XLVII

 

 

    J’entre dans la salle du trône de Gaga. Une salve d’applaudissements et des vivats retentissent. Étrange. Non pas que ça m’arrive, c’est même plutôt normal, mais ce que je trouve étrange, c’est que ça n’arrive pas systématiquement dans tout endroit où je mets les pieds.

    Je fends la foule en hochant la tête et en murmurant des « merci » de bon aloi, même si on ne devrait pas remercier les gens se contentant de souligner votre grandeur, puisque c’est quelque chose qui devrait aller de soi.

    Quand j’arrive devant Zavid, elle me fait, revêche :

    – Snaf a négocié avec succès le rachat de sa famille à Gaga. Ils viennent de s’enlacer de bonheur, et tout le monde applaudit parce que c’est une belle happy end.

    Ah… c’est pour ça. Histoire de ne pas trop perdre la face, je dis :

    – Je sais, tu penses bien. Je… je plaisantais, voilà tout !

    – Mais bien sûr, prends-moi pour une gourde ! T’es aussi rouge qu’une tomate ayant chopé un coup de soleil !

    Je décide d’ignorer sa réponse mais elle reprend :

    – Bon, cette histoire étant réglée, on va enfin pouvoir se remettre en quête du colonel Flocoche. Avant tout, contacter Hoyman Hoydgins pour savoir s’il a retrouvé sa trace.

    Je ricane intérieurement : si tu savais !

    Je m’apprête à négocier ma séparation d’avec Zavid afin de regagner mes pénates sur Planèteville quand je me rappelle soudain que ma tête est mise à prix. Entre elle et Kiki, je suis plus en sécurité que je ne le serai jamais sur Planèteville, où doivent m’attendre des hordes entières de chasseurs de primes. La mort dans l’âme, je décide donc que je vais continuer à la suivre.

    D’un autre côté, grâce à Gaga, je récupère 70 030 crédits, plus les cinquante trouvés dans la chambre de Sy. Qui sait combien d’argent je peux encore glaner en suivant cette folle furieuse des SSI ?

    L’atmosphère est joyeuse dans la salle du trône tandis que Snaf nous rejoint, avec sa femme et son fils. Ce sont des Rbetons comme lui, avec une tête et des cheveux rouges.

    – Comme je suis ému, snif. Maintenant, je peux vous conduire où vous voulez. Maître Gaga a fait amener mon vaisseau ici-même, au hangar 3, qu’il m’a dit. On va pouvoir décoller dès que vous serez prêts.

    – Ne traînons pas, alors, fait Zavid. Kiki, au pied !

    – Une minute, que je fais. J’ai encore ma récompense à toucher !

    – D’accord, concède Zavid. Comme tu dis, tu as exactement une minute pour la récupérer.

    Oups, ça va être chaud ! Je commence à me frayer un chemin dans la foule, direction le trône, quand la porte de la salle s’ouvre à la volée, révélant un Tesnor surexcité :

    – Mon seigneur, nous avons été trahis !

    Un silence sépulcral s’abat aussitôt sur les lieux.

    – Comment ça ? demande Gaga.

    – Je supervisais l’embarquement des poches de cocaïnhéroïne pour la transaction de demain, et me suis rendu compte qu’il en manquait une ! Il y a un voleur parmi nous !

    – QUOI ?? rugit Gaga. Alerte rouge ! Branle-bas le combat ! Ça va iech !

    – Pas de panique, monseigneur, reprend Tesnor. J’ai mené mon enquête.

    – Et ?

    Tesnor fait signe à deux personnes cachées derrière lui de s’avancer. Je reconnais l’homme aux senseurs et son acolyte. Le premier prend la parole :

    – Comme on était en charge de Nomis, on en a profité pour faire une prise de sang, au cas où un virus aurait échappé à notre vigilance. Nous n’en avons pas trouvé, mais mis la main sur pire : son organisme était saturé de cocaïnhéroïne. Voici le diagramme qui le prouve !    

    Aussitôt, je deviens l’objet de l’opprobre général.

    – La sale fouine d’humain !

    – Le malhonnête homme !

