Chapitre 19

Maddeus Oran Lijeril eut une semaine très chargée. Prenant lui-même en main les négociations devant des sous-commissions du Sénat, réunies en grand secret, il tenta par tous les moyens de rapprocher les positions de Marcus Valorum et de Jiger’Orsorul.
En privé, le Chancelier en exercice admettait qu’il était allé trop loin avec son affirmation que Skelor I devait intégrer la République, mais il refusait d’en démordre : les élections auraient lieu à la fin de la semaine, et il ne pouvait pas se permettre de passer pour une girouette si peu de temps avant.

Le Bothan Jiger’Orsorul, devenu chef de l’opposition depuis sa récente intervention face à Ver’Liu, affinait en catastrophe son programme électoral, servi par une équipe de conseillers bothans rodé aux facettes de la politique. Avant la bourde de Valorum, l’opposition était totalement désorganisée. Désormais, le Bothan en était le fer de lance, et il n’avait eu de cesse de mener ses propres négociations avec tous les ennemis politiques de Valorum, afin d’avoir le plus d‘alliés à ses côtés.
Peu lui importaient les accord secrets qu’il ne cessait de conclure, même irréalistes ou mensongers, du moment qu’il soit élu.
En ces temps d’expansion de la République vers la Bordure Médiane, Jiger’Orsorul préconisait avant tout que la République se replie sur elle-même. Affirmant que les colonisations et autres ralliements à l’entité majeure de la galaxie se multipliaient trop rapidement, il voulait qu’une pause soit observée, le temps d’intégrer pleinement les nouveaux membres, en les dotant d’un socle commun de culture républicaine. Selon lui, l’unité de la République en dépendait : ses valeurs devaient être diffusées et assimilées au sein des mondes qui la composaient.

Lijeril dut vite se rendre à l’évidence : tout accord, tout lissage de positions entre les deux candidats serait impossible avant les élections, trop proches. Il ne lui restait plus qu’à suivre avec attention les événements. D’autant qu’en ces temps chaotiques, les propositions de Jiger’Orsorul de stabiliser la situation rencontraient bien des avis favorables.


***

Tel’Ay passa les quelques jours de voyage en hyperespace pour renforcer son contrôle de la Force et méditer. Le Gant de Vèntorqis l’aida à renforcer sa connexion et à se gorger de Force. Il se sentait comme une batterie qu’il faut recharger.
Sa blessure à la cuisse n’était plus qu’un mauvais souvenir, dont les stigmates s’effaçaient rapidement sous l’action du ballet enfiévré des midi-chloriens qui parcouraient le corps du Skelor.
Il était au sommet de sa forme. Prêt à affronter son destin, prêt à affronter le plus grand ennemi qu’il ait jamais eu.

Leur sortie d’hyperespace était prévue vingt minutes plus tard. Anaria était déjà tendue sur les commandes, prête à réagir au quart de tour au moindre signe de problème. À ses côtés, Tel’Ay était serein comme jamais. Tous deux savaient qu’ils auraient droit à un comité d’accueil hostile, et que rien ne risquait d’être simple.

Une alarme retentit, quatre minutes avant la fin du compte à rebours, et leur navette fut arrachée de l’hyperespace. Un croiseur de bataille, semblable à ceux qui avaient attaqué Velinia III, occupait une large partie du cockpit. Placé sur le vecteur hyperspatial qui menait à Skelor I, visible en contrebas, sa mission était visiblement d’intercepter toute tentative d’approche.
Mission pleinement réussie car avant qu’Anaria ait pu reprendre en mains les commandes de la navette, un rayon tracteur les prit dans son filet invisible. Lentement, leur vaisseau se dirigea vers le croiseur, dont une soute s’ouvrit pour les accueillir.

