Le Padawan Moqtar Weslyn gara le speeder en face de la cantina. Assis à ses côtés, son Maître Arwan ne masquait même pas son ennui d’être là. Les envoyer accomplir un simple travail de police, quelle barbe ! Obtenir des renseignements auprès de la pègre concernant les ventes d’armes alimentant la sédition dans le secteur Dirkhma, voilà ce que leur avait ordonné le Conseil une heure auparavant.

    – Nous y sommes, Maître, dit le jeune Moqtar en regardant Arwan, en quête d’approbation sur sa manière de piloter.

    Arwan se contenta d’hocher la tête. Il n’était pas fan du garçon et à vrai dire, il ne l’avait même pas choisi pour être son élève. Le Conseil lui avait forcé la main, à son grand dam. Tout ce que lui voulait, c’était s’accomplir en tant que Jedi, et seul. Lui mettre un Padawan dans les pattes ne pouvait que freiner sa propre progression. Malheureusement, on ne s’opposait pas aux décisions du Conseil.

    – Allons-y, Moqtar, répondit-il avec dédain. Plus vite nous aurons rencontré notre informateur, plus vite nous serons partis. Tu restes derrière moi et tu ne dis pas un mot.

    – Oui, maître.

    Moqtar aurait tellement voulu qu’il y ait une réelle complicité entre eux, mais Arwan ne semblait pas l’entendre de cette oreille : il maintenait une certaine distance entre eux. Le Padawan sentait bien qu’il n’avait pas été désiré par Arwan et espérait que leur relation s’améliorerait avec le temps. En attendant et comme d’habitude, il était condamné à suivre son maître comme son ombre et à calquer son attitude sur la sienne.

    Depuis deux mois qu’ils formaient leur duo, Arwan ne lui avait encore rien appris directement et lui avait simplement ordonné de l’imiter. Moqtar s’était fait une raison depuis : sa formation ne se ferait que sur le tas, et il ne s’améliorerait que par lui-même. Il n’était qu’une gêne pour son maître.

    Arwan traversa la rue, Moqtar sur ses talons, et entra dans la cantina. Il releva tout de suite plusieurs infractions à la loi. Des volutes de tabac ou de drogues volatiles planaient paresseusement dans l’air. Deux ou trois individus, face contre terre, avaient l’air de cuver, à moins qu’ils ne soient évanouis ou morts. Dans un coin de la cantina, une rixe opposait à mains nues un Rodien et un Twi’lek, autour desquels un cercle d’individus à l’air patibulaire s’était formé pour prendre les paris. Qu’ils s’entretuent s’ils le désiraient, peu importait à Arwan. Il avait d’autres choses à faire que de jouer au redresseur de torts pour des querelles aussi médiocres. Où se cachait donc le Kubaz qu’ils devaient rencontrer ?

    Les deux Jedi se faufilèrent entre les clients, jusqu’à ce que l’un d’eux, un humain déjà bien imbibé, bouscule Arwan par mégarde. Plutôt que de s’excuser, il tourna un visage agressif vers le Maître.

    – Fais gaffe, crétin, où je t’arrache la tête ! cracha-t-il.

    Arwan cligna des yeux.

    Il rétorqua :

    – Jedi en mission. Dégage.

    Il écarta le pan de sa cape pour montrer le sabre-laser qui pendait à sa ceinture, afin d’appuyer son propos avec une touche d’intimidation. Cela faisait toujours son effet sur les criminels de bas-étage comme cet individu.

    Sauf que drogué ou alcoolisé – ou les deux – comme il l’était, le type dédaigna l’avertissement.

    – Rien à foutre ! répondit-il en levant les bras devant lui comme un boxeur.

    Peut-être l’était-il, au demeurant. Aux yeux d’Arwan, il n’était que pathétique. L’importun passa à l’attaque, mais son crochet qui visait la tempe d’Arwan n’atteignit jamais sa cible. Trop vite pour que l’œil puisse le suivre, Arwan avait déjà dégainé son sabre-laser et était passé à l’action. Le bras coupé de l’humain vola dans les airs, signal de départ pour le déchaînement du chaos.

    L’homme tomba à genoux en geignant, son moignon contre la poitrine. Mais il n’était pas seul. Les trois autres humains de son groupe, visiblement désireux de le venger, sortirent leurs blasters et se mirent à arroser le Jedi d’un tir nourri.

    Même si à peine deux mètres séparaient les belligérants, ce n’était pas un souci pour un Maître Jedi. Son sabre-laser, comme doué d’une vie propre, forma un rempart infranchissable devant lui. Les tirs furent tous renvoyés, certains vers les agresseurs, d’autres vers le plafond écaillé.

    À cause de la densité de la clientèle, Arwan entailla accidentellement deux personnes à côté de lui. Si cela pouvait à l’avenir les dissuader de mettre les pieds dans ce type d’endroit, ce ne serait pas un mal, pensa-t-il avec cynisme.

