Chapitre X

Quand Tchoo-Nachril revint à la conscience, il était perclus de douleurs. Il entra aussitôt dans une transe de guérison superficielle, pour restaurer ses forces. Prenant garde à rester immobile, pour ne pas se trahir aux yeux d’une éventuelle surveillance, il repensa aux événements qui l’avaient amenés là.
Il fut brièvement honteux de n’avoir pas su mieux résister aux Zabraks, avant de se consoler en se remémorant qu’il n’avait cessé de tirer sur ses réserves depuis qu’il était sorti d’hyperespace. Néanmoins, à la réflexion, il fut assez contrarié en se rendant compte qu’il n’avait pas déployé toute sa puissance, afin d’en garder sous le coude en cas de nécessité. Jamais il n’aurait dû faire ce type de calcul. Il lui aurait fallu prendre chaque problème après l’autre, plongé pleinement dans la Force vivante, plutôt que de s’économiser en pensant à moyen terme. Pour le restant de son existence, sa main manquante serait là pour lui rappeler son erreur flagrante.

Cette leçon intégrée, il appela toute la puissance de la Force, et une explosion de douleur jaillit dans sa tête. Haletant et en sueur, il cessa aussitôt son effort et sentit la souffrance refluer pas à pas, lentement, pour laisser place à des élancements violents qui lui martelèrent les tempes.
Il perçut qu’une sorte de bandeau lui enserrait le front, telle une improbable couronne. Il était allongé, nu, sur ce qui ressemblait à un lit métallique comme en employaient certains hôpitaux de la galaxie, et quand il tenta de bouger, il s’aperçut que ses membres et son cou étaient entravés, le clouant au lit. Au-dessus de sa tête, un plafond grisâtre orné d’un néon fatigué diffusait une lumière fantomatique.
Il émit un sifflement de frustration, et perdit assez de sa maîtrise pour laisser échapper un gémissement impuissant.

Il entendit le chuintement d’ouverture d’une porte automatisée, et un humanoïde de très grande taille ne tarda pas à le surplomber. Peau verdâtre, longiligne, visage surplombé d’une touffe d’organes sensoriels en mouvement permanent, et qui rappela à Tchoo-Nachril des serpents. Un Ho’Din.
L’être était l’image de la sérénité, et il arborait un sourire discret. Tchoo-Nachril y vit l’expression d’un être en pleine confiance, qui se sait inattaquable et supérieur.
– Que…Qui êtes-vous, et qu’est-ce que vous me voulez ? demanda le Chevalier Jedi d’une voix hésitante, une lueur de peur dans les yeux.
– Restez calme, mon ami. Vous énerver ne vous servira à rien.
– Pourquoi…pourquoi est-ce que je ne peux pas utiliser la Force ? Qu’est-ce que vous m’avez fait ?
Le sourire du Ho’Din s’élargit.
– Remarquable artefact que ce…appelons-le un inhibiteur de Force, pour simplifier. Une invention de génie, assurément, fruit de travaux très poussés. Savez-vous d’où jaillissent les impulsions de midi-chloriens dans un cerveau humanoïde ?
– De nulle part et de partout tout à la fois, répondit Tchoo-Nachril, l’air perplexe.
– Bien sûr que non, s’esclaffa le Ho’Din. En fait, quand un être fait appel à la Force, nos analyses ont montré que les impulsions de midi-chloriens provenaient du cerveau reptilien, du moins chez les mammifères.
– Mensonge ! Nul n’a jamais déterminé avec précision les mécanismes inhérents à la Force !
– Nous, si, se rengorgea l’être originaire de Moltok.
– Vous dites n’importe quoi, ricana Tchoo-Nachril. Je suis sûr que vous avez simplement branché votre truc inhibiteur sur l’activité cérébrale en général. Plus de précision est impossible.
– Croyez ce que vous voulez, rétorqua l’autre, méprisant. Quoi qu’il en soit, les Jedi ne seront bientôt plus qu’un souvenir. Grâce à votre contribution à nos recherches.
– Je ne me soumettrais jamais, je lutterais jusqu’au bout ! s’écria nerveusement Tchoo-Nachril.
– Vous avez déjà lutté, et perdu. Vous n’avez plus aucun espoir de vous en sortir. Bientôt, vous aurez perdu la Force d’une manière définitive !
–Vous êtes un imbécile, fit Tchoo-Nachril d’une voix glaciale, toute trace de fébrilité envolée.
– Que…commença le Ho’Din, décontenancé par le changement soudain de ton du Whiphid.
– Pensez-vous sérieusement qu’un Chevalier Jedi soit si facile à briser ? Croyez-vous vraiment que je suis votre prisonnier ?
– Mais…
– Votre arrogance vous a poussé à me dévoiler vos buts, ce qui était évidemment le but de ma petite comédie. Je suis ravi de voir que ma prestation, bien que fort médiocre, ait eu un tel succès.
Le Ho’Din fit deux pas en arrière, machinalement.
– Je vois que votre propre cerveau reptilien, qui commande l’instinct de survie, fonctionne bien, persifla Tchoo-Nachril. Voyons ce qu’il en est du mien, qui est capable d’agir sur ses midi-chloriens !

Le Chevalier Jedi effleura la Force, et une pointe de douleur surgit. Quand il augmenta son contrôle, son mal de crâne se renforça d’autant. Serrant les dents, il se jeta soudainement dans la Force, tel un nageur dans un océan. Une vague de souffrances le repoussa : il eut l’impression d’être frappé de centaines de coups de poignard, qui laissa son corps pantelant et tremblant. Il fit appel à toute la puissance de sa volonté pour faire exploser la Force en lui, s’engageant ainsi dans une bataille mortelle contre l’appareil qui le maintenait prisonnier.
Jamais, de toute sa vie de Chevalier Jedi, il n’avait autant souffert qu’à cet instant, mais cela ne le fit pas reculer. Il avait dit au Ho’Din qu’il lutterait jusqu’au bout et qu’il ne serait pas brisé, et était pleinement décidé à adapter ses actes à sa déclaration d’intention. Tchoo-Nachril était au cœur d’un réacteur en fusion, son corps n’était plus qu’une coquille brisée, compressée de toutes parts. Il ne fut bientôt plus capable de penser sciemment, et s’accrocha désespérément à la Force, minuscule lumière fuyante dans un néant de noirceur. Son esprit se déconnecta de son physique, ce qui ne l’empêcha pas de percevoir un bruit terrible digne d’un holocauste.