Anaria s’acharna sur les commandes, inversant la poussée et détournant la moindre parcelle d’énergie vers les moteurs. Elle poussa un hurlement de rage quand ses efforts s’avérèrent vains.
– D’après la base de données de la navette, nous disposons d’un canon-blaster et de deux torpilles à protons. Est-il possible de détruire le rayon tracteur ? demanda calmement Tel’Ay.
– Ne dis pas de bêtise ! Ils disposent de boucliers pour parer à tout tir énergétique !
– Et une torpille ?
– Même chose. Ils détecteront son arrivée et la détruiront. Dans le meilleur des cas, ses systèmes de guidage se désactiveraient en rencontrant leur bouclier, et elle errerait ensuite, inoffensive, jusqu’à ce qu’ils la récupèrent. Nous sommes piégés !
Les rouages de son cerveau fonctionnant à plein puissance, et fort des connaissances techniques qu’il s’était forcé à ingurgiter récemment, Tel’Ay reprit :
– Si nous lançons une torpille désactivée, aucune source énergétique ne serait détectée, n’est-ce pas ? Et la torpille n’apparaîtrait pas sur leurs senseurs car sa masse est trop petite, je me trompe ?
– Cela ne nous avancera à rien. Sans système de guidage, jamais la torpille n’atteindra sa cible.
– J’en ai un à toute épreuve, et cela s’appelle la Force. Je peux guider la torpille à distance. Est-il possible de la reconfigurer rapidement pour qu’elle soit inerte énergétiquement, mais qu’elle explose au moindre contact ?
– Oui, grogna Anaria. Avec des connaissances dont je ne dispose pas…je peux la désactiver d’ici, mais je suis incapable de la reprogrammer.
– On s’en contentera. Désactive nos deux torpilles et lance-les, je me charge du reste.
Bien que dubitative, elle obéit.

Dans l’état de concentration avancé dans lequel il baignait, Tel’Ay ne ressentait plus ses anciennes réticences envers tout ce qui touchait à la technologie. Au contraire, il eut l’impression de faire partie d’un vaste ensemble, d’être le vaisseau lui-même… en quelque sorte. C’est comme s’il pouvait s’infiltrer à travers chaque composant, comme s’il pouvait suivre chaque parcelle d’énergie qui parcourt les câbles.
Il était fasciné mais se reprit vite. Le temps n’était pas à la dispersion. Il s’empara mentalement des deux torpilles qui dérivaient mollement vers le croiseur, prises dans le rayon tracteur, et leur donna une impulsion mentale pour en augmenter la vitesse.
Ce faisant, son esprit ne fit plus qu’un avec les circuits des deux engins de mort. Des connaissances qu’il ne possédait pas commencèrent à affluer en lui. Il sut comment les torpilles auraient pu être reconfigurées pour exploser par contact. Le savoir ne lui servit à rien, car son instinct lui souffla qu’une telle opération devait se faire physiquement, avec des outils, et demandait beaucoup de temps.
Par contre, une chose lui sauta aux yeux : le point précis des torpilles qu’il devait stimuler mentalement pour que l’énergie y circule à nouveau. Il esquissa un sourire.
– Prépare-toi à virer de bord direction Skelor I, dit-il, yeux mi-clos.
Les torpilles franchirent le bouclier du croiseur, toujours sans être détectées. Tel’Ay dirigea l’un d’elles vers l’origine de l’invisible rayon tracteur que, à sa grande surprise, il parvenait à voir. Il envoya l’autre vers l’ouverture béante de la soute.

Il réactiva la torpille qui allait percuter le projecteur de rayon tracteur deux secondes avant le contact. Ce faisant, une alarme retentit dans son cerveau : l’autre torpille venait d’être identifiée par un détecteur de mouvements. Il la réactiva à son tour et la gifla mentalement pour qu’elle s’écrase le plus vite possible dans la soute. Les artilleurs du croiseur furent trop lents à verrouiller leur cible, et une double explosion retentit lorsque les deux torpilles touchèrent leur cible.

La pression qui retenait la navette disparut soudainement, et Anaria lança toute la puissance dans les moteurs. La navette bondit comme si elle avait tous les diables de l’univers aux trousses.
La Wookiee s’attendait à ce qu’une seconde à l’autre, un nouveau rayon tracteur les reprenne dans son giron. Un coup d’œil jeté à son compagnon lui apprit que celui-ci était toujours d’une sérénité à toute épreuve, comme si la dangerosité de la situation ne le concernait pas. Il n’y eut aucune réaction ennemie avant qu’ils réussissent à entrer dans l’atmosphère.
– Voilà les coordonnées de la capitale, Billolougue, fit Tel’Ay en les affichant sur les moniteurs de contrôle d’Anaria.
Celle-ci grogna, incertaine. Le Skelor semblait si déshumanisé qu’elle ne le reconnaissait plus.