    – Quel esprit pervers !

    – Je suis sûr qu’il mange des bébés phoques au petit déjeuner !

    – Jusqu’où ira sa vilenie ? Voler le sac à mains d’une vieille dans la rue ? Arracher une sucette de la bouche d’un enfant ?

    Bien que je sois, comme on peut le concevoir, fortement contrarié de tous les voir me voler ainsi dans les plumes que je ne possède pas, je contiens mon calme et me fais au contraire le plus petit possible. Il y a tellement de monde que personne ne m’a encore remarqué.

    Je me retrouve nez à mufle avec un non-humain hideux (pléonasme, on ne le dira jamais assez) qui écarquille ses yeux à facettes à ma vue, avant de lancer :

    – Ill est llà ! Ll’humain détesté est llà !

    – Même pas vrai, que je réponds du tac au tac, pris d’une soudaine inspiration. En fait, je m’appelle… euh… Frederic… Simon… et Cirederf Nomis est mon jumeau maléfique !

    – Ça alors, c’est incroyablle, me répond mon interlocuteur. La ressembllance est frappante !

    Je n’arrive pas à y croire, mais on dirait que mon subterfuge fonctionne.

    – Ne te fais pas avoir, il te ment ! dit le type à côté de lui.

    – Non, c’est vrai ? répond l’autre. Quell sallaud !

    C’est à ce moment que je décide de jouer des coudes pour m’enfuir. Heureusement, il y a tant de monde, et qui plus est à s’agiter dans tous les sens, que personne ne parvient à me mettre le grappin dessus pendant que je progresse vers la sortie.

    Au-delà des cris des uns et des autres, la voix tonitruante de Gaga retentit :

    – Maudit Nomis ! Rapportez-moi sa tête ! Pour sa récompense, il peut se gratter ! Au contraire, je mets sa tête à prix : un million de crédits à qui me ramènera Nomis vivant, zéro s’il est mort. J’ai toujours préféré torturer des vivants plutôt que des morts.

    Si j’avais le temps de penser à autre chose qu’à m’échapper, je me réjouirais d’apprendre que quoiqu’il arrive, je survivrai.

    – Par contre, vous avez le droit d’en couper un ou deux morceaux, ajoute Gaga.

    Je présume que c’était trop beau.

    Par miracle, j’arrive à échapper aux griffes, doigts palmés, ailes, sabots et autres monstrueux appendices que tout un chacun serait bien en peine de nommer.

    Dès que je suis dans le premier couloir venu, je prie à nouveau la Grande Magie de me révéler mes pouvoirs cachés. Objectif : trouver la porte qui mènera à un hangar, d’où je pourrai voler un vaisseau. Je n’en ai jamais volé mais quand on est pétri de talents comme moi, on ne s’inquiète pas à l’avance de comment procéder. D’autant que ça a l’air facile, d’après toutes les 3D-séries et tous les 3D-films que j’ai regardés.

    Là ! C’est la bonne porte, je le sens ! J’ouvre. Une odeur de détergent m’agresse les narines, et je manque de m’étaler dans un seau. Il y a des balais accrochés partout. C’est officiel : je hais la Grande Magie. On ne peut pas lui faire confiance.

    J’entends des voix furieuses derrière moi. Il semblerait que la chasse commence ! Aïe aïe aïe ! Pire encore, j’entends des gens courir vers moi, derrière le coude du prochain couloir.

    J’ouvre une nouvelle porte et la referme derrière moi.

    Oh non, je ne suis pas seul ! La pièce est sombre mais je distingue une silhouette assise sur une chaise en face de moi. J’attends. Lui aussi. Le temps passe. Bon, ça commence à bien faire. J’allume la lumière.

    Le type cligne des yeux, ébloui. Je comprends tout de suite pourquoi il n’a pas réagi à mon entrée. Il est attaché à la chaise, les mains dans le dos, et bâillonné.

Par contre, je ne connais que trop bien cette face bovine d’ahuri, avec en prime un air de déjà vu concernant ce type de rencontre.

 

    J’ai retrouvé le colonel Flocoche !