T’Savhek jaugea l’équipe d’intervention : Lupescu était concentré, le Tellarite Gork Nimar avait sa tête des mauvais jours, et Kimiko Heitashi avait abandonné son air espiègle. La Vulcaine fit signe à ses hommes de se tenir prêts et activa l’ouverture du sas, après s’être assurée que chacun avait le doigt sur la gâchette de son fuseur.
La coursive qui leur faisait face étant déserte, ils commencèrent leur progression, prudemment. T’Savhek sortit son tricordeur pour scanner les lieux et, ayant repéré la direction de la passerelle de la frégate, fit signe à son équipe de la suivre. Des interférences mettaient à mal les capacités du tricordeur, et si T’Savhek repéra une vingtaine de bio-signes, elle fut incapable de les localiser précisément.
Elle reprit sa marche, l’équipe de sécurité sur les talons. Ils arrivèrent sans encombre jusqu’à l’ascenseur qui menait à la passerelle. La Vulcaine hésita une seconde ou deux avant de s’y engouffrer avec ses hommes.
– Passerelle, annonça-t-elle calmement.

L’ascenseur venait à peine de se mettre en branle qu’elle vit les bio-signes sur son tricordeur s’agiter. Elle sortit son communicateur.
– T’Savhek à Harlington.
– J’écoute, lieutenant ?
– Nous sommes dans l’ascenseur qui mène à la passerelle, mais selon toute vraisemblance, nous allons tomber dans un guet-apens.
Entendre T’Savhek prononcer ces mots sur un ton qu’un humain aurait qualifié de badin sembla quelque peu surréaliste à Harlington, qui n’en sentit pas moins ses cheveux se dresser sur sa tête.
– T’Savhek, je…, commença-t-il, avant de se rendre compte qu’il n’y avait rien à dire. Dans l’ascenseur, l’équipe de son officier en second était coincée et il n’y pouvait rien, aussi frustrant cela soit-il.
– Bonne chance, ajouta-t-il simplement, alors qu’il avait envie de hurler. Garcia, la téléportation est-elle toujours impossible ?
– Oui, monsieur. Les débris se dissipent peu à peu, mais pas assez vite pour l’instant.
– Estimation du temps qu’il faudra pour qu’elle soit à nouveau effective ?
– Je ne saurais le dire, monsieur, avoua-t-il piteusement.
– Bon. Je vais constituer une deuxième équipe d’intervention, au cas où les nôtres auraient besoin de renforts. Inriek, remplacez l’enseigne Garcia et continuez à surveiller ce paramètre. Garcia, je vous confie la passerelle. Si le bâtiment est en danger, vous mettez le cap sur la base stellaire la plus proche, est-ce bien clair ?
– À vos ordres, commandant.
– Bon courage, Garcia.
– Merci, commandant. Et bonne chance à vous.

  • *

Suivant les ordres de T’Savhek, les phaseurs de l’équipe d’intervention du Baltimore avaient été réglés sur le mode « paralysie ». Quand l’ascenseur arriva à destination, l’ouverture coulissa. Bien que le tricordeur de T’Savhek eût indiqué la présence de six personnes sur la passerelle, celle-ci sembla vide au premier abord, à l’exception de l’aide de camp de l’amiral Sanders, Sasha Viligo, et de Valment, qui la tenait par le bras et se faisait un rempart de son corps, phaseur pointé sur sa tête. Dès qu’elle fut entrée, l’équipe du Baltimore braqua ses phaseurs sur le capitaine ennemi. Valment annonça :
– Rendez-vous, vous n’avez aucune chance. Au moindre signe de menace, je la tue. Et mes hommes sont en train de converger vers la passerelle.
T’Savhek aperçut les quatre hommes de Valment, qui les tenaient également en joue, abrités derrière des consoles.

T’Savhek ne répondit rien. Sans quitter Valment des yeux, Elle estima la position du panneau de contrôle de l’ascenseur dans son dos et, d’un geste vif, le détruisit d’un tir de phaseur. Si l’équipage de Valment voulait les rejoindre, il serait obligé d’employer les couloirs de maintenance. – Vous ne faites que retarder l’inévitable, lieutenant. Je ne le répéterai pas, lâchez vos armes ! cracha Valment. T’Savhek réfléchit furieusement, passant en revue des dizaines d’options en moins de cinq secondes. Elle se maudit de n’avoir pas eu l’occasion de mettre au point des techniques d’intervention concertées avec ses officiers de sécurité. Quoi qu’elle entreprenne, ils manqueraient de coordination. La logique la fuyait, elle n’avait plus le temps d’y recourir. Lui fallait une idée, et sur-le-champ.
Elle se décala légèrement pour avoir un pas d’avance sur Lupescu et, ramenant discrètement une main dans son dos, lui indiqua de se tenir prêt dans le langage commando de Starfleet. Elle espéra qu’il reconnaîtrait le signe et réagirait au quart de tour.

