Chapitre XVII

Ovelar Nantelek était au milieu d’un brouillard épais. Partout où ses yeux se tournaient, le néant le narguait. La température glaciale qui régnait semblait décidée à mettre ses os à nu, aussi voulut-il resserrer les pans de sa cape. Il s’avisa alors qu’il n’était vêtu que d’une simple tunique sombre. Étrange… d’autant plus qu’il ne portait jamais autre chose que sa cape, symbole de son pouvoir.

Elle était lourde et chaude, et lui conférait surtout un aura de prestige, car elle représentait un travail artisanal unique dans tout l’univers : le tailleur qui l’avait conçue avait mis près de deux ans à la confectionner, à lui donner sa teinte unique, noire baignée de reflets bleus selon la luminosité, et agrémentée de frises cousues de fil d’or.
Elle conférait à l’unificateur des mondes zabraks une prestance inégalable. Comment était-il possible qu’il ne la portât pas en cet instant.
Fronçant les sourcils, il s’assura qu’il portait bien le deuxième élément qui ne le quittait jamais. Ses rares cheveux se dressèrent sur sa tête quand il vit qu’il n’en était rien. Son sabrolaser aussi avait disparu.

Les brumes denses se dissipèrent tout à coup, comme aspirées par un vent violent que Ovelar Nantelek ne sentit pourtant pas. Il se trouvait en plein milieu de la salle du trône de Skelor I, dans le palais qu’il occupait depuis maintenant trente ans.
Trente ans qu’il avait mis à profit pour ourdir ses vastes machinations, qui auraient dues le conduire à la conquête de la galaxie.
Il entendit des bruits de pas venant du couloir derrière la double porte massive qui lui faisait face. Ils résonnaient d’autant plus que le silence était par ailleurs sépulcral. Quand ils se turent, Nantelek comprit que l’être qui en était à l’origine faisait face aux portes de la salle du trône.
Celles-ci s’ouvrirent à la volée et claquèrent violemment contre les murs. Les bruits de pas reprirent. Les yeux mi-clos, Nantelek ne distingua d’abord pas l’être qui marchait ainsi sur lui. Une lumière aveuglante auréolait l’intrus. Quand sa vue s’adapta enfin à la débauche de lumière, il le reconnut.
C’était la deuxième fois qu’ils se croisaient. Comme la première fois, Ovelar Nantelek se rendit compte que rien n’était réel. Que tout se passait dans son esprit, et que son corps endormi reposait dans son lit. Un rêve…

Il ne fut pas surpris de reconnaître Tel’Ay Mi-Nag, le Skelor trapu, dernier représentant de la lignée de Sith avec laquelle Ovelar Nantelek était en guerre. Dans ce rêve, quelque chose de primordial échappait à Nantelek. Il eut du mal à mettre la main dessus. Il finit par comprendre, ce qui provoqua un malaise sourd en lui. Ovelar Nantelek n’était rien du tout, qu’une coquille vide, un artifice n’existant que pour cacher à l’univers la véritable nature du Zabrak : il était avant tout, et à jamais, Dark omberius, Seigneur Noir des Sith, héritier en ligne directe des enseignements de Dark Bane, mort quatre cents ans auparavant.
Pourquoi donc lui avait-il fallu tant de temps pour s’en souvenir ?

Imperturbable, Tel’Ay Mi-Nag continua à se rapprocher. Dix mètres…
Dark Omberius invoqua à lui les forces du Côté Obscur de la Force. Si ce maudit Skelor, qui avait tué ses deux élèves, voulait un affrontement apocalyptique, il allait l’avoir !
Mais la Force refusa de répondre à l’appel d’Omberius. Pire encore, il ne la sentit même pas.

