Chapitre 9

Alors qu’il se plaçait sur le bon vecteur hyperspatial, Tchoo-Nachril fit défiler sur son écran les maigres informations que le Conseil Jedi lui avait transmis concernant Skelor I. La plupart d’entre elles dataient d’avant la révolution survenue trente ans plus tôt.
La planète se caractérisait surtout par des marécages, même si de vastes plaines dites centrales parcouraient un continent plus vaste que les autres. On y trouvait également la capitale, Billolougue, construite dans le fond d’une vallée entourée de crêtes, non loin de la côte est. Restait à savoir si le lieu existait encore.
Peu de ressources intéressantes, à l’exception du bois de volin et de quelques espèces animales quelque peu exotiques, du moins aux yeux du Whiphid.

Tchoo-Nachril mit son chasseur au point mort, et se pencha sur les données relatives au système spatial de Skelor. Aucun élément naturel ne semblait exister pour faciliter une approche discrète. Ni champ d’astéroïdes, ni pluies de comètes, ni anneaux planétaires. Le climat n’offrait pas de couverture intéressante, telle que des orages magnétiques ou autre élément perturbant la bonne marche des senseurs.
Son arrivée serait forcément détectée. Si la défense de la planète était drastique, il y laisserait peut-être la vie. Il se fit cette réflexion de manière détachée, car être un Jedi exposait très souvent au danger. Non pas qu’il s’en moquait ou mésestimait le danger, mais il vivait avec cette épée de Damoclès chaque jour. Elle n’était qu’une donnée parmi d’autres dans son existence.
Il décida rapidement de sa ligne de conduite et rentra les coordonnées hyperspatiales dans l’astronavigateur…après avoir pris soin de modifier une décimale. Un pari osé, mais qui pouvait s’avérer payant.


***

Le fait que la République abandonne Ver’Liu relança d’autant la question de l’émigration skelorienne. La situation à bord du Carolusia était déjà suffisamment explosive pour que le commandant Veckmar Talorin permette aux Skelors de demeurer là. Malheureusement, lui et Ver’Liu savaient que désormais, la République n’affréterait pas de navire pour permettre l’exode, et encore moins pour protéger l’héritier du trône sur Velinia III.

La solution vint au cours d’un briefing informel que tinrent Ver’Liu, Tel’Ay, Anaria, Seperno, ainsi que les frère et sœur Nal’Kia et Sionarel, ces deux derniers conviés par Ver’Liu. Le jeune dirigeant tenait surtout à la présence de Sionarel. Il était fortement attiré par elle, et pensait lire des promesses d’avenir commun dans ses yeux. Il ne souhaitait néanmoins pas s’engager d’une quelconque manière tant qu’il ne saurait pas ce que l’avenir lui réserverait. Constater que le République l’avait abandonné le confortait dans son attitude. Il était sur la corde raide et pouvait aussi bien chuter que grimper, même si cette dernière option semblait s’éloigner à grand pas.
Il s’adressait à elle d’un ton formaliste, presque guindé, et elle avait adoptée la même attitude. Ni l’un ni l’autre ne l’aurait avoué, mais ils avaient du mal à s’empêcher d’être ensemble. Pour couper court à toute rumeur, Ver’Liu l’avait officiellement nommée conseillère, tout comme son frère Nal’Kia.
Tel’Ay, qui s’intéressait à Sionarel pour son potentiel dans la Force, suivait avec attention et un brin d’amusement les relations entre les trois jeunes Skelors. Pour ses sens de Sith, il crevait les yeux que Ver’Liu et Sionarel s’aimaient. Les sentiments de Nal’Kia n’en étaient pas moins marqués : il était partagé entre la fierté qu’il éprouvait à l’idée que sa sœur puisse un jour devenir la reine des Skelors, et une méfiance instinctive de frère aîné, qui lui ordonnant de ne jamais laisser ces deux-là seuls.