T’Savhek décida d’y aller franchement : elle tira deux rafales paralysantes sur Valment et Viligo et se jeta derrière une console pour s’abriter. Plus que trois. La passerelle fut noyée sous un déluge de tirs de phaseurs.
Elle lança plusieurs rafales sur une console abritant l’un des pirates, en vain. Près d’elle, Lupescu tira également et les impacts firent des trous gros comme un poing dans une console, à un cheveu d’un pirate.
– J’avais dit de régler les phaseurs sur « paralysie » ! lui lança-t-elle.
– C’est eux ou nous, lieutenant, rétorqua-t-il avant d’essayer d’atteindre sa cible à nouveau.
T’Savhek sentit la colère la gagner, autant parce que Lupescu lui avait désobéi que parce qu’il avait raison. Un tir la frôla, faisant jaillir de la console un flot d’étincelles et des bouts de métal surchauffés. Elle répliqua mais son propre rayon se dissipa au contact d’un mur.
Elle comprit qu’abattre leurs adversaires par des tirs directs serait difficile, et eut une idée.

Elle régla à son tour son phaseur à la puissance maximale, et jeta un coup d’œil sur l’un des ennemis pour prendre un instantané de sa position.
Il était caché derrière la console de pilotage. Elle fit défiler mentalement les circuits qui couraient dans ce type de console, visualisant les différentes schémas énergétiques. Elle se redressa et tira un seul coup, avant de se cacher à nouveau.
Quand la moitié de la console abritant le pirate explosa et qu’il hurla de douleur, elle sut qu’elle avait réussi à tirer précisément sur l’anticourt-circuits. Plus que deux.
T’Savhek fit un point rapide de la situation, pour s’apercevoir que seul l’un des pirates se défendait encore… tandis que Nimar et Heitashi ne tiraient plus. Elle ne put les voir, et repoussa l’éventualité de leur mort pour se concentrer sur le dernier pirate.
– Couvrez-moi, Lupescu.
Celui-ci ne se fit pas prier pour arroser le pirate de rayons mortels, tandis qu’elle put se redresser légèrement pour observer l’environnement immédiat de leur ennemi. Elle trouva ce qu’elle cherchait et se remit à l’abri.
Lupescu fit une pause pour éviter que son phaseur ne surchauffe. Au signal de T’Savhek, il se remit à tirer. Elle n’eut pas besoin de se mettre à découvert pour tirer sur sa propre cible : le senseur de bio-signes au-dessus du pirate. Son tir fit mouche et le gaz toxique qui circulait dans l’équipement scientifique en jaillit tel un geyser, qui enveloppa la tête de l’ennemi. Celui-ci hurla en portant les mains à ses yeux brûlés, et se contorsionna au sol, en proie à une douleur insoutenable.

T’Savhek se tourna vers Lupescu pour le féliciter. Il tourna vers elle un visage blême, dont une bonne partie était ensanglantée, et il s’écroula sans un mot. T’Savhek attrapa la trousse de premiers soins qu’elle portait en bandoulière et en sortit un tricordeur médical, qu’elle passa au-dessus de l’officier de sécurité. Les relevés qui s’affichèrent étaient rassurants : ses jours n’étaient visiblement pas en danger… dans l’immédiat.
Elle se redressa et alla récupérer les armes ennemies, avant de s’assurer de l’état de santé de ses hommes.



Le lieutenant Viligo gisait au sol, simplement inconsciente : seuls les tirs paralysants des membres de l’équipage du Baltimore l’avaient touchée. L’enseigne Gork Nimar couinait de douleur, recroquevillé en chien de fusil, la main sur le ventre. Du sang noirâtre s’en écoulait en une mare qui s’agrandissait peu à peu. L’aspirant Kimiko Heitashi était la mieux lotie. Blême et adossée contre une console, elle se confectionnait maladroitement un garrot autour de la cuisse, transpercée par un tir. Quand elle croisa le regard de T’Savhek, elle lui lança un sourire las pour la rassurer sur son état de santé.
Gork Nimar était dans un état grave. Elle lui injecta une seringue hypodermique de stabilisant, et préféra le plonger dans l’inconscience, ce qui lui éviterait de se blesser par mégarde. Il fallait l’évacuer de toute urgence sur le Baltimore. Sulok devait le voir le plus vite possible.