Tel’Ay Mi-Nag décrocha le sabrolaser de sa ceinture et, empoignant le manche à deux mains, activa la lame. Elle jaillit avec son vrombissement caractéristique, bleue mais parcourue d’éclairs pourpres, comme si elle subissait un dysfonctionnement. Cinq mètres…

Le corps de Dark Omberius se couvrit de sueur, et il se mit à trembler. La Force se refusait toujours à lui. Il voulut tourner les talons pour fuir la promesse de mort qu’il lut dans les yeux noirs du Skelor, mais ses jambes refusèrent de lui obéir. Son cœur battant la chamade, il vit Tel’Ay Mi-Nag lever son sabrolaser au-dessus de sa tête. Dark Omberius ne parvint pas à quitter des yeux cette lame énergétique si étrange. Il sut qu’il n’y échapperait pas. Le sabre s’abattit sur sa tête.


***

Le hurlement de terreur que Dark Omberius poussa en se réveillant à ce moment-là retentit à travers le palais, et ses gardes du corps se précipitèrent dans ses quartiers, pensant à une attaque.
Sans se poser de questions, ils défoncèrent sa porte et se déployèrent dans la chambre, armes au poing. Ils furent frappés par la panique qui déformait les traits de leur chef, et s’assurèrent rapidement, avec professionnalisme, que nul autre que leur maître ne se trouvait sur place. Cette vérification effectuée, ils durent se rendre à l’évidence : Ovelar Nantelek avait été la proie d’un simple cauchemar.
Parmi les sept gardes du corps, deux osèrent laisser leurs yeux s’attarder sur Nantelek.
Le premier détourna le regard, comme gêné de constater la faiblesse de son chef. Le second ne put empêcher un début de grimace de mépris envahir ses traits.
Omberius capta des bribes de pensées, qui ne laissaient aucun doute sur le fait que son aura venait d’en prendre un sacré coup auprès de ses hommes.
Quelque chose sembla se rompre à l’intérieur de son crâne, comme si une digue avait brusquement cédé face à l’assaut d’eaux déchaînées. Il rugit, de plus en plus fort :
– Faible ? J’ai l’air faible ? MOI, FAIBLE ? ALLEZ TOUS REJOINDRE LE CHAOS !
Le Côté Obscur de la Force s’empara de son être et des éclairs de Force, plus puissants et plus mortels que tout ce qu’il avait expérimenté jusque-là, jaillirent de ses doigts tendus vers ses hommes. Vingt secondes plus tard, les gardes du corps n’étaient plus que corps calcinés, recroquevillés au sol. Leurs cris d’agonie ne lui avaient même pas donné de baume au cœur.
Haletant, il attendit que ses mains cessent de trembler et que son cœur se remette à battre à un rythme normal.

Il fallut dix minutes pour que d’autres serviteurs osent venir s’enquérir de la situation. Redevenu maître de lui, Omberius leur ordonna sèchement de se débarrasser des corps.

L’heure était bien plus grave qu’il ne l’avait soupçonné. Cet avertissement de la Force serait le dernier, il le sentit. Non seulement il n’avait pas réussi à faire rejoindre le Chaos à Tel’Ay Mi-Nag, mais celui-ci était plus que jamais son ennemi mortel. Dark Omberius se demanda s’il avait une chance de s’en sortir vivant. Était-il assez puissant pour donner tort à la Force elle-même ?
Pour la première fois de son existence, il en douta, et se mit à réfléchir aux conséquences que sa mort provoqueraient.

À son grand désarroi, il dut remettre son estime de soi en perspective. Il était au bord de l’échec sur le plan politique, ce qui ne lui faisait ni chaud ni froid. Conspirer était aussi naturel que respirer pour les Sith de sa lignée. Sa propre existence ne comptait pas, mais à une seule condition, et de taille : que son Ordre ne disparaisse pas avec lui.
Et c’était là que le bât blessait. Ses deux élèves ayant été tués par Tel’Ay Mi-Nag, s’il venait à mourir à son tour, il aurait totalement échoué, et la quête de pouvoir initiée par Dark Bane se conclurait par un échec cuisant dont Omberius porterait toute la responsabilité.
L’Ordre Sith était sa seule raison de vivre, il n’en était que le serviteur, dépositaire de ses secrets, et voilà qu’il l’avait amené lui-même au bord du gouffre. Cela ne devait pas arriver. À aucun prix. Il lui fallait un nouvel apprenti, urgemment. Et il lui fallait consigner toutes ses expériences dans son holocron, pour la postérité.
Il contacta ses alliés Ho’Din de la planète Moltok, afin qu’ils lui amènent sur-le-champ leurs prisonniers les plus sensibles à la Force. Même si le temps jouait contre Omberius, et qu’il n’aurait sûrement pas le répit nécessaire pour former correctement un apprenti, lui montrer la voie à suivre pouvait suffire. À long terme, l’holocron de Dark Bane pourrait se charger du reste, si Dark Omberius venait à disparaître entre-temps.