***

Ovelar Nantelek poussa un soupir las dès que les ambassadeurs des mondes de Xenosh, Falarin et Gueldor eurent quitté la salle des négociations. Il enchaînait presque sans discontinuer réunion sur réunion, rencontrait tout représentant de monde susceptible de rejoindre son mouvement. Tout se passait bien, globalement. Sur ses vingt et un nouveaux alliés potentiels, la grande majorité avait vite été séduite par les perspectives offertes par le ralliement.
Nantelek possédait des dossiers extrêmement fouillés sur chacun de ses interlocuteurs, et en jouait parfaitement, en maître de la manipulation qu’il était. Comme beaucoup de personnages importants, ils n’avaient pour but dans la vie que d’accroître leur pouvoir, leurs possessions, leur prestige. À la tête d’une fortune impressionnante, Nantelek distribuait des pots-de-vin saupoudrés de promesses, et ces méthodes suffisaient le plus souvent.
Il y avait néanmoins quelques réticences. S’il avait eu plus de temps devant lui, le Zabrak aurait posé les germes de l’instabilité sur les mondes en question, et aurait fait en sorte, insidieusement, que leurs ambassadeurs n’aient pas d’autre choix que de le rejoindre. Chantage, menaces, fausses accusations de corruption, soutien d’un adversaire politique sur la scène locale, tout était bon pour servir ses buts.
Il faisait en outre jouer tous ses contacts d’importance afin qu’ils appuient au Sénat l’idée que la République devait cesser, au moins un temps, de grandir d’une manière anarchique. Plus de tels propos seraient diffusés, plus la position de Jiger’Orsorul serait renforcée, et celle de Valorum battrait de l’aile, parallèlement.

Le Seigneur Noir des Sith ne restait pas inactif non plus sur le plan militaire. Il dépensait million sur million pour recruter les groupes de mercenaires les plus connus de la galaxie. Les vestiges de sa propre flotte orbitaient autour de Skelor I, et la nouvelle flotte en cours de constitution se rassemblait autour d’une étoile binaire isolée. Quoi que l’avenir réservât, Omberius avait un nouvel atout dans sa manche.


***

L’élection d’un Chancelier était toujours un événement majeur au sein de la République. En période calme, c’était l’occasion pour les sénateurs d’étaler leur pouvoir et de se montrer. Ils devaient paraître sereins et puissants, face aux dizaines de caméras-droïdes qui ne cessaient de virevolter dans les couloirs somptueusement décorés, les journalistes leur couraient également après, avides de réaliser une interview marquante. Évidemment, ils se réunissaient aussi discrètement avec les conseillers d’autres sénateurs, pour des tractations de dernière minute et des ajustements de position.
Pour l’événement, les sénateurs se mettaient également au goût du jour en matières de luxe, de coiffures et de mode. Les créateurs se battaient presque pour que les sénateurs arborent les tenues qu’ils avaient mis des mois à concevoir. Leur fortune et leur prépondérance dans ces milieux à la sélection impitoyable en dépendaient. Celui ou celle qui se serait chargé de l’apparence du futur Chancelier serait assuré de se retrouver en haut de l’affiche pendant des mois.
En cette occasion essentielle de la vie politique, les sénateurs étaient plus que jamais convaincus d’être les hommes qui comptaient le plus dans la galaxie.

Qui plus est, ces élections-là revêtaient une importance toute particulière, du fait des dissensions et tensions qui secouaient la noble assemblée. D’autant qu’avec les prises de position maladroites de Marcus Valorum, la semaine précédente, l’écart entre lui et son adversaire le plus en vue, le sénateur bothan Jiger’Orsorul, avait fondu comme neige au soleil.
Si les deux candidats arboraient une confiance de bon aloi, ils étaient loin de la ressentir, pleinement conscients que les heures à venir seraient essentielles pour leurs avenirs respectifs.

Le Sénat comptait quatre cents trente-sept représentants. Quand l’assesseur, qui était sénateur le plus âgé de l’assemblée, prit place dans la plate-forme réservée au chancelier, il déclara la session ouverte, et un panneau holographique apparut, trois mètres au-dessus de sa tête.
Marcus Valorum, pour la première fois depuis quatre ans, avait repris sa place dans la plate-forme sénatoriale réservée au sénateur de Coruscant, en attendant le résultat des votes de ses pairs.