Mais comment faire, alors qu’entre la passerelle et le sas se tenait tout l’équipage ennemi ? Une autre équipe du Baltimore pouvait les sortir de là, mais se posait toujours la question de secourir l’amiral Sanders. T’Savhek avait compris que l’officier de l’Amirauté ne se trouvait pas sur cette frégate-là, mais sur l’autre. Sinon, nul doute qu’il aurait été l’otage de Valment sur la passerelle à la place du lieutenant Viligo. Quelle option allait privilégier Harlington ? Mettre ses hommes en sécurité ou aborder l’autre frégate ? En tant que Vulcaine, elle n’aurait pas hésité une seconde à sa place, et serait partie à l’assaut de l’autre frégate pour secourir l’amiral. Elle eut peur que le cœur humain de Harlington soit tiraillé entre ces deux choix, tandis qu’elle ouvrait son communicateur pour lui présenter son rapport.

Harlington n’avait pas chômé et se trouvait déjà en salle de téléportation avec la deuxième équipe d’intervention quand T’Savhek lui annonça les nouvelles. Il bondit sur l’intercom :
– Garcia, où en est la téléportation ?
– Elle est possible, mais trop risquée selon les paramètres de sécurité.
– On n’a pas le choix ! Si on ne fait rien, Gork Nimar va mourir !
Harlington se précipita sur la console de téléportation tout en continuant à lancer ses ordres via l’intercom :
– Sulok, préparez le bloc et envoyez-nous un brancard ! T’Savhek, allumez le communicateur de Nimar, qu’on le localise pour le ramener !
Très tendu, Harlington commença à pianoter sur la console, en priant pour qu’il ne soit pas trop tard pour sauver le Tellarite. Heureusement, le commandant du Baltimore connaissait sur le bout des doigts le fonctionnement de ce type de console, car il avait toujours été fasciné par le concept de la téléportation. Il ne lui fallut pas plus de dix secondes pour mener à bien la configuration des systèmes, repérer le signal du communicateur de Nimar, et mettre en marche le téléporteur, dont le son feutré se fit entendre.
Garcia n’avait pas exagéré, concernant les paramètres de sécurité. Le faisceau du téléporteur refusa obstinément de se verrouiller sur le signal, ne parvenant pas à faire le tri parmi les multiples interférences. Harlington pianotait comme un fou, éliminant les sources parasitaires les plus évidentes et, se rendant compte que cela ne suffirait pas, il verrouilla tout de même le système sur tous les paramètres qui lui parurent les plus adéquats.
Il secoua la tête pour se débarrasser de la sueur qui coulait dans ses yeux, attentif à la manœuvre délicate et corrigeant la procédure au fur et à mesure que des alarmes se mettaient en route. Après ce qui lui parut être une éternité, le Tellarite apparut enfin sur un plot de téléportation.
Tremblant de tous ses membres, Harlington s’adossa contre un mur, tandis que l’équipe médicale menée par Sulok emmenait rapidement l’enseigne Nimar vers l’infirmerie. Harlington éprouva une immense fierté en captant le regard empreint de respect dont Sulok le gratifia en sortant.

Harlington s’épongea rapidement le front et reprit son communicateur. Il restait encore tant de choses à accomplir…
– T’Savhek, statut de votre équipe ?
– Les enseignes Lupescu et Heitashi nécessitent des soins, mais ils ne sont pas en danger immédiat, monsieur. Bien qu’inconsciente, le lieutenant Viligo va bien.
– Bon. Pensez-vous pouvoir vous barricader sur la passerelle, le temps que nous allions récupérer Sanders sur l’autre frégate ?
– Affirmatif, commandant.
– Alors je vous laisse, lieutenant, bonne chance !

T’Savhek ne répondit rien. Elle venait de mentir à son supérieur mais n’en éprouvait aucun remords. Son équipe et elle ne tiendraient pas longtemps dans leur position précaire. Mais l’essentiel étant que l’amiral Graham Sanders soit récupéré, elle ne voyait aucun inconvénient à se sacrifier avec ses hommes. Son devoir était clair.
L’aspirant Kimiko Heitashi fut sidérée de constater l’aplomb avec lequel T’Savhek avait déformé les perspectives de survie de l’équipe. Lupescu inconscient, elle-même hors d’état de se mouvoir, ils n’avaient aucune chance de résister, ni de faire bonne figure en cas d’attaque. Quelque chose en elle avait envie de hurler son envie de vivre, et se révoltait à l’idée qu’ils allaient peut-être devoir se sacrifier pour sauver un amiral aussi antipathique. Mourir pour une telle cause lui laissait un goût de cendre dans la bouche, mais elle était trop disciplinée pour polémiquer ou contredire sa supérieure.