Chapitre XVIII

Quand la frégate affrétée par les Ho’Din de Moltok se posa sur Skelor I, Dark Omberius avait eu le temps de reprendre une attitude digne de son statut et de son rang. Le message que les Ho’Din lui avaient fait parvenir indiquait qu’ils amenaient quatre être sensibles à la Force avec eux, au potentiel variant, selon eux, de faible à intéressant.

Mais seul Dark Omberius pourrait se faire une idée définitive, car le potentiel ne pouvait pas être réellement mesuré, selon lui. Il pensait que, encouragé par les bons stimuli, tout potentiel pouvait être démultiplié. Et dans son cas de Seigneur Noir des Sith désireux de se trouver un apprenti, le potentiel n’était pas seul à entrer en ligne de compte : la mentalité, l’état d’esprit étaient encore plus essentiels.

Les Ho’Din saluèrent solennellement le maître de l’Hégémonie Zabrak, et ils firent s’aligner leur quatre prisonniers.
Dark Omberius les passa en revue, lentement, s’arrêtant devant chacun pour le sonder. Le premier était un Zabrak, comme lui. Il suintait l’arrogance et l’orgueil. Un bon point pour lui. Le second était un petit humain à la peau sombre, nanti de traits séduisants et d’une fine moustache. Son œil torve cachait des pensées alambiquées, son esprit était d’ores et déjà penché sur un sujet primordial à ses yeux : tuer tout le monde et s’en sortir vivant. Dark Omberius retint un sourire. Ce jeunot lui plaisait déjà. Le troisième était placide, semblant se demander ce qu’il faisait là. Duro longiligne, il jetait des yeux étonnés sur son nouvel environnement. Omberius sentit tout de même que, bien caché sous la surface, quelque chose de violent ne demandait qu’à sortir à la moindre occasion. L’agneau pouvait se transformer en rancor. Intéressant. Le quatrième était Ho’Din. Le capitaine de la frégate de Moltok lui apprit avec fierté qu’il s’agissait de son jeune cousin, et que même si son potentiel était moindre par rapport aux autres, sa loyauté envers Ovelar Nantelek n’était plus à démontrer. Il serait fier de servir son maître avec honneur.
Omberius avait un autre avis sur la question : potentiel trop faible, il le sentait, et envie de bien faire, d’être bien vu. Ce Ho’Din ne réfléchissait pas par lui-même, et avait été embarqué de force… sans protester. Personnalité trop peu affirmée par être d’une quelconque utilité au Seigneur des Sith. Un geste discret de sa part à ses gardes, et ceux-ci taillèrent en place, à coups de blaster précis, le Ho’Din, qui mourut avec une expression stupide d’incompréhension sur le visage.
Le chef des Ho’Din se crispa et blêmit, mais ne proféra pas un mot. Omberius ne fut pas long à les remercier et à leur souhaiter un bon retour sur Moltok, avant de tourner les talons. Ses hommes emmenèrent les prisonniers à sa suite.

Il les mena à sa résidence gouvernementale, qui lorgnait plus vers le château qu’autre chose, et enfila les couloirs sombres qui menaient aux sous-sols. Arrivé devant une porte à double battant gardé par des deux mercenaires trandoshéens à l’air patibulaire, il renvoya tous ses hommes et fit entrer les trois postulants à sa suite. La porte se referma derrière eux.

– Écoutez-moi attentivement, fit Dark Omberius. Vous possédez un potentiel de Force intéressant, aussi l’un d’entre vous, et un seul, va recevoir de ma part l’enseignement qui fera de lui un Seigneur Sith. Les deux autres peuvent avoir leur utilité, s’ils s’en montrent dignes, et seront donc des exécuteurs de ma volonté et de celle de mon apprenti.
Le petit humain ricana et rétorqua :
– Les Sith ont disparu il y a des centaines d’années, vous devriez arrêter les bâtons de la mort, grand-père !
Exactement trois secondes plus tard, l’humain était à genoux, les larmes aux yeux, la main droite sur son moignon de biceps gauche. Le reste de son bras gisait au sol, et Dark Omberius le toisait froidement, sabrolaser à lame écarlate à la main.
– Je n’aime pas être interrompu quand je parle, les enfants, mettez-vous bien ça dans le crâne. Je peux faire de vous des êtres très puissants, mais je peux aussi vous écraser tels des insectes insignifiants. Est-ce clair ?
Ils hochèrent la tête et déglutirent nerveusement en guise de réponse. Même l’humain tentait de juguler sa douleur atroce en gardant un semblant de dignité. Content de voir qu’il avait toute leur attention, et qu’une lueur de frayeur brillait désormais dans les yeux de l’effronté humain, Omberius reprit :
– Testons votre résistance et vos affinités avec la Force.