Chaque plate-forme était équipée d’un boîtier numéraire électronique. Quand les sénateurs rentraient le numéro attribué au candidat qu’ils soutenaient, le panneau d’affichage virtuel au centre du Sénat s’actualisait. Pour l’heure, il n’affichait que deux données : le nombre de sénateurs qui avaient voté, et le nombre de ceux dont on attendait la décision.
Un globe lumineux surplombait également chaque plate-forme et en éclairait les occupants. Dès que le vote était accompli, la lumière s’éteignait. Au fur et à mesure que la cérémonie d’investiture se déroulerait, les lumières se feraient de plus en plus marginales. Les derniers à choisir seraient au centre de l’attention. Traditionnellement, la grande majorité des votes se faisaient dès la première minute. Les sénateurs montraient ainsi que leur choix était fait depuis longtemps, qu’ils avaient opté pour un camp de manière pleine et entière.
Parmi ceux qui traînaient le plus, on trouvait souvent les sénateurs qui votaient à contrecœur car peu convaincus par les candidats en lice. Dans la mesure où voter était obligatoire, tergiverser était pour eux une façon de montrer la distance qu’ils prenaient avec les futures politiques qui seraient appliquées.
Les derniers à voter étaient les candidats eux-mêmes, rivalisant de dignité pour l’occasion.

Il ne se déroula que dix minutes entre le moment où l’assesseur déclara le scrutin ouvert, et celui où le dernier à voter, Jiger’Orsorul, valida son choix dix secondes après Marcus Valorum.

Dès que le nombre de sénateurs fut passé à zéro sur la panneau d’affichage virtuel, celui-ci se brouilla, en attendant la proclamation officielle des résultats. Le vainqueur devrait avoir un minimum de deux cents dix-neuf voix, car il devait être élu à la majorité absolue. Même s’il y avait sept listes en lice, seules celles de Valorum et de Jiger’Orsorul concentreraient l’écrasante majorité des votes, tout le monde en avait conscience.

Une sonnerie discrète se fit entendre du panneau d’affichage, signe que les résultats allaient apparaître d’un instant à l’autre. Valorum déglutit nerveusement avant de relever fièrement la tête, et Jiger’Orsorul se figea, raide comme un piquet.

Les lumières dansantes du panneau se transformèrent en lettres, et la République découvrit les résultats :

Jiger’Orsorul : 221 voix.
Marcus Valorum : 203 voix.
Edthcom Binges : 5 voix.
Saratama Canawasi : 4 voix.
Offucius Vermoont Plavae : 2 voix.
Sehou Rygogre :1 voix.
Mecaron Sonllia : 1 voix.

Valorum blêmit, sonné debout, tandis que Jiger’Orsorul, sous les cris enthousiastes ou de dépit, esquissa un sourire carnassier.


***

Tel’Ay et Anaria volèrent en rase-mottes droit sur Billolougue, sans déplorer aucun incident ni rencontre fâcheuse. Quand ils arrivèrent en vue des hautes crêtes qui ceignaient la capitale, ils se posèrent à l’abri d’un contrefort rocheux.
- Il y a quelque chose qui ne va pas, dirent-ils en même temps.
Ils se regardèrent et Tel’Ay fit signe à sa compagne de s’expliquer.
– Nos senseurs sont plutôt grossiers et obsolètes, mais ils devraient détecter une profusion de signes vitaux et de traces de technologie.
– La Force ne m’en indique pas non plus, ou si peu, acquiesça Tel’Ay. Nous ne sommes pas au bon endroit. Je doute fort que Dark Omberius soit là.
– Que faisons-nous, Tel’Ay ?
– On y va quand même. Je détecte des traces de vie, bien qu’éparses. Tâchons d’en apprendre plus.