Et il se retrouva dans son corps, presque en état de choc. La douleur avait disparu, le laissant presque vidé de toute force. Il perçut des étincelles, vit de la fumée autour de lui, et parvint à bouger la tête. L’appareil qui lui emprisonnait le crâne avait été brisé.
Il s’assit laborieusement, le souffle court. Ses yeux larmoyants tombèrent sur le Ho’Din qui, en proie à la panique, avait gagné la porte de la pièce et tentait d’y rentrer un code d’une main tremblante.
Un geste de Tchoo-Nachril et le Ho’Din fut projeté contre la porte. Son geôlier tomba au sol avec un cri de surprise, sonné.
Tchoo-Nachril aurait dû être au bord de la mort. Peut-être l’était-il, d’ailleurs. Et pourtant…peut-être était-ce dû au fait de s’être connecté à la Force avec une intensité qu’il n’avait atteinte jusque-là, mais il la sentit plus réceptive que jamais à son contrôle. Il s’en drapa avec une facilité déconcertante et son corps fut comme neuf, en meilleur état qu’au summum habituel de sa force.

Le Ho’Din parvint à se relever, et activa l’intercom.
– Alerte ! Le prisonnier tente de s’échapper ! fut tout ce qu’il parvint à dire avant de s’écrouler à nouveau.
Tandis que des alarmes se mettaient à retentir derrière la cloison, Tchoo-Nachril marcha sur la porte et empoigna le Ho’Din terrorisé comme s’il ne pesait rien.
– Le code ? demanda-t-il.
– Je…je ne peux pas vous le dire. Il me tuera si je vous le donne !
Le Jedi le toisa, avant de le lâcher, car il sentit qu’étonnamment, même si Tchoo-Nachril lui inspirait une peur bleue, le Ho’Din ne dévoilerait rien. Qu’à cela ne tienne. La Force n’avait jamais été aussi puissante en Tchoo-Nachril. Il se concentra sur le boîtier de commande et les touches qui le composaient. Il visualisa l’objet, et en projeta une version 3D dans son esprit. Explorant le dessous des touches de cette image virtuelle, il s’en rapprocha pour voir lesquelles étaient le plus usées, signe qu’elles étaient les plus utilisées. Il en identifia six, et s’attela aussitôt à entrer les deux cent dix combinaisons possibles, à une telle vitesse que le Ho’Din ne vit qu’une tache floue à la place de la main de Tchoo-Nachril. Trente secondes suffirent pour que la porte s’ouvre dans un chuintement. Le Whiphid releva le Ho’Din et l’attrapa par le bras.
– Vous venez avec moi. Le Conseil Jedi aura bien des questions à vous poser.
– Mais…vous êtes complètement fou ! Vous n’espérez pas sortir vivant d’ici, tout de même ?
Le sourire carnassier qui apparut sur le visage de Tchoo-Nachril donna sa réponse au Ho’Din.
– Où est mon sabrolaser ?
– Je ne vous dirais rien !
Mais tout en prononçant ces paroles, une image apparut dans l’esprit de l’ex-geôlier, et dans l’état d’hyperréceptivité dans lequel il se trouvait, Tchoo-Nachril n’eut aucun mal à la capter. Son sabrolaser tournait lentement, prisonnier d’un champ de force portatif, dans une pièce encombrée qui ressemblait à une salle de trophées, ou à un musée. Le Ho’Din ne contrôlait pas ses pensées, et Tchoo-Nachril en extirpa deux nouvelles informations. La localisation de la pièce en question (niveau 7, salle B-11), qui lui fit se rendre compte qu’il était à bord d’un navire de taille respectable, et surtout une nouvelle image : celle d’un humain de haute taille engoncé dans une bure, au visage buriné par les ans et encadré par de longs cheveux blonds dont les pointes étaient tressées, tout comme sa barbe. Le visage de l’homme qui terrorisait le Ho’Din, encore plus que Tchoo-Nachril.
– Merci, lâcha laconiquement ce dernier, avant de tenter de s’orienter.
Tout allait se jouer dans les prochaines minutes. Le Chevalier Jedi n’était pas un féru de l’utilisation du sabrolaser, car il adhérait pleinement au principe qui disait que ce n’était pas le sabrolaser qui faisait le Jedi, mais la Force. Ceci dit, il n’était pas obtus pour autant, et dans la situation présente, avoir son sabrolaser lui faciliterait énormément la tâche.
Ne pas traîner dans ce couloir. L’ennemi était en route. Si le Ho’Din ne lui serait d’aucun secours, Tchoo-Nachril sentit qu’il suivrait tout de même sans se rebiffer, trop inquiet pour sa sécurité pour se rebeller. Le Whiphid lâcha brièvement son prisonnier, avant de le plaquer contre un mur avec son moignon.

