Chapitre XII

Dark Glaro ne décolérait pas. Il était passé si près de la mort face à ce maudit Chevalier Jedi Whiphid ! Heureusement, le coup de sabrolaser qu’il avait reçu en travers de la poitrine n’avait fait que transpercer l’un de ses poumons. Blessure sérieuse mais pas mortelle, que les chercheurs Ho’Din n’avaient pas mis longtemps à soigner. L’envie de gratter la synthéchair qu’on lui avait appliqué ne le quittait guère, démangeaison irritante qui ajoutait à son courroux envers Tchoo-Nachril, et surtout contre lui-même. Comment pouvait-il revendiquer de devenir un Maître Sith s’il manquait se faire tuer à son premier affrontement sérieux ?
Si jamais Dark Omberius, son maître, en concluait qu’il était trop faible pour espérer lui succéder un jour, il aurait beau jeu de l’éliminer rapidement. Glaro devait absolument marquer des points auprès de son maître, et vite.

Le Jaabimien avait tout de même dû subir une opération chirurgicale, car il avait refusé catégoriquement que sa jambe coupée soit remplacée par une prothèse cybernétique. Profitant d’avoir sous la main des scientifiques et des installations de haut vol, il leur avait ordonné de greffer son membre perdu. Cette technique médicale avait tendance à se perdre, car les chirurgiens estimaient plus simple et plus économique le recours aux prothèses, mais aucun d’eux n’avait osé émettre la moindre objection.

Il avait recouvré son intégrité physique trois jours auparavant seulement, mais se tenait déjà sur ses deux jambes, maladroitement. Le Côté Obscur de la Force l’aidait à vaincre la douleur.
La seule bonne nouvelle était que l’Egalitaire, le virus anti-utilisateurs de la Force développé par les Ho’Din, semblait porter ses fruits, si Glaro en croyait ses sens. Par une vitre qui occupait tout un pan de mur, le Sith pouvait voir ce qu’il restait de Tchoo-Nachril, et surtout sentir sa présence décliner dans la Force. Nul doute qu’elle était en train de s’échapper de lui, petit à petit. D’après les scientifiques, il s’en faudrait encore d’une semaine pour être certain que la perte de la Force serait définitive, même s’ils n’avaient guère de doute sur la question.

Une alarme retentit sur l’une des consoles médicales des Ho’Din, et plusieurs données sur des cadrans s’affolèrent. Glaro sonda Tchoo-Nachril, et vit que la Force disparaissait de son être, de plus en plus vite.
– Qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-il aux scientifiques, qui s’activaient sur leurs écrans.
– On dirait qu’il se meurt, répondit l’un d’eux. Mais je ne comprends pas pourquoi. Logiquement, il ne devrait perdre que la Force, pas la vie.
– Disons que c’est un bonus, rétorqua Glaro.
Il sentit la dernière parcelle de Force quitter le corps du Jedi, et les données vitales reportées sur les écrans indiquèrent la cessation de toute activité. Tchoo-Nachril venait de mourir.
– Réitérez l’expérience sur un autre être sensible à la Force, pour voir si le résultat est le même. Et s’il l’est…mon maître pourra enfin entrer en guerre ouvertement contre la République.


***

A bord du Metak Tenak, le calme revint après la mort de Lar’Jon. Amo’Kar fut très choqué d’apprendre la trahison de son frère, et donna aussitôt sa démission du Conseil. Ver’Liu la refusa dès qu’il eut repris conscience sur Velinia, deux jours plus tard, Amo’Kar lui étant en effet d’une fidélité à toute épreuve, et d’une efficacité certaine pour le seconder.
A la grande satisfaction de Maître Mateseeres, Tel’Ay avait levé l’interdiction d’atterrir sur Velinia III. Même si le Skelor avait appris de la bouche même de Lar’Jon que celui-ci n’était pas seul à vouloir tuer Ver’Liu, il estima ne rien pouvoir faire d’autre pour le moment, à part continuer à faire surveiller de près son roi. Tâche dont Anaria s’acquittait à merveille.