Dès qu’ils mirent le pied dehors, la température, froide et gorgée d’humidité, les prit à la gorge. Anaria grogna, et Tel’Ay sourit. Les conditions étaient parfaites pour lui, qui détestait la chaleur. Même les odeurs de flore en putréfaction lui parurent presque familières. Anaria serrait contre elle l’arbalète-laser qu’elle s’était confectionnée pendant le voyage. Avant de réussir son hrrtayyk, elle s’était toujours senti indigne d’une telle arme, symbole de courage et de dignité pour les siens. Leurs pieds s’enfoncèrent jusqu’aux chevilles dans un épais tapis d’herbe gorgée d’eau, qui tapissait les lieux jusqu’au pied de la crête, qui semblait sortir du sol tel des crocs menaçants.
Tel’Ay grimpa aussi rapidement qu’une chèvre des montagnes conariennes. Arrivé au sommet, Anaria sur les talons, il jeta un coup d’œil discret vers ce qui avait été le lieu le plus important de la planète, avant que la famille fusse condamnée à l’exil par l’invasion zabrak.
Anaria grogna de dépit, car il n’y avait pas grand-chose à voir : une épaisse couche de brouillard recouvrait le fond de la vallée, dérivant paresseusement. Quelques arbres noirs, aux branches torturées, émergeaient de-ci de-là, ainsi que des vestiges de bâtiments imposants.
– Pas très engageant, comme endroit, fit la Wookiee. En plus, qui sait ce que cache cette brume ?
– Moi.
Il n’en dit pas plus et entreprit de descendre vers les ruines de la capitale. Tel’Ay portait le Gant de Vèntorqis, mais le sabrolaser de Dark Glaro était attaché à sa ceinture. Le moment n’était pas encore venu de s’en servir.
Il sentait le malaise sourd qui étreignait Anaria à ses côtés, comme si elle percevait la mort et la douleur qui recouvraient les lieux d’une chape de plomb encore plus épaisse que le brouillard. Pour sa part, il était à son aise. Au contraire, ces émotions négatives et ces relents de souffrance renforçaient ses liens avec le Côté Obscur de la Force.
Qui plus est, même s’il avait conscience de l’existence de la brume, il voyait à travers comme si elle n’était pas là. Elle était l’œuvre du Côté Obscur, aucun doute là-dessus. Tel’Ay identifia plusieurs formes de vie, qui se croyaient au-delà de ses perceptions mais ne s’en déplaçaient pas moins discrètement. Des hommes armés, qui les avaient sans nul doute repérés et convergeaient vers eux.
Il repéra également l’être qui était à l’origine de la brume. Il fut déçu de constater qu’il ne s’agissait pas de Dark Omberius, et surpris de sentir qu’il avait affaire à un Skelor, qui tentait de distordre son environnement. Un pouvoir intéressant, qui semblait être le fruit d’un esprit non moins distordu. Mais qui n’avait aucune prise sur Tel’Ay. Le Côté Obscur de la Force était son environnement naturel, son allié depuis toujours.

Tel’Ay fit signe à Anaria de s’abriter à ses côtés, derrière un muret. S’il pouvait voir les mercenaires grâce à la Force, il était sûr que eux s’appuyaient sur des scanners pour les repérer. Inutile de former une cible bien visible pour faciliter une attaque. La différence notable, et essentielle, était que Tel’Ay n’avait pas à se préoccuper de lignes de mire pour passer à l’assaut.
Il se plongea profondément dans la Force. Il entra en contact mental avec l’autre utilisateur de la Force et lui fit sentir toute la puissance de son esprit. L’autre, déjà déséquilibré par nature et prenant peur face à cette incursion inattendue, recula et relâcha son emprise sur la brume.
Tel’Ay étendit son champ de perception, cherchant à dénombrer ses adversaires. Il cessa quand il en eut compté trente, et décida de s’occuper d’abord de ceux-là. Il y avait sûrement d’autres, plus éloignés, mais le temps qu’ils se rapprochent, le Skelor se serait déjà débarrassé d’un certain nombre d’ennemis.

Il en vit trois, aussi précisément que s’il s’était tenu face à eux. Ils s’abritaient derrière un mur de pierre effrité, dont le pan le plus élevé les dominait d’une dizaine de mètres. Il se focalisa sur les failles qui couraient dans le mur et exerça une pression sur la plus grande d’entre elles. Le mur ne résista pas longtemps à sa poussée de Force et s’abattit sur les trois hommes, qui furent ensevelis avant d’avoir pu réagir. Tous les autres cessèrent leur progression en entendant l’éboulement, aux aguets.
Aussi impuissants que des enfants, sourit intérieurement Tel’Ay. Toujours par télékinésie, il s’empara d’une pierre de belle taille et la fit léviter paresseusement, jusqu’à la positionner au-dessus d’un Togorien armé. Tel’Ay relâcha son emprise brusquement et le mercenaire fut écrasé par le poids de la pierre.
Quelques tirs de blaster retentirent. Les soldats d’Omberius commençaient à céder à la nervosité.
Les choses étaient très faciles, surtout avec le soutien du Gant de Vèntorqis. Tel’Ay avisa deux mercenaires, distants d’une dizaine de mètres l’un de l’autre. Se nourrissant de leur peur, il créa l’illusion d’un spectre entre eux. Ils le virent en même temps et l’arrosèrent de tirs… s’abattant mutuellement.

Tel’Ay décida alors de changer de tactique. À ce rythme, il faudrait des heures pour venir à bout des mercenaires un à un, sans compter que des renforts pouvaient arriver entre-temps. L’heure n’était plus à la subtilité. Il recommanda à Anaria de se trouver une cachette dans les ruines, bien abritée, et de s’y tenir terrée jusqu’à ce qu’il vienne la chercher. Elle protesta pour la forme mais n’insista pas après avoir croisé son regard. La promesse de mort qui dansait dans les yeux du Skelor l’en dissuada.

