Lupescu, O’Connor, Mitchell et Garcia furent debout aux aurores le lendemain. Plus par curiosité et pour découvrir les nouvelles recrues, que pour faire leurs préparatifs de départ. Une sourde anxiété ne les quittait pas, à l’idée de ne pas être capables de remettre en état le navire dans le laps de temps imparti. Ils étaient également en proie à une certaine excitation liée à l’arrivée des futurs membres d’équipage.
Harlington fut le premier levé et quand ses hommes le découvrirent, il était assis dans le mess, plongé dans les données de son bloc de données. Il les salua d’un sourire et d’un simple signe de tête au fur et à mesure qu’ils arrivèrent, moins formaliste que ces trois derniers jours.
Mary O’Connor, seule parmi l’équipage à avoir enfilé son uniforme, se servit un café noir au synthétiseur et vint se planter face à son commandant, une barre de contrariété sur le front. Elle s’éclaircit discrètement la gorge et Harlington leva les yeux vers son ingénieur.
– Bonjour, enseigne. Vous avez quartier libre aujourd’hui, vous n’étiez pas obligée de vous mettre en tenue.
– Oui, monsieur, mais…je me vois mal prendre du repos alors qu’il y a temps de choses à faire. Je…puis-je vous parler, monsieur ?
– Asseyez-vous, je vous en prie.
– J’aimerais savoir comment nous allons nous sortir d’une telle situation, monsieur, si ce n’est pas indiscret, fit-elle les yeux baissés, tout en portant d’une main légèrement tremblante son café à ses lèvres.
Harlington remarqua les cernes sous les yeux de son officier, et la fatigue qui l’habitait. Elle avait l’air tellement vulnérable qu’il se demanda si elle n’était pas déjà au bord de la rupture, prête à craquer sous la pression.
Il arbora un sourire rassurant.
– N’ayez crainte, enseigne, je sais ce que je fais et surtout comment réussir.
Comme Lupescu, lui aussi en uniforme, entrait à son tour dans le mess, il lui fit signe de les rejoindre. Ce dernier n’en menait pas large non plus, dépassé par les responsabilités que Harlington lui avait confiées. En tant qu’officier en second, il devait être partout, penser à tout, concrétiser les ordres qui lui étaient donnés. Pour ce faire, il devait tout savoir sur tout, afin de connaître les procédures les plus efficaces pour parvenir à ses fins. Il avait encore moins que les autres depuis la prise de commandement de Harlington, et semblait avoir du mal à garder les yeux ouverts. Pourtant, il tentait d’être à la hauteur, même si la couche d’impassibilité derrière laquelle il se cachait s’émiettait petit à petit. Il ne parvenait à réprimer ses bâillements de lassitude qu’avec la plus grande peine.
– J’ai une bonne nouvelle pour vous deux. Monsieur Lupescu, vous avez accompli de l’excellent travail en tant qu’officier en second, alors que la tâche était quasiment incommensurable dans de telles conditions. Vous avez réalisé un formidable intérim, qui aura préparé le terrain de fort belle manière au nouvel officier en second qui arrive aujourd’hui. Ainsi, vous allez pouvoir vous concentrer sur la section sécurité, dont vous êtes et resterez le chef.
Lupescu se contenta d’opiner du chef, mais le soulagement qui s’inscrivit sur ses traits fut assez éloquent.
– Il en va de même pour vous, enseigne O’Connor. Il n’y a rien à redire aux grandes lignes de votre plan de réfection du navire, mais il est impossible pour un seul ingénieur de formation, comme vous avez pu vous en rendre compte, de porter à bout de bras les réparations. Notre nouvel officier en second portera aussi la casquette d’ingénieur en chef. C’est une femme remarquable, très inventive, avec qui j’ai eu l’occasion de travailler récemment. Elle est auteure de plusieurs traités d’ingénierie, dans des domaines trop pointus pour que j’en connaisse plus que les noms, et qui lui ont valu quelques récompenses scientifiques.
