La note de Husserl, dans la seconde édition, avec un renvoi à la troisième section des Ideen, indique la double direction envisageable pour l'analyse descriptive : soit nous nous attachons à ce qui compose réellement la conscience, au sens où c'est quelque chose d'inhérent à elle, soit nous pouvons envisager également de nous tourner vers l'objet intentionnel. Dans la perception d'une mélodie, l'analyse descriptive ne trouve pas de vibrations sonores, ni l'organe de l'ouïe, etc. ; elle ne trouve pas non plus quelque chose comme une mélodie. Elle s'attachera uniquement aux contenus donnés dans ces actes, à ce qu'ils sont en tant que tels et sans tenir compte de ce à quoi ils peuvent se rapporter ou ce à quoi ils servent de représentant. Un autre ajout de 1913, venant nous rappeler que les données psychologiques humaines ne conditionnent pas ces analyses descriptives.

Le concept de contenu réel est le concept le plus général, il peut s'appliquer à tous les vécus intentionnels. Lorsque, par contre, on parlera de contenu intentionnel, c'est le caractère propre des vécus intentionnels qui entrera ici en ligne de compte. Pour analyser ce caractère des actes intentionnels, Husserl dégage trois sens du concept de contenu intentionnel :

  1. l'objet intentionnel de l'acte,
  2. la matière intentionnelle (par opposition à la qualité intentionnelle),
  3. l'essence intentionnelle.

3.1 Le contenu intentionnel comme objet intentionnel

Nous avons déjà vu que le contenu intentionnel, au sens de l'objet intentionnel, n'est rien qui ne soit dans le contenu réel de l'acte, mais qu'il est un mode de l'intention objective, que ce soit pour des vécus qui visent une chose extérieure (comme une maison, par exemple) ou pour des vécus intentionnels qui se rapportent à nos propres vécus présents, auquel cas, l'objet intentionnel est vécu dans le cas précis de la perception adéquate.

Husserl introduit une nouvelle distinction à l'intérieur même de l'objet intentionnel : il faut distinguer en lui l'objet tel qu'il est visé et l'objet qui est visé. Ainsi, un objet est représenté dans chaque acte et il peut éventuellement devenir l'unité intentionnelle de multiples actes qui le visent selon différents modes. Pourtant, de nouvelles propriétés objectives de cet objet peuvent apparaître dans l'acte, propriétés que ne visaient pas cet acte mais qu'il a pourtant bien acquises par d'autre moyens ; ou encore, de nouveaux actes viennent s'ajouter au premier et visent le même objet. L'objet qui est visé est le même, mais il est visé de manière différente. La représentation Empereur d'Allemagne représente son objet en tant qu'empereur et plus précisément en tant que l'empereur d'Allemagne. Cet objet a d'autres propriétés comme le fils de l'empereur Frédéric III ou le petit-fils de la reine Victoria qui ne sont ni nommées ni représentées, mais qui pourrait s'adjoindre à l'intention primitive.

Si des actes différents peuvent viser le même objet, qu'en est-il des actes partiels qui composent l'acte global ? Husserl introduit une autre distinction, plus importante encore que la première : la distinction entre l'objectivité sur laquelle se dirige un acte pris dans sa totalité et les objets sur lesquels se dirigent les différents actes partiels dont se compose le même acte. Si l'objet visé est unitairement le même, bien qu'il puisse être visé de différentes manières, il appartient à un acte unitaire de le viser : autrement dit, l'acte a son corrélat dans une seule objectivité, quelles que soient sa composition, son édification ou sa complexité. Husserl illustre cette corrélation avec trois exemples.

Dans le cas de l'expression « le couteau sur la table », l'objet de l'acte total est le couteau et l'objet de l'acte partiel est la table ; mais nous pourrions également dire que la table est l'objet intentionnel de l'acte total puisque celui-ci vise le couteau comme étant précisément sur la table.

Dans le cas du jugement « le couteau se trouve sur la table », le couteau n'est pas ce qui est visé unitairement, car il n'est que le sujet du jugement : l'acte complet de jugement a pour corrélat un état de chose.

Dans le cas du souhait « le couteau devrait se trouver sur la table », nous ne souhaitons pas le couteau (ce qui n'aurait d'ailleurs pas de sens), mais nous souhaitons que le couteau soit sur la table, qu'il en soit ainsi. Nous ne devons pas confondre l'état de chose avec l'acte de jugement qui s'y rapporte ni avec la représentation de ce jugement car dans le souhait, nous ne souhaitons ni le jugement, ni la représentation.

Quelle est la structuration des actes entre eux, selon leurs simplicités ou leurs complexités ? La composition d'un vécu unitaire n'en fait pas un vécu complexe. La complexité de l'acte réside dans la combinaison des actes partiels, qui ont chacun leur objet unitaire et leur mode de se rapporter à lui, dans l'unité d'un acte global.

Ces multiples actes partiels se combinent en un seul acte global, dont la fonction d'ensemble consiste dans l'unité de la relation intentionnelle.