***

Après le chaos qui y avait régné ces dernières semaines, les choses étaient en train de sa calmer au Sénat. Grâce aux efforts continus de Marcus Valorum, ses conseillers et alliés politiques, ainsi que l’Ordre Jedi, la raison revenait peu à peu dans les rangs des sénateurs.
L’Hégémonie Zabrak, en proclamant son indépendance vis-à-vis de la République, avait ouvert une faille dangereuse pour l’union galactique, et des dizaines de mondes s’y étaient allègrement engouffrés pour rejoindre les sécessionnistes. Au pire de la crise, quarante-sept mondes avaient annoncé leur retrait de la noble institution.

Le chancelier Valorum n’avait eu de cesse de stigmatiser les sécessionnistes, et avait vainement tendu la main aux rebelles. Sa campagne électorale avait pris un nouveau tournant, se basant sur la solidarité entre les membres de la République, et l’aide nécessaire qu’il fallait apporter à ses ressortissants les plus défavorisés. Plus que ses bonnes intentions et que toutes les pressions politiques qu’il chercha à exercer, la bataille entre la flotte de Ver’Liu So-Ren et celle de l’Hégémonie Zabrak fut l’événement qui le servit le mieux. Beaucoup de sénateurs furent horrifiés par cette attaque perfide lancée sans avertissement, dans un seul but qui n’échappa à personne : tuer Ver’Liu So-Ren, sans conséquence aucune pour les dommages collatéraux. Valorum insista lourdement sur ce dernier point, qui s’était traduit par des centaines de morts dans les camps.

La hâte de nombreux mondes prêts à entrer en rébellion fut douchée par des méthodes aussi violentes, aussi immorales, et renforça au contraire le camp des mondes loyalistes. Les désaffections dans les rangs des sécessionnistes furent nombreuses, comme si l’ardeur et la fièvre étaient soudainement tombées, comme si les conséquences d’un potentiel conflit avaient été évaluées à leur juste valeur, conduisant à la volte-face des mécontents.
L’Hégémonie Zabrak campa sur ses positions, par la voix d’Ovelar Nantelek, mais elle perdit beaucoup de crédits et d’alliés. Pire, elle était désormais marginalisée.

Marcus Valorum s’affirmait à nouveau comme étant l’homme de la situation, chaque jour un peu plus, et une grande majorité de sénateurs resserra les rangs derrière lui, prête à lui apporter son soutien. Les élections promettaient d’être une formalité.

Comme il reprenait du poil de la bête politiquement parlant, Marcus Valorum voulut pousser son avantage plus loin, et décréta que tout monde ayant rallié l’Hégémonie Zabrak serait pardonné, sans sanction, s’il revenait dans le giron de la République. Il offrit à l’Hégémonie elle-même de joindre à nouveau l’alliance galactique, mais y posa une condition sine qua non : que Ovelar Nantelek, désigné comme étant responsable de tous les maux récents, soit livré aux forces républicaines.
Ce faisant, il comptait affaiblir l’Hégémonie de l’intérieur, en s’appuyant sur d’éventuelles dissensions. Il reprenait de plus en plus confiance en lui, et se sentait pousser des ailes, surtout après avoir frôlé la catastrophe d’aussi près. Dans les prochains jours, ses adversaires allaient comprendre le sens du mot implacable