Des raclements sourds se firent entendre, comme si quelque chose de très lourd se déplaçait lentement, et les invités d’Omberius virent avec stupeur trois trônes massifs sortir de l’ombre de la vaste pièce, en lévitant.
Omberius se délecta de leur peur, qui atteignit son paroxysme quand les trônes eurent pris place à cinquante centimètres au-dessus de chacun des apprentis potentiels.
– Voyons lequel d’entre vous arrivera à retenir son trône le plus longtemps possible.
Il relâcha son emprise sur les centaines de kilos de pierre, et connut une certaine satisfaction en constatant que les trois parvenaient à retenir leur fardeau. Plus ou moins.

L’humain, amoindri physiquement par sa grave blessure, avait le plus de mal à résister : le trône descendait peu à peu vers lui, centimètre après centimètre. Son visage, couvert de sueur, grimaçait une souffrance contenue. Quand il sentit le trône effleurer le dessus de sa tête, il se mit à genoux et redoubla d’efforts. Omberius trouva cela intéressant : l’humain était déjà à sa limite, mais il parvenait à tenir grâce à la force de sa volonté. Une qualité qui pourrait servir à un Seigneur Sith. Il reporta son attention vers les deux autres.

Le Zabrak avait laissé tomber son masque d’orgueil et de suffisance. Omberius se retint de sourire : souvent ne se cachait que du vide derrière une telle façade, et son instinct lui souffla que le jeune impudent correspondait à cette définition. Il s’en désintéressa rapidement.

Le Duro, quant à lui, semblait prêt de mourir. Il était déjà à genoux, courbé en deux, et le poids du trône se faisait déjà sentir sur son dos. Dans une tentative pitoyable qui arracha une grimace de mépris à Dark Omberius, il essayait de repousser le trône avec ses mains. Cet imbécile n’avait manifestement rien compris, et le Seigneur des Sith sentit la Force s’effilocher autour de lui, remplacée par de la panique prête à jaillir.

Le Zabrak si fier fut le premier à lâcher prise. Le trône l’écrasa et ses os furent broyés en craquant horriblement. Le siège de pierre massif roula sur le côté en se brisant.

L’humain et le Duro fléchirent un peu plus, déconcentrés par la compréhension instantanée du sort de leur camarade et adversaire.
L’humain tenait, bon gré mal gré, mais le trône s’abaissait régulièrement. Il se coucha sur le dos et, les yeux plantés sur la menace mortelle qui planait au-dessus de lui, parvint à la repousser d’une cinquantaine de centimètres, avant qu’elle ne se remette à descendre, lentement, si lentement…
Omberius se tourna vers le Duro, au bord de la rupture. Ce n’était plus qu’une question de secondes. Quand un vent de panique s’empara du Duro, Omberius sut que celui-là aussi avait perdu et allait mourir. C’est alors que cette panique se transforma en Force pure et brute, qui vint percuter le trône de plein fouet. L’ouvrage de pierre jaillit littéralement, comme jeté par un arc géant, heurta le haut plafond, qu’il défonça au passage, avant de retomber en une pluie de débris.
Le Duro ne chercha pas à esquiver cette averse mortelle : ces dernières forces l’avaient quitté. Il réagit à peine quand les débris tombèrent autour de lui sans l’atteindre. Omberius avait aimé ce qu’il avait vu, cette explosion soudaine de puissance, aussi avait-il décidé de l’épargner.
L’humain résistait toujours, lui aussi, et Omberius eut la certitude qu’il pourrait encore tenir sa position pendant une demi-heure au moins.
Parfait. Chacun d’eux a un vrai potentiel, et s’appuyant sur des qualités différentes, qui plus est. Voilà qui devrait être utile.
D’une chiquenaude mentale, il écarta le trône au-dessus de l’humain et le posa délicatement au sol.
– Nous continuons, fit-il en tournant les talons. Suivez-moi.

