Harry Harlington se réveilla en sursaut, les sens en alerte, et voulut se lever. Une douleur violente lui traversa le crâne et il se rendit compte qu’il était solidement attaché à ce qui ressemblait à un lit médical. À moins qu’il ne s’agisse d’une table de torture ? Il se souvint avoir été matérialisé dans un endroit si sombre qu’il s’était brièvement inquiété d’être devenu aveugle, avant de perdre connaissance suite à un coup porté à l’arrière de la tête.
Ses pensées revinrent vite aux événements qui avaient précédés sa téléportation. Car c’en était une, il le savait désormais grâce aux informations qu’il avait lues sur l’écran utilisé par T’Savhek juste avant son enlèvement.
Si Harlington n’était pas passé par l’Académie de Starfleet, il s’était toujours passionné pour la technologie de la téléportation et connaissait son mode de fonctionnement sur le bout des doigts. Il avait toujours trouvé fascinant – et un peu effrayant – le concept même de cette technologie de transport instantané qui jouait avec les molécules de la vie. Ses connaissances en la matière s’étendaient aux technologies de plusieurs dizaines de peuples, et incluaient les dernières améliorations et les travaux en cours.
Harlington n’était pas un scientifique et ne serait jamais un chercheur. Mais il était un dilettante de haut vol, capable de comprendre certaines choses de manière intuitive. Quand il avait lu le mot erdebium, il avait aussitôt fait le rapprochement avec un rapport scientifique lu quelques mois auparavant.
Un téléporteur transformait la matière en énergie, convoyée par un faisceau d’ondes jusqu’au point d’arrivée, où l’énergie était à nouveau transformée en matière, dans le même ordre moléculaire et atomique qu’au départ. Des chercheurs de la Fédération avait affirmé, d’après leurs modélisations informatiques, que l’erdebium était capable de renforcer le faisceau d’ondes au point de pouvoir traverser des boucliers voire tout obstacle normalement infranchissable. Ces recherches étaient prometteuses mais, de l’aveu même des scientifiques, des années voire des décennies d’études et de tests seraient nécessaires pour une application concrète.
Un peuple dans la galaxie maîtrisait cette technologie, et les scientifiques de l’avant-poste comme l’équipage du Baltimore venaient d’en subir les conséquences. Harlington en était persuadé.

Harry revint au présent. La pièce dans laquelle il était détenu était austère et ressemblait à une chambre d’hôpital, jusqu’aux murs blancs.
La porte qui faisait face à son lit s’ouvrit en chuintant et un humanoïde fit son apparition. Trapu, l’être semblait être fait de la même pierre rouge que l’on retrouvait partout sur la planète. Harlington se crut face à La Chose en plus petit, un super-héros imaginaire datant du XXème siècle mais régulièrement remis au goût du jour depuis lors.
– Je suis le lieutenant Harry Harlington, commandant le…
– Tu n’es surtout qu’un envahisseur, répondit l’autochtone d’une voix aussi rocailleuse que son apparence.
– Pas du tout ! Mes hommes et moi sommes des explorateurs, et…
– Vous êtes des pilleurs, vous en voulez à nos ressources ! Vous allez le payer de votre vie !
– Je vous assure qu’il y a un malentendu. Les membres de l’avant-poste sont des scientifiques et sont là pour mener des recherches. Quant à mon équipage et moi, nous venions juste nous assurer que tout se déroulait bien pour eux. Nous ignorions qu’il y avait de la vie intelligente sur la planète, sans quoi nous ne nous serions jamais permis de nous installer sans vous en demander l’autorisation.
– Vous avez exploité la terre, énonça l’homme rouge sur un ton solennel.
– Et bien… les scientifiques ont en effet procédé à un peu d’extraction minérale en vue de…
– Saint Larka créa Soffré, reprit l’autochtone, dogmatique, et il dit : « La surface sera sacrée, nul autre qu’un dieu ne sera digne de la fouler ». Et il offrit les profondeurs au peuple de Soffré, qu’il avait créé.
– Je vous le répète, c’est une épouvantable erreur. Nous avons commis un crime à vos yeux mais nous ne l’avons fait que par ignorance et…
– La loi est la loi, et nul ne s’y soustrait.
– Je comprends bien mais je…
– Le sacrilège mérite la mort. Tous les envahisseurs infidèles seront sacrifiés à Saint Larka au prochain krevaï.
– Au prochain quoi ?
Mais l’être faisait déjà demi-tour et quitta la pièce sans ajouter un mot.
Bon sang, et moi qui trouvais que tout allait déjà mal avant de me retrouver ici…