Lors de la réunion, Ver’Liu afficha un calme d’autant plus méritoire que Tel’Ay sentait qu’il bouillonnait intérieurement. Seperno émit l’idée d’affréter des cargos indépendants pour effectuer le transfert de population, avec l’inconvénient que venir à bout de cette tâche prendrait sans doute des mois d’allers-retours incessants, au vu de la taille limitée de ce type de vaisseaux.
Ils venaient de passer deux heures à chercher une solution au problème, en vain. Les échanges animés s’étaient tus depuis quelques minutes déjà, et chacun réfléchissait dans son coin, jusqu’au moment où Anaria émit un grondement de triomphe, s’attirant ainsi l’attention de tous. Elle se mit à parler en shyriiwook avec volubilité, à tel point que Tel’Ay, qui traduisait ses paroles, avait de la peine à la suivre.
– Seperno, si j’ai bien compris la situation sur Velinia III, vous avez signé un contrat avec un consortium industriel ?
– En effet, répondit le Rodien. Avec les Industries Percecœur, un groupe coruscanti, pour être plus précis.
– Ils disposent de croiseurs pour convoyer le bronzium. Demandez-leur de nous en prêter ou de nous en louer un.
– Mais…je ne suis pas sûr qu’ils veuillent se mêler de politique. Ils ne sont là que pour amasser de l’argent, aussi je doute fort qu’ils puissent quoi que ce soit pour nous.
– Avec tous les dons que vous avez reçu, sire, reprit la Wookiee en se tournant vers Ver’Liu, vous devriez avoir les moyens de louer un de leurs croiseurs.
– Cela ne changera rien à un fait essentiel, intervint Tel’Ay. Acheminer les Skelors sur Velinia III est une chose, mais les protéger en est une autre. Ce qu’il faudrait, c’est qu’un navire armé reste en permanence en orbite de la planète, par sécurité. Il faudrait donc acheter un croiseur, l’armer et embaucher un équipage. Cela prendrait des mois.
– Il ne faut pas forcément un croiseur pour se protéger, Tel’Ay, dit Seperno. Des batteries anti-aériennes au sol, voire un canon à ions et/ou un générateur de bouclier, peuvent remplir le même rôle de manière efficace.
– Cette dernière idée me semble la plus raisonnable, répondit Ver’Liu. Je vais demander au commandant Talorin de m’aider à acquérir de telles armes.
– J’ai peut-être ce qu’il nous faut pour transporter les Skelors, reprit pensivement Seperno. Nous pourrions demander au Corps Agricole Jedi.
- Les Jedi dépendent de la République, ils refuseront, répondit Tel’Ay.
– Je suis dirigeant d’un monde appartenant à la République, et le Carolusia du commandant Talorin est un allié de la République. Velinia III a toujours besoin de colons, et si les Skelors restent ici, les troubles iront en s’intensifiant. Nous ferions d’une pierre deux coups. Les Jedi devraient se sentir obligés d’intervenir, au nom du bien commun. De plus, le projet de mettre en place des colonies sur les frontières de la République a été initié par le Corps Agricole, à l’origine.
– Je suis contre, grogna Tel’Ay.
– Mon ami, je sais que vous n’aimez pas les Jedi, rétorqua Ver’Liu, mais cette idée vaut le coup d’être creusée. Suivez-moi, Seperno, nous allons contacter Talorin et lui présenter cette solution.


***

Quand une alarme discrète se fit entendre dans le cockpit, Tchoo-Nachril quitta instantanément sa transe Jedi. Il avait programmé l’ordinateur de bord pour le réveiller dix minutes avant le retour en espace normal. A compter de cet instant, il devrait faire preuve d’une concentration sans faille. Tout pouvait mal tourner, à n’importe quel moment.
Sa stratégie était d’atterrir le plus vite possible. Plus il sortirait de l’hyperespace loin de la planète, plus ses éventuels ennemis auraient du temps pour l’intercepter. La trajectoire qu’il avait rentré ne l’amenait donc pas en position orbitale, mais traversait la planète elle-même. Bien sûr, cela n’arriverait pas. L’ordinateur de bord plongerait le chasseur dans l’espace normal, assez brutalement sans doute pour griller le circuit hyperspatial. Et pas assez pour détruire le chasseur lui-même, espérait Tchoo-Nachril, qui avait confiance en la robustesse de son appareil.
Repartir serait un tout autre problème, mais cela n’inquiétait pas le Chevalier Jedi. Tant de choses pouvaient se produire d’ici là…Un problème après l’autre. En attendant, il devait compter sur la Force vivante, afin d’être capable de réagir très vite à tout événement survenant à court terme.

