Chapitre 17 : Retour à bord

Dès qu’elle fut à bord avec Harlington et Sulok, T’Savhek ordonna à son frère d’installer le commandant dans un lit médical portatif et de l’amener jusqu’à la passerelle.
– Pas question, il doit être soigné de toute urgence.
– Il faut qu’il soit sur la passerelle pour désactiver l’autodestruction du vaisseau avec moi. Je ne peux pas le faire seule.
Tiraillé entre son devoir d’officier médical en chef et la réalité de leur situation, Sulok se rendit finalement aux arguments de sa jumelle. Il prit une trousse médicale à l’infirmerie en plus du seul lit à répulseurs du bord. Une fois Harlington installé dessus, Sulok confia à sa sœur le soin de conduire le lit à travers les coursives et les ascenseurs, pendant qu’il auscultait son patient à l’aide d’un tricordeur médical.
Les relevés qui s’affichèrent étaient très alarmants. Le cœur de Harlington menaçait de lâcher à chaque instant, la lance qui avait transpercé son corps avait entaillé voire sectionné les intestins en plusieurs endroits. Sulok injecta un anti-douleur à Harlington et prépara une seringue hypodermique d’un puissant sédatif. Il n’injecta pas ce dernier, T’Savhek ayant besoin de Harlington conscient.
Dès que le commandant et T’Savhek eurent donné leurs codes d’accès à l’ordinateur de bord, l’autodestruction fut désactivée. Sulok ne perdit pas une seconde et repartit avec son patient, direction l’infirmerie : il devait absolument placer Harlington dans un champ de stase pour se donner un peu de marge. D’autant plus qu’il allait devoir opérer seul.
De son côté, T’Savhek ne jeta pas un regard sur ses deux compagnons. Pas le temps pour cela. Elle se téléporta dans la cellule sur Soffré. Dès qu’elle fut parmi eux, elle s’avisa que pour assurer la sécurité des prisonniers, elle aurait dû leur descendre des phaseurs. Si peu de temps, tant d’urgences… Elle attrapa Silkar par le bras et entra les coordonnées du Baltimore. Protéger le vaisseau était la seule vraie priorité, la tête de pont qui pouvait les sauver tous.
Une fois à bord, les deux Vulcains se précipitèrent vers la salle des machines. T’Savhek demanda à l’ordinateur de scanner l’unité de téléportation qu’elle portait au poignet et d’en extirper les différentes fréquences d’ondes. Il y en avait des dizaines. Elle s’échina à créer un programme les recensant, dans le but de demander à l’ordinateur de bord de reproduire les interactions des particules à plus grande échelle.
Elle se contentait d’en tracer les plus grandes lignes avant de les transmettre à Silkar. Le scientifique était exoplanétologue, et donc moins au fait des problèmes technologiques, mais T’Savhek lui connaissait de solides compétences en informatiques. Ce qui s’avérerait utile pour concocter les détails précis du programme appliquant les contre-mesures destinées à lutter contre toute téléportation non autorisée, fut-elle soffrée.
T’Savhek craignait que la tâche ne soit trop ardue pour eux, surtout dans un laps de temps indéterminé mais qui, quoi qu’il en soit, ne s’éterniserait guère. Ceci dit, jamais elle ne l’aurait avoué. Elle continua à dégrossir le programme, donnant des orientations générales à son fiancé, qui les transformait en lignes de code minutieuses et précises.