Le Grand Prêtre Sender était outré, choqué au-delà de toute mesure. L’être à la peau blanche était bien comme ses prédécesseurs. Il se moquait éperdument des croyances de Soffré et avait osé s’excuser pour le sacrilège commis. Comment pouvait-il espérer que cela suffise ? Rien ne le pouvait. Le sacrilège mérite la mort. Il n’y avait rien à rajouter.
Il rejoignit Jingkler, le Gardien de la Loi, avec qui il partageait le pouvoir sur le peuple des Soffrés.
– Il dit la même chose que les autres, fit Sender. Ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient. Comme si cette explication était suffisante pour les soustraire à leur destin. Le sacrilège mérite la mort.
– Bien sûr qu’ils méritent la mort, approuva Jingkler. Heureusement, krevaï est proche. Nous devons nous débarrasser de ces démons blasphémateurs le plus vite possible. Saint Larka nous met à l’épreuve. Il ne sera pas déçu.
– Oui. Krevaï est dans deux jours. Tout est-il prêt pour la cérémonie ?
– Tout est prêt, Grand Prêtre.
– Bien. Allons nous purifier, nous avons été salis par la présence de ces créatures.
– Attendez, Grand Prêtre. Il est un point important à soulever.
– Lequel ?
– Lorsque nous avons capturé les premiers infidèles, nous avons décidé à juste raison de les sacrifier. L’un d’eux a affirmé que d’autres viendraient à leur secours. Nous constatons aujourd’hui que c’est le cas.
– Maintenant que nous les avons tous pris, il n’y a plus de problème.
– Et si d’autres venaient encore ? Pour notre propre sécurité, nous devons savoir ce que sont ces êtres et combien ils sont. Connaître l’étendue de la puissance de nos ennemis nous permettra de mieux nous défendre contre eux.
– Vous estimez que nous devons continuer à nous souiller en leur soutirant des informations ?
– Ce qui semble être une abomination – se laisser volontairement souiller par ces créatures – nous sera pardonné par Saint Larka. Nous faisons ce que nous avons à faire pour protéger son peuple. Il jugera nos mérites et nos sacrifices.

Quand les deux êtres rouges entrèrent dans la pièce où Harlington était détenu, celui-ci crut que sa situation allait s’améliorer. Il déchanta en comprenant que les deux Soffrés ne voulaient que lui soutirer des informations.
Il leur apprit avec une certaine satisfaction qu’il appartenait à la Fédération des Planètes Unies, puissante entité riche de plusieurs centaines de mondes et de milliards d’habitants. L’apprendre ne sembla pas ébranler ses interlocuteurs.
Il plaida sa cause du mieux qu’il put mais dut se rendre à l’évidence : les Soffrés ne changeraient pas d’avis quant au destin mortel qu’ils promettaient aux membres de la Fédération qu’ils avaient capturés. Même la menace d’un ou de plusieurs vaisseaux de secours lourdement armés ne les fit pas ciller.
Quand Harlington voulut expliquer une énième fois que « l’invasion » de Narnaya Prime – ou Soffré, comme l’appelait les autochtones – n’en était pas une et que toute cette histoire reposait sur un malentendu, le Gardien de la Loi Jingkler rétorqua :
– Vous êtes un menteur, il n’y a pas de malentendu. Nous ne sommes pas des imbéciles et bénéficions d’une technologie avancée. Nous savons pertinemment qu’il existe d’autres êtres vivants en-dehors de notre monde, mais nos croyances nous ordonnent de nous tenir à l’écart. Nous refusons d’être contaminés par la souillure de l’univers.
– Comment aurions-nous pu le savoir ? demanda Harlington.
– Vous le saviez, menteur hérétique. Un signal part des profondeurs de Soffré en direction de l’espace et indique à tout voyageur galactique que nul ne doit approcher de notre planète sous peine de mort.
– Je… je ne comprends pas, personne n’a jamais détecté un tel message. Ni nos prédécesseurs ni nous-mêmes. Si cela avait été le cas, nous nous serions bien sûr abstenus de venir vous… euh… envahir, comme vous le pensez. Vous devriez vérifier que votre signal fonctionne.
Cet échange marqua la fin de l’interrogatoire. Les Soffrés s’en furent sans même prendre la peine de lui répondre.
Harlington était dans tous ses états. Allaient-ils donc tous mourir à cause du dysfonctionnement d’une communication subspatiale ? Il eut beau retourner la situation dans tous les sens, il ne vit aucune lueur d’espoir pour lui et les siens.
On est foutus…