Tueries

Jour 10

Une secousse impressionnante ébranla l’infirmerie, et les trois hommes se retrouvèrent à terre. Avant qu’ils ne puissent se relever, tout l’équipement électronique rendit l’âme. Au bout de quelques secondes, le générateur de secours prit le relais.
– Mais qu’est-ce qui se passe, bon dieu ? s’exclama Riley, tout en préparant son matériel de défibrillation.
Personne ne put lui répondre.

L’alarme principale retentit à travers tout le complexe. Les portes étanches prévues pour éviter une décompression se fermèrent.
Rashvilu se précipita sur l’intercom général, mais ne put prendre la parole, le réseau étant déjà saturé par des dizaines de plaintes visant à demander des explications. Pire, des hurlements se firent entendre. Ce qui ressemblait à des détonations retentit également, avant que des parasites ne viennent s’abattre sur toutes les fréquences.

– Qu’est-ce qui se passe, bon sang ? hurla Riley, presque heureux d’avoir un prétexte pour se détourner du cadavre de Mary.
Rashvilu se contenta de hausser les épaules d’ignorance. Il ne tarda pas à se précipiter sur le panneau de commande adjacent à la porte, et entreprit de dévisser la plaque qui recouvrait les circuits.
– Qu’est-ce que tu fiches ? demanda Everett.
– Si je peux bidouiller le système de fermeture, on pourra sortir et aller voir ce qui se passe.
– Non, mais tu es malade ? Si les portes se sont fermées, il doit bien y avoir une raison, non ? On perd sûrement de l’air quelque part !
– Ça me semble vraiment improbable, répondit Rashvilu en terminant d’ôter la plaque. Il doit y avoir un dysfonctionnement quelque part, voilà tout.
Riley l’attrapa par le bras.
– Tu n’en sais rien, bougre d’imbécile. Laisse cette porte tranquille ! Je ne tiens pas à mourir asphyxié.
Rashvilu allait répondre sèchement quand quelque chose de lourd percuta la porte. Les trois hommes sursautèrent et se regardèrent. Mais que se passait-il donc ?
Un deuxième choc, puis un troisième, furent suivis d’un rugissement qui les fit déglutir nerveusement. Everett blêmit.
– C’était quoi, ça ?
Ni Rashvilu ni Riley ne répondirent. Le médecin se retourna vers le fond de l’infirmerie. Des couinements presque hystériques se firent entendre, provenant de la chambre stérile dans laquelle le nouveau-né extra-terrestre était confiné. De nouveaux rugissements y répondirent, mélange d’appel et de défi.
– Bon, les gars, aidez-moi à remettre la plaque, fit Rashvilu. Je crois que finalement, c’est une mauvaise idée d’essayer de sortir.

Une pluie de coups s’abattit sur la porte. Elle était conçue pour résister à des conditions extrêmes, mais ne tarda pas à trembler, de plus en plus fort, au fur et à mesure que les minutes s’écoulaient.
– Il faut absolument qu’on sorte de là ! cria Everett.
– Sans blague ? Et comment tu comptes t’y prendre ? rétorqua Rashvilu.
– Je n’en sais rien ! C’est toi le technicien, trouve une solution !
– Il n’y en a pas, justement ! L’infirmerie et ses annexes sont reliées au reste de la base par cette unique porte !
– On pourrait peut-être s’enfuir par le système de ventilation ? hasarda Riley.
– Bien sûr, pourquoi n’y ai-je pas pensé ? persifla Rashvilu. Mais comme il ne fait que trente centimètres de diamètre, on va juste devoir maigrir un grand coup ! Tu as des pilules amaigrissantes dans ton gourbi ?
– Bon sang, il doit bien y avoir une solution ! hurla Riley en secouant Rashvilu.
Celui-ci grogna et repoussa violemment le médecin, qui alla s’écraser contre une cloison. Il se releva et se jeta sur le technicien. Rashvilu le cueillit d’un direct au menton, qui l’envoya au sol.
– Arrête, tu deviens fou ! lança le technicien.
Riley s’assit, se massa le menton… et se mit à pleurer, la tête cachée derrière ses mains. Everett tomba à genoux, joignit ses mains et se mit à marmonner des prières, les yeux fermés. Rashvilu secoua la tête de dépit, essayant fébrilement de trouver une solution qu’il savait ne pas exister. En désespoir de cause, il activa à nouveau l’intercom. Mais le réseau de communications était toujours saturé de friture. Il se mit à faire les cent pas.

