Chapitre XIII : Face au Conseil Jedi

Tchoo-Nachril et Kerdan Majoline firent quelques pas dans la salle abritant les Conseillers, avant de s’incliner en signe de respect envers les dirigeants de l’Ordre Jedi.
Le Jedi Whipid fit un pas en arrière. La suite ne lui appartenait plus.

Sur les douze sièges que comptait la pièce, onze étaient occupés. Ce fut rien moins que le Grand Maître de l’Ordre, Maddeus Oran Lijeril, Nikto de son état et spécialiste de la politique galactique, qui ouvrit le bal.
– Bon travail, Chevalier Tchoo-Nachril. Vous avez été digne de la confiance que nous avons placée en vous.
– Je vous remercie, Grand Maître, répondit l’interpellé avec déférence.
– Quant à vous, Kerdan, vous avez des explications à nous fournir, ce me semble, et pas des moindres ! Expliquez-moi comment il est possible qu’un homme tel que vous, maître Jedi, de surcroît membre du Conseil, soit allé mener une mission personnelle sans l’aval du Conseil, alors même que vous aviez reçu pour ordre de déminer la situation entre les secteurs Taresh, Admar et Antogar, qui menacent de se lancer dans une guerre généralisée ? Ai-je besoin de vous rappeler que si nous ne nous posons pas en médiateurs dans ce conflit, des milliards d’habitants risquent d’en subir les conséquences ?
– Je suis parfaitement au fait de la situation géopolitique de ces trois secteurs, Grand Maître.
– Alors que se passe-t-il, Kerdan ? Seriez-vous passé du Côté Obscur de la Force suite au meurtre de votre cousine ? Vous êtes-vous lancé dans cette croisade par vengeance ?
– Pas le moins du monde, Grand Maître. En tant que Jedi, je n’ai de cesse d’avoir le bien commun en tête. Ma cousine est morte à cause des gangs, je le déplore et je la pleure, ce qui fait de moi un humain mais pas le moins du monde un monstre. Si je n’ai hélas pas pu la sauver, je n’ai jamais envisagé de la venger. Je voulais juste que personne ne souffre plus comme j’ai souffert. En outre, j’avais honte pour toutes les forces de justice de la République, dont l’Ordre. Nous connaissons l’existence des gangs mais nous ne faisons rien pour lutter contre eux.
– Nous sommes au service de la République, Kerdan, intervint Mecti Laminer, la maître Besalisk. En aucun cas nous ne décidons de nous-mêmes des causes que nous souhaiterons défendre. Nous n’agissons que dans le cadre d’un mandat strictement encadré. En agissant seul de votre côté, non seulement vous avez tourné le dos à notre allégeance à la République, mais vous avez agi avec un égoïsme sidérant : vous avez préféré vous en prendre à des gangs sévissant dans un simple quartier de Coruscant, ce qui touche quelques milliers de personnes au maximum, et vous avez négligé l’ordre de mission que vous avez reçu, à savoir préserver les trois secteurs suscités de la guerre généralisés qu’ils se livreront à coup sûr avant la fin de la semaine !
– Le Conseil Jedi n’est pas omniscient, ce me semble, rétorqua Kerdan sans se laisser démonter. Et être un Jedi ne signifie pas seulement servir la République. Nous servons la Force, la vie, nous protégeons les innocents et œuvrons à mettre en place des mondes meilleurs. Nous promouvons la justice. J’ai donc pleinement agi en tant que Jedi.
– Nos prérogatives sont clairement définies, répondit Lijeril, et intervenir dans les quartiers de Coruscant n’est pas de notre ressort mais de celui des FSC. Vous n’aviez rien à faire dans le quartier de Redengton, Kerdan.
– Premièrement, je ne suis jamais intervenu à Redengton en tant que Jedi, mais en tant que personne indépendante. Ensuite, vous savez tous, autant que vous êtes, que bien que les Jedi agissent dans le cadre d’un mandat donné par le Conseil et encadré par le Sénat, il n’est pas rare que les limites des missions confiées aux Jedi volent en éclats face à la réalité du terrain. Les Jedi doivent le plus souvent improviser et décider de la poursuite d’une mission en suivant leurs propres convictions et non pas des ordres rapidement devenus obsolètes.
– Le rapport je ne vois pas, intervint maître Yoda, nouvellement promu au Conseil.
– Vous m’accusez d’avoir agi en dehors de tout mandat officiel, ce en quoi vous avez parfaitement raison. Mais si on se penche sur la situation récente, que je circonscrirais au mois dernier, souhaitez-vous réellement connaître le pourcentage ridiculement faible des Chevaliers ayant strictement collé aux limites des mandats qui leur avaient été confiés ?
– Argument facile, Kerdan, dit Lijeril. Les Jedi doivent s’adapter au terrain et prendre leurs propres décisions. En l’occurrence, vous avez choisi d’ignorer tout ordre et de faire ce qu’il vous plaisait, ce qui n’a rien à voir.
