Le revenu de solidarité active (RSA) va être expérimenté dans une vingtaine de départements. Ce dispositif est-il de nature à réduire la pauvreté ?
Denis Clerc: Le RSA est incontestablement un bon moyen de lutter contre la pauvreté laborieuse, celle que certains travailleurs précaires ou à temps partiel connaissent. Il s'agit en effet de compléter les revenus insuffisants qu'ils peuvent tirer de leur travail. Le RSA diffère profondément du système actuel d'intéressement, parce qu'il est permanent, alors que l'intéressement[1] est limité dans le temps ou dans son montant total. Or, la lutte contre la pauvreté laborieuse ne peut se réduire à des coups de main ponctuels.
En revanche, le RSA laisse inchangée la situation des ménages pauvres qui ne sont pas en emploi, comme par exemple les personnes âgées ne percevant que le minimum vieillesse (dont le montant est situé en dessous du seuil de pauvreté). Ce n'est donc pas un remède miracle contre toutes les formes de pauvreté, et bien d'autres efforts seraient nécessaires - en matière de logement, de santé, de garde d'enfants... - pour effacer cette tache sociale qu'est la pauvreté dans une société riche. Toutefois, ne sous-estimons pas l'enjeu potentiel, puisque, sur les 7,1 millions de personnes qui, en 2005, disposaient d'un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté, 4,6 millions vivaient dans un ménage où un adulte au moins était en emploi ou au chômage.

Jean Gadrey: Le RSA pourrait assurément contribuer à réduire la pauvreté à court terme, pour une fraction de ceux qui en sont victimes, s'il était mis en oeuvre selon le scénario assez ambitieux élaboré en 2005. La grande majorité des travailleurs pauvres[2] obtiendraient alors un complément de revenu leur permettant de franchir le seuil de pauvreté[3] fixé à 60% du revenu médian. Mais, à moyen terme, le RSA ne me paraît pas de nature à réduire réellement la pauvreté salariale. Il porte l'idée que la lutte contre la pauvreté des revenus passerait d'abord par des incitations monétaires à la mise au travail, à n'importe quel travail. De quoi encourager l'expansion des petits boulots. Or, c'est précisément cette expansion qui produit la pauvreté salariale que l'on prétend combattre. Éradiquer la pauvreté salariale suppose de réduire le nombre de petits boulots et d'emplois à temps partiel, et refuser de considérer leur développement comme une fatalité qu'il faudrait accompagner socialement. Lorsqu'il y a très peu de petits boulots et de salariés pauvres, comme dans les pays nordiques, on n'a pas besoin de RSA.
Je ne suis pas seul à formuler cette crainte. L' Uniopss (Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux) explique ainsi que « le RSA risque de fonctionner comme une subvention aux entreprises (...), notamment s'il devenait pérenne. N'y a-t-il pas danger à les conforter dans une politique de bas salaires ? ». Quant au Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale (Cerc), il a publié en 2006 un rapport montrant que, en 2002, les 10% de salariés aux plus faibles salaires annuels n'avaient travaillé que 13 semaines dans l'année, contre 51 semaines pour les 10% les mieux payés. Et que les premiers avaient une durée du travail hebdomadaire moyenne de 22 heures, contre 38 heures pour les seconds.

Le RSA sert-il à quelque chose ? par Camille Dorival, Philippe Frémeaux, extrait d'Alternatives Économiques, n° 261, septembre 2007, Finance. Pourquoi la crise a éclaté. Les risques pour la croissance.

Notes

[1] Intéressement : possibilité de cumuler, pendant un temps limité, le RMI (ou certains autres minima sociaux) et des revenus d'activité. Le cumul est total pendant les trois premiers mois, puis il est partiel pendant les neuf mois suivants, avec des modalités qui diffèrent selon que l'activité dépasse ou non 78 heures par mois.

[2] Travailleur pauvre : personne ayant travaillé au moins un mois dans l'année et vivant dans un ménage dont le niveau de vie (calculé en tenant compte de la composition du ménage) est inférieur au seuil de pauvreté.

[3] Seuil de pauvreté : seuil de revenus en dessous duquel un ménage est considéré comme pauvre. Ce seuil est de 50% ou de 60% du revenu médian d'un pays (le revenu tel que la moitié de la population gagne plus et l'autre moitié gagne moins). En France, le seuil de pauvreté était de 681 euros (seuil à 50%) ou de 817 euros (seuil à 60%) par mois en 2005 (dernière année connue). Selon le seuil retenu, le nombre de personnes considérées comme pauvres varie du simple au double: 3,7 millions en 2005 avec le seuil à 50%, et 7,1 millions avec le seuil à 60%.