La pièce dans laquelle ils entrèrent était circulaire, large d’une vingtaine de mètres. L’humain et le Duro écarquillèrent les yeux de surprise en voyant des vitrines tout le long des murs, et dont le contenu les mit sourdement mal à l’aise. Dans une atmosphère pesante, ils sentaient des relents de pouvoir antique. Des mannequins portaient des armures d’antan, chargées de pouvoir. Des holocrons, de taille et de grosseur variées, inspirait le respect, et la crainte que leur savoir maléfique ne s’en échappe. Diverses armes blanches, dont certaines rouillées et ébréchées, étaient toujours habitées par… par quoi, au juste ? Ni l’humain ni le Duro n’auraient pu le dire, mais ils préférèrent rester à bonne distance. Des grimoires, suspendus dans des champs de stase afin de les préserver, semblaient prêts à tomber en poussière. Et sur un pan de mur, ils virent une série de sabrolasers. Des dizaines et des dizaines de sabrolasers !
La lueur de convoitise dans leurs yeux n’échappa pas à Dark Omberius, qui leur dit :
– Si vous portez la main sur un seul des objets de cette pièce sans en avoir la permission, je vous réduis aussitôt en poussières, est-ce bien clair ?
Ils acquiescèrent précipitamment, et il leur sourit froidement. Par télékinésie, il ouvrit l’une des vitrines. Un holocron en sortit et vint se loger dans sa main tendue. il l’activa d’une pichenette mentale et l’image tridimensionnelle d’un humain, à la musculature impressionnante et au crâne rasé, apparaît, l’air sombre.
– Salut à toi, Seigneur Bane.
– Seigneur Omberius… Comment avancent tes machinations pour renverser la République ?
– Elles prennent une tournure imprévue, mais tout est loin d’être joué. J’aimerais que tu commences à former ces deux-là pendant que je lance ma contre-attaque.
– Les former ? Tu as déjà deux apprentis, ce me semble, contrairement à ce que tous mes enseignements préconisent.
– Ils sont tous deux morts. Un ennemi redoutable se dresse sur ma route, et je dois concentrer tous mes efforts sur lui. Si tu ne veux pas voir la fin de l’Ordre que tu as créé, il faut que tu les formes.
Bane le contempla longuement, l’air peu amène, tandis que l’humain et le Duro se tenaient respectueusement coi. Il se tourna enfin vers les deux autres et dit :
– Quels sont vos noms, fils de vermine ?
– Alector Hebras, fit l’humain.
– Verinis, dit le Duro.
– Le moment venu, vous porterez d’autres noms, si vous vous en montrez dignes.

Omberius fit léviter un tabouret jusqu’à lui, et y posa l’holocron. Il quitta ensuite la pièce, satisfait : Bane avait toujours été un excellent pédagogue, et il ne rechignait jamais à donner son avis, s’assurant toujours que ses successeurs suivent la voie qu’il avait institué pour leur Ordre.
Lui et Omberius n’avaient eu qu’un seul désaccord au cours de leur longue collaboration : le fait que le Seigneur des Sith actuel ait voulu former Séis, l’ancien Tanietien, alors qu’il possédait déjà un apprenti en la personne de Dark Glaro. Si Bane avait participé activement à la formation de Glaro, il avait refusé catégoriquement d’être mis en présence de Séis. Former un deuxième apprenti lui semblait dangereux, et il n’avait pas manqué de le souligner.
Omberius avait eu beau lui souligner qu’il ferait en sorte que chacun des deux ignore l’existence de l’autre, Bane n’avait pas été convaincu et n’avait pas fait machine arrière.
Aujourd’hui, face à l’urgence de la situation, Bane semblait moins tenir à ses principes. Mais Omberius le connaissait assez par être presque certain que la prochaine fois qu’il viendrait s’enquérir des progrès de ses apprentis, l’un d’eux serait mort.
Qu’importait. L’essentiel était d’avoir un héritier digne de ce nom, qui saurait se débrouiller même en cas de décès prématuré d’Omberius.