Dans sa précipitation à amener Harlington à l’infirmerie, Sulok rata l’entrée d’un ascenseur. Le lit médical heurta violemment le mur attenant, ce qui arracha un cri de douleur à Harlington.
Dès que T’Savhek et le commandant avaient désactivé l’autodestruction, Sulok s’était précipité vers son fief avec son patient, sans même prendre le temps de lui injecter l’anesthésique. Il décida qu’il était temps d’y remédier et dès qu’ils furent dans l’ascenseur, il se prépara à faire l’injection.
– Qu’est-ce… que c’est ? demanda Harlington.
– Un sédatif, commandant. Rassurez-vous, la situation est sous contrôle.
– Pas… de sédatif.
– Commandant, ne soyez pas ridicule, vous êtes mourant et je dois vous opérer. Vous avez besoin de cet anesthésique.
– Je suis le… commandant. Je… dois savoir ce qui… se passe.
– Je suis l’officier médical en chef, j’ai tout pouvoir en ce qui concerne la santé de l’équipage, vous y compris.
– Pas question de… dormir. Anes…thésie seulement locale. C’est… C’est un ordre !
Le médecin ne répondit pas avant un long moment, pendant lequel ils rivèrent leur regard l’un sur l’autre. Aucun ne voulut baisser les yeux. Dans ceux de Harlington, Sulok put lire une détermination sans faille.
Quand la porte de l’ascenseur s’ouvrit, Sulok grogna :
– À vos ordres, commandant.

Une fois à l’infirmerie, Sulok plaça le lit médical sous un panneau de contrôle sur lequel il fit défiler les informations contenues dans son tricordeur médical. Sans prendre le temps de réfléchir, il appliqua à la lettre les recommandations qui s’affichèrent à l’écran.
Le panneau de contrôle était un outil des plus précieux. S’il affichait toutes les anomalies qu’il décelait, grâce à ses senseurs capables d’examiner un corps sous toutes ses coutures, il comportait en outre une fonction « diagnostic », utilisée par les médecins en cas d’extrême urgence ou en cas d’un nombre important de blessés.
À chaque fois qu’il injectait un produit à son supérieur, Sulok lisait les conséquences sur l’écran. Une alarme sonnerait si les réactions du corps de Harlington n’étaient pas conformes vis-à-vis des produits et médicaments employés.
Il installa un stimulateur cardiaque à proximité, au cas où, et injecta un anesthésique local. Ne pouvant imaginer quelle serait la réaction de Harlington en voyant le médecin trifouiller à l’intérieur de son corps, il installa précipitamment un rideau juste au-dessus de la vilaine plaie. Il commanda une tenue stérilisée au synthétiseur et l’enfila prestement, avant d’ordonner à l’ordinateur médical de projeter un champ de confinement autour d’eux. Il attendit quelques secondes, le temps que l’air ambiant soit purgé de ses impuretés. Ne lui restait désormais plus qu’à repérer toutes les déchirures de l’intestin, l’une après l’autre, et les obturer au fur et à mesure.

– Ordinateur, fit Harlington, ouvre-moi un canal de communication avec T’Savhek, je veux savoir ce que j’ai manqué.
– Commandant, vous perdez la tête ! fit Sulok.
– Me faire charcuter le ventre ne m’empêchera pas d’assumer mes responsabilités de commandant.
– Je vous interdis de…
– Il suffit, Sulok ! Je suis sous anesthésie, faites ce que vous avez à faire et fichez-moi la paix ! T’Savhek, quelles sont les nouvelles ? Qu’est-ce qu’on fait là ?
La Vulcaine lui résuma les derniers événements tout en continuant son analyse de l’unité de téléportation.

– T’Savhek, je pense que vous devriez…
– C’est est trop, commandant, dit Sulok en écartant le rideau.
Harlington fut choqué de voir l’uniforme et les mains du médecin souillés de sang… son sang ! Sulok s’empara d’une seringue hypodermique tout en rajoutant :
– Commandant, dans la situation présente, vous ne servez à rien. Pire, vous me déconcentrez dans ma tâche. En tant qu’officier médical en chef, j’estime que vous n’êtes pas en état d’assumer votre rôle de commandant. Et à titre personnel, j’ajouterai que vous êtes un fieffé imbécile de vous obstiner à croire le contraire !
– Aurais-je réussi à vous énerver, docteur ? demanda Harlington avec un sourire surpris.
Sulok ne répondit pas et se contenta d’injecter un nouvel anesthésiant, cette fois directement dans la jugulaire.