Il fit courir sa main sur le mur, à la recherche de…là, il avait trouvé ! Les impulsions électriques qui partaient du boîtier de commande de la porte se déplaçaient de relais en relais, et le mèneraient au plus proche terminal informatique. Il se mit en marche, bras dessus bras dessous avec le Ho’Din. Ses sens aiguisés entendirent, en marge des alarmes tonitruantes qui continuaient de retentir allègrement, des bruits de pas métalliques qui se rapprochaient. Ils enfilèrent un couloir sur la gauche, puis un autre, avant que Tchoo-Nachril ne s’arrête devant une porte.
Blindée. Probablement anti-explosion, et dont le boîtier était désactivé. Le niveau de sécurité de cette pièce, d’où les impulsions électriques étaient les plus importantes du secteur, selon la Force, était à l’évidence plus élevé que dans l’ancienne cellule de Tchoo-Nachril. Voilà qui supposait une chose intéressante, à savoir que le lieu de son emprisonnement avait été improvisé. Peut-être que la machine infernale à laquelle il avait été soumise n’était qu’expérimentale, ou avait été installée à la hâte.
Sans trop y croire, Tchoo-Nachril tenta d’ouvrir la porte à l’aide de la télékinésie. Comme il l’avait pressenti, elle ne bougea pas d’un pouce. Le système hydraulique qui la commandait était trop puissant pour ses pouvoirs.
Main sur le mur, il chercha une faille dans les circuits qui couraient en dessous, mais s’aperçut vite que la commande d’ouverture ne pouvait se faire que d’un terminal…comme celui qu’il percevait derrière la porte, justement. Frustrant. C’est alors qu’il détecta une onde particulière émettant sur un spectre ténu, à tel point qu’il n’avait fait qu’effleurer son existence jusque-là, sans plus la remarquer. Elle provenait de la pièce hermétique, mais aussi du Ho’Din.
Bien sûr ! Il se tourna vers son prisonnier, et sourit de toutes ses dents quand il l’obligea à faire face à la porte. L’autre obtempéra sans un mot, avant de déglutir nerveusement quand Tchoo-Nachril s’empara de son avant-bras, dans lequel avait été implantée une puce de commandement, utilisable dans les cas d’extrême urgence. Reliée au système nerveux de son porteur, celui-ci pouvait la déclencher pour agir sur certains systèmes du vaisseau, et la captation des ondes alentours indiqua à Tchoo-Nachril qu’en l’occurrence, le Ho’Din était capable d’ouvrir la porte.
Il implanta de l’inquiétude, un malaise latent, puis de la peur dans l’esprit de son prisonnier, avant d’enchaîner par une légère pointe de douleur, issue de sa récente expérience en la matière, et lui dit :
– Soit tu ouvres cette porte, soit je fais de toi un légume, après t’avoir annihilé l’esprit.
– Vous bluffez, les Jedi ne font pas ce genre de choses, s’étrangla le Ho’Din.
– Avertir le Conseil Jedi de ce qui se trame ici en plus important que tout, et je suis prêt à tout pour remplir cette mission, rétorqua Tchoo-Nachril en priant pour son bluff fonctionne.
Il sentit l’indécision qui déchirait son interlocuteur, et découvrit avec surprise que ce dernier avait déjà subi des sévices mentaux par le biais de la Force. Un ou des Jedi Noirs étaient liés à cette affaire, nul doute là-dessus. Les ennemis de Tel’Ay Mi-Nag, peut-être ? Mais avant qu’il ne puisse réfléchir plus avant à ces implications, le Ho’Din répondit d’une voix chevrotante :
– Pitié, je ne veux pas revivre ça. Je vais ouvrir.

Dès qu’ils furent entrés et que la porte se fut refermée derrière eux, Tchoo-Nachril endormit le Ho’Din après lui avoir imposé la main sur le front, et il se jeta sur le terminal principal de la pièce. Il navigua de manière intuitive, handicapé par sa main manquante, mais ne fut pas long à trouver un plan du vaisseau. Il repéra leur position, celle du hangar des navires, dans lequel, s’il en croyait les données sous ses yeux, il trouverait un transporteur susceptible de leur faire quitter les lieux. Comme de juste, son sabrolaser ne se trouvait évidemment pas sur le chemin. Il mémorisa les plans de la moitié du navire avant de réveiller le Ho’Din. Les choses avaient été relativement faciles jusque-là, mais cela n’allait pas durer.
Pour les déplacements à bord des navires de grande taille, il existe tout un réseau d’ascenseurs. Il arrive néanmoins qu’ils soient en panne, ou désactivés. Pour éviter que dans le premier cas, nul ne puisse se déplacer, des couloirs de maintenance, étroits, sillonnent les vaisseaux capitaux. C’est tout naturellement vers le plus proche que Tchoo-Nachril entreprit de se diriger.
Dès qu’il eut ouvert le panneau derrière lequel il savait trouver le couloir, il jeta un coup d’œil dedans. Eclairé tous les dix mètres par un néon blafard, le conduit était carré et ne faisait pas plus d’un mètre de côté. Il poussa le Ho’Din en avant, en ignorant ses faibles protestations.
Tout en cheminant laborieusement, presque cassés en deux comme ils l’étaient, Tchoo-Nachril se demanda combien de temps il allait pouvoir tenir sur ce rythme. La Force brûlait en lui telle une torche, mais il ignorait tout des mécanismes qui alimentaient ce processus. C’était comme si une porte s’était ouverte dans son esprit, le connectant à…à quoi, au juste ? Il n’en avait aucune idée, mais sentait que cette aubaine ne durerait pas. D’une manière ou d’une autre, le feu s’éteindrait, la porte se refermerait. Quel que soit ce phénomène, il avait forcément ses limites, et le Jedi pria la Force pour qu’il dure suffisamment longtemps.
Vingt minutes leur suffirent pour se retrouver non loin de la salle où était exposé le sabrolaser de Tchoo-Nachril. Le Whiphid percevant clairement la présence d’une patrouille de droïdes derrière le panneau, grâce aux émissions électriques qu’elle émettait, il fit reculer de cinq mètres le Ho’Din, passa devant lui, et se jeta sur le panneau qui ouvrait sur le couloir, tout en projetant un coup de boutoir de Force devant lui. Le panneau céda aisément, et le Jedi effectua un roulé-boulé dans le couloir, au terme duquel il se releva face à ses adversaires. Une poussée de Force ravageuse les envoya s’écraser au sol et contre les murs, démantibulés avant même d’avoir eu le temps de tirer.
Tchoo-Nachril enregistra leur image dans un coin de son esprit, sans s’y arrêter plus avant. Il se consacrerait à leur étude plus tard. Il ordonna au Ho’Din de le rejoindre, ce qu’il fit après une brève hésitation. Un simple regard à son prisonnier suffit pour que celui-ci comprenne qu’il devait ouvrir la porte, ce qu’il fit en tremblant.
La pièce des collections était la jumelle de celle où Tchoo-Nachril avait eu accès au terminal informatique. Dix secondes plus tard, le Jedi avait désactivé le champ de force qui retenait son sabrolaser, et il éprouva de la satisfaction à sentir son arme, si familière, dans le creux de sa main. Ils ressortirent aussitôt. L’étape numéro un de son plan était achevée, et ils devaient désormais quitter les lieux.

