Chapitre I

Skelor I

Ovelar Nantelek, Zabrak natif d’Iridonia, était heureux. Bientôt, quand il mettrait ses plans à exécution, il le serait encore plus, et le destin de la galaxie en serait changé à jamais. Pour l’heure, il se contentait de savourer l’instant présent. Le calme avant la tempête.
De taille moyenne et d’apparence ordinaire, nul ne voyait rien de remarquable en lui de prime abord. Une vingtaine de petites cornes, pas plus longues que cinq centimètres, parsemaient le dessus glabre de sa tête. En revanche, l’arrière de son crâne était nanti d’une épaisse chevelure poivre et sel qui lui descendait jusqu’au milieu du dos. Son visage, en temps normal placide et raisonnable, se paraît quand les circonstances l’exigeaient d’une expression farouchement déterminée. Alliée à un charisme certain, il était un homme respecté par tous ses interlocuteurs, surtout au début de sa carrière. Aujourd’hui, il avait dépassé depuis longtemps ce stade du faux-semblant et se contentait de régner sur ses ouailles par son instrument de pression favori : la peur.

Ovelar Nantelek avait beau être le nom sous lequel il était venu au monde, quatre-vingt ans plus tôt, il ne revêtait que peu d’importance à ses yeux, car il ne représentait qu’un artifice, une façade. Il en possédait un autre, connu d’un cercle très limité d’initiés. Pourtant, c’était ce deuxième nom qui caractérisait toute son existence et lui donnait tout son sens : Dark Omberius.
Pour être plus précis, ce nom était en fait un titre, porté par le Seigneur Noir des Sith. Doté d’une grande réceptivité à la Force, il avait été repéré dès son plus jeune âge par Dark Cerator, son prédécesseur et Maître, qui lui avait enseigné la maîtrise du Côté Obscur de la Force. Mais plus encore, il lui avait transmis la philosophie plusieurs fois millénaire des Sith. Ainsi qu’un but, inscrit dans son esprit depuis et pour toujours : contribuer à la chute de l’Ordre Jedi, leur ennemi mortel.
Il y avait plus de six cent ans désormais que les Seigneurs Sith ourdissaient leur revanche, dans l’ombre. Six siècles passés à développer leurs pouvoirs, depuis la funeste bataille de Ruusan, qui avait sonné le glas des ambitions des Sith…du moins au grand jour. Dark Omberius estimait qu’il devait diriger cette galaxie, comme ses prédécesseurs l’avaient déjà fait par le passé, et voulait la libérer de la mainmise Jedi. Le Seigneur Sith s’était avéré bien plus puissant dans la Force que ne l’avait escompté son maître. Il avait à peine atteint la vingtaine d’années quand il s’était débarrassé de Dark Cerator. A compter de ce moment, il avait eu les coudées franches et s’était senti prêt. Il allait devenir l’instrument de la vengeance des siens, et mettre au pas la République et ses maudits Jedi.

Omberius était très patient, et avait agi sur plusieurs fronts. Sous son nom d’Ovelar Nantelek, il s’était lancé dans la politique, avait un but ambitieux à l’esprit : fédérer sous son autorité les nombreuses colonies indépendantes crées par ses frères de race. Ces colonies, éparpillées sur les frontières de la République, représentaient cinq systèmes stellaires, en plus de leur planète-mère, Iridonia.
Au bout de quinze ans d’efforts de tous les instants et de machinations politiques, il en était enfin devenu le maître, interlocuteur incontournable pour la République. Il avait alors trente-cinq ans et n’était plus appelé que Ovelar Nantelek l’Unificateur par les siens.
Il avait continué à avancer, pas à pas : derrière la « ceinture » formée par l’Hégémonie Zabrak se trouvaient plusieurs systèmes intéressants à ses yeux pour des raisons stratégiques. Elles tombèrent toutes sous sa coupe, les unes après les autres, ouvertement ou non.
Par le biais d’intermédiaires, il avait corrompu le Conseil des Sages Ho’Din, dirigeants de la planète Moltok. Il avait alors été un jeu d’enfant de convaincre certains des plus grands guérisseurs et scientifiques Ho’Din de travailler pour lui secrètement. Comme bien d’autres êtres faibles de la galaxie, il avait suffit pour cela de leur faire miroiter des richesses incommensurables. Leur objectif était d’étudier les midi-chloriens, en vue de créer un virus anti-Jedi. Ce plan était particulièrement séduisant aux yeux de Dark Omberius, car les Jedi n’avaient pas peur de mourir ; les priver de leurs pouvoirs, en revanche…Certains mercenaires à sa solde, triés sur le volet, écumaient l’espace non républicain pour découvrir des êtres sensibles à la Force, les capturer et les livrer aux Ho’Din qui travaillaient pour lui. Autant de sujets d’expériences pour arriver à leurs fins. A ses fins.
Le deuxième point d’orgue de son plan avait été la découverte de Clereian : située près d’un trou noir, la petite planète était évitée comme la peste car son accès était extrêmement dangereux. Une vision dans la Force avait poussé Dark Omberius à s’y intéresser de plus près. Grâce à ses pouvoirs, atteindre la planète n’avait pas été loin d’être un jeu d’enfant. Et il n’avait pu que bénir la Force en s’apercevant que Clereian regorgeait de fer, dans des proportions qu’il avait rarement constaté ailleurs. Ne restait plus qu’à l’exploiter, car des projections d’armées de droïds et de croiseurs de guerre avaient alors dansé devant ses yeux, tel un appât irrésistible.
Il confia cette tâche a son apprenti, Dark Glaro. Sous son impulsion, Clereian fut peu à peu colonisée par des droïds ouvriers et miniers, acheminés là par petits groupes. La planète commença dès lors à livrer ses richesses. La première usine créée servit à construire de nouveaux droïds ouvriers, chargés à leur tour de parsemer la planète de nouvelles usines. Puis vinrent les usines d’extraction et de traitement du fer, d’armement, les droïds ouvriers, etc. Quelques années de production intensive suffirent pour qu’il soit envisageable de créer une véritable armée. Surgit alors le dernier point, le plus délicat : se doter d’une flotte de guerre.