Dès qu’il la sentit en sécurité, Tel’Ay fit voleter une brise et l’alimenta du pouvoir destructeur du Côté Obscur. Il se drapa d’un tourbillon de débris, graviers et poussière, et renforça sa création de vagues de Force, progressivement. Des pierres plus grosses qu’un crâne s’ajoutèrent au ballet et se mirent à tourbillonner autour de lui, de plus en plus vite, avant que d’autres encore plus imposantes ne se joignent à la sarabande infernale. Le Tanietien sortit alors de sa cachette et marcha droit vers ses ennemis.
Le sifflement rageur de la mini-tornade qu’il avait déclenché le rendait sourd, et le maëlstrom furieux l’empêchait de rien distinguer. Une toute petite part de son esprit restait focalisée sur la localisation des mercenaires, sur lesquels il marcha l’un après l’autre. La plus grande partie de son esprit s’acharnait à alimenter le cyclone de Force et à le stabiliser.
Il sut qu’il touchait aux limites de son pouvoir, et que cette technique héritée de la Sith était plus propre aux anciens Sith dominés et consumés par le Côté Obscur qu’aux Tanietiens comme lui. La sensation de pouvoir illimité était si grisante que Tel’Ay faillit s’y perdre. Il dut se faire violence pour garder son contrôle et ne pas laisser le phénomène échapper à son emprise.
Il avançait lentement dans les méandres des ruines de Billolougue, à la recherche de ses cibles. Dès qu’il en repérait une, il marchait droit dessus. Le mercenaire n’avait alors que deux choix : rester, tirer en vain et se faire happer par la tempête ; ou fuir, option qui n’était pas facilitée par l’environnement.
Tel’Ay finit par trouver le plus intéressant de ses ennemis à ses yeux, le Skelor utilisateur de la Force. Il canalisa alors sa puissance pour faire décroître le pouvoir destructeur de la tempête, lentement. Jouer avec de telles forces destructrices pouvaient avoir des conséquences mortelles, et ce n’était pas le genre de pouvoir qu’on coupait d’un coup, comme si on appuyait sur un interrupteur. Au contraire, relâcher son emprise brusquement équivalait à laisser la tempête de Force acquérir sa propre force… quitte à ce qu’elle se retourne contre son créateur. Car quand une tempête de Force échappait au contrôle de celui qui l’avait invoqué, nul ne pouvait la reprendre la main.
Quand Tel’Ay laissa mourir le tourbillon de poussière qui l’entourait, un début de migraine l’assaillit, et son corps était agité d’un léger tremblement. Ses épaules s’affaissèrent quand une grande fatigue s’abattit sur lui.
Ce n’était pas le moment de fléchir. Il releva la tête. Autour de lui, dans un rayon de plusieurs dizaines de mètres, les débris n’avaient jamais été aussi nombreux, et bien des corps les jonchaient, souvent gisants comme des marionnettes désarticulés, les os fracassés par les tourbillons de mort de la tempêtes.
En lisière de cette zone, un vieux Skelor, à la peau parcheminée et blanchâtre, vêtu de haillons, était encore agrippé à un muret et regardait Tel’Ay avec des yeux éperdus de terreur.
Tel’Ay lui sourit froidement et marcha résolument vers lui.


***

Ovelar Nantelek, au terme d’une journée qui avait été aussi éprouvante que celles de la semaine écoulée, n’aspirait qu’à aller se coucher pour bénéficier d’un sommeil salvateur. Mais il fit un détour par l’aile de son palais qui était interdite à tout autre que lui, celle où se trouvait son sanctuaire, ses nouveaux apprentis et l’holocron de sa lignée de Seigneur Sith.

Mettant à profit ses dons de dissimulation et d’illusionniste, il se faufila dans l’ombre de l’ombre pour observer discrètement Alector Hebras, l’humain manchot, et le Duro Verinis. L’humain s’entraînait au combat, et effectuait pirouette sur pirouette, un long bâton à la main. Le Duro serrait un rat dans sa main et semblait se délecter de sa peur. Parfait. Cela mit du baume au cœur de voir les deux jeunes gens si assidus.
Omberius fit disparaître l’holocron de Bane et l’attira jusqu’à lui. Il sortit ensuite de la pièce avec. Il devait parler seul à seul avec son maître.