Même s’il s’y était préparé, le basculement hors de l’hyperespace surprit Tchoo-Nachril par sa violence, surtout qu’il fut accompagné par un bang sonore qui mit à mal ses tympans. Des alarmes retentirent à bord et une épaisse fumée envahit le cockpit. Le chasseur désemparé partit en vrille, indifférent aux efforts du Jedi, qui s’arc-bouta en vain sur les commandes inertes.
Un raclement de mauvais augure se fit entendre à l’extérieur, comme si une partie de l’appareil menaçait de se désolidariser. Tchoo-Nachril mit la Force à contribution pour stabiliser son appareil, puis lança le programme de détection d’avaries sur sa console. Comme il l’avait prévu, l’hyperpropulseur avait fondu. Il le coupa car même dans son état, il tentait encore de pomper de l’énergie dans d’autres systèmes, provoquant des anomalies et autres courts-circuits. Le Jedi reprogramma en quelques secondes les paramètres afin de répartir équitablement l’énergie. Il coupa tous les circuits pour réinitialiser ces changements, et les ralluma. Tous les voyants passèrent au vert, à l‘exception des boucliers et du moteur bâbord, dont la puissance oscillait.
Le système de ventilation se mit à ronronner et chassa la fumée. Enfin, les commandes répondirent et la console des senseurs revint à la vie. Tchoo-Nachril reprenait la main. Il mit en marche tous les enregistreurs, dans un large spectre d’analyse.
Voilà qui est mieux, nota-t-il mentalement, jusqu’à la Force le prévienne d’un péril imminent. Il poussa les moteurs à leur maximum et repartit en vrille, volontairement cette fois-ci. Deux traits de laser fendirent l’espace à l’endroit où il se tenait une seconde plus tôt.
Au temps pour l’approche discrète, regretta-t-il. Les données affluèrent sur le panneau des senseurs, et l’œil aguerri de Tchoo-Nachril interpréta instantanément ce qu’il y vit : des dizaines de navires différents, de toutes tailles. La plupart bien au-dessus de sa propre position, en orbite haute, mais une douzaine de navires plus petits, sans doute des chasseurs, était sur ses talons.

Le Jedi fonça droit sur la planète, à plusieurs centaines de kilomètres à l’heure, et mit le cap sur l’ancienne capitale de Skelor I. Il estima qu’il lui faudrait quinze minutes pour arriver au niveau du sol. Il lança une recherche sur les modèles de chasseurs ennemis dans ses bases de données, et la réponse apparut au bout de quelques secondes. Des Ailes-Triangials, à la vitesse de pointe moins élevée que son propre chasseur Effilium.
Il se fondit dans la Force et ne fit plus qu’un avec son navire, une fois sa stratégie arrêtée. Il devait esquiver ses adversaires avec le minimum de manœuvres, sinon il serait immanquablement rattrapé. Pour ce faire, et même si cette poursuite n’avait rien à voir avec un combat au sabrolaser, il s’inspira de la troisième forme de combat au sabrolaser, le Soresu, pour se défendre. L’économie de mouvement dans un périmètre réduit. Il esquiva au plus juste les tirs ennemis, dont plus d’un roussit sa carlingue sans lui faire de dommage plus conséquent.
Il fut bientôt hors de portée, mais ses adversaires ne semblaient pas prêts à abandonner la poursuite. Devant lui, à travers le cockpit, le sol n’était pas visible, caché sous une épaisse nappe de brouillard. L’idéal pour se cacher. Par contre, ce qui l’inquiéta fut, paradoxalement, de constater que nul vaisseau ne surgissait de la brume pour l’intercepter. Ce fait, rassurant en soi, l’était moins pour Tchoo-Nachril. Il se dirigeait vers Billolougue, or si l’ancienne capitale tenait encore ce rôle, il était logique de penser que ses défenses seraient opérationnelles. Si ce n’était pas le cas, le Jedi allait devoir enquêter pour trouver trace de la nouvelle capitale, et trouver un moyen pour s’y rendre.
Dès qu’il plongea dans l’épais rideau cotonneux, il réduisit sa vitesse, coupa tous les systèmes non vitaux et régla les senseurs sur leur portée minimale. Les émissions dégagées par son appareil seraient ainsi bien moindres et, avec un peu de chance, elles ne seraient pas détectées par les autochtones.
Dans leur nouvelle configuration, les alarmes de bord ne l’avertiraient qu’au dernier moment d’un éventuel obstacle. Il pouvait encore moins compter sur ses yeux, qui ne distinguait rien d’autres que les épaisses chapes de brume au-delà du cockpit. Pour anticiper d’éventuels problèmes, ne lui restait que la Force, dans laquelle il devait rester immergé.