Dark Omberius ne laissait rien au hasard : il avait besoin d’une dernière planète pour parachever ses préparatifs, et il choisit Skelor I. Cette ridicule petite planète était la capitale du système du même nom, vaguement colonisé par les autochtones, des êtres reptiliens si dépourvus d’imagination que le terme de Skelor ne désignait pas seulement le nom de leur système et de toutes leurs planètes, mais aussi de leur propre peuple. Dirigés par une dynastie royale, les Skelors étaient profondément attachés à leur indépendance et avaient de tout temps rejeté les propositions d’adhésion des émissaires de la République. Sans alliés, et pourvus d’un minable chantier naval qui fournissait une petite flotte incapable de les défendre correctement, ils furent une proie facile pour Dark Omberius. Cinq années de machinations par des agents politiques infiltrés avaient suffi à préparer le terrain à l’invasion. Le coup d’Etat avait été rondement mené par des autochtones mécontents appuyés par des mercenaires Zabraks, Rodiens et Togoriens. La marginale armée royale, bien plus efficace pour le décorum que pour les actions de guerre, avait été balayée en un rien de temps.
Frapper vite et fort avait été le mot d’ordre, et des dizaines de millions de Skelors l’avait payé de leur vie. Quelques grandes villes avaient été rayées de la carte, bombardées depuis l’espace, et des camps de transit avaient été édifiés à la hâte pour parquer les Skelors « rebelles », tel du bétail. Beaucoup furent vendus comme esclaves : la république avait beau avoir résolument pris position contre l’esclavage, elle représentait plus l’exception que la règle parmi les diverses puissances de la galaxie. La famille royale, symbole de l’unité et du rassemblement des Skelors, avait été une cible privilégiée des envahisseurs. La garde royale en avait séparé les membres et tenté de les faire évacuer de la planète. Seule une sœur du roi y était parvenue. Comme tous les rares Skelors qui avaient pu fuir, elle était partie dans le dénuement le plus total. Ceux qui avaient malgré tout réussi à s’enfuir étaient devenus des errants miséreux, citoyens de seconde zone partout où ils allaient, population précaire et sans espoir d’avenir.
Depuis, des dirigeants fantoches et grassement payés s’étaient succédés à la tête de la République Skelor instaurée, et Dark Omberius avait fait transformer le petit chantier naval en un complexe bien plus important et productif. Aujourd’hui, trente ans après le coup d’Etat, la structure tournait à plein régime et avait livré la flotte de guerre dont Omberius avait rêvé. Clereian, de son côté, fournissait les dizaines de milliers de droïds nécessaires à la bonne marche des navires.
Ne restait plus qu’à attendre des résultats probants de la part des Ho’Din et Dark Omberius pourrait enfin se lancer dans une guerre ouverte. Et d’après eux, le moment était proche…