– Seigneur Bane ?
– Oui, seigneur Omberius ? répondit l’apparition spectrale.
– Comment se déroule l’entraînement des apprentis ?
– Très bien. Ils sont doués autant qu’ambitieux. Ils iront loin, sauf si leur ambition les tue avant.
– Alors nous tâcherons de la brider, afin d’éviter tout problème ultérieur.
– Je crains qu’il ne soit trop tard, répondit laconiquement Bane en jetant un coup d’œil derrière Omberius.
Celui-ci comprit et se retourna aussitôt, sabrolaser allumé à la main.
Alector Hebras lui faisait face, avec un sourire de prédateur, et alluma à son tour le double sabrolaser qu’il tenait à la main.
– Verinis ! appela Omberius.
Le Duro mit plus d’une dizaine de secondes à surgir, la lèvre fendue et la main frottant sa nuque. Pendant ce temps, les deux adversaires se tournèrent autour, l’humain cherchant la faille dans la défense du maître zabrak.
– Je suis désolé, maître, bredouilla Verinis, il m’a eu par surprise.
– Je me moque de tes excuses, imbécile. Sache que je fais de toi mon seul et unique apprenti. Si tout se passe bien, tu me succéderas le moment venu. Mais il va te falloir apprendre à te tenir tout le temps sur tes gardes, car la moindre erreur peut te coûter la vie, tu as bien compris ?
– Oui, mon maître. Puis-je avoir l’honneur d’affronter Alector en votre nom ?
– Non. Cette petite souillure humaine va apprendre ce qu’il en coûte de s’attaquer à un véritable Seigneur Sith.
– J’ai beaucoup appris en quelques jours, vieillard, rétorqua Alector, et je vais te le prouver en te tuant !
Omberius éclata de rire, fit un pas en arrière et désactiva son sabrolaser, avant de le cacher dans sa manche.
– Pauvre imbécile, il faudra t’entraîner activement au moins vingt ans avant d’être de taille à m’affronter !
Alector bondit sur Omberius en guise de réponse, en faisant virevolter le double sabrolaser avec maestria. Omberius ne recula pas d’un pouce, mais esquiva à une vitesse stupéfiante, au fur et à mesure qu’Alector tentait de le toucher, qui d’estoc, qui de taille. En vain.

De la sueur recouvrit le front d’Alector, en même temps qu’une lueur de peur apparaissait dans ses yeux. Omberius s’en délecta et fit un nouveau pas en arrière, avant de se redresser et de croiser les bras sur sa poitrine. Alector n’hésita pas et se rua, effectuant un mouvement tournant avec le sabrolaser pour décapiter Omberius.
La lame s’arrêta brusquement à dix centimètres du cou d’Omberius, comme stoppée par un mur invisible. Alector se rendit compte avec effroi qu’il ne pouvait plus bouger.
– Vois-tu, Verinis, fit Omberius calmement, comme s’il n’avait jamais été en danger, il est toujours bon pour un Sith d’avoir de l’ambition. Sans elle, nous serions atrophiés. Mais elle ne doit se concentrer sur nos mesquines petites personnes. Elle doit être au service d’une cause qui nous dépasse, qui nous englobe, et que nous servons. Tu dois apprendre à mettre ton ambition au service de l’Ordre des Seigneurs Noirs de la Sith.
– Oui, maître, déglutit Verinis, les yeux fixés sur Alector, qui tentait toujours de bouger.
– Notre Ordre doit s’élever, il doit grandir. Nous devons lui apporter de la puissance, tout comme lui-même doit renforcer la nôtre. En toute honnêteté, tu ne seras pas de taille à m’affronter avant de longues années, retiens bien ceci. Mais sache que tout ce que tu vas apprendre à mes côtés, jour après jour, te servira et te rendra bien plus puissant que tout ce que tu as jamais imaginé.
– Oui, maître.
– Contemple ce que le pouvoir de la Force est capable d’accomplir ! ajouta-t-il en se tournant à nouveau vers Alector, toujours englué dans une toile d’araignée invisible.
Les doigts de l’humain cessèrent de se crisper sur le manche du sabrolaser, qui s’éteignit et vint et se loger dans la main tendue de Dark Omberius.
Alector vit sa propre main s’élever juste devant son visage, et son auriculaire partir en arrière, millimètre après millimètre. Il hurla quand son doigt craqua.
– Sais-tu qu’il y a environ deux cents quatorze os dans un corps humain, Veritis ? demanda Dark Omberius, espiègle.
– Je l’ignorais, maître, répondit le Duro, blême.
– Sans parler des autres points qui peuvent être stimulés, déformés, torturés et annihilés : yeux, langue, tympans, peau, dents, ongles, et j’en passe. Sois très attentif, Veritis. Ce soir, je vais te donner une leçon d’anatomie que tu n’es pas prêt d’oublier.


