Nous utilisons ce concept lorsque nous disons que les noms sont des expressions de représentations. Husserl examine d'abord les représentations exprimables par des noms. Les noms ne sont pas des substantifs, car ceux-ci n'expriment pas un acte complet. Si nous prenons les noms dans leur fonction normale au sein d'énoncé, un mot ou un complexe de mots (considérés comme des noms) expriment un acte achevé lorsqu'ils peuvent 1) ou bien présenter le sujet simple et complet d'un énoncé ; 2) ou bien remplir dans un énoncé la fonction simple de sujet, sans que l'essence intentionnelle de ces mots ne soit modifiée.

Aussi, le simple substantif, même joint avec une proposition adjective ou relative, ne forme pas un nom complet : il faut lui ajouter l'article défini ou indéfini. Des exemples de noms complets seraient alors : le cheval, un bouquet de fleurs, que le temps tourne à la pluie.

Or, les noms ou les représentations nominales ont cette propriété remarquable de pouvoir se comporter, dans certain cas, comme des énoncés complets, bien qu'ils n'en soient pas :

dans nombre de cas, mais manifestement pas dans tous, les noms ou les représentations nominales sont d'une espèce telle qu'ils visent et nomment l'objet comme existant réellement, sans pour cela être plus que de simples noms, en d'autres termes sans qu'on puisse les considérer comme des énoncés complets.

Les nom ou les représentations nominales ne peuvent pas être des énoncés complets, parce que des énoncés complets ne peuvent pas être mis à la place de sujet, sans une modification de la signification de ces énoncés, même si des jugements peuvent figurer comme objets de jugement au sens d'objets jugés.

Mais occupons-nous d'abord de ces noms qui peuvent se substituer à des énoncés. Lorsque nous employons des noms comme la fontaine sur la place de la mairie ou le facteur qui passe rapidement, nous savons qu'il y a une fontaine place de la mairie ou que le facteur passe rapidement. Nous ne nous représentons pas intentionnellement les objets nommés comme des objets imaginés, ces objets ne nous apparaissent pas non plus comme simplement existant, mais nous les exprimons comme existant. Or, nous n'énonçons rien de tout cela dans l'acte de nomination.

Nous aurions alors à distinguer entre deux espèces de noms ou d'acte nominaux : 1) les actes qui confèrent à ce qui est nommé la valeur d'un existant et 2) les actes qui ne le font pas. Les premiers sont les actes positionnels, comme par exemple, la perception sensible, le souvenir et l'attente, etc., qui s'approprient l'objet par un seul rayon de visée intentionnelle (elles remplissent les intentions de signification nominale), et les seconds sont des actes non positionnels comme la matière du jugement existentiel qui débute sans prise de position existentielle, une perception anormale inapte à conférer une valeur d'être, la pure imagination, etc.

Comme on le voit à partir des exemples, cette distinction n'est pas restreinte aux seuls actes nominaux, mais elle s'étend à la sphère de toutes les représentations.

On peut voir également qu'il y a une certaine relation entre ces deux sortes d'actes, quand le remplissement ne se fait pas par exemple :

À tout acte positionnel appartient, en effet, en général un acte non positionnel possible de la même matière et inversement.

Cette différence à l'intérieur des qualités d'acte, imprime au concept de représentation a une certaine dualité. Les actes positionnels et les actes non positionnels sont-ils des espèces ou des différences du genre représentation  ?

On pourrait supprimer cette difficulté en disant que les actes positionnels sont des actes déjà fondés, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas de simple représentation, mais qu'ils sont fondés dans des représentations, le caractère positionnel venant ainsi s'ajouter à la simple représentation.

Ce n'est pas si simple que cela : toute la difficulté est que nous ne pouvons pas dissocier un acte positionnel d'intention de signification nominale d'un acte non positionnel, tout comme nous ne pouvons pas dissocier une perception d'un acte de simple représentation, ou encore une énonciation actuelle d'un acte portant sur un acte simplement compris mais non jugé.

L'acte nominal complet a pour corrélat une énonciation autonome possible et l'acte non positionnel a comme corrélat une énonciation modifiée (la simple compréhension de l'énoncé) possible. En poussant plus loin l'analyse, l'acte positionnel et l'acte non positionnel d'un même contenu auraient en commun, non pas un acte complet, mais la simple matière d'acte, donnée dans les deux cas avec une qualité d'acte différente.