– Et elle a accepté d’être mutée ici ? demanda Mary O’Connor, incrédule.
Sitôt cette question posée, elle s’empourpra en se rendant compte de sa maladresse, car elle sous-entendait que nul être sain d’esprit n’aurait demandé de son propre chef à se retrouver dans une telle galère.
Si le fin sourire de Harlington montra qu’il avait saisi l’allusion, il ne fit nulle remarque à ce sujet. Lupescu intervint, dans une pauvre tentative de détourner le cours de la conversation.
– Monsieur, vous êtes le commandant de borrrd, avec le grrrade de sous-lieutenant. Quel est le sien ? Il ne peut pas êtrrre plus important que le vôtrrre, mais à vous entendrrre, elle devrrrait déjà êtrrre au moins lieutenant.
– A vrai dire, elle vient de refuser une promotion pour rester sous-lieutenant. C’était la condition pour qu’elle puisse servir sous mes ordres.
O’Connor et Lupescu se turent, malgré les mille questions qu’ils auraient voulu poser. Quel était donc cet officier qui refusait une promotion pour se retrouver dans une voie de garage ? Cette femme avait-elle des liens autres que professionnels avec leur commandant ?
Le communicateur de Harry bipa.
– Harlington à l’écoute.
– C’est moi, fit une voix féminine et tranchante. Je suis devant l’écoutille du Baltimore, mais elle est fermée.
– J’arrive, ma chère.
Se tournant vers Lupescu et O’Connor, il demanda :
– Elle est là. Vous m’accompagnez ?
Ils se levèrent aussitôt, comme mus par un ressort.
Harry s’empara de sa tasse de café et sortit du mess en souriant, ses officiers sur les talons.

Harry déverrouilla l’écoutille, et Lupescu comme O’Connor se figèrent en découvrant le nouvel officier en second du Baltimore. Silhouette fine et élancée, engoncée dans son uniforme de Starfleet, dont le haut rouge indiquait son appartenance au département technique. Ses manches arboraient les liserés dorés de son grade de sous-lieutenant. Ses cheveux noirs étaient entortillés dans un impeccable chignon. Son teint blafard mettait en valeur ses yeux d’un vert émeraude. Et surtout…ses sourcils arqués, ses oreilles pointues et une impassibilité à toute épreuve indiquaient clairement son appartenance à l’espèce des Vulcains.
– Permission de monter à bord, commandant ? demanda-t-elle en se figeant dans un impeccable garde-à-vous.
– Permission accordée, lieutenant. Repos.
Se tournant vers ses officiers humains, il commença les présentations :
– Je vous présente le sous-lieutenant T’Savhek, ingénieur en chef et officier en second du Baltimore à partir de cet instant. T’Savhek, voici…
– …les enseignes Dorin Lupescu et Mary O’Connor, respectivement de la sécurité et de l’ingénierie, coupa T’Savhek. J’ai lu avec la plus grande attention les rapports que vous m’avez fait parvenir, commandant. Je me suis permise de retoucher quelque peu le plan de réfection du Baltimore. Quand organisons-nous un briefing pour en voir les détails ?
– J’ai donné quartier libre à mes officiers aujourd’hui, nous attendrons donc demain matin.
– Ce n’est pas un problème pourrr moi de le fairrre sur-le-champ, monsieur, répondit précipitamment Lupescu, visiblement désireux de plaire à cette femme aussi superbe qu’exotique à ses yeux.
– Pour moi non plus, ajouta O’Connor, nettement moins enthousiaste et qui semblait soupeser soigneusement son nouveau supérieur.
Instinctivement, Mary détestait déjà la nouvelle arrivante, et était prête à se défendre point par point sur les « retouches » que T’Savhek entendait apporter à son plan de remise en état.
– Parfait, allons au mess, fit nonchalamment Harlington, en buvant une gorgée de café.