Au bout de deux heures, la porte commença à se déformer sous la force des impacts. Dix minutes plus tard, la jonction entre les deux battants ne se faisait plus, sur vingt centimètres. Plusieurs paires de doigts effilés, bien plus longs que des doigts humains, parvinrent à s’insinuer dans l’interstice, et se mirent à tirer.
Tétanisés, les trois humains se serrèrent les uns contre les autres, sans dire un mot. Les deux battants de la porte cédèrent sous la pression, dévoilant un jour d’une cinquantaine de centimètres. Ce qui fut suffisant pour que l’être qui se trouvait derrière puisse entrer.


***

La créature, humanoïde longiligne, n’était pas très grande, pas plus d’un mètre soixante. Elle était engoncée dans une armure grise et son visage se cachait derrière un casque intégral effilé. Ses yeux invisibles se cachaient derrière l’ombre projetée par une avancée du casque à la naissance du front.
Rashvilu trouva le courage de faire un pas en direction de l’arrivant. Il leva les bras à mi-hauteur en présentant ses paumes vides en signe de paix. Il tenta d’accentuer cet effet pacifique en grimaçant un large sourire. Intérieurement, il avait envie de hurler. Ses intestins avaient une envie furieuse de se vider.
La créature porta la main gauche à son poignet droit, couvert d’une sorte de bracelet massif qui se prolongeait presque jusqu’au coude, puis elle pointa son bras sur l’ingénieur. Un sifflement se fit entendre en même temps qu’un projectile jaillissait du bracelet.
Rashvilu crut qu’il allait mourir sur le coup quand le projectile se ficha dans son torse. Surpris de n’éprouver qu’une sensation de piqûre, il baissa les yeux vers sa poitrine.
Et son corps explosa.



Riley n’avait pas cessé de pleurer, les yeux fixés sur la scène. Rien ne semblait pouvoir le faire réagir. Ni l’explosion du corps de Rashvilu, ni les restes sanguinolents de l’ingénieur qui les maculèrent, lui et l’infirmerie. Ni le fait que la créature se mit en branle et courut sur lui. Hypnotisé, Riley vit deux lames d’une vingtaine de centimètres surgir de l’avant-bras métallique du tueur, dans le prolongement de son poing. Entendit-il le gémissement plaintif qui sortit de ses propres lèvres quand les griffes métalliques transpercèrent son crâne de part en part ? Rien n’est moins sûr.

Au bord de la panique, l’infirmier Everett cessa ses prières et se remit sur ses jambes, comme mû par un ressort. Il se jeta sur le panneau de contrôle de la chambre stérile, en ouvrit la porte et se jeta sur la minuscule créature qui ne cessait de piailler de surexcitation.
Il s’en empara et la serra contre sa poitrine, tout en se retournant vers le tueur. Celui-ci l’avait suivi tranquillement et le toisa.
– N’approchez pas ou je le tue ! cria Everett en agrippant fermement le bébé dans ses bras, qui ne cessait de se tortiller.
L’être en armure cracha quelques mots durs et s’immobilisa, au grand soulagement d’Everett. Même la petite créature dans ses bras arrêta de se débattre. Le statu quo dura un certain temps, au bout duquel Everett, qui commençait à perdre patience, sentit une drôle d’odeur atteindre ses narines. De l’ammoniaque ? De la cannelle ? Un mélange des deux ?

Les mains d’Everett se mirent à trembler, des picotements lui parcoururent le corps. Ses jambes se mirent à flageoler et il tomba à genoux. Ses forces l’abandonnèrent, comme si un puissant anesthésique lui avait été administré. Ses bras devenus flasques lâchèrent l’extra-terrestre nouveau-né et il s’écroula sur le dos.
L’adulte en armure s’approcha après avoir appuyé sur des boutons de son bracelet. Il se pencha sur Everett, prit son poignet presque délicatement, avant de l’entailler à l’aide d’une de ses lames. Du sang s’écoula. L’adulte parla au bébé d’une voix douce, et ce dernier rampa maladroitement vers l’humain paralysé et au bord de la panique.
Everett n’eut bientôt plus conscience que de deux choses : le bruit de succion émanant du bébé, et le casque de l’extra-terrestre qui semblait le scruter, incarnation de la mort. L’humain eut la sensation que ce moment durait une éternité, pendant qu’il sentait la vie le quitter peu à peu.