Tchoo-Nachril, même avec son sabrolaser, éprouvait toujours le besoin de s’entourer d’autant de précautions que jusque-là. Il ne disposait plus que d’une main pour se battre, et devrait adapter son style en conséquence, alors qu’il n’y était pas habitué. De plus, se déplacer au grand jour dans le vaisseau faciliterait leur interception, et leur parcours renseignerait trop vite l’ennemi sur les intentions de Tchoo-Nachril. S’il n’avait pas déjà compris, ce qui était fort probable.
Le Jedi eut une mauvaise surprise en voulant regagner le conduit de maintenance. Une cloison anti-explosion l’obturait désormais. Il la fixa quelques secondes, perplexe. La détruire, ainsi que toutes celles qui suivraient, déclencherait probablement des alarmes indiquant des anomalies au centre technique du vaisseau, et leur piste serait dès lors aisément traçable. Tchoo-Nachril avait perdu l’avantage de la surprise. Puisque quel que soit le chemin qu’il choisisse d’emprunter, il serait repéré, il décida de rester dans les couloirs principaux, où il aurait plus de champ pour se défendre. Il donna le signal du départ au Ho’Din effrayé.

Le Jedi, aux aguets, mit ses pouvoirs à contribution pour éviter de tomber nez à nez avec des patrouilles ennemies, quitte à effectuer quelques détours. Dès qu’il estimait que changer de route les éloignerait trop de leur objectif, il se jetait sur ses adversaires. Par deux fois, ils tombèrent sur un groupe de droïdes. Tchoo-Nachril eut peu de tirs de blasters à repousser, juste le temps de lancer une poussée de Force, qui fut à chaque fois suffisant pour se débarrasser des soldats artificiels.
Le troisième et dernier écueil avant d’arriver au hangar ne fut pas aussi facile à franchir. Cinq Niktos et Zabraks, armés et retranchés derrière un canon-laser portatif. Tchoo-Nachril s’arrêta juste avant de franchir le coude du couloir qui le mettrait dans leur ligne de mire. Dévier un tir de blaster était une chose, mais celui d’un canon-laser en était une toute autre. La puissance de l’impact ne pouvait être contrée au sabrolaser que si on tenait la garde de celui-ci des deux mains, et qu’on prenait la précaution de renforcer la puissance de ses bras avec la Force. Tactique impossible à mettre en place pour le Whiphid, au vu de son état physique.
Qu’à cela ne tienne. Il projeta ses sens sur le canon-laser et étudia sa structure, ainsi que les circuits qui le composaient. Bien que peu familier avec la technologie ho’din, de laquelle était issue l’arme, il ne tarda pas à identifier le moyen de la désactiver, même s’il ressemblait fort à une technique que n’aurait pas renié un utilisateur du Côté Obscur.
Il allait passer à l’action quand il sentit une détermination nouvelle émerger chez son compagnon. Il fit aussitôt volte-face et lui lança, menaçant :
– Oublie ça tout de suite.
Cela fut suffisant pour dégonfler toute velléité de rébellion chez le Ho’Din. Si le Jedi lisait dans ses pensées, il était bel et bien piégé. D’un autre côté, il commença à se rendre compte que sa meilleure chance de survie, paradoxalement, était l’intraitable Whiphid. Même s’il ne l’avait aidé qu’à son corps défendant, ses employeurs ne s’embarrasseraient pas de ses explications et le feraient sans nul doute passer de vie à trépas dès qu’ils auraient analysé les événements. S’il devait être fait prisonnier par le Conseil Jedi, celui-ci, au moins, épargnerait sa vie.

Tchoo-Nachril se concentra à nouveau sur le canon. Sur toute arme existait un système de sécurité, pour prévenir les accidents. En l’occurrence, il était régi par un bouton qui, une fois enclenché, envoyait une impulsion électrique en direction du tube et provoquait deux choses. L’obturation du tube, et le blocage des commandes. Tchoo-Nachril crut qu’il n’allait pas réussir sa manœuvre subtile, après quelques essais infructueux, mais il parvint finalement à tromper les systèmes de sécurité du canon, en altérant un signal électrique. Le conduit du tube se ferma à sa base, tandis que la gâchette de tir était de son côté toujours opérationnelle.
Les bras le long du corps, sabrolaser allumé au cas où, il s’avança dans le couloir. Ses ennemis le repérèrent aussitôt et le servant du canon déclencha le tir…et l’explosion de l’engin meurtrier.
Le Jedi soupira. Il devrait répondre de la vie de ces cinq hommes. Devant le Conseil, mais également et surtout devant sa propre conscience. Plus tard.

Il fit signe au Ho’Din de le rejoindre et ils se faufilèrent parmi les débris du canon-laser. Juste derrière, la porte du hangar, enfin. Le Ho’Din l’ouvrit, toujours grâce à la puce implantée dans son avant-bras. Le double battant commençait à peine à s’effacer qu’une lame pourpre en surgit et transperça de part en part le crâne du Ho’Din. Tchoo-Nachril sentit son pelage se hérisser. Il n’avait rien perçu, aucun signe avant-coureur ni avertissement de la Force ! Il franchit l’ouverture, sabrolaser activé à la main. Face à lui, une silhouette noire, encapuchonnée, sabrolaser rouge sang tenu à deux mains, comme sortie d’une légende Jedi . Ou plutôt Sith.


