La thèse brentanienne peut être éclaircie : à s'en tenir simplement à la paraphrase tous les vécus présentent leur objet ou reposent sur une présentation de l'objet, la thèse reste une pseudo-évidence. Au contraire, Husserl prend en compte l'ambiguïté traditionnelle du concept de représentation, à la fois comme présence et comme ce qui prend la place de. Lorsque nous disons que tout vécu intentionnel est une simple représentation, nous faisons référence par là à un acte qui nous met en présence de quelque chose. À cette espèce d'acte en appartiennent d'autres, qui ne sont plus des actes de représentation, comme le jugement par exemple, à partir duquel nous pouvons poser que cette présence est ou n'est pas. Mais ce jugement ne repose pas seulement sur cet acte de représentation, même s'il a bien, comme tout vécu intentionnel, une représentation pour base, il repose sur une simple matière de l'acte, une re-présentation (Repräsentation) :

la proposition tout vécu intentionnel a une représentation pour base, serait, pour autant qu'on interprète la représentation comme une matière complétée, une évidence authentique.

Mais nous n'avons pas encore épuiser les ambiguïtés du concept de représentation : si nous faisons encore varier le sens du concept, la conception soutenue par Husserl tiendrait-elle encore  ?

En effet, si à l'unité de l'acte correspond l'unité de l'objectité et que ces deux unités sont dans un rapport intentionnel, la représentation est l'acte qui se rapporte à l'unité objective de chaque acte et qui sert de base à cette unité. Par exemple, l'état de choses présumé dans le jugement, désiré dans le souhait, etc., serait nécessairement un état de choses représenté dans un acte de représentation.

Si nous employons maintenant un nouveau concept représentation, lorsque nous disons que les noms sont des expressions de représentations, l'acte de représentation n'englobe plus l'unité objective de chaque acte :

Nous pouvons, dès lors, comprendre sous la dénomination de représentation tout acte dans lequel quelque chose s'objective pour nous dans un certain sens étroit, par exemple en vertu des perceptions et des intuitions parallèles qui appréhendent d'un seul coup et tiennent l'objet sous un seul rayon intentionnel, ou aussi en vertu des actes non diversifiés posant le sujet dans des énoncés catégoriques, des actes de simple supposition, figurant comme prémisses dans des actes d'énonciation hypothétique, etc.

Qu'est-ce que ce quelque chose qui s'objective pour nous dans un sens étroit ? De quoi s'agit-il ? Quand nous effectuons un acte de jugement, quelque chose nous parait être ou ne pas être, par exemple que S est p. Si maintenant nous disons l'être P de S, nous nous représentons de manières différentes le même être qui est à chaque fois représenté. Il en va de même pour l'état de choses S est p par rapport à un acte qui poserait le sujet d'un autre jugement comme le fait que S est P, ou dans une proposition hypothétique comme si S est P, ou encore dans une mineure disjonctive comme ou S est P  :

Dans chacun de ces cas, l'état de choses - mais non pas le jugement - nous est donné comme objet dans un autre sens que dans le jugement dont il forme le corrélat objectif complet et, par suite, est représenté aussi avec des significations modifiées ; et il est alors manifestement objet dans un sens analogue à la chose que nous visons par un seul et unique regard dans la perception ou l'imagination ou la contemplation d'une image—bien qu'un état de choses ne soit pas une chose et ne soit absolument rien qui, au sens propre le plus restreint, puisse se percevoir, s'imaginer ni être reproduit.

Les propositions qui remplissent la fonction de sujet à l'intérieur de jugement, comme le fait que S est p, ne sont pas des représentations de jugement, mais des représentations d'état de choses correspondants à ces jugements. Les jugements peuvent également remplir cette fonction, car ils sont des objets possibles de perception, d'imagination, etc., mais ce sont alors des jugements sur des jugements. Avoir la fonction de sujet dans la proposition n'implique pas que nous nommons un jugement.

Il ne faut pas confondre porter un jugement sur un jugement et porter un jugement sur un état de choses ; de même qu'il faut distinguer entre se représenter subjectivement ou nommer un jugement et se représenter subjectivement ou nommer un état de choses. Lorsque nous disons que S est p est réjouissant, ce n'est pas le jugement qui est réjouissant, c'est l'état de choses, le fait qu'il en soit ainsi.

La représentation en tant qu'acte fondateur n'embrasse pas toute la matière de l'acte fondé. Il faudrait reformuler la proposition  :

Tout acte est lui-même une représentation, ou bien il est fondé dans une ou plusieurs représentations.

Des exemples d'actes de représentations sont donnés par les actes non diversifiés ou à un seul rayon, comme la perception, le souvenir, l'attente, l'imagination, etc. : ce sont de simples représentations. Des exemples d'actes fondés dans une ou plusieurs représentations sont fournis par les prédications et les simples représentations qui leur correspondent.

Si nous prenons le jugement sous sa forme la plus simple, S est p, il a au minimum deux représentations ou deux noms pour base. Le nombre maximum de représentations dans un seul jugement est par contre illimité et n'est pas lié à la composition du jugement, parce qu'un jugement composé est lui-même un jugement unitaire. Il en irait de même pour tous les actes complets : le souhait que S est p a ses représentations dans le S et dans le p. Dans tous les actes complexes, les actes fondateurs sont nécessairement des représentations.