Tel’Ay fut très occupé dès que le débarquement commença. En liaison avec ses officiers et l’administration de Velinia III, il fit sortir les Skelors par groupes, qui furent aussitôt dirigés vers leurs nouveaux foyers, des bâtiments préfabriqués érigés à la hâte pour les accueillir.
Si Seperno, chef de la colonie, n’avait écouté que son sens de l’amitié pour consentir à recueillir la diaspora skelorienne, il s’était entre-temps rendu compte qu’avec onze mille ressortissants, le nombre des Skelors serait largement supérieur aux cinq mille colons déjà présents. Dès cette prise de conscience, il avait renoué des contacts dans toute la galaxie afin d’attirer de nouveaux colons, Rodiens comme lui, pour contrebalancer la supériorité numérique de ses invités.

Rapidement, les pensées de Tel’Ay se détachèrent pourtant de l’énorme travail que requérait le débarquement. Il sentait un danger latent, et le doute s’insinuait en lui : que faisait-il ici, en bordure de la République, au lieu de lutter directement contre son ennemi ? Dark Omberius avait ordonné la mort de Ver’Liu So-Ren, à partir du moment où celui-ci avait fait état de ses prétentions au trône de Skelor I.
Qu’était devenue la planète des Skelors, quels secrets cachait-elle pour que le seigneur des Sith ne veuille visiblement pas que quiconque s’en approche ? Tel’Ay avait-il raison d’investir son temps et son énergie à protéger Ver’Liu So-Ren, un être dont, au fond, le sort lui était totalement indifférent, bien qu’il éprouvât un certain respect pour lui ?
Il se demandait également ce qu’était devenu Tchoo-Nachril. A s’attaquer sans le savoir à un bastion Sith, il était probablement déjà mort, mais s’il avait eu le temps de faire un rapport au Conseil Jedi, nul doute que la position et la vie d’Omberius seraient très compromises.

Marton Karr ne le lâchait pas d’une semelle depuis qu’il avait démissionné du Corps Agricole. La question de son entraînement n’avait pas encore été abordée, le temps manquant pour cela, et Tel’Ay n’avait rien contre le fait de laisser mariner l’ancien Padawan. Comme s’il avait compris qu’il était testé et jaugé, Marton tentait de se faire une place aux côtés de Tel’Ay, l’aidant et le secondant pour résoudre des problèmes de moindre importance.
Il tâchait de faire preuve de patience, attendant son heure. Il avait déçu les Jedi, et comptait bien ne pas réitérer une telle erreur auprès de son nouveau Maître. Ce qui l’inquiétait était qu’après l’enquête, Maître Berio Mateseeres semblait avoir disparu, or il avait du mal à croire que le Jedi en resterait là vis-à-vis de Tel’Ay et de lui-même.