– Je le reconnais, concéda Kerdan. Ceci dit, je souligne que j’avais décidé d’agir en simple particulier dans le cadre de cette mission.
– Un Jedi n’est jamais un simple particulier, contra Lijeril. Jamais.
– Il est courant que les Jedi s’allient à d’autres composantes de la République pour mener une mission à bien, si je ne m’abuse ? reprit Kerdan.
– En effet.
– Dans ce cas, apprenez que j’ai rencontré le capitaine des FSC chargé du quartier de Redengton. Voici ce qu’il m’a dit lors de notre entretien.
Kerdan posa sa mallette au sol et en sortit un communicateur. La silhouette du gros capitaine des FSC apparut, et il prononça ces mots : « Bon, agissez à votre guise, vous avez mon soutien… au moins tacite. »
– Nous sommes donc bien dans le cadre d’une alliance entre un Jedi et une administration de la République.
– Un peu tiré par les cheveux je trouve votre argumentaire, maître Majoline, fit remarquer Yoda.
– Vraiment, maître Yoda ? Si je ne m’abuse, votre dernière mission, autorisée par le Conseil, a consisté à vous occuper du problème posé par les Pirates de Catilus VII ?
– Exact.
– Vous avez attaqué de front leur citadelle, seul.
– Oui.
– Et vous êtes parvenu à les mettre hors d’état de nuire, ce qui rend le système de Catilus plus sûr, une fois cette menace éliminée. Grâce à vous, des millions de personnes ne subiront plus les exactions des pirates.
– Rien à redire à vos paroles je ne vois.
– Combien de cadavres avez-vous laissé derrière vous, maître Yoda ?
Plus d’un membre du Conseil tiqua en entendant ces paroles, mais personne n’intervint.
– Trente-sept, répondit Yoda.
– Donc on voudrait me faire croire que trente-sept morts provoquées par un Jedi sont tolérées tant qu’il agit sur ordre du Conseil, mais que mon intervention à Redengton, qui a le même résultat que Yoda sur Catilus, à savoir préserver la paix et sauver des innocents, et surtout sans que le moindre sang ne soit versé, ne serait pas toléré ?
Un long silence s’abattit sur le Conseil tandis que chacun réfléchissait aux paroles de Kerdan. Le maître Tempeï-Liy, Caamasi, Archiviste en Chef et ami – voire complice – de longue date de Kerdan, réprima un sourire de connivence. Étant au fait des intentions de Kerdan, il attendit la suite avec impatience. Et ne fut pas déçu.
– L’Ordre Jedi a un problème, continua « l’accusé ». Il s’appuie trop sur les porteurs de sabrelasers.
– Que voulez-vous dire par là ? demanda Lijeril.
– Depuis leur plus jeune âge, les apprentis Jedi sont habitués à se servir d’un sabrelaser. Forcément, une fois devenus Chevaliers, il n’est pas rare que lors de missions, leur premier réflexe soit de sortir leurs armes. Ce qui me semble aller contre la philosophie de paix et de justice de l’Ordre. Regardez la composition de ce Conseil : à part maître Temeï-Liy et moi-même, vous tous qui siégez ici êtes connus et reconnus à travers toute la galaxie pour vos exploits menés à la pointe du sabrelaser. Et vos réussites, plus sensationnalistes que celles des autres Jedi, sont les plus marquantes vis-à-vis du grand public. Cela ne signifie en aucun cas que vous soyez supérieurs aux Jedi non-combattants.
– Personne ne conteste un tel état de fait, dit Lijeril. C’est dans nos différences que nous trouvons notre force.
– Ce que je veux dire, c’est que la grande majorité des Jedi sont formés en tant que guerriers, ce qui à mon avis est bien trop réducteur vis-à-vis de la Force. Yoda a tué trente-sept personnes, moi aucune. Lui avait un mandat du Conseil, pas moi. Est-il meilleur Jedi que moi pour autant ?
– Le problème n’est pas là, reprit Lijeril. Quand je vois le résultat de vos actions à Redengton, je ne puis que les louer. En cela, vous avez une fois de plus été digne de votre rang de Maître Jedi. Le problème est ce que vous avez négligé, à savoir une cause bien plus importante qu’un simple problème de sécurité d’un quartier de Coruscant. La paix mise à mal dans trois secteurs de la République. Vous avez mis la vie de milliards d’êtres de côté.