On ne peut avoir d'un nom qu'une simple compréhension, mais cette simple compréhension n'est pas impliquée dans l'emploi positionnel de ce nom.

Nous ne pouvons pas éliminer cette dualité dans la classe des représentations.

Qu'en est-il maintenant dans le cas des énoncés complets ? Quelle relation y a-t-il entre la représentation positionnelle et le jugement prédicatif  ? On pourrait dire que la différence entre les espèces d'actes n'est pas une différence essentielle : le nom positionnel n'est pas un énoncé, c'est-à-dire qu'il n'est pas une prédication autonome, même s'il implique un jugement qui doit servir de fondement pour un autre acte à édifier sur lui. Cette fonction du nom détermine les différences grammaticales entre le nom positionnelle et le jugement prédicatif, différences grammaticales qui ne modifient pas le contenu intentionnel du jugement. L'expression nominale le facteur en train de passer comporte en son sein un jugement : le facteur passe. Husserl refuse d'extérioriser cette différence : la distinction entre les noms et les énoncés est fondamentale et cette différence n'est pas simplement extérieure. Les actes nominaux et les jugements complets ne peuvent jamais avoir la même essence intentionnelle et transformer l'une dans l'autre, c'est modifier l'essence intentionnelle, même s'ils conservent, dans cette transformation, un élément commun.

D'où vient cette erreur ? Husserl pense qu'elle vient du fait que des énoncés complets peuvent parfois jouer le rôle de sujet, bien qu'ils ne soient pas des actes positionnels. Ainsi, dans la proposition le ministre - il vient d'arriver - prendra la décision, nous pouvons remplacer ce qui est placé entre tirets par le ministre qui vient d'arriver ou le ministre arrivé à l'instant, sans modifier le sens de la proposition.

Pourtant, cette conception n'est pas bonne dans tous les cas : si l'attribution nous présente souvent une prédication déterminative, elle ne concerne qu'une partie du nom sujet. Si nous éliminons tous les compléments déterminatifs, il reste encore un nom complet qui ne suppose pas un jugement qui aurait pour fonction de désigner le sujet. Si nous reprenons notre exemple précédent, le ministre est le nom sur lequel s'appuie la prédication déterminative : nous ne pouvons pas retirer de ce nom une seconde prédication et il n'y a pas de jugement au fondement de ce nom. On ne pourrait pas non plus remplacer le ministre par celui-là c'est un ministre parce que celui-là est un nom complet et réclame pour lui-même un jugement. Il suffirait de dire que ce jugement c'est celui qui existe, mais nous tomberions dans une régression à l'infini, parce que nous aurions le même sujet celui qui.

Si les noms et notamment les noms attributifs sont issus des jugements, cela n'en fait pas pour autant des jugements.

Le jugement préalable n'est pas encore la signification nominale qui ne naît qu'avec lui. Ce qui est donné dans le nom comme condensation du jugement n'est pas un jugement, mais une modification qui s'en distingue très nettement. La réalisation de l'acte modifié ne contient plus l'acte non modifié.

Ainsi, à partir des jugements la ville de Rennes est sur la Vilaine ou que Π est un nombre transcendant, nous pouvons avoir les formes nominales la ville de Rennes sur la Vilaine et le nombre transcendant Π : nous n'effectuons plus un jugement.

Le jugement n'a pas de fonction déterminative, mais il fait apparaître l'attribution qui enrichit le nom. Il n'a pas non plus de fonction attributive et il ne peut pas en avoir. Il arrive des cas exceptionnels où la fonction attributive est enchevêtrée avec la fonction prédicative. Le contenu propre de la représentation nominale attributive renvoie par essence au jugement correspondant, elle est une modification de ce jugement.

Il y a entre les noms et les énoncés des différences qui concernent l'essence de la signification :

De même que, dans l'essence intentionnelle, ce n'est pas la même chose que appréhender perceptivement un être ou que de juger QU'IL EST ; de même ce n'est pas le même chose que de nommer un être comme tel ou que d'énoncer de lui (lui attribuer le prédicat) QU'IL EST.

