Ils cheminèrent encore quelques jours parmi les plaines vallonnées de la région. Une ultime colline franchie, le lac de Genied s’étala enfin devant leurs yeux.
La tension monta d’un cran dans les rangs. Un ciel dégagé, pas la moindre once de vent. Tout était calme. Trop calme. Jemril fut le premier à trouver ce qui clochait :
– Il règne un silence… inquiétant.
– Oui, c’est bizarre, renchérit Seronn. Jusqu’à maintenant, on entendait des chardonnerets, des mésanges, des rouges-gorges, des… Aïe !
Un coup de bec de Talca, posé sur son épaule, mit fin à la liste qui promettait d’être interminable.
– Qu’est-ce que tu fais ? demanda le Lactengais au Piminomo.
– Il m’avait semblé voir un pou.
– Vraiment ? Je devrais me laver les cheveux, alors. Je m’en voudrais d’être à l’origine d’une épidémie parmi…
– Oublie cela, soupira Talca. Tu pourras plonger tout ton soûl dans le lac… une fois tout danger écarté.
– Tu as parlé d’un serpent géant, Seronn, fit remarquer Seqeral. Pourtant on n’en voit nulle trace. Il s’en est peut-être allé…
– Le seul endroit où il puisse se cacher, c’est le lac, dit Delental.
– Reste donc à le faire sortir de là, conclut Jemril. Il nous faut un plan d’action. Nous combattrons à distance, à l’aide d’arcs ou d’arbalètes. Seqeral, envoie une équipe dans la forêt que nous avons longée avant-hier. Il nous faut des centaines de flèches, ainsi que des arcs pour tout le monde.
– On ne fabrique pas des arcs aussi simplement que cela, Jemril !
– Je ne veux pas le savoir ! Il nous en faut, point. Débrouille-toi. Osterren nous attend, son absence n’a que trop durée !
Tandis que Seqeral s’éloignait en maugréant, Seronn tenta lui aussi d’apporter son aide :
– Dans une ville dont j’ai oublié le nom, j’ai vu des capat… des tapalctures… des gros trucs en bois qui font levier.
– Catapultes, corrigea l’ancien forgeron Delental. J’en ai déjà vu aussi et je me suis intéressé à leur concept. Mais ce n’est pas une arme familière des Tilmandjos. Je devrais pouvoir en construire, du moins en théorie, mais sans garantie d’efficacité. Avec du temps devant moi, je devrais pouvoir arriver à quelque chose.
– Nous ne l’avons pas, trancha Jemril. Des idées, messire Talca ?
– Aucune, je n’ai pas de compétences concernant la guerre physique.
– En tant que Maître du Vent, ne pourriez-vous pas faire s’envoler au loin le serpent ?
– Bien entendu. Et après, je remplace le soleil par l’une des trois lunes ?
Jemril se rembrunit. Il détestait se faire remettre à sa place, surtout pour avoir prononcé des incongruités. Il fallait croire que Seronn déteignait sur lui…
– Je serais curieux de voir cela, commenta justement Seronn, des étoiles dans les yeux.
Talca choisit de l’ignorer et précisa à Jemril :
– Il va me falloir des heures voire des jours pour accumuler de la magie. Je veux être à la hauteur face au gardien des eaux, ce qui ne sera pas une mince affaire. Si je devais d’abord utiliser ma magie pour envoyer le serpent au loin – ce qui me semble plutôt utopique, l’animal pesant des dizaines de tonnes –, mes réserves seraient épuisées pour des semaines. Le temps d’être à nouveau opérationnel pour combattre le gardien des eaux, le serpent aurait dix fois le temps de revenir.
– Je comprends.
– J’affronterai le gardien des eaux, mais se débarrasser du serpent sera de votre ressort. Sur ce, je vous laisse. Je dois entrer en profonde méditation pour accumuler des forces. Qu’on ne me dérange pas ni ne s’inquiète de ne pas me voir bouger, même pendant plusieurs jours.
– Entendu.

Tandis que Jemril réfléchissait, ses yeux tombèrent sur Vhondé. Harassée, un masque de souffrances sur le visage, elle s’était allongée au sol, une main sur son ventre rebondi. Le Timandjo se tourna vers ses hommes et explosa :
– Dites donc, bande de bons à rien ! Vous ne voyez pas que la princesse est à bout ? Amenez-lui des couvertures, trouvez du bois pour lui construire un abri au cas où il pleuvrait, faites un feu, donnez-lui à manger et que quelqu’un s’y connaissant en grossesse ne quitte pas son chevet !
Tandis que ses hommes s’égaillaient, Seronn s’assit près de Vhondé, lui prit la main et lui murmura des paroles rassurantes.
Jemril soupira et pria pour que les préparatifs en vue de la bataille ne s’éternisent pas. Plus vite son frère serait libre, plus vite lui-même retrouverait sa liberté.