***
Nar Shaddaa

Tel’Ay ! Tel’Ay ! Ça y est, Dibidel est en train d’accoucher ! lança le Rodien en se tenant les côtes, essoufflé par sa course.
Tel’Ay se leva d’un bond et quitta la pièce chichement éclairée, au grand dam de ses amis Rodiens, qui étaient en train de le ratisser au sabbac. Le messager sur les talons, il se retrouva à l’air libre et manqua défaillir, tellement la nuit était polaire : le simple fait d’inspirer lui valut la sensation d’être transpercé de mille poignards. Faisant fi de la douleur, il se maudit de ne pas s’être couvert et courut vers l’échelle métallique qui allait le mener au niveau supérieur du village. Le froid lui brûla les mains quand elles entrèrent en contact avec les barreaux de l’échelle. Des lambeaux de sa peau écailleuse y restèrent collés, et de ses doigts apparut du sang verdâtre, gelé instantanément au contact de l’air. Il ignora ce qui n’était pour lui que de simples désagréments et monta prestement, son cœur reptilien battant à tout rompre.
Il allait être père ! Cela avait beau faire des mois qu’il le savait, il ne pouvait s’empêcher d’être émerveillé à chaque fois qu’il se faisait cette réflexion. Moment magique en soi, qui transcendait toutes les peurs liées à la lourde responsabilité que cela impliquait. Et cet événement était un incroyable retournement de situation pour lui, qui dès sa naissance avait été engagé dans une voie qui n’aurait jamais du l’amener là un jour.
Enfin parvenu au second niveau du village, il franchit l’antichambre de l’infirmerie, protégée de l’extérieur par une porte épaisse de plus de cinquante centimètres et formée de plusieurs couches d’isolants disparates. Cette pièce-ci était largement éclairée, ses murs étant ceinturés de néons d’une blancheur éclatante. Les deux guérisseuses rodiennes de la colonie s’affairaient autour du lit médical occupé par Dibidel.
Le Rodien qui était venu chercher Tel’Ay ferma la porte derrière eux, enleva ses moufles chauffés et sa surveste anti-froid. Avisant les mains de Tel’Ay, il secoua la tête en soupirant, avant de fouiner dans les armoires de l’infirmerie, à le recherche de bandages et de pansements. Il se nommait Seperno et était le chef tacite de la colonie de Velinia III, accepté et reconnu en tant que tel grâce à son charisme et son dévouement.
Les deux Rodiennes, aussi rompues soient-elles à l’art de la médecine, étaient bien en peine d’aider Dibidel à mettre son enfant au monde : capables de pratiquer la chirurgie sur les membres de leur espèce, elles n’avaient quasiment aucune notion de médecine skelorienne. Les Skelors étaient en effet un peuple au bord de l’extinction, et la diaspora qui avait suivi les événements survenus sur Skelor I avait été loin de faciliter la centralisation de données médicales sur eux. En terme d’aide, elles ne pouvaient apporter que leur présence à Dibidel, qu’elles ne voulaient pas laisser seule, et se fier à leur instinct en cas de problème.
Tel’Ay ne remarqua même pas Seperno quand celui-ci entreprit de lui bander les mains. Il ne voyait que sa fière compagne, mère de leur enfant. Jamais il ne l’avait trouvée aussi belle qu’à ce moment. Ses yeux intégralement noirs brillaient de passion et de fièvre. Ses traits fins étaient aussi beaux à ses yeux que la première fois qu’il les avait caressé du regard, deux ans auparavant. Tout en elle lui plaisait, aujourd’hui plus que jamais. La fine crête frontale qui surplombait ses yeux, le délicieux ovale de son crâne dépourvu de toute pilosité, le doux parfum de lait de djerayy qui émanait de son épiderme écailleux. Deux ans qu’il vivait dans un rêve éveillé, où chaque instant se gravait dans un bonheur en duracier.
Dès que sa main eut été bandée, il empoigna celle de sa compagne, qui entreprit de la broyer en poussant un long sifflement de douleur. Les yeux noirs de Tel’Ay et les yeux à facettes des Rodiens se posèrent sur le ventre proéminent de la Skelor. Une plaie latérale se dessina à la base du renflement, et une sorte de résine jaunâtre en suinta. Dibidel écarta du bras l’une des Rodiennes qui s’avançait déjà, un linge absorbant à la main. Deux minuscules poings fermés apparurent au milieu de la résine. Les lèvres de la « plaie » s’ouvrirent lentement avec un bruit de succion, et le haut d’un petit crâne émergea à son tour, tandis que Dibidel se mordait la langue fourchue jusqu’au sang pour se retenir de hurler sous le coup de la douleur qui explosait juste sous son ventre. Le Skelor nouveau-né finit d’extirper le reste de son corps en poussant de pitoyables petits caquètements et sifflements. A bout de forces, Dibidel relâcha tous ses muscles, pantelante et haletante.
”Le nouveau-né tomba piteusement sur le lit et Tel’Ay, sans lâcher la main de Dibidel, glissa l’autre sous le dos de son fils. Un sourire radieux barrant ses traits, il amena l’enfant devant ses yeux, l’examina quelques secondes, fièrement, avant de le poser au creux de l’épaule de sa compagne. Le visage de celle-ci, bien qu’inondé de larmes, baignait de bonheur tandis qu’elle contemplait la petite créature fripée et blanchâtre qui se pelotonnait contre elle, les yeux clos.
L’éternité vint tenir compagnie à Tel’Ay”.
Dibidel avait décidé que l’enfant se nommerait Ro’Lay, en hommage à son aïeul à elle, Ro’Lay Tra-Emqer le Grand. Pour sa désignation patronymique, elle choisit Nag-Emqer, pour souligner que l’enfant appartenant aux deux clans. Ro’Lay Nag-Emqer, fils de Tel’Ay Mi-Nag et de Dibidel Rdan-Emqer, venait de faire son apparition dans la galaxie. Quel destin lui serait réservé ?

