Première composition

La moralité est-elle utile à la vie sociale ?

Deuxième composition

Je n’admets pas que les erreurs dépendent plus de la volonté que de l’entendement. Croire le vrai ou croire le faux, l’un étant connaître, l’autre se tromper, n’est autre chose qu’une certaine conscience ou un certain souvenir de perceptions ou de raisons, et cela ne dépend donc pas de la volonté, si ce n’est dans la mesure où, de manière indirecte, il finit aussi parfois par arriver à notre insu que ce que nous voulons, il nous semble que nous le voyons. Nous jugeons donc, non pas selon notre volonté, mais selon ce qui nous apparaît. Quant à l’opinion que la volonté s’étend plus loin que l’entendement, elle est plus ingénieuse que vraie : ce ne sont là que belles paroles pour le grand public. Nos ne voulons rien que ce qui s’offre à l’entendement. L’origine de toutes les erreurs est, en un certain sens, la même que la raison des erreurs de calcul qu’on observe chez les arithméticiens. En effet, il arrive souvent que, par défaut d’attention ou de mémoire, nous faisons ce qu’il ne faut pas faire ou omettons ce qu’il faut faire, ou bien que nous croyons avoir fait ce que nous n’avons pas fait ou que nous avons fait ce que nous croyons n’avoir pas fait. Ainsi il arrive que dans le calcul (auquel répond dans l’âme le raisonnement), on oublie de poser certains signes nécessaires ou qu’on en mette qu’il ne faut pas ; qu’on néglige un des éléments du calcul en les rassemblant ou qu’on opère contre la règle. Lorsque notre esprit est fatigué ou distrait, il ne fait pas suffisamment attention à ses opérations présentes, ou bien, par une erreur de mémoire, il accepte comme déjà prouvé ce qui s’est seulement profondément enraciné en nous par l’effet de répétitions fréquentes ou d’un attachement obstiné ou d’un désir ardent. Le remède à nos erreurs est également même que le remède aux erreurs de calcul : faire attention à la matière et à la forme, avancer lentement, répéter et varier l’opération, recourir à des vérifications et à des preuves, découper les raisonnements étendus pour permettre à l’esprit de reprendre haleine et vérifier chaque partie par des preuves particulières. Et comme, dans l’action, on est quelquefois pressé, il est important qu’on ait habitué l’âme à être présente à elle-même, à l’exemple de ceux qui, même au milieu du bruit et sans calculer par écrit, savent exécuter des opérations sur de très grands nombres. De cette façon, l’esprit ne se laisse pas facilement distraire par les sensations externes ou par ses propres images ou affections, mais il reste maître de ce qu’il est en train de faire, il conserve son pouvoir d’attention ou, comme on dit communément, de réflexion en soi-même, de manière à pouvoir, tel un conseiller extérieur, se dire sans cesse à lui-même : « vois ce que tu fais, pourquoi le fais-tu actuellement ? Le temps passe ! »

Leibniz, Remarques sur la partie générale des Principes de Descartes, sur la première partie, articles 31-35 (traduction Schrecker modifiée).