Harlington fut ravi quand ils se matérialisèrent dans la minuscule salle de téléportation de l’USS Baltimore. Sa joie dura deux secondes, le temps qu’Emgpé ne s’écroule face contre terre, de la bave à la commissure des lèvres.
– T’Savhek, qu’est-ce qui se passe ?
– Je n’en sais rien, commandant, répliqua la Vulcaine en se penchant sur le Soffré. Il est en train de mourir.
Harlington avait du mal à y croire, et pourtant : Empgé avait les yeux révulsés, la langue pendante et son teint rougeâtre virait au bleu à une vitesse alarmante.
– Retour au point de départ, T’Savhek. Aidez-moi à relever Emgpé.
Dès qu’ils furent en place, T’Savhek pianota les commandes fixées à son avant-bras. Ils se retrouvèrent dans la caverne d’où ils étaient partis, face à un Jussé abasourdi.
– Appelez des secours, lança Harlington à l’intention du Soffré, Emgpé va très mal !

Jussé lança quelques mots dans un communicateur. Mais moins d’une minute plus tard, quand plusieurs Soffrés entrèrent avec une civière, ils n’eurent qu’un cadavre à emporter.
– Emmenez le corps dans notre institut médical, ordonna Jussé d’une voix tremblante. Nous devons comprendre ce qui s’est passé.
Dès que ses compatriotes eurent quitté la pièce, Jussé s’adossa à un mur et se laissa glisser jusqu’au sol en position assise, la tête cachée dans les mains. Harlington et T’Savhek attendirent à l’écart.
Jussé finit par lever des yeux hagards et dit d’une voix tremblante :
– Saint Larka créa Soffré, et il dit : « La surface sera sacrée, nul autre qu’un dieu ne sera digne de la fouler. Et il offrit les profondeurs au peuple de Soffré, qu’il avait créé ». « Le sacrilège mérite la mort. » Et si le Grand Prêtre Sender et le Gardien de la Loi Jingkler avaient raison ? Et si Saint Larka exerçait réellement une influence sur les Soffrés, les obligeant à vivre sous terre sous peine de mort ?
– Vous devriez peut-être attendre les conclusions des médecins, avança doucement Harlington, compatissant face à l’air décomposé de Jussé.
Intérieurement, le lieutenant bouillonnait. Ils avaient été si proches de reprendre la main ! Qu’allait-il leur arriver si les résistants retournaient leur veste et se remettaient à croire en leurs dirigeants officiels ? Rien de bon n’en ressortirait pour les membres de Starfleet, et Harlington rageait de se sentir si impuissant. Il lui fallait une idée, n’importe laquelle et vite, afin de distraire Jussé de ses funestes pensées.
– Jussé ! Avant que nous partions, vous n’accordiez plus aucune confiance à votre dieu ni à son clergé, qui dirige votre peuple. Vous ne pouvez pas revenir en arrière si facilement ! Le sacrilège mérite la mort, dites-vous ? Mais dans ce cas, si votre Saint Larka existe, pourquoi seul Emgpé aurait-il été frappé ? Ne croyez-vous pas que T’Savhek et moi-même aurions dû subir le même sort, voire pire puisqu’aux yeux de votre Saint, nous sommes des étrangers à ce monde ?
– Vous avez peut-être raison, murmura Jussé.
– Mais bien sûr que j’ai raison ! Il n’y a pas de malédiction divine pour ceux qui posent le pied à la surface, mon équipage et les scientifiques de l’avant-poste en sont la preuve vivante ! Je suis certain que vos médecins abonderont dans ce sens et trouveront l’explication.
– Et s’il n’y en a pas ? demanda Jussé.
– Il y en a une. Et s’ils ne la trouvent pas, ce sera parce que votre technologie n’est pas assez avancée pour la découvrir.
– Je ne sais pas, fit Jussé. Je ne sais plus. Attendons le rapport des médecins.
Le Soffré se mura dans le silence, indifférent aux exhortations de Harlington. Celui-ci se mit à faire les cent pas en marmonnant, les mains dans le dos. Il s’arrêta brusquement et se tourna vers T’Savhek.
La Vulcaine ne manqua pas de remarquer la lueur de détermination dans les yeux de son commandant.
– T’Savhek, j’ai une idée !
– Je vous écoute.
– L’appareil de téléportation que vous portez… sauriez-vous le reproduire ? Vous êtes un très bon ingénieur, ça devrait être dans vos cordes ?
– J’avoue que mes pensées étaient également tournées vers cet appareil, monsieur.
– Bien ! C’est faisable, selon vous ?
– Certainement. Avec beaucoup de temps et de matériel. Or je doute que ayons l’un ou l’autre dans des délais acceptables.
– Alors nous sommes dans une impasse, constata Harlington en faisant la grimace.
– Pas forcément, commandant. J’ai déjà pensé à l’hypothèse que vous émettez et je l’ai rejetée car irréaliste. En revanche, il en existe peut-être une autre…
– Je vous écoute ?
– Cet appareil permet de se téléporter mais empêche également tout verrouillage sur sa position. On peut donc en conclure qu’il émet une émission parasite sur une fréquence qu’il devrait être possible d’isoler… et de dupliquer. Si nous pouvons ensuite la projeter tout autour du Baltimore, à la manière des boucliers, nous serions à l’abri de toute téléportation intempestive de la part des Soffrés.
– Ça n’a pas l’air beaucoup plus simple que notre première hypothèse, énonça Harlington, dubitatif.
– Au contraire. La manipulation des émissions d’énergie est beaucoup plus rapide à accomplir que la reproduction physique d’un appareil technologique. J’ai quelques sous-programmes dans les ordinateurs de la salle des machines qui devraient m’apporter une aide précieuse.
– Bien. Savoir que nous pouvons sans doute reprendre le contrôle du Baltimore est une bonne chose. Il faudra décoller et nous éloigner le plus vite possible de Narnaya Prime afin d’être hors de portée de toute téléportation. Je ne bénéficierai pas de la protection de l’unité de téléportation, mais vous ne pourrez pas lancer toutes les procédures de pilotage seule. Ça risque d’être une course contre la montre.
– Que ferons-nous ensuite, commandant ?
– J’ai ma petite idée, fit Harlington en affichant un sourire torve.

Harlington retourna vers Jussé et lui expliqua que T’Savhek et lui-même repartaient à bord de leur navire afin d’en reprendre le contrôle. Le Soffré ne fit aucun geste montrant qu’il écoutait ou qu’il comprenait. Il ne prononça pas une parole.
Harlington finit par hausser les épaules et rejoignit T’Savhek. il posa une main sur son épaule et dit :
– Énergie !