***

De retour sur Velinia, Tel’Ay était d’une humeur massacrante. Fini de rire, désormais. Il allait mettre la main sur un vaisseau de transport, voire un chasseur, et mettrait le cap sur Skelor I, seul.
Concernant Anaria, il avait fait sa part : elle était désormais une Wookiee à part entière, et il refusait de l’exposer aux dangers de la mission qu’il s’était fixé, quand bien même la sensation qu’elle faisait partie de son avenir l’habitait toujours. Il allait affronter son ennemi mortel, Dark Omberius, et venger la Confrérie Sith de Maal Taniet.
Dans ses quartiers, il s’empara de l’écrin contenant le Gant de Vèntorqis, et du sabrolaser de Dark Glaro. Il n’était pas là depuis cinq minutes que la sonnerie à l’entrée de ses appartements retentit.
– Entrez, grogna-t-il.
Marton Karr franchit le seuil, tout sourire.
– Maître ! J’ai appris votre retour, et que tout s’est bien passé !
– Qu’en a-t-il été de ton côté ? On m’a dit que Ver’Liu avait quitté la colonie ?
– Oui, maître. Il a décidé d’aller plaider en personne sa cause au Sénat Galactique.
– Ridicule, bougonna Tel’Ay. Mais bon, si ça l’amuse…
– Qu’allons-nous faire, maître ?
– Écoute-moi attentivement. Nos routes vont diverger ici, momentanément seulement, je l’espère. Je pars pour Skelor I, où je compte détruire mon ennemi, celui qui a fait assassiner tous les membres de mon… de notre Ordre, la Confrérie Sith de Maal Taniet.
– La place d’un apprenti est aux côtés de son maître ! Je veux vous accompagner !
– C’est hors de question, Marton. Avant de te rencontrer, j’étais le dernier des Tanietiens. Aujourd’hui, notre nombre a doublé, mais si nous y allons tous les deux et que nous mourons là-bas, la Confrérie de mon maître disparaîtra à jamais. Et cela, je ne peux pas l’accepter. si je meurs, tu seras le dernier à pouvoir perpétuer les enseignements de Maal Taniet.
– Mais comment ferai-je, maître ? Nous avons passé très peu de temps ensemble, et vous ne m’avez pas appris grand-chose… sauf votre respect. Tel’Ay sourit de cette rebuffade, avant de reprendre, très sérieux :
– Notre Confrérie vivait sur Meros V. Je veux que tu prennes un vaisseau et que tu te rendes là-bas, en toute discrétion. Personne ne doit te suivre, tu m’entends, personne ! Une fois sur place, mon défunt maître prendra ton apprentissage en mains.
Défunt ? Mais alors comment peut-il…
– Tu sais si peu de choses sur la Force, mon garçon. Si elle est avec nous, je t’enseignerai tout ce qu’il y a à savoir dessus… à toi et à mes autres futurs apprentis.
– Et nous deviendrons une force qui compte, répondit Marton avec un sourire jubilatoire.
– Non, rétorqua sèchement Tel’Ay. La Confrérie de Maal Taniet n’a pour but que de pérenniser une partie de l’enseignement des anciens Sith. Nos traditions sont aussi nobles que celles des Jedi, même si ils nous considèrent comme des ennemis mortels, et que nos pratiques sont interdites sur le territoire de la République.
– C’est injuste !
– Peut-être, mais c’est ainsi. Depuis six cents ans que notre Confrérie existe, elle se perpétue… rien de plus.