***

Le Maître Jedi Berio Mateseeres était pour le moins contrarié. La situation n’avait rien de simple. Détaché auprès du Corps Agricole, il avait reçu l’ordre du Conseil Jedi de mettre son navire, le Metak Tenak, à disposition de Ver’Liu So-Ren et des siens, afin de les convoyer jusqu’à Velinia III. Le Conseil l’avait essentiellement mis en garde contre le chef de la sécurité de So-Ren, qui revendiquait son héritage Sith. Pour des raisons politiques, l’existence de ce Sith était tolérée, mais Mateseeres avait conscience de l’explosivité potentielle de la situation.
Ses ordres étant d’éviter tout contact avec l’adepte du Côté Obscur, il avait donné des instructions en ce sens à ses aides, et ce Tel’Ay Mi-Nag semblait avoir adopté la même attitude de son côté. Mateseeres espérait donc que l’équilibre fragile qui régnait à bord perdurerait jusqu’à l’arrivée sur Velinia III. Ce vœu pieux ne fut plus qu’un souvenir quand la sonnette de ses quartiers retentit. Il alla déverrouiller la porte, et sa sérénité de Jedi fit place à un torrent d’émotions violentes quand il vit l’être qui se tenait devant lui. Le Sith skelorien, Tel’Ay Mi-Nag.
Celui-ci, l’air grave, s’inclina profondément, tout en prenant le soin de présenter ses paumes en avant, comme en signe de paix, et dit :
– Veuillez m’excuser de vous déranger, Maître Mateseeres. Je suis confronté à un événement qui, à mon grand regret, m’oblige à prendre contact avec vous, contrairement à la ligne de conduite que je m’étais fixé en embarquant sur ce navire.
– Je vous écoute, répondit Mateseeres d’une voix ferme, dès que l’entraînement de toute une vie lui eut rendu presque instantanément sa sérénité Jedi.
– J’ai conscience que mon existence n’est tolérée que parce que je suis sous la protection de Ver’Liu So-Ren, et qu’au moindre acte de traîtrise ou d’agressivité, je serai traqué et exterminé, quoi que puisse dire ou faire mon roi. Or je me trouve dans une situation délicate, que je souhaite clarifier de suite avec vous.
– Laquelle ?
– L’un de vos anciens Padawan est venu à moi et nous avons eu une conversation ensemble. Je tiens à vous assurer que cette rencontre n’a pas eu lieu de mon propre fait, afin de ne pas être en porte-à-faux vis-à-vis de vous. Quelle attitude souhaitez-vous que j’adopte si une telle situation venait à se renouveler ?
– La réponse me semble évidente, répondit Mateseeres en fronçant les sourcils. Je vous interdis formellement d’adresser la parole aux miens, et le coupable va recevoir des instructions fermes de ma part. Qui est-ce ?
– J’ignore son nom. c’est un jeune humain, qui doit avoir quinze ou seize ans standard. Blond et ancien Padawan, à ce qu’il m’a dit.
– Marton Karr, laissa échapper Mateseeres. Je lui parlerais, et cet incident ne se reproduira pas. Je vous remercie de m’avoir averti de ce qui se passait.
– Je ne suis pas assez fou pour défier des Jedi, répondit Tel’Ay en haussant les épaules.
Il s’inclina une nouvelle fois et prit congé. Mateseeres ne vit pas le sourire en coin que le Skelor se permit tandis qu’il s’éloignait des quartiers du Maître Jedi.

Marton Karr subit les remontrances de Berio Mateseeres, et sembla contrit sur le coup, quand le Maître lui eut fait comprendre qu’il aurait pu compromettre gravement la sécurité de tous à bord. Si les excuses qu’il proféra semblèrent satisfaire Mateseeres, elles parurent creuses à ses propres oreilles.
Les braises du conflit existaient en Karr avant sa rencontre avec Tel’Ay, et ce dernier avait suffisamment soufflé dessus pour que les flammes de la frustration et de la discorde jaillissent chez le jeune humain.
Celui-ci se réfugia dans un mutisme boudeur pendant les deux jours suivants, ressassant sans cesse de sombres pensées. L’idéal des Jedi, qu’il avait soutenu toute son existence, s’éloignait de lui à grands pas, sans qu’il parvienne vraiment à comprendre pourquoi.
La seule conclusion, qui revenait de plus en plus souvent au terme de ses réflexions tumultueuses, était que les Jedi ne lui permettraient jamais de réaliser son potentiel de Force. Pire, ils lui avaient menti, en lui présentant les Sith comme étant tous des monstres assoiffés de sang. Or, il avait l’intime conviction que Tel’Ay Mi-Nag n’était pas de ceux-là, qu’il était différent. Si Marton Karr avait cru, depuis son éviction de la voie des Jedi, qu’il pourrait se contraindre à ne plus utiliser la Force pour le reste de sa vie, il se rendait désormais compte que celle-ci, qui faisait partie intégrante de son être, lui manquait terriblement. Il la sentait en lui, le tourmentant chaque seconde un peu plus, désireuse de sortir, de jaillir, de briller.