Après deux heures de vol, il atteignit presque son but, s’il en croyait ses instruments gyroscopiques. Il réduisit sa vitesse au maximum et fit descendre lentement son chasseur. Il était toujours impossible de distinguer quoi que ce soit, mais les senseurs lui indiquèrent quand le sol ne se trouva plus qu’à cinquante mètres de sa position. Il surveilla attentivement son environnement, afin d’éviter un éventuel obstacle surgissant du brouillard dense. Une tache verte finit par apparaître sous son appareil, et Tchoo-Nachril put enfin voir qu’il surplombait une prairie.
Il analysa la topographie par écholocalisation. D’après ses données, la crête derrière laquelle Billolougue avait été bâtie se trouvait à deux cents mètres de là. Il s’y dirigea prudemment, et dès qu’il en eut atteint les contreforts, il se posa et coupa tous les circuits.
Un froid glacial s’insinua dans le cockpit dès qu’il l’ouvrit. L’air était gorgé d’humidité et chargé de lourdes flagrances de plantes en décomposition. Rien d’insurmontable pour un Whiphid, surtout Jedi. Son épaisse fourrure protégeait le natif de Toola des températures basses.
Il fut ravi de s’extirper enfin du chasseur, et de pouvoir se dégourdir les jambes. Le sol était recouvert d’une mousse gorgée d’eau, tel un épais tapis de verdure. Sabrolaser au flanc, macrojumelles autour du cou, il escalada prestement la crête. Arrivé en haut, il se retrouva à surplomber une brume blanchâtre et insondable, à couper au couteau. Si une ville se trouvait là-dessous, rien ne l’indiquait. Ni lumière ni son. Le silence omniprésent était très pesant, et donnait à Tchoo-Nachril la sensation aiguë de se trouver dans un cimetière.
Il porta les jumelles à ses yeux et les régla sur une vision 3D qui devait pouvoir percer le brouillard. Il ne fut pas déçu par le résultat, qui confirma ses pires craintes.

L’endroit était mort. Intégralement. Tchoo-Nachril ignorait quelles armes avaient été à l’œuvre en ces lieux, mais ne restaient que des ruines, des pans de murs noircis qui émergeaient difficilement d’une végétation vivace et sauvage, comme désireuse d’effacer les traces de Billolougue.
Le Chevalier Jedi éprouva de la pitié pour tous les êtres qui avaient vécu à cet endroit, et qui avaient été privé de leur demeure. Peut-être même de leur vie. Il se rendit compte qu’il éprouvait un malaise certain en contemplant la ville fantôme. La Force semblait lui murmurer que des événements atroces avaient eu lieu ici. Comme hypnotisé par cette sensation persistante, il descendit la crête et entra dans la ville.
Une fine brise, pas assez forte pour dissiper les volutes vaporeuses, le fit frissonner. Il ressentit énormément de souffrances, à un point tel qu’il manqua vaciller. Il reprit son contrôle et s’arrêta au beau milieu d’une artère, qui avait due être importante au temps de sa splendeur. Alors qu’il se rendait compte de la vulnérabilité de sa position, il ressentit une distorsion dans la Force, sorte d’anomalie comme il n’en avait jamais connue. Une vague sensation de gêne, de déformation de son environnement.

