutenant Harlington, fit-il froidement. Le navire est prêt à décoller ?
– Il le sera d’ici quatre jours, conformément aux ordres reçus, monsieur.
– Parfait, répondit l’amiral sans enthousiasme. Comme vous le savez, je suis le responsable de la sécurité aux abords de la Zone Neutre Romulienne. Afin de rompre quelque peu l’isolement de nos avant-postes chargés de la surveiller, et de m’assurer personnellement qu’ils sont en mesure d’accomplir leur mission, j’ai décidé d’en faire la tournée. Vous m’aurez donc comme passager lors de votre première mission aux commandes. Je vous enverrai mon aide de camp avec mes bagages. Prévoyez une cabine pour moi, et une autre pour elle. Je vais faire envoyer les détails de notre voyage à votre ordinateur de bord. Des questions ? demanda Sanders sur un ton indiquant qu’il ne valait mieux pas qu’il y en eut.
– Aucune, monsieur, répondit prudemment Harlington. Ce sera un honneur de vous avoir à bord, ajouta-t-il, parfaitement hypocrite.
– Honneur partagé, lieutenant, fit Sanders pour ne pas être en reste.
– Monsieur, la veille du départ, j’ai prévu une petite cérémonie avec l’équipage, pour fêter la réaffectation de l’USS Baltimore au sein de la flotte. Vous y voir serait un plaisir.
– Comptez sur moi, lieutenant, dit l’amiral en grimaçant un sourire. Vous pouvez vaquer à vos occupations, lieutenant, ce sera tout.
– Merci, monsieur. Bonne fin de journée à vous.
Les deux hommes se saluèrent avec civilité, alors même qu’ils se haïssaient.