Un silence pesant s’installa entre eux, et Tel’Ay réfléchit à ses propres paroles. Ce qu’il venait de dire était-il vrai ? Il eut soudainement du mal à croire que la Confrérie de Maal Taniet n’ait pas d’autre but que de survivre. Il avait accompli bien des missions, aux côtés de Kuun Hadgard ou seul : assassinats, chantages, rencontres, livraisons. Il se rendit soudainement compte que si, la Confrérie poursuivait un but. Il eut honte de voir qu’il ne le connaissait pas, et que Maal Gami n’avait pas daigné lui en faire part. Méritait-il donc si peu de confiance ?
La réponse était indubitablement oui, lui qui avait abandonné la Confrérie pour aller vivre sa vie loin de la Force, dans les bras de Dibidel. Les questions se bousculèrent dans sa tête : qu’était donc la véritable raison d’être de son Ordre ? Pourquoi ne s’était-il pas posé la question avant ? Connaître la vérité n’allait-il pas remettre en cause tout ce qu’il savait, tout ce qu’il était ?
Il chassa toutes ces interrogations de son esprit et se concentra sur Marton, qui attendait la suite.
– Et bien, qu’est-ce que tu attends ? Ma bénédiction et un bisou d’adieu ?
– Euh, non, maître, répondit Marton, aussi penaud que déçu.
– Que la Force soit ta servante, Marton. Mon cœur me souffle que nous nous reverrons bientôt.
Galvanisé par cette parole, un sourire vint illuminer les traits de Marton, qui dit :
– Que la Force soit avec vous, maître ! À jamais !

Tel’Ay ne s’attarda pas dans ses quartiers. Avant de quitter à nouveau la colonie, il fit un crochet jusqu’à l’hôpital local. Là, il trouva le médecin qui s’occupait de Sionarel, la jeune amie de Ver’Liu, et il s’enquit de sa santé.
– Il n’y a aucun changement, messire. Elle est toujours plongée dans un coma qui défie toute logique. J’ai essayé quelques traitements sans danger mais je n’ose aller plus loin.
– Je crois que vous faites bien. Si elle mourait à cause d’une erreur de votre part, Ver’Liu serait pour le moins mécontent.
Il prit congé, vaguement inquiet pour la jeune fille. Elle était dans le coma depuis plusieurs semaines et, nourrie par intraveineuse, elle n’avait plus que la peau sur les os. Il espéra que quand elle se réveillerait, ou plutôt si elle se réveillait, elle n’aurait pas trop de difficultés à recouvrer l’intégralité de ses capacités physiques.

Il marcha ensuite droit sur l’astroport, et prit contact avec son directeur sur le chemin, grâce à son comlink.
– Ici Tel’Ay Mi-Nag. J’ai besoin d’un transport de petite taille pour une mission discrète et urgente.
– Aucun problème, messire. Je m’en occupe immédiatement.
Et l’autre coupa la communication.
Aucune question ? Pas le moindre signe d’étonnement ? Voilà qui était étrange, pour ne pas dire suspect. Tel’Ay entra dans l’astroport avec circonspection, sur ses gardes. Le directeur, un Rodien, vint l’accueillir, seul.
– J’ai justement ce qu’il vous faut, messire. Suivez-moi, fit-il avec une courbette.
Les pensées du directeur étaient claires comme de l’eau de roche : il avait l’impression de jouer un bon tour à Tel’Ay, et était fier de lui. Mais le tout sans la moindre once de méchanceté. Tel’Ay allait être content du directeur, voilà ce qui transparaissait de son esprit.
Tel’Ay craignait le pire. Le directeur le mena jusqu’à une petite navette triangulaire, dont la taille était à peine le double de celle d’un chasseur.
– Et voilà, fit le directeur, rayonnant et une lueur espiègle dans les yeux, quand ils furent arrivés devant l’écoutille.
Tel’Ay y passa la tête, sourcils froncés, et une odeur qui lui était familière vint lui chatouiller les narines.
– Merci, directeur, grogna-t-il. Excusez-moi, mais je suis assez pressé.
– Oui, bien sûr, je comprends, messire. Bon voyage ! répondit-il avec une nouvelle courbette, avant de lui faire au revoir de la main.
– Je fais comment pour me débarrasser de toi ? demanda le Skelor en pénétrant dans le cockpit étroit. Il faut que je fende ton crâne épais et obtus de Wookiee ?
– Je crois que tu n’as pas d’autre solution, dit Anaria joyeusement.
Tel’Ay s’assit au poste de copilote. Il s’aperçut qu’il était content qu’elle fût là. Mais refusa d’abandonner son masque revêche avant un bon moment.