Un ricanement parvint à ses oreilles, et une ombre émergea de la brume. La créature était de taille modeste, et Tchoo-Nachril l’identifia comme étant un Skelor aux écailles ternies. L’être, qui semblait âgé de centaines d’années, claudiqua maladroitement vers lui. Les haillons dont il était vêtu rappelaient vaguement une tenue Jedi, et la distorsion de la Force, erratique, émanait clairement de lui.
Les yeux du Skelor brillaient d’une lueur fiévreuse qui n’était pas sans rappeler le regard d’un fou. Il s’arrêta à quelques pas de Tchoo-Nachril et prit la parole, d’une voix rocailleuse :
– Quoi toi faire ici, Jedi ?
– Je cherche des renseignements sur cette planète. Que s’est-il passé ici ?
– Zabraks venir, il y a longtemps. Raser la ville pierre par pierre. Tuer ou déporter tous les habitants.
– Où se trouve la capitale, désormais ?
– Continent Terdra, mille clicks au sud-est. Ville de Zabraks.
– Hum…qui es-tu, mon ami ?
– Moi être Jedi, avant, répondit tristement la créature, avant de se taire, comme perdue dans ses pensées.
– Et qu’est-il arrivé ? demanda doucement Tchoo-Nachril.
– Moi céder à attachement. Peur de perdre cause attachement, et bien sûr perdre elle. Haine venir alors. Perdre voie des Jedi aussi.
Un élan de compassion envahit Tchoo-Nachril à ces paroles, et il reprit :
– Je peux t’aider, si tu le souhaites. Quand je quitterai ces lieux, je retournerai sur Coruscant, au Temple. Si tu veux venir avec moi, tu retrouveras tes frères et sœurs Jedi. Nous serons tous là pour toi.
Le Skelor resta longtemps silencieux.
– Etre trop tard pour moi. Perdre chemin, seulement trouver vide.
– Je peux te guider sur la route du retour.
– Autre aider moi. Remplir vide en moi. Remplir avec noir, mais mieux que pas remplir du tout. Moi retrouver utilité ici.
– Laquelle ?
– Fantôme parmi les fantômes, moi veiller sur les lieux. Moi gardien de Billolougue.
– Et quel est ton rôle, en tant que gardien ?
Le vieux Skelor planta ses yeux tristes dans ceux de Tchoo-Nachril, et celui-ci comprit plusieurs choses, simultanément. L’être qui lui faisait face déformait volontairement la Force pour atténuer les perceptions du Jedi. Dans le seul but d’endormir sa méfiance, afin de mieux le trahir. Il l’avait piégé. Il sut qu’il était encerclé, avant même d’entendre les cliquetis caractéristiques de blasters dont la sécurité était déverrouillée.
Comme en réponse à un geste négligent de l’ancien Jedi décrépi, la brume se dissipa lentement, dévoilant une trentaine d’humanoïdes cornus, armes braquées sur Tchoo-Nachril.