L'acte de jugement catégorique cet arbre est vert est un acte global ou unitaire qui s'articule en actes partiels qui posent le sujet, le prédicat, l'attribution ou non de ce prédicat. Il en va de même dans l'acte de jugement hypothétique si quelque chose est un arbre, cet arbre est vert composé d'actes partiels qui posent la supposition, la conséquence, etc. : le vécu est un jugement qui a un état de chose.

De même que le jugement ne réside ni à côté des actes posant le sujet et le prédicat, des actes supposants ou concluants, ni entre eux, mais en eux comme l'unité qui les régit de part en part, de même, corrélativement, l'état de chose jugé est l'unité objective qui, telle qu'elle apparaît ici, se compose du sujet et du prédicat, du présupposé et de ce qui est posé à partir de la présupposition.

Ces combinaisons d'actes peuvent encore se compliquer de multiples manières  : il peut s'édifier sur l'acte de jugement un acte de joie, non pas au sens où l'acte de la joie se juxtaposerait à l'acte de jugement, mais celui-ci fonde la possibilité même de la joie. L'acte de joie peut à son tour fonder d'autres actes, etc., pour former un acte global.

Pour comprendre ce rapport de fondation entre les actes, il faut revenir à la définition précise du concept de fondation dans la Troisième Recherche logique :

si, conformément à une loi d'essence, un α ne peut exister comme tel que dans une unité qui l'embrasse et qui le relie avec un β, nous disons qu'un α comme tel a besoin d'être fondé par un β, ou encore qu'un α comme tel a besoin d'être complété par un β.

Un acte fondé est donc un acte qui ne peut exister dans un tout qui l'englobe que si, et seulement si, il entre dans une relation avec un autre acte qui le fonde. Cette relation de fondation entre parties peut être réciproque, comme la couleur et l'étendue car aucune couleur n'est concevable sans une certaine étendue, ni aucune étendue sans une certaine couleur, ou unilatérale, comme le caractère de jugement qui se fonde sur les représentations, alors que celles-ci ne sont pas nécessairement au fondement d'un jugement.

Un autre exemple d'acte unitaire est donné par le tout formé par expression et sens c'est-à-dire

l'unité formée par les actes dans lesquels se constitue une expression, en tant que complexe phonique sensible, et par les actes tout différents dans lesquels se constitue la signification.

L'expression est un objet physique qui apparaît, c'est-à-dire que nous vivons des actes dans lesquels des vécus sensoriels, comme un complexe sonore ou des tâches d'encres, sont aperçus ou appréhendés comme étant justement des mots parlés ou écrits, que ce soit dans des actes perceptifs ou des actes imaginatifs. Bien que nous puissions nous tourner vers ces signes perçus ou imaginés, le fonctionnement normal de l'expression est de toujours renvoyer à autre chose qu'à ces signes, autrement dit, l'expression a toujours une signification et nous sommes absorbés par ce que désigne l'expression. Les actes qui confèrent la signification à l'expression ne sont donc pas extérieurs à elle, mais ils ne font qu'un avec elle en formant un acte global unitaire :

Nous trouvons en nous non pas une simple somme d'actes, mais un acte, dans lequel nous distinguons en quelque sorte une face corporelle et une face spirituelle.

La face physique de l'expression n'est pas essentielle dans cette unité : nous pouvons substituer au complexe phonique apparaissant n'importe quel autre complexe phonique qui assurerait la même fonction dans l'expression. Ces actes partiels, dans lesquels des complexes nous apparaissent pour former une expression, ne sont pas du même genre que les actes partiels dont se compose un jugement unitaire, même s'il y a bien un certain rapport intentionnel entre le mot et la chose : en nommant ou en voulant nommer la chose, le mot semble être adéquat à cette chose, il n'est pas choisi arbitrairement. Par contre, dans l'expression, ce sont les actes signifiants qui déterminent le caractère de l'acte total, comme étant justement un acte de jugement, de souhait, etc.  :

quand nous effectuons normalement un acte d'expression comme tel, nous ne vivons pas dans les actes qui constituent l'expression en tant qu'objet physique ; notre « intérêt » n'appartient pas à cet objet, nous vivons au contraire dans les actes signifiants, nous sommes exclusivement tournés vers l'objet qui apparaît en eux, c'est cet objet que nous avons en vue, c'est lui que nous visons en prenant ce mot dans son sens particulier, son sens fort.

La fonction normale de l'expression est de nous renvoyer aux objets visés par cette expression, à travers la signification. Il n'y a pas d'acte particulier d'attention pour décrire cette situation, l'attention est elle-même un vécu intentionnel comme quand nous tournons notre attention vers l'expression physique, comme lorsque la voix de quelqu'un nous semble altérée, différente de sa voix habituelle, mais elle cesse, dès lors, d'être un acte d'expression.

Notes

 1  exemple déjà examiné dans la Première Recherche logique, aux paragraphes 9 et 10. On laissera ici de côté l'unité formée par les intentions de signification vide et les intentions de signification qui remplissent cette signification.