***

Quand Ver’Liu So-Ren entra dans la vaste coupole qui abritait les débats du Snat Galactique, il focalisa toute l’attention sur lui. Les sénateurs le dévorèrent des yeux : ils avaient enfin sous les yeux l’homme qui était à l’origine de la crise grave que la République traversait. Plus d’un le regarda d’un œil amène.
L’être reptilien et trapu fit son entrée à bord de la capsule du chancelier Valorum. Ses yeux intégralement noirs étaient plissés sous sa crête sourcillière. Sur son front, les taches de naissance noires, caractéristiques de son héritage royal, tranchaient sur la couleur laiteuse de son épiderme.
Il semblait serein, bien qu’il bouillonnât intérieurement. Prendre la décision de venir jusqu’ici n’avait pas été facile, loin de là. Quand il était déprimé, il se sentait dans la peau d’un mendiant. Quand son moral remontait, il se prenait pour l’incarnation de son peuple, qui demandait réparation pour les torts qu’il avait subi.
Il allait devoir jouer serré.

Il avait décidé de venir pour tenter un quitte ou double, et savait qu’il sortirait de cet endroit brisé à jamais, sans avenir… ou avec toute la République derrière lui.
L’enjeu l’avait emporté sur ses réticences : il avait une chance inespéré de faire avancer sa cause plus vite que jamais auparavant, et ne comptait pas la laisser passer. S’il échouait, il entrerait en clandestinité et fomenterait son propre coup d’État…