Jour 11

Sarah Friedman tenta de déglutir. Mais sa bouche était sèche, tellement sèche.

Vingt-quatre heures qu’elle n’avait pas quitté le tunnel de maintenance dans lequel elle se terrait depuis l’arrivée des créatures. Membre de l’équipe technique, elle appliquait une couche d’anti-oxydant à la jonction de deux conduits d’évacuation quand le premier hurlement avait retenti, suivi d’un choc sourd. Elle avait immédiatement pensé à un accident survenu quelque part au-dessus de sa tête. Elle avait attrapé son communicateur, pour prévenir la section médicale qu’un incident s’était probablement produit, mais dès qu’elle l’avait allumé, des cris, vociférations et autres invectives en avaient jailli dans une cacophonie sans nom. En toile de fond, elle avait entendu des détonations et des explosions.
Quand des parasites étaient soudainement venus noyer ce chaos sonore, Sarah Friedman était restée immobile, osant à peine respirer. Et sa longue attente avait commencé…
Attendre et espérer… mais quoi ? De temps à autre, elle avait entendu des bruits d’escarmouches, sons étouffés qui pouvaient provenir de n’importe où. D’autres fois, elle avait entendu des gens marcher ou courir au-dessus de sa tête, dans les couloirs de la base.
Elle avait attendu en vain que les communications redeviennent normales. En vain que quelqu’un vienne la chercher et la rassurer sur la situation. Elle finit par comprendre, après ces vingt-quatre heures interminables, qu’elle ne devrait compter que sur elle-même pour être mise au fait des événements. Et surtout, une faim et une soif terribles la tenaillaient. Il fallait qu’elle sorte de sa cachette pour se sustenter, malgré le danger qu’elle sentait planer autour d’elle.

Sarah rampa laborieusement dans le tunnel de maintenance. Chaque mouvement était une torture. Elle serra les dents et avança, centimètre après centimètre. Elle arriva finalement au plus proche panneau qui séparait le tunnel d’un des couloirs de la base. Elle hésita longuement. Et si la mort l’attendait derrière ? Elle finit par se décider et activa le code d’ouverture d’une main légèrement tremblante.
Le panneau s’entrebâilla après avoir émis un cliquètement. La peur au ventre, Sarah attendit anxieusement que quelque chose se passe. Comme tout semblait calme, elle s’extirpa du tunnel et referma le panneau derrière elle, tout en s’attendant à une agression à chaque seconde. Elle ne vit rien de spécial dans le couloir : sol et parois métalliques vert foncé, très épuré à l’exception des tubes d’éclairage au plafond, tous les trois mètres. Bien que la lumière ambiante ne laissât pas de coin d’ombre, elle avança en longeant l’un des murs.
Deux embranchements plus loin, elle savait qu’elle trouverait une salle de douche commune. Et donc de l’eau. Son esprit embrumé de fatigue avait du mal à fonctionner. Devait-elle simplement boire longuement et retourner se cacher, tout en surveillant attentivement les communications radio ? Ou allait-elle prendre le risque de chercher à comprendre ce qui se passait ? Cette seconde option ne la tentait guère : peut-être devenait-elle folle, mais elle avait une peur bleue.
Si l’Hégémonie Corayanne était passée à l’attaque, ce qui était possible au vu de la guerre farouche qu’elle menait contre l’espèce humaine, il lui faudrait rester cachée le temps que les Corayans tuent tous ceux qu’ils trouveraient et quittent les lieux. Ils procédaient ainsi vis-à-vis de colonies humaines, elle l’avait vu aux informations. Ne restait plus qu’à espérer qu’ils ne détruiraient pas les systèmes de survie de la base…



Sarah continua sa progression lentement, la peur au ventre. Elle pria pour que ses jambes tremblantes ne se dérobent pas sous ses pieds. À l’embranchement suivant, il lui fallut de longues minutes avant d’oser bouger. Elle rassembla son courage et passa la tête dans le couloir, juste une seconde. Ouf, toujours personne. Elle soupira de soulagement et chassa les larmes contre lesquelles elle n’arrivait pas à lutter. Alors qu’elle s’apprêtait à repartir, elle entendit un bruit dans son dos.