***

Au Temple Jedi, on avait coutume de dire qu’un Chevalier n’était jamais désarmé tant qu’il avait la Force à sa disposition. Fruit d’une longue expérience, cette maxime n’exprimait qu’une stricte vérité, qui avait le don de toujours émerveiller Tchoo-Nachril. Comme en ce moment, au milieu des ruines de Billolougue, cerné par les Zabraks. Par un réflexe acquis et développé dès son plus jeune âge, son cerveau travailla furieusement à lister toutes les manières possibles de se sortir de ce mauvais pas. Trois secondes plus tard, après avoir ébauché plusieurs dizaines de scénarios, il en choisit un et entra aussitôt en action.
Une pierre surgie de nulle part heurta violemment le front du vieux Skelor, qui poussa un cri de douleur avant de s’écrouler inconscient. Cette diversion au pied levé laissa à Tchoo-Nachril le laps de temps nécessaire pour plonger derrière un pan de mur noirci. N’étant plus sous la menace de ses quelques trente agresseurs, il put se concentrer sur les sept Zabraks qui l’avaient dans leur ligne de mire. La lame d’énergie jaillit de son sabrolaser et sembla repousser d’elle-même les tirs ennemis. Le Jedi faillit lâcher son arme quand un trait de blaster lui transperça l’épaule, mais il serra les dents et se pinça mentalement les nerfs véhiculant la douleur. Trois des tirs qu’il retourna atteignirent chacun une cible, tandis que les quatre derniers Zabraks s’abritaient à leur tour.
La Force le prévint d’un péril imminent, aussi élargit-il ses perceptions. Il « visualisa » la roquette qui fut lancée dans sa direction. Aidé de la Force, il n’eut que le temps de bondir sur ses pieds et d’accomplir un saut vertical de cinq mètres, que le muret derrière lequel il s’était abrité explosait sous l’impact.
Tchoo-Nachril pria la Force pour que dans le tumulte et le feu de l’action, nul ne l’ait vu sauter. Ce vœu pieux resta lettre morte, et plusieurs tirs de blaster s’abattirent sur le Chevalier Jedi avant qu’il ne touche à nouveau le sol. L’un d’eux lui brûla la cuisse, et il n’eut pas d’autre réflexe que de placer sa main gauche en opposition à un autre trait qui filait droit vers son cœur. Une explosion de douleur l’assaillit quand sa main fut carbonisée, mais il n’en eut cure, concentré pour atterrir le moins brusquement possible au pied d’un pan de mur haut de trois mètres.
Il ne put éviter de prendre appui sur sa jambe blessée et s’affaissa lourdement, immobile. Sa main droite lâcha son sabrolaser, qui roula un peu plus loin après s’être éteint. Les Zabraks se précipitèrent vers sa position, le doigt sur la gâchette, même si plus d’un fut rassuré de voir Tchoo-Nachril inconscient. Exactement ce que ce dernier escomptait. Il puisa dans toutes ses ressources pour faire s’abattre le mur. S’engagea alors une épreuve de force entre la résistance de la paroi et la volonté du Jedi. Alors que le Whiphid allait céder à l’épuisement, le mur s’affaissa avec fracas sur ses ennemis. Entendre leurs cris et l’écrasement de leurs corps ne lui procura aucune satisfaction.
Profitant de la confusion, il rampa maladroitement pour s’éloigner, tout en étant conscient qu’il ne s’en sortirait pas. Au mieux, il avait éliminé une dizaine de Zabraks, soit à peine un tiers de leurs forces. Il n’arrivait plus à réfléchir, le sang battait à ses tempes. Même la Force le fuyait : il avait trop puisé dans ses réserves. Quand un tir de blaster, réglé pour paralyser, l’atteignit en plein dans le dos, il sombra dans l’inconscience.


***

Quand les Zabraks apprirent que le Corps Agricole acceptait de mettre un de ses navires à la disposition des Skelors, en vue de les amener sur Velinia III, ils tentèrent de provoquer une esclandre au Sénat, en accusant la République et les Jedi d’aider Ver’Liu So-Ren en sous-main, au risque de provoquer des troubles futurs.
Marcus Valorum ayant fait passer des consignes à ses alliés, l’événement fut minimisé. Côté Jedi, Maddeus Oran Lijeril souligna qu’indépendamment de la situation politique sur Skelor I, les membres de ce peuple n’en avaient pas moins le droit de se regrouper en tant qu’espèce. Il insista également sur le fait que puisque Skelor I avait intégré la République, il était du devoir de la noble institution de veiller au bien-être de ses habitants, fussent-ils en exil, d’autant que les autorités officiellement reconnues de la planète ne remplissaient pas leur rôle à ce niveau-là. Ce dernier argument, aussi logique que perfide, eut le don de calmer les ardeurs belliqueuses des Zabraks.


***

Tout le monde poussa un grand « ouf » de soulagement le jour où le croiseur du Corps Agricole arriva et s’amarra au Carolusia. Deux journées supplémentaires furent nécessaires pour mettre les derniers détails au point, et les Skelors purent enfin embarquer. Une heure après que le dernier Skelor, Ver’Liu, ait posé le pied à bord du croiseur, celui-ci reprit son envol.