– Pardonnez mon outrecuidance, Grand Maître Lijeril, mais vous n’êtes qu’un enfant. Vous raisonnez en guerrier, en homme politique. Vous sous-estimez le pouvoir, et les pouvoirs, d’un ambassadeur Jedi tel que moi. Ma connexion à la Force est bien différente de la vôtre. Je ne sais pas manier le sabrelaser – d’ailleurs, je n’en porte jamais, je risquerais de me blesser avec –, je n’ai pas d’intuitions dans une situation nécessitant une prise d’action instantanée. Par contre, mes capacités cognitives, soutenues par la Force, me permettent d’appréhender une situation dans son ensemble. Des solutions élaborées, que certains qualifieraient de manipulatrices, me viennent d’instinct à l’esprit pour résoudre des conflits. Ma capacité de lecture et d’analyse des données est dix fois plus élevée que la normale humaine, grâce à la Force. Dès que j’ai décidé de me rendre dans le quartier de Redengton, mon but était de faire disparaître les gangs. Grâce à la Force, j’ai analysé les forces et les faiblesses des gangs présents, la psychologie de tous ces dirigeants criminels. À partir de là, ça a été un jeu d’enfant de tous les écarter, notamment grâce à l’aide de Maître Temeï-Liy, qui m’a ouvert en grand les archives de l’Ordre, et de Maître Miks, notre Chef des Renseignements.
– Nous connaissons et reconnaissons vos talents, Maître Majoline. D’autant que l’Ordre compte un intellectuel Jedi de votre acabit une fois par siècle seulement, nous en avons parfaitement conscience.
Kerdan poursuivit sans relever le compliment.
– Vous avez craint pour la paix dans les trois secteurs quand vous avez constaté ma disparition. Si l’Ordre Jedi en est réduit à se reposer sur un seul et unique homme pour prévenir une guerre, le problème est grave. En fait, c’est tout le programme éducatif des Padawans qui est à revoir. Aujourd’hui, l’Ordre ne recherche que des porteurs de sabrelasers ou presque. Or amplifier ses capacités intellectuelles par le biais de la Force est tout aussi important. Tout utilisateur de la Force a sa place chez les Jedi, indépendamment de sa maîtrise d’une arme mortelle. Vous me trouvez important parce que je réfléchis via la Force, ce qui m’ouvre notamment la porte à une immensité de futurs possibles, mais comme vous l’avez souligné, je suis le seul de mon niveau et rares sont les Jedi ayant eu mes capacités à travers les siècles. Plutôt que de s’étonner de me voir utiliser la Force de cette manière, il faut former nos nouvelles générations à cette approche de la Force.
– Vous n’en avez pas moins négligé vos devoirs envers la mission que le Conseil vous a confiée, rebondit un Tempeï-Liy qui connaissait déjà la réponse que Kerdan allait donner.
– Au contraire. Il y a une semaine, le Conseil m’a donné pour mission de ramener la paix entre les trois secteurs. Grâce à mes capacités, il ne m’a fallu que vingt-quatre heures pour trouver la solution : un plan en cent-trente-sept points, qui devrait être aisé à mettre en place. Mais quand j’ai disparu, vous autres porteurs de sabrelasers n’avez pas envisagé une seconde que le problème de la paix entre les trois secteurs était déjà résolu et vous avez envoyé le Chevalier Tchoo-Nachril à mes trousses.
– Nous avons craint le pire pour vous, se justifia le Grand Maître Lijeril.
– Parce que vous ne comprenez pas mes pouvoirs. Parce que je suis unique. Parce que nous ne prenons pas la peine de former d’autres Jedi tels que moi ; nous nous contentons d’attendre qu’ils apparaissent.
– Pardonnez-moi, Maître Majoline, mais vous avez réellement résolu le problème des trois secteurs ? reprit Lijeril.
– C’était un problème complexe, je le concède. Mais là où la Force vous donne des intuitions sur un champ de bataille, elle m’en donne sur des situations géopolitiques et des dirigeants planétaires : je vois les forces des uns et des autres, leurs faiblesses et la manière d’amener toutes les positions dans une direction acceptables pour tous. Nous n’utilisons pas les mêmes pouvoirs mais poursuivons les mêmes buts, et ma manière de procéder est tout aussi efficace que la vôtre. C’est pourquoi je demande officiellement que le cursus des apprentis Jedi soit bien plus diversifié qu’il ne l’est à l’heure actuelle.
Maddeus Oran Lijeril consulta ses pairs du regard, sans oser utiliser la Force. Tous étaient aussi perplexes et penauds que moi, comme si on venait de leur ouvrir les yeux. Kerdan Majoline était décidément un Maître Jedi très précieux, non seulement occupé à déminer des situations explosives à court terme, mais qui plus est simultanément capable de réfléchir au devenir de l’Ordre et à ses méthodes. Il finit par en sourire et dit :
– Vous êtes en train de nous manipuler, n’est-ce pas, Maître Majoline ?
– Naturellement, Grand Maître.
– Et si je vous chargeais de réfléchir à une réforme du cursus suivi par les Padawans… ?
Kerdan farfouilla à nouveau dans sa mallette et en sortit un datapad.
– Tout, est là, Grand Maître.
– Vous vous rendrez dans les trois secteurs afin de ramener la paix ?
– Tel a toujours été mon but.
– Dans ce cas, le Conseil vous octroie officiellement ce mandat, conclut Lijeril en souriant de plus belle. Que la Force soit avec vous, Kerdan Mjoline. Et merci pour la leçon. C’était… rafraîchissant.

Les dix autres Maîtres acquiescèrent.

FIN