***

Maddeus Oran Lijeril, Grand Maître de l’Ordre Jedi, était perplexe, alors que la réunion du Conseil Jedi allait démarrer. La cause en revenait à l’ordre du jour.
– Ça y est, j’ai réussi à stabiliser la liaison, l’image ne va pas tarder, annonça Mecti Laminer, la Maître Besalisk, en faisant courant deux de ses mains sur le panneau de contrôle de l’unité de communication hyperspatiale.
L’image bleutée d’un humain d’une cinquantaine d’années apparut, au front haut et dégarni, et dont le bas du visage était mangé par une barbe poivre et sel soigneusement taillée. Il salua ses frères Jedi et attendit leur bon vouloir.
– Maître Berio Mateseeres, c’est un plaisir de vous voir sain et sauf, fit Lijeril. Qu’en est-il de la mission de nous vous avons confié, à savoir évaluer la menace représentée par ce Tel’Ay Mi-Nag ?
– J’ai beaucoup d’éléments de réponse, et ils ont tendance à recouper ce que Maître Yoda et le Chevalier Tchoo-Nachril ont déjà avancé.
– Très bien, dit Lijeril. Reprenons depuis le début. Maître Yoda, vous avez été le premier à être confronté à ce Skelor. Rappelez-nous en quelles circonstances et quelles conclusions vous en avez tiré.
– L’an dernier, par le Conseil je fus mandé pour enquêter sur l’existence de deux personnes usant de sabrolasers de couleur orangée, et visiblement dotés de la Force. La piste sur Icksimma m’a conduit, où j’ai découvert que le Chevalier Jedi Durkiga Stilon ils avaient éliminé. Les empreintes laissées dans la Force sur le lieu du forfait ne laissaient aucun doute : le Côté Obscur s’était déchaîné à cet endroit. Mon lot de Jedi sombres j’ai affronté au cours de ma vie, mais là, différente était l’impression. Jamais une telle sensation de maîtrise et de puissance dans le Côté Obscur je n’avais encore rencontré. Un Jedi sombre est à la base un Jedi, et quand son idéal il trahit, il utilise la Force pour faire le Mal d’une manière rudimentaire, instinctive. Rares sont les Jedi sombres qui apprennent de réelles techniques obscures. En cette occasion, pourtant, l’utilisation de techniques meurtrières parfaitement maîtrisées j’ai ressenti, comme jamais auparavant. A mes yeux, aucun doute il ne faisait donc que les deux êtres étaient des Sith, et non de simples Jedi sombres.
« Je les ai poursuivis jusqu’à les retrouver, sur la planète Nal Hutta, et mes soupçons se sont confirmés lors de notre affrontement. Ils se servaient aussi bien des techniques obscures que moi de celles des Jedi. Qu’ils avaient été formés pour le faire, cela implique.
« Je les ai combattu et vaincu. »
Yoda se tut, plongé dans ses pensées.
– Et ? demanda Lijeril.
– Hum… pas de malveillance pure et dure je n’ai senti en eux, comme on aurait pu s’y attendre. Mais cela ne changeait rien pour moi au fait qu’il fallait les ramener au Temple pour qu’interrogés ils soient. Seulement…une sensation étrange j’ai eu, intuition ou vision, qui m’a indiqué qu’ils ne représentaient pas un danger pour la galaxie. Et qu’ailleurs qu’entre nos mains était leur destin. Aussi les ai-je laissé là et suis-je rentré au Temple. Souvent ai-je médité sur cet événement depuis, et ma conclusion reste la même sur ce que j’ai éprouvé ce jour-là.
– Pour sa part, continua Lijeril, Tchoo-Nachril a fait état dans ses rapports d’un être qui agit sans se préoccuper des notions que nous connaissons sous les noms de « bien » et de « mal ». Comme s’il choisissait de suivre une voie qu’il s’est lui-même choisie. Sa morale semble être changeante selon les circonstances, selon que cela serve ou non ses buts. Maître Mateseeres, vous êtes réputé dans l’Ordre pour votre capacité à savoir jauger les gens. Qu’en est-il de celui-là ?
– Mes conclusions vont dans le même sens que celles de Yoda et Tchoo-Nachril. Il a un but personnel et fera tout pour l’atteindre, sans trop se préoccuper des dégâts collatéraux. Enfin, dans une certaine mesure, en tout cas. Il maîtrise suffisamment le Côté Obscur pour ne pas se laisser consumer par lui. A ce titre, Il est moins dangereux qu’un Jedi Noir ou qu’un ancien Sith. En fait, ses méthodes sont plutôt celles d’un mercenaire, dont la Force serait un outil et non une fin en soi. Et si les mercenaires ne sont pas des enfants de chœur, ils ne sont pas non plus des monstres insensibles ou assoiffés de sang.
