En effet, à chaque vécu intentionnel correspond une simple représentation, au souhait la simple représentation de ce souhait, etc. Mais il ne faut pas faire de confusion : dire qu'à tout acte, à tout vécu et à tout objet possible appartient une représentation s'y rapportant et que celle-ci est soit positionnelle soit non positionnelle, c'est-à-dire simple représentation, ne présuppose pas qu'il n'y ait qu'une seule représentation : il y a, au contraire, une multiplicité de représentation d'espèces différentes. Husserl s'en tient à la représentation nominale pour la clarté d'exposition, parce que ce qui est valable pour elle l'est pour toutes les représentations.

À tout objet il correspond donc la représentation de l'objet, à la maison correspond la représentation de la maison, etc. : mais dans le cas du jugement, la représentation du jugement n'est pas la représentation de l'état de chose jugée. Il en va de même, en fait, pour tous les cas : la représentation d'une position n'est pas la représentation de l'objet représenté sur le mode positionnel. Les objets représentés ne sont pas les mêmes. Par exemple, la volonté qui veut réaliser un état de choses est une autre volonté que celle qui veut un jugement ou une position nominale de cet état de choses. Ainsi

la modification qualitative d'un acte est, en quelque sorte, une « opération » tout autre que la production d'une représentation qui s'y rapporte.

À partir du schéma suivant, où O désigne un objet quelconque et V(O) la représentation (Vorstellung) de O,

O, V(O), V[V(O)], ...

il est possible de fournir les caractéristiques de l'objectivation représentative : elle est réitérable à l'infini, elle est applicable à tous les objets, ses représentations sont exclusivement nominales, la modification concerne essentiellement les matières. Par opposition, la modification qualitative aurait les caractéristiques suivantes : elle n'est pas réitérable à l'infini, elle n'a de sens que pour des actes, ses représentations peuvent ne pas être nominales, la qualité est modifiée.

Qu'est-ce qu'une modification qualitative ? À tout acte de croyance correspond comme réplique une simple représentation qui nous permet de nous représenter la même objectité que dans l'acte de croyance, grâce à la matière identique dans les deux cas. Ce qui distingue alors notre acte de croyance de la simple représentation, c'est que dans le premier cas, l'objectité représenté est posé sous le mode d'une visée d'existence, tandis que dans le second cas, l'objectité représenté est laissé en suspens quant à son existence. La modification qualitative qui a lieu ici ne peut pas être réitérées : la simple représentation n'a plus de contrepartie, nous pouvons au plus revenir à l'acte correspondant.

Par contre, la possibilité de la réitération est évidente dans l'opération de l'objectivation représentative : nous percevons quelque chose, puis nous nous représentons que nous percevons quelque chose, puis nous nous représentons de nouveau que nous nous représentons quelque chose, etc. Les différentes réitérations ne sont pas des différences de contenus sensoriels, mais des différences de caractères d'actes. Confondre les deux modifications reviendrait à considérer les représentations de représentations comme des fictions et il y a bien une communauté de genre entre les qualités coordonnées par une modification conforme.

On pourrait appeler les actes positionnels des actes de croyances et la contrepartie de ces actes des actes d'imagination.

Dans la tradition logique, le terme de croyance ne s'applique qu'à propos des jugements, c'est-à-dire aux significations énonciatives. En élargissant le sens des actes de croyances aux actes positionnels, les perceptions, les souvenirs, les actes positionnels d'expressions nominales seraient alors qualifiés de croyance.

Si dans son usage courant le terme d'imagination renvoie aux actes non positionnels, il verrait également son sens élargi au-delà de la seule imagination sensible et devrait inclure les contreparties possibles des croyances. En même temps, il faudrait réduire ce sens et des imaginations ne pourraient plus être ni des fictions constantes, ni des représentations sans objets, ni même des opinions fausses.

Lorsque nous lisons un roman, la fait de savoir qu'il s'agit d'une fiction esthétique ne joue en rien sur l'effet purement esthétique de ce roman. Les expressions, qu'elles soient du côté des intentions de signification ou du côté du remplissement imaginatif, sont les supports d'actes non positionnels d'imaginations. Cela serait valable pour les jugements :

nous ne croyons pas, mais nous ne nions pas davantage, ni ne mettons en doute ce qu'on est en train de nous raconter ; nous laissons le récit agir sur nous sans y croire en quoi que ce soit : au lieu de jugements véritables, nous effectuons de simples « imaginations ».

Mais cela ne veut pas dire que des jugements d'imagination prennent la place des jugements véritables : en lisant, nous effectuons une modification qualitative, c'est-à-dire que nous passons de la croyance à l'état de choses (acte positionnel) à l'acceptation neutre de cet état de choses (acte non positionnel), qu'il ne faut pas confondre avec la représentation imaginative de cet état de choses.

Le terme d'imagination pose problème : s'il renvoie à une appréhension imaginative, à une conception de notre fantaisie, ou à l'appréhension d'images, pouvons-nous dire pour autant que tous les actes non positionnels sont imaginants et que tous les actes positionnels sont non imaginants ?

Nous pouvons déjà répondre à la dernière partie de la question, en fournissant le contre-exemple de l'objet sensible imaginé : il peut se présenter à nous comme existant (mode positionnel) ou comme imaginé (mode modifié), sans que le contenu représentatif de son intuition ne change, c'est-à-dire que

demeure identique ce qui confère à l'intuition non seulement en général la détermination de sa relation à cet objet, mais en même temps le caractère d'une Repräsentation imaginative, qui présentifie l'objet sur le mode de la Vorstellung fictive ou reproductrice.

Le tableau fournit un autre exemple d'actes positionnels imaginants : les figures peintes sur le tableau demeurent identiques, que nous les considérions comme des représentations d'objets réels, ou que nous les laissons agir sur nous, de manière purement esthétique non positionnelle.

La situation est changée dans le cas de la perception normal : la modification qualitative de la perception ne lui fait pas perdre son caractère positionnel normal. Par contre, cette modification la transforme en appréhension d'image, dans laquelle l'objet apparaît comme donné en image et non plus comme donné lui-même en personne. Il faudrait alors distinguer entre deux espèces de modifications conformes, les modifications qualitatives et les modifications imaginatives, modifications qui possèdent la même matière.

Doit-on limiter le mot jugement aux significations des énoncés ou doit-on l'étendre à tous les actes de croyance ? Husserl préfère suivre la tradition logique, et limiter le terme d'acte de jugement aux actes d'intentions de significations d'énoncés complet et aux remplissements qui leur correspondent et qui ont la même essence de signification. En désignant tous les actes positionnels comme des jugements, on brouille la différence qui sépare les actes nominaux des actes propositionnels.