Elle se retint de hurler en se mordant les lèvres jusqu’au sang, et se retourna lentement.
Elle fut soulagée de voir que l’être, vêtu d’une combinaison métallique intégrale, n’était pas un Coroyan. Mais elle ne bougea pas, anxieuse. Qu’était cette créature ? Qu’allait-elle lui faire ?
Sarah se décida brusquement pour la fuite. Elle amorça un demi-tour et leva le pied… mais se retrouva incapable de le poser à terre. Une pression considérable venait de s’abattre sur son esprit, lui enjoignant de ne pas bouger. Elle crut d’abord que sa panique était la plus forte, qu’elle la tétanisait, avant de se rendre compte que la pression mentale ne venait pas d’elle.
Elle entendit un ricanement venant de l’être en armure. Ce dernier avança vers elle. Le ricanement se fit également dans sa tête, rejoignant l’ordre de ne pas bouger qui la taraudait.
Sarah fut surprise de voir que l’inconnu était plus petit qu’elle d’une bonne tête. Il ne devait pas mesurer plus d’un mètre soixante. Ses mains gantées de métal se portèrent à son visage : l’une d’elle agrippa ses cheveux, l’autre lui serra la nuque. Quand la créature exerça une brusque torsion de ses mains, Sarah entendit un craquement sourd. Et s’écroula raide morte, la nuque brisée.


***

– Pas question de bouger de là ! affirma Otto Ranmeyer.
– Il va bien falloir, pourtant ! Nous devons savoir ce qui s’est passé ! rétorqua Benedict Van Der Sin.
– On s’en fout, l’essentiel est de rester en vie ! Et ici, dans la cantine, nous sommes en sécurité ! Nous avons des vivres, de quoi tenir des semaines ! Pas question de sortir tant qu’on n’en aura pas reçu l’ordre par l’intercom. N’est-ce pas, les gars ?
Les six hommes et femmes qui assistaient à la énième prise de bec entre Ranmeyer et Van Der Sin étaient indécis. Qui croire ? Qui suivre ?
Lorsque les alarmes s’étaient mises en route, vingt-quatre heures plus tôt, ils étaient en train de déjeuner. Les hurlements et bruits de bataille entendus par l’intercom les avaient fortement inquiétés. La porte de la cantine étant restée obstinément close, ils s’étaient retrouvés bloqués là.
Pour Ranmeyer, c’était une bénédiction. Quoi qu’il se passât en-dehors de la pièce, ils étaient clairement en sécurité dans la cantine, de son point de vue. En revanche, pour Van Der Sin, membre de la sécurité, la situation devait être grave et nécessitait sûrement leur aide.
De toute manière, ils avaient été incapables d’ouvrir la porte, même en bidouillant le panneau électronique qui la contrôlait. Van Der Sin s’y était attelé de longues heures, avec l’aide d’un technicien enfermé avec eux. Au préalable, il avait dû en venir aux mains avec Ranmeyer, qui s’était formellement opposé à toute tentative de quitter les lieux.
– Notre devoir est clair, reprit Van Der Sin. Nous devons sortir, coûte que coûte.
– Je refuse de…
– Ferme-là, Otto ! s’irrita l’officier de sécurité. Je t’ai déjà cassé le nez hier pour que tu te taises, et si tu continues, ça va être le bras ou la jambe, sale lâche !
Otto marmonna une réponse indistincte sur la barbarie de Van Der Sin. Son nez lui faisait un mal de chien et comme de juste, ils n’avaient rien sous la main pour traiter la blessure. Il allait revenir à l’attaque quand la porte de la cantine s’ouvrit sans un bruit.

