Chapitre IV : Je plante les graines…

– Comment va ta famille ? demanda sèchement Kerdan Majoline.
– Qu’est-ce que tu racontes, imbécile ?
– Ta famille. Tu as un frère qui, si je ne m’abuse, était à la tête du gang avant de se faire arrêter. Il purge désormais une très longue peine dans un pénitencier de très haute sécurité. Comment va-t-il ces temps-ci ?
Kerdan se demanda s’il n’avait pas été trop loin. Lomil semblait suffoquer et ses lekkus frémissaient de rage. De là à ce qu’il cède à une violence aveugle…
Lomil papillonna des yeux, comme s’il retrouvait ses esprits.
– Tu m’as l’air bien informé, qui que tu sois. Tu sais dans quel état se trouve mon frère aujourd’hui ?
– En effet. Il est cloîtré dans une cellule individuelle de l’infirmerie du pénitencier depuis que sa maladie s’est déclarée. Il doit subir des traitements très lourds et ses chances d’en réchapper sont très maigres. Correct ?
– Correct.
– Je sais que tu éprouves beaucoup d’affection pour lui. Comment se fait-il que tu n’aies pas essayé de le faire sortir de là ? Pourquoi ne pas t’être battu pour qu’il soit libéré pour raisons médicales, sachant qu’il ne lui reste que peu de mois voire de semaines à vivre ? Ce ne serait pas la première fois que l’administration pénitentiaire libérerait en prisonnier dans cet état, afin de le laisser mourir dignement.
– Je suis un criminel recherché, bougre d’âne ! Ici, il ne peut rien m’arriver, je suis sur mon territoire. Si je quitte les lieux, je serais à mon tour fait prisonnier… ou tué car je ne me rendrai pas sans combattre, sois-en certain !
– Et si je t’apprenais qu’il existe un moyen pour toi de faire sortir ton frère de prison et d’être amnistié pour tes crimes passés ?
– C’est impossible !
– Que tu crois…
Kerdan ouvrit tranquillement sa mallette. Il en sortit un datapad qu’il tendit à Lomil. Le Twi’lek décontenancé l’attrapa et lut le document qui y était affiché.
– Mais enfin qui es-tu pour avoir autant de pouvoirs ? finit par demander le chef de gang après un long silence de réflexion.
– Peu importe. Que penses-tu de ce document ?
– Laisse-moi m’assurer que j’ai bien tout compris. C’est un ordre de mission signé par les autorités officielles de Ryloth, visant à recruter une troupe de mercenaires afin de libérer trois cents ressortissants Twi’leks prisonniers d’une organisation d’esclavagistes basée sur la planète TionSee.
– Exact.
– Ils se fichent de connaître l’origine des mercenaires, qui seront payés grassement ou amnistiés pour des crimes passés, selon leur situation.
– Oui.
– Les mercenaires auront un cargo et un armement conséquent à leur disposition pour l’accomplissement de leur mission.
– Encore exact. Ryloth t’offre un nouveau départ, Orton Lomil. Ainsi qu’à tous les hommes de ton gang qui te suivront.
– Mais… pourquoi ?
– TionSee n’est pas un monde républicain. Donc aucun organe de la République ne peut y agir officiellement. En revanche, les prisonniers étant Twi’leks, la planète Ryloth peut monter sur pied une expédition de secours si cela lui chante. Et en tant que monde républicain, elle a négocié avec la Chancellerie une amnistie pour les éventuels criminels recrutés pour cette tâche dangereuse.
– Je ne vois pas pourquoi j’irai risquer ma peau à l’autre bout de la galaxie ! Et puis jamais mes hommes ne me suivraient dans une telle expédition !
– Si tu le fais, tu pourras sortir ton frère de prison. Toi et tes hommes pourrez démarrer une nouvelle vie.
– Et pourquoi est-ce qu’on voudrait changer de vie ? Nous sommes les maîtres de ce quartier ! Nous avons la belle vie !
– Vraiment ? D’après mes renseignements, depuis que vous êtes trois gangs à vous partager ce territoire, la criminalité a augmenté de façon insupportable. Je me suis livré à quelques statistiques, qui m’ont appris que l’espérance de vie d’un membre de gang est de six virgule sept ans standards. Et d’après mes sources, tu diriges ce gang depuis plus de huit ans. Ça donne à réfléchir, n’est-ce pas ?
– Je suis aussi hermétique aux statistiques qu’un Corellien, ricana Lomil.
Mais le cœur du Twi’lek n’y était pas. Majoline le perçut immédiatement. Lomil était ébranlé par la proposition. Majoline porta l’estocade finale :
– En tant que membre de gang, tu n’as que deux options : mourir violemment du jour au lendemain, ou finir tes jours en prison. Est-ce donc là un destin si intéressant à tes yeux ?
– Je… certes, tout cela demande réflexion.
– Si vous faites du bon boulot, il est probable que Ryloth aura d’autres missions pour vous. Vous pourriez ainsi entrer dans la légalité, avoir du travail honnêtement payé – du moins aussi honnêtement que puissent être tes compatriotes, et vous pourriez même être considérés comme des héros par les esclaves que vous aurez sauvés, sans parler de leurs familles.
– C’est… tentant.
– La majorité de ton gang est constituée de Twi’leks, cette proposition devrait intéresser du monde, du moins je l’espère.
– Je pense que oui, concéda Lomil.
– Et qu’en sera-t-il des membres du gang non-twi’leks, à ton avis ?
– Comment cela ?
– Sont-ils susceptibles de t’accompagner où vont-ils décider de rester ici continuer leurs activités criminelles ?
– Hum… Tu as raison sur un point : les Twi’leks du gang sont nombreux. Si nous décidons de quitter les lieux, le gang n’y survivra pas. Ceux qui resteront seront obligés d’intégrer l’un des deux autres du quartier. Pourquoi cette question ?
– Afin de définir mes prochaines actions.
– Tes prochaines… ? Je ne comprends rien. Ni qui tu es, ni quel est ton but.
– Je suis venu pour assainir le quartier. Les gangs auront tous disparu avant la fin de la semaine. Je plante les graines de la paix et de la sécurité.

Orton Lomil hoqueta de surprise. Je plante les graines de la paix et de la sécurité. Il connaissait ces mots ! Il les avait déjà entendus. Un certain nombre de fois. Je plante les graines de la paix et de la sécurité. Comment avait-il pu oublier ? Il n’avait même pas réagi en entendant ce nom de « Kerdan Majoline », alors qu’il l’avait entendu des dizaines de fois auparavant !

Un nom qui suscitait admiration et respect chez les gens qu’il protégeait, peur et effroi chez ses ennemis. Les hésitations de Lomil furent aussitôt balayées : il accepterait la proposition de Ryloth. Et sut que tous les membres des Saigneurs Noirs le suivraient quand ils seraient mis au courant de l’ennemi qu’ils s’étaient faits.
Il jeta un coup d’œil craintif à Kerdan Majoline et se remémora les paroles qui résumaient sa philosophie devenue célèbre à travers toute la République :

Je plante les graines de la paix et de la sécurité. Mais pour les faire pousser, il faut avant toute chose se débarrasser des mauvaises herbes.

Alors que Lomil quittait Kerdan après l’avoir salué d’un bref hochement de tête, ce dernier esquissa un sourire. Un gang de moins. Plus que deux !