Marcus Valorum, en passe de remporter haut la main les prochaines élections à la Chancellerie de la République, prit la parole :
– Mes chers amis, je suis fier de vous présenter Ver’Liu So-Ren, héritier du trône de Skelor. Bien que son monde ne fasse pas partie de la République, lui-même a un aura important pour son peuple, et je propose que nous écoutions ce qu’il a à nous dire.
Personne ne s’y opposa, et Ver’Liu, légèrement nerveux, s’avança à son tour dans un silence sépulcral. Valorum lui serra théâtralement la main, ce qui ne fut pas pour le rassurer. Il avait l’impression de se prêter à une mauvaise comédie. C’est pourtant d’une voix ferme qu’il prononça son discours, mûrement répété.
– Sénateurs de la République, j’aimerais avant toute chose remercier le Chancelier Marcus Valorum de me donner l’occasion de m’exprimer à cette tribune. Et bien sûr, de soutenir la cause que je représente. J’aimerais aussi remercier à titre posthume votre défunt collègue, le sénateur de Duro, Aar Gamonn – que le Grand Sweer préserve son âme –, qui fut le premier à prendre officiellement fait et cause pour les miens au sein du Sénat. Aujourd’hui, vous n’ignorez rien de la situation désespérée des Skelors, aussi ne reviendrais-je pas dessus.
– Que nous importe le sort des Skelors, vu qu’ils ne font pas partie de la République, s’interposa le sénateur Bothan, Jiger’Orsorul. Les efforts de cette noble institution devraient être intégralement tournés vers les peuples qui composent la République Galactique.
– Veuillez pardonner mon insolence à venir, auguste sénateur, répondit Ver’Liu sans se démonter, mais les Skelors qui ont quitté Skelor I pour l’exil, il y a trente ans, ont été accueillis partout dans des mondes républicains. Et ce pour une seule raison : ils formaient une main-d’œuvre assez désespérée et assez pauvre pour accepter n’importe quel poste à des conditions indignes. Légalement, les Skelors ne font peut-être pas partie de la République, mais dans les faits, tous se sont intégrés sur des mondes qui en font partie, que vous le vouliez ou non. C’est un fait. Mais pour autant, personne ne s’est jamais donné la peine de définir le statut des ressortissants Skelors au sein de la République.
– Ce ne sont rien de plus que des travailleurs en situation irrégulière, dans ce cas, rétorqua le Bothan, agressif. Je propose de mettre au vote une loi qui exclue les Skelors de toute activité économique sur les mondes républicains.
Un brouhaha s’éleva parmi les sénateurs, plutôt contre la proposition de Jiger’Orsorul, nota Ver’Liu avec intérêt et espoir.
– Il existe une autre alternative, et vous le savez aussi bien que moi. Il s’agit, à l’inverse, de reconnaître aux Skelors le statut de peuple faisant partie de la République, et c’est ce que je suis venu vous demander aujourd’hui, humblement, en n’ayant rien d’autre à l’esprit que la prospérité et la reconnaissance de mon peuple. La planète d’origine de mon peuple ne fait pas partie de la République, aussi cette dernière n’a-t-elle légalement aucun droit d’y intervenir, ce que je respecte, mais je pense que les Skelors qui vivent dans la République devraient pouvoir y être reconnus officiellement.
– Je vous vois venir de loin, sous vos apparences mielleuses, reprit le Bothan. Un tel acte ne serait qu’un premier pas : tout ce que voulez, en fait, c’est que la République vous soutienne pour que vous puissiez remonter sur votre trône ! Sachez ceci, jeune impudent : la République n’a pas vocation à prendre parti dans des querelles au-delà de ses frontières. Une attitude autre serait totalement irresponsable, voire dictatoriale ! Il est hors de question que nous soutenions un anarchiste qui veut renverser un pouvoir légitime !
Ver’Liu, qui s’apprêtait à répondre vertement, se retint. Et nota tristement que son argument le plus percutant, consistant à s’engager à faire rentrer Skelor I dans la République si celle-ci l’aidait à remonter sur le trône, était désormais mort-né.
Marcus Valorum, sentant que ver’Liu avait perdu la main, intervint à ce moment-là :
– Merci d’avoir contribué à clarifier les choses en exposant votre point de vue, sénateur Jiger’Orsorul. En ces temps chaotiques, il est essentiel que chacun d’entre nous connaisse les tenants et aboutissements des problèmes compliqués qui sont portés à notre connaissance, et à ce titre, vous êtes d’une exemplarité sans faille, mon cher. J’aimerais vous faire remarquer à tous, néanmoins, à quel point le raisonnement de Ver’Liu So-Ren est d’une logique sans faille. Les ressortissants de son peuple vivant dans la République et contribuant à son développement, il est tout à fait anormal qu’ils n’y disposent pas des mêmes droits que les citoyens officiels. Si je suis réélu au poste de Chancelier, je m’engage solennellement à doter les Skelors du statut de citoyens républicains.
Les chuchotements reprirent dans les rangs et quelques applaudissements dispersés se firent entendre.
– Il est bien évident, continua Valorum, que si une telle motion est votée, se posera alors la question d’un endroit où les Skelors pourraient vivre ensemble, car chaque peuple a pour droit fondamental de pouvoir se réunir en tant que tel. Et dans ce cas précis, la solution la plus logique est toute trouvée : la planète d’origine des Skelors, Skelor I, reviendra dans le giron de la République, une fois que le statut de républicains aura été adopté pour son peuple.
Ces paroles provoquèrent une explosion de colère au sein du Sénat. Marcus Valorum venait rien moins que décréter que Skelor I serait républicaine, de gré ou de force.
– Dictature, dictature ! s’écrièrent plusieurs sénateurs, Jiger’Orsorul en tête.
La séance dut être ajournée.

Le Nikto Maddeus Oran Lijeril, Grand Maître de l’Ordre Jedi, poussa un soupir en éteignant l’écran qui retransmettait en direct la séance de débats du sénat Galactique. Marcus avait encore voulu trop bien faire, et avait dépassé les bornes. Il avait beau être animé des meilleures intentions de l’univers, et être un de ses amis proches, il ne le suivrait pas sur ce terrain. Les Jedi étaient les garants de l’unité de la République, et ils ne se rangeraient pas du côté d’un candidat à la Chancellerie qui prônait le rattachement – par la force s’il le fallait, car que Valorum ne l’eut pas dit, il l’avait clairement sous-entendu – d’un monde neutre qui ne demandait qu’à vivre de son côté, en voisin.
Les prochaines journées allaient être longues pour les diplomates Jedi…