Passé le premier moment de stupéfaction, tous s’égaillèrent. Ranmeyer et plusieurs autres se cachèrent sous des tables, Van Der Sin s’empara d’une chaise et la tint devant lui en protection, face à la porte. Un autre, plus courageux que la moyenne, s’arma d’un plateau métallique et s’en fit un bouclier avant de rejoindre Van Der Sin.
Ils se consultèrent du regard et avancèrent de concert… avant de s’arrêter brusquement. Un humanoïde recouvert d’une armure brillante venait de faire son apparition sur le seuil de la porte.
L’être ricana. L’espèce qui lui faisait face, quelle qu’elle soit, était vraiment pathétique. Il se demandait s’il ne s’agissait pas des humains, une race dont il avait entendu parler, à la technologique archaïque mais néanmoins suffisante pour s’opposer aux faibles Coroyans.
Quoi qu’il en soit, peu importait. Humains ou autres, ils allaient tous disparaître. Il fit jaillir les griffes métalliques de ses avant-bras et se jeta sur ses proies. En moins d’une minute, leur mort fut consommée.


***

Loof Seldon et Gabriel Chenel, respectivement chef de la base et responsable de la sécurité, procédaient à l’inventaire mensuel de l’armurerie quand les événements s’étaient déchaînés. Ils s’étaient vite rendu compte que la porte refusait obstinément de s’ouvrir, malgré leurs efforts. Même leurs codes de commandement ne purent faire entendre raison aux systèmes de sécurité.
Quand ils entendirent les cris d’agonie, les détonations et autres déflagrations, ils passèrent à l’action. Ils ne pouvaient rester enfermés pendant que ce qui ressemblait à l’enfer se déchaînait de l’autre côté de la porte. L’armurerie leur fournissant tout ce dont ils avaient besoin, ils s’équipèrent en silence après avoir échangé un regard de connivence. Ils se connaissaient depuis des années, avaient servi ensemble lors de la 7ème Guerre Corayanne. Quand une crise survenait, ils ne paniquaient jamais. La détermination prenait invariablement le dessus.
Sans un mot, ils enfilèrent des gilets pare-balles magnétiques, capables d’arrêter aussi bien les projectiles à poudre que les tirs énergétiques des lasers, se coiffèrent de casque anti-émeutes, également conçus pour résister à toute attaque sonique. Ils se ceinturèrent de holsters à pistolets mitrailleurs, de bandoulières à grenades soniques, et s’armèrent de mitrailleuses-laser.
Quand ils furent prêts, ils se dirigèrent vers un coffre sécurisé incrusté dans le mur de l’armurerie. Ils se regardèrent et hochèrent la tête. Seldon entra son code de sécurité sur le panneau de contrôle, et Chenel acheva d’entériner l’ouverture du coffre avec son propre code.
Ce coffre contenait les armes les plus puissantes des colonies humaines. Une grenade nucléaire pour les cas extrêmes, à utiliser s’il fallait faire disparaître la colonie et ses membres. Les deux hommes s’en désintéressèrent et s’emparèrent des dix autres objets du coffre : les bâtonnets déflagrateurs.
Ils se collèrent contre le mur le plus éloigné de la porte, et Seldon brandit l’un des bâtonnets, avant de dire :
– Prêt à retourner au front, caporal ?
– Oui, sergent ! À vos ordres !
Seldon activa le bâtonnet et le lança contre la porte, sur laquelle il resta collé. Trois secondes plus tard, il explosa et déchiqueta l’ouverture.
Seldon et Chenel jaillirent dans le couloir, armes au poing.

Au bout du couloir, un humanoïde en armure intégrale brillante leur faisait face, semblant attendre qu’ils passent à l’action. Les deux humains ne savaient pas à qui ils avaient à faire, mais ils ne se posèrent pas de question. La seule chose de certaine était que l’être était un intrus, et qu’il se trouvait dans la base dont ils avaient la charge. Ils passèrent à l’assaut.