Il y a des lois d'essences qui régissent les rapports entre les noms (attribution) positionnels et les jugements (prédication) possibles pouvant porter sur ces noms, de telle sorte qu'on ne peut pas parler de cet S sans présupposer un jugement d'existence possible qu'il y a un S.

Les énoncés peuvent-ils jouer le rôle de nom complets ? Husserl poursuit l'examen des rapports entre actes nominaux et jugements, dans le cas des propositions énonciatives qui remplissent la fonction de nom complets et achevés.

Le point de départ est l'exemple suivant : qu'enfin la pluie soit survenue, réjouira les agriculteurs. La proposition qui fait office de sujet est un énoncé complet : ce qu'on a voulu dire, c'est qu'il s'est mis à pleuvoir. Les paysans se réjouissent de ce que... ou du fait que la pluie est enfin tombée : l'état de chose posé comme existant est l'objet de la joie et il est le sujet sur lequel porte l'énoncé. On pourrait désigner l'état de choses différemment : cela, ce fait, la venue de la pluie. Cette proposition est donc un nom, comme les expressions nominales, elle nomme et en nommant, elle représente un état de choses (ici, un fait empirique).

Quelle est maintenant la différence entre la dénomination et l'énonciation de l'état de choses ? Si on garde l'exemple, nous énonçons d'abord et nous nous référons ensuite à l'état de choses en le nommant : si l'état de choses est le même des deux côtés, il devient, pour nous, objet de manière différente. Dans l'énoncé, nous portons un jugement sur la pluie et sa venue et elles sont des objets qui sont représentées. Mais il ne s'agit pas d'une simple succession de représentations : nous effectuons un jugement qui relie ces représentations, une unité de conscience dans laquelle se constitue pour nous la conscience de l'état de choses.

Effectuer le jugement, et, dans ce « mode synthétique » consistant à « poser quelque chose par référence à quelque chose », prendre conscience d'un état de choses, c'est tout un. Nous accomplissons une thèse, et par surcroît, une deuxième thèse dépendante, de telle manière que, dans la fondation de ces thèses l'une sur l'autre, l'unité synthétique de l'état de choses se constitue intentionnellement.

Husserl appelle cette constitution intentionnelle une conscience synthétique, qu'il oppose à la conscience qui pose un quelque chose dans une thèse à un seul rayon. Il y a une différence entre l'être-énoncé de l'état de choses (conscience de jugement) et l'être-nommé du même état de choses (conscience de représentation). Cette dernière n'est pas l'acte de juger lui-même puisqu'il a déjà disparu : elle un acte nouveau qui pose (thèse) dans un rayon unique l'état de choses d'une autre manière que le jugement ne l'a fait. L'intention à rayon unique qui vise l'état de choses présuppose une intention formant une pluralité de rayons et renvoie à cette dernière : chaque conscience plurale fonde la possibilité de conversion en une conscience d'intention unique. Le mode de conscience, c'est-à-dire la manière dont l'objet devient intentionnel, est différent dans les deux cas.

Il y a une différence d'essence intentionnelle entre les propositions qui remplissent la fonction de noms d'état de choses et les énoncés correspondants du même état de choses. Autrement dit, un énoncé ne peut jamais faire figure de nom et un nom ne peut jamais jouer le rôle d'énoncé, sans une modification de leur essence significative et avec elle, de leur signification elle-même.

Cela n'implique pas qu'ils n'ont rien en commun du point de vue de la description : la matière de l'énoncé est partiellement identique à celle de l'acte nominal, car c'est le même état de choses qui est visé au moyen des mêmes termes, mais sous une forme différente, dans les deux cas.

Husserl établit ainsi la distinction entre les jugement et les représentations, et dans ce dernier cas, entre les représentations positionnelles (qui confèrent une valeur d'être) et les représentations non positionnelles. Il conteste également que les propositions causales antécédentes aient le caractère du jugement.

Les représentations nominales (au sens propres et restreint) sont des actes thétiques à un seul rayon positionnel et le jugement est la signification d'un énoncé autonome complet, qui ne peut pas se transformer en proposition antécédente hypothétique ou causale, ni en signification nominale, sans se modifier.