Quand il n’y tint plus, il se faufila subrepticement hors de ses quartiers, lors du cycle nocturne du navire, désireux de voir Tel’Ay Mi-Nag. Il en voulait au Sith de l’avoir vendu auprès de Mateseeres, et les sentiments qui bouillonnaient en lui exigeaient une explication. Sa frustration avait trop grandi, il lui fallait la déverser.
Il enfila les coursives désertes et se présenta à un corps de garde tenu par deux Skelors, avant de demander à voir Tel’Ay Mi-Nag. L’un d’eux, après lui avoir lancé un long regard méfiant, partit à la recherche de son supérieur et moins de cinq minutes plus tard, il revint, le Seigneur Sith à ses côtés.
Tel’Ay avait une lueur triste dans les yeux. Il demanda à ses hommes de garder pour eux la visite de Marton karr, et il l’entraîna dans une petite pièce vide.
– Tu prends de grands risques en venant ici, Marton Karr, dit-il d’une voix douce.
– Je me sens trahi, cracha l’ancien Padawan. Pourquoi avez-vous été dire à Maître Mateseeres que nous nous étions vu ? Nous n’avons rien fait de répréhensible, nous avons juste eu une conversation. Et pourtant, vous n’avez rien eu de mieux à faire que de courir voir mon maître pour me dénoncer, comme si j’avais commis un crime !
– Tu es aveuglé par tes émotions, mon garçon. Reprends ton contrôle. Un utilisateur de la Force doit réfléchir au-delà des apparences, au-delà du court terme. Ne te rends-tu donc pas compte que ton acte a failli déclencher une guerre à bord du Metak Tenak ?
– Vous vous moquez de moi ?
– Pas le moins du monde, mon garçon. Les pratiques Sith sont interdites sur le territoire de la République, ce qui aurait déjà dû conduire à mon extermination. L’an dernier, j’ai affronté un Jedi du nom de Yoda. Il m’a vaincu avec une facilité déconcertante, mais m’a pourtant laissé la vie sauve, pour une raison que j’ignore. Aujourd’hui, je bénéficie de la protection temporaire de Ver’Liu So-Ren, et ma présence peut aider à stabiliser un peu la confusion ambiante. Par contre, il n’y a aucun doute à mes yeux que dès que la crise sera résolue, les Jedi s’empresseront de me mettre hors d’état de nuire, c’est-à-dire de me tuer, car pour eux, quoi que je fasse et quoi que je dise, je suis un ennemi héréditaire et mortel.
– Quel rapport avec moi ?
– Je suis comme un équilibriste, qui doit faire attention à ne froisser personne, car mon existence même est considérée comme une menace. En venant me voir, tu as failli rompre cet équilibre précaire. Si les Jedi à bord avaient décidé que j’avais essayé de te corrompre, comme ils disent, ils auraient pris les armes contre moi sans hésiter, et je sais que mon roi ne l’aurait pas toléré. S’en serait suivie une guerre, Skelors contre Jedi, qui se serait sans nul doute poursuivie sur Velinia III, entraînant mon ami Seperno, responsable de la colonie républicaine sur cette planète, dans ce conflit où tout le monde aurait quelque chose à perdre, et rien à gagner. Diplomatiquement, j’étais obligé de rendre compte de notre conversation à ton Maître. Tu comprends cela ?
Marton Karr réfléchit longtemps, et se rendit effectivement compte de l’extrême imprudence dont il avait fait montre. Et dont il faisait encore étalage en ce moment même, en ayant provoqué cette nouvelle rencontre. La tête basse, repentant, il dit d’une voix éteinte :
– Je suis désolé. Je n’avais pas envisagé les choses sous cet angle. Je…
Il se tut. Tel’Ay, faussement compatissant, posa la main sur son épaule, avant de lui dire :
– Chacun de nous suit la voie qu’il s’est tracé. Je n’irais pas contre ma nature, de cela je suis certain. De même que toi, élevé en Jedi, qui continuera pour le restant de tes jours à servir l’Ordre, puisque tu crois en ses idéaux.
A ses mots, Marton Karr, les yeux brillants d’une lueur farouche, releva la tête et rétorqua :
– Je ne crois plus en leurs idéaux. La Force est en moi, j’ai toujours vécu en elle et à travers elle, et je veux pouvoir m’en servir à nouveau ! Sans elle, je suis handicapé, brimé !
Tel’Ay fit mine de réfléchir un long moment.
– Comment comptes-tu faire pour user de la Force ?
– Je…en aucun cas auprès des Jedi, de cela je suis sûr. Ils ne le permettraient pas.
Quand il leva des yeux suppliants vers Tel’Ay, celui-ci sut que le fruit était prêt à être cueilli. Le Skelor sembla hésiter longtemps, puis acquiesça de la tête en soupirant.
– Je vais t’aider, mon jeune ami. Malgré les difficultés que cela risque d’engendrer, j’estime que tu mérites qu’on te laisse ta chance.
Tel’Ay s’empressa de réfréner la joie qui inonda alors Marton Karr.
– Ecoute, nous ne devons plus nous revoir. Voici mon comlink, réglé sur ma fréquence personnelle. Je te contacterai dès que j’aurais mis au point les détails de ton débarquement sur Velinia III. En attendant, nous ne nous connaissons plus. Cache au plus profond de toi ce que tu ressens, et ne commets pas d’imprudence.
Mélange de soulagement et de fierté, Marton Karr s’empressa d’acquiescer et s’empara du comlink. Tel’Ay le renvoya, prétextant que plus ils s’attarderaient, plus ils auraient de chances d’être découverts.

Un sourire satisfait illumina ses traits quand il fut seul. Maître Maal Kuun avait désormais un élève.