Leurs mitrailleuses-laser crépitèrent, envoyant salve sur salve vers l’inconnu. Celui resta parfaitement immobile pendant que son armure absorbait sans broncher les tirs. Les humains se rendirent vite compte de l’inutilité de leur action, aussi jetèrent-ils les mitrailleuses avant de dégainer leurs pistolets mitrailleurs. Il était déjà arrivé par le passé que les humains soient confrontés à des extra-terrestres dont les armures de combat, trop sophistiquées, ne soient conçues que pour repousser les lasers, et pas les tirs à projectiles. Ils tirèrent sans discontinuer jusqu’à vider leurs chargeurs. L’humanoïde resta stoïque face à l’avalanche de tirs, qui provoquèrent des étincelles à chaque impact. Rien de plus. Une fois la salve achevée, son armure n’avait pas la moindre éraflure. La peur s’infiltra en Seldon et Chenel, mais pas suffisamment pour les paralyser. Leur dernier atout était le plus puissant : les bâtonnets déflagrateurs. Chacun en prit un et le lança sur l’intrus. Les bâtonnets se collèrent sur l’armure de la créature, qui se contenta de baisser les yeux sur eux. La double explosion fut assourdissante et le couloir se remplit d’une épaisse fumée.
Quand celle-ci se dissipa, l’humanoïde n’avait toujours pas esquissé un geste. Son armure, bien que noircie par endroits, était toujours intacte.

Seldon et Chenel sentirent leurs cheveux se hérisser sur leur tête. Ils avaient utilisé en vain leur arsenal ! Ils n’y survivraient pas !
Seldon repoussa sa peur. Il ne lui restait qu’une seule chose à faire.
– La grenade nucléaire, murmura-t-il.
Chenel grogna. Il se remit à tirer sur l’humanoïde afin de donner à Seldon le temps d’activer la grenade. Le chef de la base se jeta dans l’armurerie toute proche.
Pour la première fois, l’être en armure bougea : il avança vers Chenel d’un pas décidé. D’une main, le chef de la sécurité tira sans discontinuer. De l’autre, il lança tour à tour tous ses bâtonnets, dans le but de retarder l’ennemi. En vain. Celui-ci ne tressaillit même pas.
L’humanoïde leva enfin le bras : un projectile jaillit et se ficha dans le gilet pare-balles. Quand l’explosion eut lieu, le corps de Chenel fut déchiqueté et ses restes maculèrent les murs du couloir. Seul son torse résista, protégé par le gilet pare-balles intact.

Quand la silhouette de l’humanoïde apparut dans l’encadrement de la porte de l’armurerie, Seldon l’attendait les bras croisés. Il savait que sa route s’arrêtait là, et pourtant, il n’était que calme olympien. Étonnant, songea-t-il simplement…
Il eut une pointe de déception, de tristesse, à l’idée que tous les membres de la base allaient mourir. Et une joie sauvage l’envahit soudain en songeant que l’envahisseur allait lui aussi y rester.
Sur le poignet de l’inconnu, le boîtier de commande émit quelques sons cristallins, qui ne furent pas sans rappeler à Seldon une alarme. L’être se pencha quelques secondes sur le boîtier, avant d’empoigner un long tube attaché dans son dos. Il le pointa vers le coffre, où la grenade nucléaire n’allait pas tarder à vaporiser l’endroit sur plusieurs kilomètres carrés.
– Ça ne sert à rien, ricana un Seldon triomphant. En fin de compte, ça nous fera un match nul, saloperie !

Une bille bleue, à la texture d’une bulle de savon, sortit du tube de la créature et avança lentement vers le coffre. Seldon n’avait jamais vu ce type de… de quoi, au juste ? Projectile ? Pris d’un doute face à cette technologie inconnue, il s’empara de son pistolet et le jeta sur la bille. Peut-être celle-ci allait éclater ?
Elle n’éclata pas. Par contre, le pistolet s’arrêta dans les airs, tout près de la bille, et des morceaux s’en détachèrent peu à peu, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien.
Seldon en resta bouche bée. La créature utilisait-elle une technologie de type A.D.M. – Associateur-Dissociateur de Molécules – ? Depuis des décennies, les humains tentaient en vain de domestiquer cette technologie aux débouchés très prometteurs, d’un point de vue civil comme militaire.
La rage submergea le commandant de la base. La grenade nucléaire n’exploserait pas si la bille la déstructurait au niveau atomique. Sans réfléchir, il se jeta sur l’être en armure, les mains en avant. Ce dernier serra le poing et décocha un coup à la tempe de l’humain.
Seldon s’écroula, casque défoncé et crâne fracturé.
Un gémissement franchit ses lèvres, et la dernière vision qu’il eut fut celle du coffre qui disparaissait peu à peu, au fur et à mesure que la bille y progressait.
J’ai échoué. Lamentablement échoué. Si ces types s’en prennent à l’humanité, elle sera balayée sans pouvoir rien faire…