***

– Toi pas faire de mal à je, je a sauvé toi ! s’écria le vieux Skelor d’une voix tremblante.
– Bin voyons, marmonna Tel’Ay avant de le toiser, mains sur les hanches. Tu es quoi, au juste ?
– Je gardien de Billolougue.
– Et tu gardes quoi ? Deux trois ruines, tout en faisant joujou avec du brouillard ?
– Intrus parfois venir ici. Je tue eux, avec ses hommes.
Ses hommes ? Ceux de qui ?
– Un comme toi. Du Côté Obscur.
– Il a un nom ?
– Dark… Omberius, répondit l’autre d’une toute petite voix.
– Parfait ! Conduis-moi à lui !
– Que…non, je pas pouvoir. Très très loin, et lui ordonne à je rester ici.
– Ce temps-là est révolu, vieux débris. Je suis venu pour tuer Omberius.
Le vieux Skelor ricana et secoua la tête.
– Il très puissant.
– C’est ce qu’on verra. Allons-y ! Les mercenaires sont sûrement venus avec des véhicules, où sont-ils ?
– Non, je pas venir avec toi. Je peur de lui, lui tuer je.
– Tu viens aussi, où c’est moi qui te tue !
– Je sais ça. Je toujours su ça depuis des années, depuis je voir toi.
– De quoi parles-tu ?
– Je perdu Lumière, erré dans obscurité. Ennemis contre je, de tous côtés. Blasphèmes et folie chez je. Irrité Maal Gami je.
– Maal… tu connaissais Maal Gami ? demanda Tel’Ay, incrédule à l’idée que cette pitoyable créature ait en effet eu des contacts avec son défunt maître, et surtout soit encore vivante pour en parler.
Le vieux Skelor eut un sourire narquois :
– Acheté son pardon je. Apporté un nouvel adepte pour lui. Bébé puissant dans la Force. Mais quand je prends bébé dans bras, je sais que fois suivante je voir lui, je mort. Mais je trop peur Maal Gami. Donne à lui bébé. Ça sauvé je. Jusqu’à aujourd’hui…
Tel’Ay resta pétrifié par de telles nouvelles, au fur et à mesure qu’il les interpréta. Il n’avait jamais connu d’autre vie que celle qu’il avait vécu aux côtés de ses condisciples sur Meros V, et ne savait rien de ses origines. Pourtant, il avait eu une famille, comme tout le monde. Une mère l’avait porté, et il avait eu un père. Quoi de plus logique que ce soit un Jedi Skelor - le vieillard ne venait-il pas de dire qu’il avait perdu la Lumière ? – qui ait repéré le premier son potentiel ?
Tel’Ay était si abasourdi qu’il relâcha sa vigilance. Des dizaines de questions se bousculaient dans son esprit fiévreux, et il mit une seconde de trop à réagir quand le vieux Skelor sortit un sabrolaser de ses haillons tout en se jetant sur lui.
Un tir de blaster faucha l’ancien Jedi en plein saut, et la force de l’impact envoya son corps s’écraser contre un mur derrière.
Sabrolaser à la main, Tel’Ay se retourna vivement, prêt à tout, et découvrit Anaria, le canon de son arbalète-laser encore fumant. Une fois la tempête calmée, elle s’était mise à la recherche de Tel’Ay.
Reportant son attention sur le vieux Skelor, il s’avisa qu’il était en train de mourir, la cage thoracique carbonisée par le tir.
– Je savais… quand revoir toi, je mourir…
– Dans quelle direction se trouve Dark Omberius ? Tu peux me le dire, maintenant. Tu vas mourir, tu n’as plus rien à craindre de lui.
– Je peur obscurité. Je mérité elle.
– Écoute-moi attentivement : je veux tuer Dark Omberius. Pour cela, j’ai besoin de ton aide. Indique-moi la direction dans laquelle il se trouve. De cette manière, tu contribueras à combattre l’obscurité. Quoi qu’il t’arrive dans l’au-delà, cette rédemption, cette aide que tu m’auras apporté compteront et effaceront une partie de tes crimes.
Le Skelor ne répondit rien, mais finit par lever le bras, en pointant une direction du doigt.
– A la bonne heure, fit Tel’Ay, avant de tourner les talons. Allons-y, Anaria.
– Tu veux l’abandonner ? s’étonna-t-elle, désapprobatrice.
– Il ne m’est plus d’aucune utilité, rétorqua le Sith.