***

Dark Omberius fut ravi d’apprendre que le vaisseau ho’din qui ramenait des êtres sensibles à la Force arriverait deux heures plus tard. Son bonheur ne connut plus de borne quand le spatioport de Terdra-City annonça que le vaisseau des mercenaires zabraks et trandoshéens venait de sortir d’hyperespace.
– Mobilisez une compagnie entière pour accueillir nos invités. J’arrive. Je superviserai moi-même leur exécution, fit-il avant de couper la communication et de se préparer à quitter le palais.
Son communicateur sonna à nouveau, et il fronça les sourcils en constatant que l’appel provenait encore de l’astroport.
– Quoi ?
– Monseigneur, il se passe quelque chose. Le vaisseau ne répond à aucun appel.
– Il se dirige vers Skelor I ?
– Oui, monseigneur.
– Envoyez une frégate à sa rencontre et tenez-moi informé des événements.
–À vos ordres, monseigneur.

En arrivant au contrôle de l’astroport, Omberius apprit que le vaisseau de ses mercenaires s’était mis automatiquement en orbite de la planète. La frégate qui l’escortait annonça qu’aucun signe de vie n’avait été détecté à bord. Omberius ordonna que le vaisseau soit remorqué jusqu’à l’astroport.

Un quart d’heure plus tard, la frégate atterrissait avec sa proie, emprisonnée par un rayon tracteur. Omberius, qui attendait sur le tarmac, un nœud au creux de l’estomac, activa fébrilement la commande d’ouverture et s’engouffra à bord.
L’odeur putride de la mort assaillit sur-le-champ ses narines, et il ne tarda pas à tomber sur des cadavres, le plus souvent démembrés par ce qui ressemblait fort à des coups de sabrolaser. Il explora tout le vaisseau, en comptant les morts au passage. Il en était à douze quand il entra dans le cockpit. Avec les trois derniers corps qu’il y découvrit, le compte était bon : les quinze mercenaires qu’il avait envoyé sur Kashyyyk s’emparer de Tel’Ay Mi-Nag et d’Anaria étaient morts. Sur la verrière, quelques mots écrits dans du sang :

J’arrive.
Tel’Ay Mi-Nag.

Dark Omberius se mit à trembler, et il continua même après avoir épuisé toute sa panoplie de techniques de relaxation.


***

Anaria était au bord de l’épuisement, et avec son genou vrillé d’une douleur sourde, elle n’était pas en mesure de se défendre contre leurs agresseurs. Elle n’était pas inquiète pour autant : avec Tel’Ay présent à ses côtés, elle ne donnait pas cher de la peau des hommes de main de l’Hégémonie Zabrak.

Sa surprise fut immense de voir son comparse lever les mains en signe de reddition. Elle grogna son dépit, mais Tel’Ay tourna la tête vers elle et lui fit un clin d’œil. Elle se le tint pour dit et se laisser menotter et emmener par les mercenaires. Elle voulut dire un mot à ses parents, mais rien ne lui vint.
Ses parents et le Wookiee brun ne bougèrent pas : tenus en joue par les assaillants, ils avaient vite compris que toute velléité de résistance se conclurait par leur mort.

Quant à Tel’Ay, après qu’il eut été privé de son sabrolaser, il fut attaché avec des menottes massives faite d’un métal noir brillant. Dès qu’elles eurent été mises à ses poignets, il sentit ses sens et ses pensées se brouiller, et la Force le fuir. Ses adversaires n’avaient rien laissé au hasard : il avait déjà entendu parler de ce type de menottes, conçu spécialement pour affaiblir les utilisateurs de la Force.
Le Trandoshéen qui s’était emparé de son sabrolaser jeta l’arme sur le sol de la plate-forme et la détruisit de plusieurs coups de blaster.
Tel’Ay ne put s’empêcher de sourire, quand une pensée cohérente parvint à filtrer le brouillage mental induit par les menottes : le sabrolaser de Séis ainsi détruit, c’était la dernière trace de l’existence de son ancien condisciple qui venait de disparaître.