***

La tranquillité à bord du Metak Tenak dura une semaine, avant de prendre fin la veille de l’arrivée sur Velinia III. Ce soir-là, Ver’Liu s’octroya un repos bien mérité, lui qui passait seize heures par jour à organiser l’accueil des Skelors avec Seperno, via communication hyperspatiale. Régler des centaines de détails s’avérait très fastidieux, et tant qu’à se relâcher, il invita Sionarel à partager son dîner. Ils passèrent un excellent moment dans le calme, dans une ambiance feutrée, sans avoir conscience que le terme le plus judicieux qui s’appliquait à ce genre de soirée était « romantique ».
Un peu de vin alderaanien avait accompagné leur repas délicat, et Ver’Liu tombait un peu plus amoureux à chaque seconde qui passait. Il en arriva à un point où il envisageait de déclarer sa flamme à Sionarel, dans les yeux de laquelle il croyait lire de l’attente.
Après qu’il leur eut servi du thé orsunc, il y eut un silence gêné, moment d’éternité pendant lequel tout paraît possible. Instant où une décision, un acte, peuvent changer des avenirs. La question qui tiraillait Ver’Liu était : dois-je l’embrasser ? Le problème était qu’il ignorait la réponse. Pour se donner une contenance, il porta son verre de thé à sa bouche et avala une gorgée du breuvage traditionnel skelorien. Il fit la grimace et reposa brusquement le verre. La pièce se mit à tourner, de plus en plus vite. Il vit Sionarel, qui se mouvait au ralenti, avancer lentement vers lui, une expression de peur sur le visage, tout en prononçant des mots qu’il n’entendait pas. Il aurait voulu la rassurer, lui dire qu’il n’avait jamais été aussi heureux que ce soir-là, car elle était à ses côtés. Lui dire qu’il l’aimait, et que nulle n’était aussi belle qu’elle. Lui dire qu’il avait sommeil, qu’il sentait qu’il s’y enfonçait doucement, et qu’il ne craignait plus rien, puisqu’elle était là. Il ne put prononcer aucune de ces belles paroles.

Tel’Ay et Marton venaient de se retrouver pour faire un dernier point sur l’arrivée sur Velinia III. Le Sith avait tout organisé. Une de ses équipes de sécurité prendraient en charge Marton, et lui feraient quitter le navire par la soute à bagages, au cas où les Jedi montrent le bout de leurs appendices nasaux lors du débarquement des Skelors. Il n’eut pas le temps de rentrer dans les détails qu’un cri déchira les entrailles du vaisseau.
Tel’Ay déploya ses sens, et sentit Marton faire de même, maladroitement. Le Skelor sentit la panique de Sionarel, et s’y accrocha comme à une balise, tandis qu’il courait à travers les couloirs pour la rejoindre. Son sang se glaça dans ses veines quand il vit que la Force le menait aux appartements de Ver’Liu.
Les gardes étaient déjà entrés et entouraient leur roi, qui gisait inerte, bave aux lèvres, dans les bras de Sionarel. Tel’Ay s’ouvrit un passage et se pencha sur Ver’Liu. Il ne respirait plus.
– Faites venir un docteur ! cria Tel’Ay, avant de se tourner vers Sionarel.
« Que s’est-il passé ? » fit-il en la secouant, tandis qu’elle pleurait toutes les larmes de son corps.
Elle parvint à balbutier le mot « thé », et Tel’Ay se jeta sur le breuvage. Il fit passer une gorgée dans sa bouche, et ses sens de Sith détectèrent immédiatement le poison. La formation de tout Sith passait notamment par l’apprentissage de tous les poisons, aussi Tel’Ay l’identifia sur-le-champ. Du vinauriais, connu pour déclencher des réactions chimiques empêchant l’oxygène d’atteindre le cœur.
Il s’agenouilla à nouveau aux côtés de Ver’Liu, et posa sa main sur le torse glacial de l’adolescent. Il regretta de ne pas avoir le Gant de Vèntorqis avec lui et se mit à l’œuvre. Voyageant dans l’infiniment petit, comme il l’avait fait pour guérir Anaria, il repéra l’agglomérat de molécules de vinauriais, qui obstruait les artères coronaires du myocarde de Ver’Liu. Il tenta de détruire ces cellules infectieuses en les faisant exploser, mais prit conscience de la vanité de ses efforts, qui lui prendraient des heures. Heures que Ver’Liu n’avait pas à vivre. Il tenta une mesure désespérée, dont il n’était même pas certain qu’elle fut possible. Il repoussa le groupe de vinauriais un peu plus avant dans l’artère, et provoqua une explosion de Force légèrement plus importante. Le dosage fut bon, mais les cellules restantes se regroupèrent à nouveau et repartirent vers leur but. Il réitéra sa manœuvre délicate à trois reprises, avant de s’estimer satisfait. Les cellules de vinauriais n’étaient plus assez nombreuses pour causer de dommages irréparables.
Un docteur arriva sur ces entrefaites et entreprit un massage cardiaque. Bientôt, le cœur de Ver’Liu se remit à battre.
Légèrement tremblant, Tel’Ay se remit debout. Il ne fit pas attention au regard éperdu d’admiration que lui lança Marton. Il avait un problème majeur sur les bras. Il y avait un assassin, sans doute skelorien, à bord de ce navire.


***

Combien de temps la Force allait-elle continuer à affluer en Tchoo-Nachril, telle était la question qu’il se posait tandis qu’il faisait face à son adversaire, qui se contentait de le jauger en silence. Ses yeux brillaient d’un éclat d’or, sous l’obscurité de sa capuche. Une barbe blonde, tressée, descendait jusqu’à sa poitrine. L’homme correspondait parfaitement à l’image mentale que le Jedi avait capté dans l’esprit du Ho’Din défunt. Tel était donc l’ennemi ? Intéressant. Il engagea la conversation, espérant glaner des informations supplémentaires à rapporter au Conseil Jedi.
– As-tu un nom, Jedi dévoyé ?
– Je ne suis pas un Jedi dévoyé, comme tu dis, répondit le Jaabimien d’une voix rauque. Je suis un Sith, et je m’appelle Dark Glaro.
Sith ? Dark ? Voilà qui ne plaisait pas du tout, mais alors pas du tout à Tchoo-Nachril. Après Tel’Ay Mi-Nag, voilà qu’il rencontrait un autre être héritier des ennemis séculaires des Jedi. Mais à la différence du Skelor, qui ne semblait pas décidé à se laisser entièrement absorber et diriger par le Côté Obscur de la Force, l’humain se paraît du titre de Dark, qui avait été porté par les plus farouches ennemis de la République en d’autres temps.
– Et n’espère pas rapporter ces informations à quiconque, Jedi. Ta fuite s’achève ici.
L’interpellé ne répondit rien, et se contenta de se mettre en garde. Chaque adversaire se connecta à la Force. Tchoo-Nachril décida de sa tactique : renforcer son bras grâce à la Force, et utiliser la forme III du combat au sabrolaser, le Soresu, technique principalement défensive, du moins tant qu’il n’en saurait pas plus sur les capacités de son ennemi. Il se mit en position et attendit sereinement que Dark Glaro passe à l’attaque.