L’être autrefois connu sous le nom de Tel’Ay Mi-Nag, recroquevillé sous un tas d’ordures et assailli par des moisissures suintant des murs des égouts de Nar Shaddaa, ouvrit les yeux et poussa un hurlement déchirant. Il se répercuta dans les longs couloirs glauques, rebondit de murs en murs, et n’eut pas le temps de disparaître qu’un deuxième déchirait à son tour l’air fétide. En vinrent bien d’autres, pendant des heures, vibrant d’indicibles souffrances et de regrets éternels.
Ce souvenir, le plus beau de sa vie d’antan, était parvenu à se frayer insidieusement un chemin dans les méandres sinueux de son esprit vide depuis un an, dans son sommeil. Ce fut comme une renaissance, entachée du poids des crimes du Skelor. Tel’Ay revint à la conscience, de la manière la plus douloureuse qui pouvait être. Et jamais plus il ne pourrait oublier, désormais. Un fait déterminant s’imposa à son esprit : il devait vivre, et porter le poids de son fardeau.


***
Skelor I

La créature, humanoïde, avançait d’un pas sûr et conquérant. Ecailles blanc mat, silhouette trapue, crâne lisse au-dessus d’une crête sourcilière surplombant deux yeux entièrement noirs. Un Skelor. Il martelait le sol de ses bottes ferrées, dans un claquement sec qui se répercutait sourdement. Comme s’il voulait punir les dalles qu’il foulait d’être là.
Le corridor indistinct dans lequel il progressait était veiné de rais de lumière bleu nuit, et bien que les détails autour de lui soient flous, la détermination du Skelor ne faisait aucun doute. Dans ses yeux brillait une flamme dure.
Dark Omberius, tétanisé, sentit la peur s’infiltrer à travers toutes les pores de sa peau, et venir glacer sournoisement toutes les cellules de son corps. Lui, le Seigneur Noir des Sith, l’Ombre de l’Ombre, voilà qu’il se trouvait habité, d’une manière incompréhensible, par une terreur sans nom. Le pire était qu’il était incapable de faire le moindre mouvement. Impossible de lever le petit doigt, tandis que le Skelor allumait son étrange sabrolaser, pourvu d’une lame bleue parcourue de minuscules éclairs pourpres. L’être leva son arme au-dessus de sa tête et l’abattit violemment sur Dark Omberius, une expression vengeresse sur le visage.