Tel’Ay sentit la présence de quelques Jedi à bord, mais aucun ne montra le bout de son nez, ce dont il leur fut reconnaissant. Au troisième jour de voyage, en revanche, et alors qu’il errait sans but parmi les coursives, il s’arrêta, avec l’impression d’être épié. Ce n’était pas la première fois qu’il le ressentait depuis qu’il avait embarqué et cette fois-ci, il voulut en avoir le cœur net. Il lança une sonde mentale…qui lui permit de percevoir qu’un utilisateur de la Force se trouvait non loin.
Instinctivement, sa main se porta à son sabrolaser, et il lança :
– Montre-toi, je sais que tu es là.
Indécision, excitation, peur…puis prise de décision. Tel’Ay sut que la personne allait se montrer avant qu’elle n’apparaisse.
Visiblement adolescent, indubitablement humain, il émergea d’une coursive secondaire. Tenue de Jedi, le sabrolaser en moins, ses cheveux blonds et lisses étaient coiffés à la mode des Padawan. De grands yeux gris lui mangeaient le visage, sous un front haut. L’air extrêmement nerveux, il se dandinait d’un pied sur l’autre.
– Bonjour, jeune homme.
– Heu…bonjour, monsieur, bredouilla-t-il.
– Padawan Jedi ?
– Euh…non, monsieur. Ancien Padawan, répondit-il presque sans amertume.
– Vous êtes le Sith ? reprit-il brusquement après quelques secondes de silence.
– Les nouvelles vont vite, répondit Tel’Ay en transformant son sourire en un rictus carnassier.
– Comment…comment un Sith peut-il protéger des gens ? Je croyais que vous ne viviez que pour faire le mal ?
– Les gens changent, rétorqua le Skelor. Regardes-toi. Tu dis que tu es un ancien Padawan, ce qui implique tu en as été un par le passé, donc que tu ne vivais que pour faire le bien. Qu’en est-il aujourd’hui ?
– Je fais toujours le bien, répliqua l’humain, piqué au vif.
– Alors comment se fait-il que tu sois un ancien Padawan ?
– J’ai…échoué dans ma formation, avoua-t-il, honteux.
– Ah ? Manque de potentiel, je suppose ? C’est un critère classique pour séparer le grain de l’ivraie.
– Ça n’a rien à voir ! J’ai le potentiel ! C’est…mon attitude qui n’est pas assez jediesque.
– Qu’est-ce que tu veux dire par là ?
– Mais pourquoi est-ce que vous m’interrogez comme cela ? Vous croyez peut-être que je vais adhérer à vos vues ? Si c’est le cas, vous vous mettez le doigt dans l’œil !
– C’est toi qui es venu me voir, sourit Tel’Ay, et c’est toi qui m’a questionné le premier. Mais si tu veux que nous en restions là, pas de problème.
Le Sith salua et tourna les talons. Quand l’ancien Padawan lui cria « Attendez !», Tel’Ay ne put réprimer un sourire. Situation très intéressante. Il reprit un air impénétrable avant de refaire face au jeune humain.
– Je…j’ai prouvé que je n’étais pas digne d’être un Jedi. Je suis trop…émotionnel, m’ont dit les maîtres.
– Et tu les sers toujours après ça ?
– Bien sûr ! Leurs objectifs sont nobles !
– Hum…de mon point de vue, ça se discute, mais c’est une toute autre question. Il n’empêche que les Jedi ne manquent pas d’air.
– Comment cela ?
– A quel âge as-tu commencé ta formation ?
– Comme tous les futurs Padawans, je suis arrivé au Temple avant d’avoir eu six mois.
– Et tu as quel âge aujourd’hui ?
– Quinze ans.
– Donc, tu es en train de me dire que tes maîtres Jedi t’ont inculqué ce qu’ils savaient durant tout ce laps de temps ?
– Oui. Enfin, ils ont essayé, vu que j’ai échoué.
Tel’Ay ne put s’empêcher de ricaner, et l’humain s’empourpra de honte et de fureur.
– Qu’est-ce qui vous fait rire ?
– L’Ordre Jedi existe depuis plus de vingt mille ans. Depuis six cent ans dans sa forme actuelle, n’est-ce pas ?
– Exact.
– Depuis tant de millénaires qu’il forme des Jedi, tu ne crois pas que l’Ordre devrait être parfaitement au point au niveau de l’apprentissage de ses recrues ?
– Tout le monde n’est pas fait pour être Jedi.
– Là, je suis bien d’accord avec toi. Tes formateurs ont une pédagogie et un savoir inégalés, et tu vas prétendre que ce sont les apprentis qui échouent dans leur formation ? Pour ma part, je trouve que c’est un déni de responsabilité assez grave de la part de tes professeurs, pour masquer leur incompétence. Et j’ose espérer qu’on retire le droit d’enseigner aux maîtres qui échouent.
– Vous n’y connaissez rien, et vous déformez la vérité ! Les choses ne se passent pas ainsi.
– Si tu le dis, je ne demande qu’à te croire. Mais changeons de sujet, car je sens que chacun de nous va s’arc-bouter sur ses positions. Que fais-tu, maintenant que tu n’es plus un Padawan ?
– J’ai été versé dans le Corps Agricole, où j’officie au sein de la logistique.
– Mais pourquoi t’habiller toujours en Padawan ?
– Parce que je suis toujours au service de l’Ordre. C’est une manière de lui rendre hommage.
– Vraiment ? Où se trouve ton sabrolaser ?
– Je n’ai pas le droit d’en porter. Et puis il ne me serait d’aucune utilité à bord.
– Pas le droit de… ? Je trouve ça incroyable ! Comme tous les apprentis, tu as grandi en apprenant à te servir d’un sabrolaser, je me trompe ?
– C’est exact.
– Et quand tes maîtres ont décrété que tu avais échoué dans ta formation, ils t’ont privé de sabrolaser ? Et bien, voilà qui est pour le moins cruel. Il ne manquerait plus qu’ils t’aient interdit d’utiliser la Force !
Le silence qui suivit fit comprendre à Tel’Ay qu’il avait fait mouche.
– Seuls les Jedi ont le droit de se servir de la Force et d’un sabrolaser, finit par répondre l’humain, sur un ton monocorde de récitation.
Les yeux brillants et le sourire aux lèvres, Tel’Ay porta l’estocade finale :
– Je ne suis pas un Jedi, or j’utilise la Force et un sabrolaser.
Sur ce, le Skelor salua de la tête, tourna les talons et s’en fut. S’il avait réussi à semer les graines de la confusion dans l’esprit de l’humain, il ne tarderait pas à le revoir. Il se pouvait même qu’il tint là son premier apprenti.