De son côté, Dark Glaro rayonnait. Il était enfin mis à l’épreuve ! Dark Omberius, son Maître, estimait qu’ils étaient prêts à affronter la République, et il lui revenait le privilège d’être le premier à porter un coup direct à l’ennemi tant haï. L’heure de la vengeance avait sonné, et à titre personnel, Dark Glaro était d’autant plus ravi qu’il allait enfin pouvoir évacuer toute la frustration emmagasinée ces dernier temps. Et ce combat ne pourrait que lui servir, à titre personnel. L’expérience qu’il en tirerait ne pourrait que lui être bénéfique, dans le but qu’il caressait depuis qu’il était en âge de penser : prendre la place de son Maître.

Il passa à l’attaque sans plus attendre, en assenant plusieurs coups puissants, de taille, rien que pour juger de la valeur de son adversaire. Il se méfiait du Whiphid : après tout ce qu’il avait encaissé, celui-ci ne semblait même pas affaibli, et la perte de sa main n’avait pas l’air de l’handicaper. la Force était très puissante en lui.
Tchoo-Nachril, imperturbable, ne céda pas un pouce de terrain. Intérieurement, il commença déjà à s’inquiéter. Même s’il mettait le plus grand soin à le cacher, il ne parvenait à contenir les assauts du Sith qu’avec difficulté. Si l’un et l’autre ne changeaient pas de tactique, Glaro finirait par l’emporter. Malheureusement pour le Jedi, Glaro continua à se battre de la même manière, se faisant plus pressant à chaque seconde. Tchoo-Nachril rompit l’engagement en exécutant un saut périlleux arrière, et décida de répondre à la violence par la violence. L’Ataro devrait être plus efficace, pensa-t-il, d’autant que le vaste hangar s’y prête.

Il se jeta sur Dark Glaro, bien décidé à ce que ce combat soit le plus bref possible. Il chercha à le déborder, à le faire douter, en exploitant toutes les failles qu’il croyait percevoir dans la défense de son ennemi. Quand il n’en décelait pas, il frappait tout de même comme un sourd, en espérant transpercer la défense du Sith. Rien n’y fit. Au contraire, le visage de Dark Glaro s’illuminait de plus en plus. Il s’amusait comme un fou. Il avait la totale maîtrise du combat. Il avait compris, dès que Tchoo-Nachril avait abandonné la technique du Soresu, que celle-ci n’était pas efficace face à lui. L’Ataro ne pouvait pas le vaincre, car les techniques se basant sur l’attaque étaient la spécialité des Sith.
Tchoo-Nachril s’entêtait pourtant. Bien qu’ayant conscience de la précarité de sa position, car il ne voyait nul moyen évident de vaincre Dark Glaro, il s’obstinait. S’il parvenait à prolonger le statu quo entre eux, la différence se jouerait à l’endurance. Et il était particulièrement bien pourvu de ce côté-là.
Il lui fallu quinze minutes de combat acharné, quasiment sans temps mort, pour percevoir que Dark Glaro jubilait et ne faisait que jouer avec lui. Même au jeu de la résistance, Tchoo-Nachril, qui commençait sérieusement à fatiguer, ne faisait pas le poids. Le Jedi, bien conscient de se rapprocher à grands pas de ses limites, décida d’abandonner toutes les techniques qu’on lui avait inculqué, pour se concentrer sur ce qui faisait réellement sa force : l’improvisation.
Lors de l’assaut furieux suivant, et alors que le sabrolaser de Dark Glaro fonçait à la rencontre du sien, il se laissa tomber à terre et faucha les pieds du Sith, déséquilibré par son attaque avortée. Glaro parvint à lever une jambe juste à temps, mais son pied d’appui fut sectionné sur le coup, entraînant sa chute.
Quand Tchoo-Nachril, toujours à terre, voulut porter un nouveau coup à Glaro, celui-ci parvint à intercepter la lame verte du Jedi. Son sourire avait disparu au profit d’une grimace de douleur, et son front dégoulinait de sueur, ce qui donna du baume au cœur de Tchoo-Nachril.
Chacun voulut lancer une poussée de Force sur l’autre, simultanément, et tous deux furent balayés par la puissance du choc. Ils roulèrent sur quelques mètres. Tchoo-Nachril bondit sur ses pieds et marcha résolument sur Glaro, qui se contenta de se mettre à genoux, irradiant de haine. Alors que le Jedi allait frapper, il eut la surprise de voir le Sith lâcher son sabrolaser et tendre les mains vers lui.
Des éclairs bleu-blanc jaillirent de l’extrémité de ses doigts et percutèrent Tchoo-Nachril de plein fouet. Etourdi et sous le choc, celui-ci en lâcha son sabrolaser, tandis que Glaro, lèvres serrées, continua de bombarder son corps d’arcs électriques.
Tchoo-Nachril se sentit sombrer dans les ténèbres, et tenta de lutter, malgré la douleur. Le fait qu’elle soit moins importante que celle distillée par l’inhibiteur de Force comptait bien peu, tandis qu’il sentait son corps à bout de forces s’abandonner. Il eut un dernier réflexe. Le sabrolaser de Glaro reposait à la droite du Sith, allumé, et Tchoo-Nachril projeta sa télékinésie sur l’arme. Elle transperça le Sith au niveau de l’estomac.
La dernière vision de Tchoo-Nachril, avant de s’écrouler inconscient, fut Dark Glaro en train de cracher des gerbes de sang.