Tel’Ay avait l’impression de voir à travers un prisme déformant, et il ne put prendre la mesure de son nouvel environnement. Les murs bougeaient, comme s’ils étaient vivants, se rapprochant et s’éloignant de lui, alternativement. Il avait parfois l’impression de tomber lentement, de dériver, et à l’inverse, il pensait voler dans les nuages, comme bercé par une douce brise. À mois qu’il ne dérivât dans une rivière à la température douce, si douce… Dans son esprit se succédèrent des vagues de chaud et de froid.

Anaria, elle, était dans son état normal. Elle gémit de consternation en voyant les yeux grands ouverts de Tel’Ay, qui ne regardaient rien. Le Skelor semblait tourné vers un monde intérieur, et totalement coupé du reste de la galaxie.
La soute où ils furent conduits était tapissé de cages collées les unes aux autres. Chacun eut droit à la sienne propre, le plus éloigné qu’il fut possible l’une de l’autre. Dans un excès de zèle, leurs menottes furent rattachées à un anneau, à environ un mètre cinquante du sol. Torture physique latente, qui les obligeait soit à rester debout, soit à se laisser pendre sans qu’ils puissent s’asseoir. Nul doute pour Anaria qu’au bout de quelques heures seulement, ils seraient ankylosés des bras comme des jambes. Simple et redoutable technique…

Anaria ne cessa de scander le nom de Tel’Ay comme une litanie, en espérant le faire revenir à la réalité de leur situation. Quand elle renonça, un quart d’heure plus tard, cela faisait déjà dix minutes qu’il était en train de fredonner un refrain quelconque, toujours le même. C’était la première fois qu’Anaria l’entendait chanter, et il chantait si mal qu’elle pria pour que ce soit aussi la dernière.

Tel’Ay nageait dans le bonheur. Comme la vie était belle ! Qu’il était bon de se trouver dans un tel cocon de tranquillité. Il était en paix avec lui-même, avec l’univers entier. Il sourit largement, juste pour le plaisir du geste, heureux d’être content, à moins que ce en fut l’inverse. Il n’en savait rien et s’en moquait éperdument. Rien ne comptait vraiment.

Il utilisa la Force, d’abord inconsciemment, puis s’amusa des sensations qu’il éprouvait en essayant de s’en servir : il sentait le flux d’énergie monter des menottes et lui enserrer l’esprit, l’empêchant d’utiliser ses pouvoirs. La Force en lui chercha à jaillir, vainement, et il insista dans ses efforts, tandis que tournoyait dans sa tête l’image d’un poisson pris dans un filet de pêcheur mais qui tentait tout de même de s’enfuir.
Il cessa de fredonner et voulut imiter le cri du poisson. Après un long moment de réflexion, il éclata de rire : les poissons ne pouvaient pas crier puisqu’ils vivaient sous l’eau. son hilarité se transforma en fou rire, qui dura suffisamment pour lui donner mal au ventre.
Se reprenant quelque peu, il se demanda quel bruit ferait un poisson s’il pouvait parler. Il se mit à jouer avec des blop, des blip, des blep, et les associa au hasard, s’émerveillant des consonances ainsi obtenues.
Blop, blop, blep, blip, blip – blap, blup, blep, blep – blip, blip, blep – blip, blip, blep… tiens, il aimait particulièrement cette suite-là. Il continua à la répéter dans une litanie sans fin, et finit par froncer les sourcils. Blip, blip, blep – quelque chose lui échappait – blip, blip, blep – mais quoi ? Ce nom, car c’en était un, se dit-il – blip, blip, blep – était connu de lui. Ce n’était d’ailleurs pas un concept abstrait ni un nom au hasard – blip, blip, blep –, mais quelqu’un qu’il avait connu. Très bien, même.
Blip, blip, blep… Ce nom véhiculait un aura d’infinie tristesse, mais son attention vagabonde focalisée dessus ne voulait pas le lâcher. Bild, dip, lep – il se rapprochait, il le sentait… BildilepBidibelDibidelDIBIDEL !
Tel’Ay crut que son crâne allait exploser, quand la vision de sa défunte famille s’imposa à son esprit : sa femme Dibidel, tenant leur fils Ro’Lay dans ses bras. Il se vit tendre les mains vers eux, et des éclairs de Force en jaillir pour les anéantir. Il éclata en sanglots. La scène défila à nouveau. Et encore. Et encore…

