Cette note de lecture fait suite à une note du 28 septembre à propos du livre Multitude de Hardt et Negri. Je sais, j'ai toujours aimé prendre mon temps.

Après une sorte d'interlude intitulé Golem que l'on peut aisément se dispenser de lire, Hard et Negri examine le brouillage de la distinction entre la guerre et la politique, conséquence de la permanence et de la généralisation de l'état d'exception :

Aujourd'hui, la guerre tend à s'étendre plus encore et à devenir une relation sociale permanente.

C'est en quelque sorte le renversement de la célèbre formule de Clausewitz :

La guerre est une simple continuation de la politique par d'autres moyens.

Clausewitz, De la guerre, p. 67.

Le fait que la politique soit aujourd'hui une simple continuation de la guerre par d'autres moyens ou, ce qui revient au même, que l'on ne puisse plus distinguer entre la politique et la guerre, est une nouveauté, même si cette distinction tends à s'effacer dans des situations historiques exceptionnelles), car elle renvoie au fonctionnement normal du pouvoir :

La guerre devient la matrice générale de toutes les relations de pouvoir et de toutes les techniques de domination, qu'il y ait bain de sang ou non. La guerre est devenue un régime de biopouvoir, c'est-à-dire un mode gouvernement qui ne vise pas seulement à contrôler la population mais aussi à produire et reproduire tous les aspects de la vie sociale.

Les auteurs croient trouver les symptômes de ce passage dans les usages publics du concept de guerre. On l'utilise ainsi métaphoriquement dans le sport, le commerce, politique intérieure, même si on a affaire à des concurrents mais jamais à des ennemis à proprement parler.

Il en va autrement lorsque ce concept est utilisé comme maneuvre politique pour obtenir une mobilisation des forces sociales en vue d'un objectif commun. Les exemples ne manquent pas : de la guerre contre la pauvreté, à la mobilisation contre le racisme, de la guerre des emplois à la guerre déclarée au tabac, en passant par la fameuse bataille pour l'emploi, etc. L'ennemi visé ici n'est pas un État-nations particulier, une communauté, ou des individus mais c'est un concept abstrait ou un ensemble de pratiques : c'est un ennemi abstrait, d'où ce discours rhétorique. Avec la guerre contre la drogue ou la guerre contre le terrorisme que l'ennemi acquiert ce caractère concret (il manque ici un critère entre l'abstrait et le concret) :

nous sommes ainsi passés de l'invocation métaphorique et rhétorique de la guerre à de véritables guerres menées contre des ennemis indéfinis et immatériels.

Ces nouvelles guerres ont trois conséquences :

  1. l'indétermination des limites spatiales et temporelles de la guerre ;
  2. l'imbrication croissante entre les relations internationales et la politique intérieure, voire leur fusion ;
  3. la redéfinition des notions de belligérant et d'hostilité : qui ne condamnerait pas le terrorisme ? C'est le retour de la notion de guerre juste.