***

Quand Dark Glaro surgit de l’hyperespace, non loin de la Station Spatiale Carolusia, il était pour le moins furieux. Une panne d’hyperdrive l’avait contraint à atterrir en catastrophe sur une planète de troisième zone, où il avait perdu trois semaines, le temps que les pièces nécessaires à la réparation parviennent à la ville minable dans laquelle il s’était retrouvé coincé.
Depuis qu’il avait quitté Coruscant, suite au meurtre d’Aar Gamonn, son maître Dark Omberius lui avait ordonné de se rendre en personne sur le Carolusia afin de tuer Ver’Liu So-Ren, vu que les Archanges de Norkaï avaient échoué dans cette mission. Glaro avait été d’autant plus ravi de recevoir un tel ordre qu’il savait trouver sur son chemin Tel’Ay Mi-Nag. Il avait hâte d’affronter ce défi à sa mesure, et prouver la supériorité des successeurs de Dark Bane sur ceux de Maal Taniet.
Il ouvrit une fréquence avec les autorités d’appontement de la station, et se présenta comme un Jaabimien faisant régulièrement des affaires avec les Skelors. La réponse qu’on lui fit l’irrita au plus haut point : ceux qu’ils cherchaient avaient été évacués vers Velinia III, quatre jours auparavant.
Alors qu’il cherchait dans son répertoire astrographique la localisation de cette planète, sa console de communications bipa, sur une fréquence qu’il ne connaissait que trop bien. Il ouvrit la liaison et dit :
– Je suis à vos ordres, maître.
– Je l’espère bien, seigneur Glaro, rétorqua froidement Dark Omberius. Où êtes-vous ?
– Je viens d’arriver sur le Carolusia, et j’apprends à l’instant que les Skelors sont tous partis. Je m’apprête à partir à leur recherche.
– Oubliez cela. Il y a du nouveau.
– Des ennuis, maître ?
– D’une certaine manière, oui. Un Jedi a été capturé alors qu’il fouinait sur Skelor I. J’ai donné l’ordre qu’il soit envoyé sur Moltok. Je veux que vous vous y rendiez pour l’interroger, avant de le livrer à nos scientifiques Ho’Din. Il sera très utile à leurs recherches.
– A vos ordres, maître, soupira Glaro, frustré de comprendre que le combat auquel il aspirait ne serait pas être livré de sitôt.
– Que la Force soit votre servante, Dark Glaro.
– Qu’elle soit votre esclave, maître.