Tel’Ay se mit debout, le visage vide de toute expression. Des caresses insidieuses de pouvoir, émanant des menottes psychotropes, cherchèrent à envelopper son esprit pour le renvoyer dans des divagations sans queue ni tête. Il les repoussa d’un simple effort mental.
La honte l’envahit, toutes ses facultés retrouvées. Se faire piéger par un tel artefact, inventé par les anciens Sith, alors que lui-même en était un maître. Il éprouva un immense mépris pour lui-même, et de la haine pour ses ennemis.
Il la contint. Il n’était pas un ancien Sith, mais un Tanietien. Il transformerait sa haine en une armure inviolable, sous contrôle. Telle était la seule et unique clé de la victoire, sur lui-même et sur l’univers : la puissance sous contrôle.
Il grimaça un sourire sans chaleur. Ses geôliers allaient en faire l’expérience. Mais ils n’auraient pas l’occasion de divulguer la leçon qu’il allait leur donner. Pas dans cette vie, pas sous cette forme…

La force physique d’une Wookiee ne suffisait pas pour venir à bout de l’anneau qui retenait les menottes. Anaria en avait fait l’expérience depuis qu’elle avait été enchaînée là. Les poignets en sang, elle avait fini par renoncer. Vu son genou blessé, qui n’avait pas pu être soigné avant qu’ils soient embarqués à bord et qui depuis avait doublé de volume, elle ne pouvait pas non plus se servir de ses jambes comme levier.
Au moins, se dit-elle, Tel’Ay, après être passé du délire aux larmes, en passant par des fous rires, s’était-il enfin tu. Elle regarda dans la direction du Skelor quand un bruit métallique émana de sa cage.
Elle vit avec stupéfaction que l’anneau qui retenait les menottes de Tel’Ay au mur était en train de se recroqueviller sur lui-même, comme écrasé par une pression invisible. Libéré du mur mais toujours menotté, Tel’Ay marcha jusqu’aux barreaux de sa cage, leva les bras bien haut au-dessus de sa tête, et les abattit violemment sur l’un des barreaux. Ses entraves cédèrent.

Les barreaux métalliques avaient un diamètre d’environ cinq centimètres. Renforcés au possible, il fallait avoir la force d’un rancor pour espérer pouvoir les tordre. Tel’Ay n’avait pas besoin de la puissance d’un rancor. Il avait mieux que cela : la Force.

Les sens déployés et prêt à agir sur la Force, il entendait du bruit derrière la porte qui ouvrait sur la soute. Comme de juste, leurs geôliers disposaient de caméras internes de surveillance et avaient déjà remarqué qu’il s’était libéré.
Il ressentit la présence de quinze ennemis à bord, dont pas moins de huit derrière la porte, prêts à surgir brusquement. Leurs intentions étaient si transparentes. Il n’y avait qu’une trace raisonnable de peur dans leurs esprits disciplinés de mercenaires. Cela n’allait pas durer, décréta Tel’Ay.

La porte s’ouvrit et ils la franchirent au trot, armes braquées sur lui, décidés à se déployer en éventail. Le premier à entrer fut agrippé au col par une main télékinétique, qui le jeta dans les bras de Tel’Ay. Paniqué, il appuya deux fois sur la détente de son blaster, mais ses tirs se perdirent. Quand il s’écrasa sur les barreaux de la cage du Skelor, celui-ci s’empara prestement du blaster et tira à bout portant dans la tête de son ennemi, avant de l’agripper pour se faire un rempart de son corps.
Les autres tirèrent aussitôt, criblant de tirs le corps de leur défunt compagnon. Tel’Ay devait faire vite : vu comme ils s’acharnaient, son rempart humain allait rapidement de retrouver en morceaux. Il tira deux fois sur la serrure de sa cage, ce qui suffit à la mettre hors service.