– Maître Tempeï-Liy, vous êtes notre Archiviste en Chef, reprit Lijeril. Que pensez-vous de tout cela ?
– Il a toujours été difficile d’obtenir des données fiables sur les Sith, répondit le Maître Caamasi. Pour nous, ils sont morts sur Ruusan il y a quatre cent ans. Les rares qui n’ont pas pris part à cette bataille étaient des seigneurs subalternes, jugés par leurs pairs comme étant trop peu puissants pour être d’un quelconque utilité. Ils ont disparu et je doute fort qu’ils aient pu créer des écoles de pensées issues de celle des Sith. Néanmoins, j’ai mené des recherches qui se sont avérées assez fructueuses. Nous possédons une liste de cinq Maîtres Sith, qui ont refusé d’intégrer la Confrérie des Ténèbres de Kaan. Deux d’entre eux sont morts, et nous savons en quelles circonstances. Sur les trois qui restent, un m’intéresse particulièrement. Il se nommait Maal Taniet, et surtout…il utilisait un sabrolaser de couleur orange vif, comme les deux Adeptes du Côté Obscur rencontrés par Maître Yoda.
– Je trouve l’hypothèse hasardeuse, avança Lijeril. C’est peut-être une simple coïncidence.
– Ce n’est pas tout. Maal Taniet a quitté les Sith, mais ne s’est pas contenté de disparaître. Suite à une machination tortueuse, il a réussi à mettre la main sur le Gant de Vèntorqis, un artefact Sith qui était entre nos mains depuis trois mille ans. D’après les études qui ont été faites sur cet objet, ses pouvoirs semblent particulièrement adaptés aux Clairs-Obscurs.
– Aux… ? Ces utilisateurs de la Force ni vraiment bons, ni vraiment mauvais ?
– Oui.
– Pardonnez-moi, Maître Tempeï-Liy, mais cela n’en reste pas moins qu’une théorie.
– Non, Maître Lijeril, c’est une certitude. Vous êtes un guerrier, et vos réflexes au combat ont été façonnés par la Force, qui vous guide et vous soutient lors des conflits. Pour ma part, je manie très mal le sabrolaser, mais la Force m’est un atout primordial quand je dois recouper ou trouver des données dans nos archives. Pour moi, il ne fait aucun doute que Tel’Ay Mi-Nag est issu d’une école Sith crée par Maal Taniet. Ce Maître était un Clair-Obscur, et je pense que c’est cette philosophie qu’il a transmise à ses héritiers.
– Si je comprends bien, ce Mi-Nag ne doit pas être considéré comme étant une menace mortelle pour la paix galactique ?
– Oui, Maître Lijeril. Tel est mon avis. De la même manière, je ne parlerais pas de lui comme d’un Sith. Plutôt d’un Tanietien.
– S’il n’est pas un Sith, nous n’avons aucune raison de nous en prendre à lui, sauf si ses actes le justifient, ajouta Yoda. Or depuis que je l’ai laissé partir, il n’a à notre connaissance rien de commis de répréhensible. Au contraire, dirais-je, puisqu’il a pris fait et cause pour un jeune dirigeant qui veut sauver son peuple.
– C’est oublier un peu vite qu’auparavant, il a tué la Jedi Durkiga Stilon, grogna Lijeril en repensant à son ancienne Padawan. Mais si la Force vous a alors indiqué qu’il fallait laisser ces deux Tanietiens en vie, Maître Yoda, je suppose que n’avons plus qu’à nous incliner face à sa volonté ?
– C’est également mon avis, Maître.
– Bon. Maître Mateseeres, Tel’Ay Mi-Nag ne doit plus être considéré comme un danger. Annoncez-le lui.
– Bien, Maître. Encore une chose. Un des anciens Padawans, qui servait dans le Corps Agricole, a démissionné pour se mettre au service de Mi-Nag.
– Vous pensez que Mi-Nag l’a manipulé ?
– Je n’irais pas jusque-là. Disons que chacun d’eux a fait un pas vers l’autre.
– Hum. Il faudra les garder à l’œil. Et ce fait pourrait être utile : il sera plus facile de suivre deux êtres qu’un seul. Bien, si personne n’a plus…
Ljeril s’interrompit en voyant Yoda porter la main à son cœur, et serrer fortement l’accoudoir de son siège.
– Maître Yoda, que se passe-t-il ?
– Mort…mort est mon ancien Padawan. Disparu Tchoo-Nachril a.
La vague de souffrance qui avait assailli Yoda reflua. Il garda longtemps la tête baissée, mais quand il la redressa, une lueur de mauvais augure brillait dans ses yeux.
– Sur Skelor I, je me rends sur-le-champ.