Dark Omberius se réveilla en sursaut. Il se redressa sur sa couche, à bout de souffle, trempé de sueur et la bouche pâteuse.
Rapidement, un sourire carnassier illumina ses traits. Bénie soit la Force, se dit-il avec reconnaissance. C’était la quatrième fois de sa vie que Dark Omberius faisait un rêve de ce genre, prémonitoire. La Force lui révélait à nouveau un ennemi susceptible de causer sa perte. Son sourire s’accentua : il allait se débarrasser de cette menace comme des précédentes…d’une manière définitive. Ensuite, il pourrait retourner à ses plans d’éradication de l’Ordre Jedi.
Le moment était venu de mettre à l’épreuve ce jeune Devaronien qu’il avait arraché à l’influence de Maal Gami, et qui avait anéanti la Confrérie Sith à laquelle il appartenait, pour la plus grande satisfaction de Dark Omberius.
Il existait encore quelques sectes Sith à travers la galaxie et Dark Omberius ne supportait pas la moindre concurrence : il excellait tant dans l’art de la méditation dans les arcanes du Côté Obscur de la Force qu’il avait réussi à détecter l’existence des héritiers de Maal Taniet. Et il ne doutait pas de pouvoir reproduire le même résultat avec les autres Sith. Il les exterminerait tous, ainsi que l’Ordre honni des Jedi, et pourrait alors régner sans partage sur la galaxie, débarrassé de tous ses ennemis potentiels.
Il lui faudrait également faire un choix quand à son successeur : Dark Glaro, son apprenti et bras droit depuis trente ans, ou ce nouveau venu, Séis, qu’il avait rebaptisé Dark Seïd. Il avait longuement hésité à le prendre comme apprenti, conscient de transgresser la Règle des Deux instaurée par Dark Bane pour la pérennité de l’Ordre Sith. Il avait finalement décidé de prendre le risque, s’arrangeant pour que ses élèves ignorent leur existence mutuelle. Il trancherait le moment venu, selon l’utilité de chacun.


***
Nar Shaddaa

L’immense créature longiligne se releva d’un bond, excédée par les cris de détresse qui lui vrillaient les tympans depuis de trop longues heures déjà. Elle poussa un jappement de colère et se mit à boitiller dans les corridors suintants d’humidité malsaine, en prenant bien garde à ne pas trébucher sur les diverses immondices et les nombreuses plaques de moisissures qui bordaient la rive du fleuve infâme des déchets qui s’écoulaient en un flot languissant.
Il n’y avait plus beaucoup de place pour les réflexions dans son esprit atrophié, et ce depuis les nombreuses années où elle végétait dans les égouts de Nar Shaddaa, véritable antichambre de la mort.
Dans une autre vie, elle était née Wookiee. Mais elle possédait une tare qui la rendait différente de ses congénères, et qui lui avait rapidement valu d’être reniée par les siens et l’exil. Elle était lâche. Sa chute en devint inéluctable. Née sous le nom de Naveromanaria une trentaine d’années auparavant, il ne lui avait pas fallu plus de vingt ans d’existence derrière elle avant d’être bannie par les siens.
Elle tenta de se lancer dans la carrière de garde du corps, comptant sur sa stature pour éviter de s’attirer des ennuis. Las ! Elle s’était écroulée au premier affrontement. Elle renouvela cette pitoyable expérience plusieurs fois avant de se laisser sombrer dans l’oubli et dans la honte. Les bas-fonds de Nar Shaddaa étaient l’endroit idéal pour cela, avait-elle estimée, après avoir admis qu’elle ne serait jamais digne de devenir une vraie Wookiee. Elle avait essayé de dépasser sa faiblesse, pourtant. Mais rien n’y avait fait.
Son épaisse toison, autrefois argentée et rayée de zébrures noires, avait disparue sur plus de la moitié de son corps. Des plaques de poils s’en détachaient encore de temps à autre, laissant apparaître une peau malsaine et rongée par l’air insalubre. Peu lui importait. Elle avait méritée ce qui lui arrivait.

Présentement, ces yeux injectés de sang ne reflétaient que de la folie, tandis qu’elle se rapprochait de l’être qui ne cessait de geindre, pleurer et surtout hurler, comme s’il prenait un malin plaisir à la torturer et à la rendre folle. Elle le trouva enfin : les cris provenaient d’un tas de chiffons tachés et de cartons moisis, qui bougeait en même temps que des râles de souffrance en émanaient.
Elle décocha un coup de pied dévastateur dans le tas. Ce faisant, elle manqua s’affaler, sa jambe d’appui, mal remise d’une vieille blessure, menaçant de céder. Quand une silhouette s’extirpa de la masse informe en geignant, Naveromanaria l’empoigna par le cou et la souleva de terre avec une facilité déconcertante. Elle tendit son autre bras en l’arrière, prête à faire exploser la tête de la chose d’un coup de poing vengeur. Mais elle suspendit son geste quand ses yeux plongèrent dans ceux de l’être.
Toute la misère, toute la douleur de la galaxie semblaient s’être données rendez-vous dans les yeux laiteux qu’elle fixait. Une minuscule étincelle de lucidité germa dans son esprit abruti. Elle ne le vit alors plus comme une pollution sonore à éradiquer, mais comme un frère. L’expression dans les yeux de la créature correspondait en tous points à son propre état d’esprit délabré et noyé dans l’auto-apitoiement. Naveromanaria serra Tel’Ay Mi-Nag contre elle, tout doucement, et le berça en murmurant de vieilles comptines wookiees.