Il lâcha ensuite quelques salves à l’aveugle. Ses adversaires s’égaillèrent dans un bel ensemble, cherchant des abris inexistants. Tel’Ay prit le temps de scruter rapidement de haut en bas le mort qu’il tenait toujours, et s’aperçut avec une immense plaisir qu’il portait possédait une dague, reposant dans un fourreau attaché en haut et en bas de la cuisse. Le Skelor laissa tomber le blaster et s’empara de la dague. Voilà qui lui suffirait amplement pour l’usage qu’il lui destinait.

Mobilisant ses pouvoirs, il fit passer une partie de sa force vitale dans la dague, qui brilla légèrement avant de reprendre son aspect normal. Parmi les techniques des anciens Sith, Tel’Ay avait toujours apprécié celui qui permettait d’énergiser les objets, pour en faire des armes dont les propriétés se rapprochaient de celles d’un sabrolaser.
Comme ce n’était pas avec vingt centimètres de lame qu’il pourrait se défendre efficacement contre les mercenaires, il se baissa pour découper le bas d’un des barreaux de sa cage.
Sa protection s’étiolait à vue d’œil, au fur et à mesure que ses ennemis s’acharnaient dessus. Un bras finit par tomber, et un tir parvint enfin à transpercer le ventre du mort. Tel’Ay se releva et coupa le barreau à mi-hauteur, de manière à disposer d’une lame d’un mètre pour se défendre.
Il termina en même temps qu’un tir lui transperça la cuisse. Ignorant la douleur, il s’empara de son bâton de métal et y transféra à nouveau de la Force. Il lâcha le corps mort et donna un grand coup de pied dans la porte de la cellule, sa lame énergisée bien en main.

Que pouvaient faire des mercenaires, même bien entraînés, face à un maître Sith ? La réponse était très simple, aux yeux de Tel’Ay : mourir. Il leur fit apprendre consciencieusement cette leçon, l’un après l’autre, en se jouant des tirs dont ils l’arrosèrent copieusement. En deux minutes, tout était fini dans la soute. Trois de plus, et les seuls occupants du vaisseau encore en vie étaient Tel’Ay et Anaria.

Tel’Ay libéra ensuite Anaria et soigna leurs blessures respectives à coups de patchs de bacta trouvés dans l’infirmerie miniature de bord.
Il coupa ensuite l’hyperpropulsion, avant de se lancer dans des calculs compliqués pour prendre un nouveau cap : Velinia III. Au moment de leur enlèvement sur Kashyyyk, il avait trouvé très bien que les mercenaires veuillent le mener à son ennemi. Mais après un minimum de réflexion, il ne faisait aucun doute qu’Omberius aurait préparé un comité d’accueil mortel. Tel’Ay ne pourrait pas débarquer sur Skelor I sans un maximum de discrétion. Toute autre approche reviendrait à se jeter dans la gueule du chien akk.

Une fois en orbite de Velinia III, ils furent récupérés par une navette affrétée par Seperno, après qu’ils se furent identifiés. Tel’Ay griffonna un message sur la baie du cockpit, à l’intention de Dark Omberius, exercice certes puéril, mais qui dans le meilleur cas pourrait mettre une pression supplémentaire sur les épaules du Seigneur Noir des Sith. Cette fois-ci, pour changer, c’était Tel’Ay qui annonçait à son ennemi son entrée en guerre.
Il réussit à programmer lui-même les coordonnées du vaisseau des mercenaires pour Skelor I, signe que ses progrès en astronavigation étaient décidément probants, mais il laissa le soin aux ingénieurs de Seperno d’installer une minuterie pour qu’il puisse quitter le bord avant l’entrée en hyperespace.