***

Trois jours après leur installation sur Velinia III, les Skelors commençaient à peine à s’organiser dans leur nouvelle vie. Ils étaient surtout dans l’attente de bonnes nouvelles concernant leur roi, qui n’était pas encore sorti de l’inconscience.
Tel’Ay était aux abois, prêt à agir s’il sentait un nouveau danger menacer Ver’Liu. Il s’octroyait quelques heures de repos le jour, pendant que Anaria ou Marton Karr prenaient le relais.

Au début du quatrième jour, Ver’Liu ouvrit enfin les yeux. Encore très affaibli, il parla peu, se contentant de serrer la main de Sionarel, qui s’était refusée à quitter son chevet après le déménagement. Il reçut les visites d’Amo’Kar, Tel’Ay et Seperno, qui lui narrèrent les derniers événements. Mais il était encore trop groggy pour reprendre son rôle, aussi se contenta-t-il de prendre acte, le plus souvent en hochant la tête.
Tel’Ay éprouva de la nervosité toute cette journée. Quelque chose se préparait, il le sentait dans ses os. Il fit doubler la garde autour de Ver’Liu, et recommanda à Anaria et Marton la plus grande vigilance. Lui-même passa une grande partie de son temps à inspecter les alentours et à sonder les gens qu’il croisait.
L’étude du disque dur de l’ordinateur personnel de Lar’Jon était en cours d’analyse par des informaticiens skeloriens, mais ils butaient sur une série de fichiers cryptés. Peut-être y avait-il une liste des conspirateurs ? Tel’Ay voyait mal un traître faire preuve d’autant d’imprudence, mais il ne fallait négliger aucune piste.

A la fin de la journée, alors qu’il faisait une énième ronde autour des bâtiments préfabriqués qui entouraient le pavillon de Ver’Liu, plus imposant, une intuition dans la Force guida ses pas à l’entrée d’une ruelle.
Il tomba nez à nez avec deux Skelors qui, au vu des pensées qu’il capta, n’étaient que haine… et satisfaction. Quand il leur ordonna de ne pas bouger, tout en les menaçant du sabrolaser rouge sang de Séis, ils tentèrent ni plus ni moins de s’empaler dessus. Tel’Ay les esquiva et les étourdit de deux manchettes bien placées. Il alerta ses hommes, en tête desquels vint Gok’Ar, son adjoint, et la ruelle comme ses abords furent passés au peigne fin, afin de détecter une quelconque trace de danger. Recherches qui ne donnèrent rien.

L’instinct de Tel’Ay, conforté par les bribes de pensées arrachées aux conspirateurs, n’en démordait pas : quelque chose allait arriver. Il hésita entre torturer les deux Skelors pour les faire avouer, ou rejoindre Ver’Liu pour l’évacuer, et privilégia cette dernière option. D’autant qu’un sentiment d’urgence le saisit.
Il fonça vers le pavillon de son roi et se saisit de son comlink pour ordonner à Anaria et Marton de faire évacuer Ver’Liu sur-le-champ.

Il sut que la bombe allait exploser une seconde avant qu’elle n’accomplisse son destin. Il courait alors dans le couloir principal du pavillon, et voyait, à trois mètres de lui, Anaria porter Ver’Liu dans ses bras velus, et Marton faire avancer Sionarel, qui suivait comme un automate, toujours brisée mentalement par l’attentat précédent. Instinctivement, il érigea un bouclier de Force autour de lui, et se jeta sur Ver’Liu, qu’il arracha de l’étreinte protectrice d’Anaria. Quand l’explosion eut lieu, Tel’Ay avait déjà plaqué Ver’Liu au sol et lui faisait un rempart de son corps, toute sa puissance déployée pour les protéger.
Cela ne suffit pas. Ils furent soufflés par la déflagration et balayés tels des grains de poussière par une tempête de sable, étroitement enlacés. Tel’Ay crut que l’onde de choc allait les déchiqueter, tellement la douleur qui l’assaillit fut terrible, mais son bouclier de Force tint bon.
Il ne put s’empêcher de grogner et faillit perdre sa concentration quand ils s’écrasèrent contre un mur. Là encore, il tint bon, mais quand des bouts de duracier tordus et chauffés à blanc s’abattirent sur eux, son champ de Force ne fut pas suffisant à les contenir tous. Deux se fichèrent dans son dos, et un autre lui sectionna l’oreille gauche.
Il cria mais puisa dans ses ultimes réserves pour tenir. Tenir, pendant que l’univers s’écroulait autour de lui, dans un silence sépulcral qui lui indiquait que ses tympans avaient été touchés. Il ferma les yeux quand une vague de chaleur vint le recouvrir, véritable fournaise qui amena à ses narines une odeur de chair brûlée.

Dès que l’air redevint respirable, Tel’Ay se redressa maladroitement et claudiqua jusqu’à la sortie du pavillon, un Ver’Liu toujours aussi inerte dans les bras. Epuisé, ayant l’impression d’avoir été roué de coups pendant des heures, il s’écroula dehors, à quelques mètres à peine du bâtiment en feu.
Déconnecté de la réalité par le silence qui l’entourait, il vit des dizaines de personnes se précipiter vers Ver’Liu et lui. Des médecins pointèrent leurs scanners sur le roi, et ce que Tel’Ay y vit lui apprit que Ver’Liu n’était pas en danger.
Son regard tomba sur Anaria, dont près d’un quart de la fourrure avait brûlé et présentait des cloques. Même à cette distance, il sentait les efforts qu’elle déployait pour ne pas hurler sa douleur. Tel’Ay se releva, les jambes flageolantes, et la rejoignit. A ses côtés, Marton et Sionarel, évanouis, n’avait pas l’air en meilleur état. Le Sith s’assura que son apprenti n’était pas en danger, avant de se pencher sur Sionarel. Il la regarda un long moment, comme indécis, avant de toucher le front de la jeune amie de Ver’Liu. Il laissa ensuite la Force agir, puis s’écroula à son tour.


***

Le lendemain, un Ver’Liu pâle comme la mort se rendit au chevet de Tel’Ay, évacué vers l’hôpital de Velinia III, en soins intensifs, comme les autres victimes de l’attentat. Dès que le jeune souverain entra dans la chambre, le Sith ouvrit les yeux. Ver’Liu ferma la porte derrière lui, mais n’approcha pas plus. Il dit :
– La situation est intenable, Tel’Ay Mi-Nag. Anaria et Marton sont sérieusement blessés et mettront du temps à se remettre. Sionarel est en meilleur état… physiquement. Elle est plongée dans un coma qui laisse dubitatifs les médecins. Elle pourrait en sortir un jour. Ou pas. Nous ne pouvons pas continuer comme ça. L’heure est à la riposte directe.
Tel’Ay nota mentalement que sa surdité n’avait été que provisoire, puisqu’il entendait Ver’Liu. Il perçut aussi la dureté du ton employé, qui indiquait clairement que le temps des compromis et du pacifisme étaient révolus.
– Et que… préconisez-vous, sire ? demanda péniblement Tel’Ay.
– Nous rassemblons une flotte de mercenaires et nous marchons sur Skelor I.
– Tout simplement ? ricana Tel’Ay.
– Tout simplement. Depuis que la Galaxie est au courant de mes efforts afin de réclamer justice pour les Skelors, les dons affluent. Je suis à la tête d’une fortune suffisante pour nous attacher les services de professionnels de la guerre.
– Ssss…voilà qui serait changer votre politique du tout au tout. L’agressivité dont vous voulez faire preuve va faire disparaître le crédit et l’estime que l’on vous porte au sein de la République. Tous vos soutiens vont vous abandonner. Et tout ça sur un coup de colère momentané.
– Ce n’est pas un coup de colère momentané ! C’est une déclaration de guerre, ni plus ni moins. Ce sera les Zabraks ou nous ! Et tous ceux qui s’interposeront mourront !
Tel’Ay ne répondit rien, se contentant de scruter le visage inflexible de Ver’Liu, déformé par une expression de haine farouche. Que de changements chez le jeune roi depuis leur rencontre. Toute l’estime que Tel’Ay lui avait porté jusque-là s’envola, remplacé par de la déception et de la tristesse. Il se révélait si ordinaire, en fin de compte. Tel’Ay se méprisa pour avoir investi autant d’énergie à l’épauler dans sa folle quête. A compter de cet instant, Ver’Liu So-Ren ne représenta plus rien à ses yeux.
Cette amère constatation faite, son esprit travailla furieusement à évaluer les conséquences de ce coup de théâtre. Finalement, si le Skelor Tel’Ay Mi-Nag était déçu, les choses ne se présentaient pas si mal pour le Maître Sith Maal Kuun. Un assaut direct contre Skelor I allait peut-être lui permettre de débusquer Dark Omberius, ce qui avait toujours été son but.
Dark Omberius était responsable de la disparition de la Confrérie de Maal Taniet, et Maal Gami, le maître de Tel’Ay, lui avait enjoint de le détruire. Ce qu’il comptait bien accomplir, en hommage à son défunt maître. Telle serait sa rédemption, et le changement profond survenu chez Ver’Liu allait déjà le lui permettre.