    D’autres tirs se perdirent dans la foule et des clients s’effondrèrent. La panique s’empara de la cantina, bientôt en proie à un mouvement de foule. Chacun jouait des coudes pour tenter de gagner la sortie. Les plus frêles furent balayés, jetés à terre avant d’être piétinés par les fuyards. Des blasters sortirent de leurs étuis et les tirs se mirent à pleuvoir. Personne ne savait qui attaquait qui ni même comment tout avait commencé, mais la folie et l’instinct de survie transformèrent les lieux en scène de guerre.

    Arwan jeta un œil derrière lui afin de s’assurer que tout allait bien pour son Padawan. Celui-ci avait lui aussi dégainé. Il tenait son sabre-laser au-dessus de sa tête afin de ne pas blesser les gens qui couraient autour de lui en hurlant.

    Attention certes louable mais trop dangereuse pour sa propre santé, estima mentalement Arwan. Moqtar avait besoin de s’endurcir. La mission avant tout. Les Jedi valaient mieux que toute cette faune. Tant pis s’il devait y avoir des dommages collatéraux…

    Un Barabel chargea aveuglément Arwan. Bien qu’il réagit très vite et découpa le reptilien de bas en haut, le corps de ce dernier s’affala sur lui. Un tir traversa l’épaule du Jedi, qui tomba à genoux.

    Ah, vous voulez jouer à cela ? pensa Arwan en serrant les dents, avant d’appeler à lui la Force.

    Il la fit jaillir tout autour de lui et ceux qui l’entouraient furent projetés en arrière, les uns sur les autres ou au sol.

    Voilà qui devrait les calmer…

    Touchée par un tir, une bonbonne remplie d’un liquide bleu sur le comptoir explosa, brûlant au passage deux clients qui se transformèrent aussitôt en torches vivantes. Leurs cris perçants et inhumains vrillèrent les tympans d’Arwan et affectèrent sa concentration, aussi ne repéra-t-il pas l’attaque suivante. Une chaise vola en éclats en s’abattant sur son dos. Toujours à genoux et sonné, il vit du coin de l’œil son Padawan lâcher son sabre-laser et s’effondrer face contre terre, une vibro-lame plantée entre les omoplates.

    C’est pas vrai !

    Un coup de pied le cueillit au menton et sa tête heurta le pied d’une table, qui ne résista pas et s’écroula sur lui. Une grande douleur traversa son genou gauche. Il n’osa regarder les dégâts, ni même si sa jambe était toujours en un seul morceau. Il devait reprendre ses esprits, et vite !

    Alors que le groupe d’humains se jetait sur lui et le rouait de coups de pieds, il sut qu’il avait trop présumé de sa force et prit conscience que sa suffisance était à l’origine de ce chaos indescriptible. Pire, il n’avait pas réussi à protéger son Padawan et sa mission était un échec complet. Heureusement qu’elle devait être facile !

    Il sentit ses côtes craquer sous les coups et sa main armée se briser sous la botte d’un des assaillants.

    Une phrase que Maître Yoda avait un jour prononcé à son attention lui revint en mémoire : « de confiance en soi, un Jedi a besoin. Mais mince est la frontière qui la mène à l’arrogance ». Il se souvenait encore de sa réaction à ces mots : hausser les épaules avec dédain. Seuls les faibles avaient besoin d’entendre ce genre de paroles. Arwan était trop puissant, était trop en phase avec la Force pour perdre son temps avec un tel verbiage.

    Comme il regrettait ! Comme il s’en voulait d’avoir été aveugle tout ce temps !

    Il était désormais trop tard. Les multiples fractures de son corps meurtri l’empêchaient désormais de bouger. À travers ses yeux tuméfiés, il vit l’un des hommes pointer à bout portant le canon de la gueule de son blaster.

    Il tira.

 

    Les deux Jedi se faufilèrent entre les clients, jusqu’à ce que l’un d’eux, un humain déjà bien imbibé, bouscule Arwan par mégarde. Plutôt que de s’excuser, il tourna un visage agressif vers le Maître.

    – Fais gaffe, crétin, où je t’arrache la tête ! cracha-t-il.

    Arwan cligna des yeux.

    Il faillit rétorquer un bon vieux « Jedi en mission. Dégage », qui aurait immanquablement dégénéré. Au lieu de cela, il leva les paumes en signe de paix et répondit en s’inclinant :

    – Désolé, monsieur. Je ne vous avais pas vu.

    Il s’esquiva vite. Moqtar s’étonna :

    – Maître, vous ne lui rabattez pas son caquet ? Il interfère dans une mission Jedi et il aurait besoin d’une bonne leçon.

    – Prudence et circonspection. C’est ainsi qu’un Jedi agit. Et laisse ton orgueil de côté. Déjà, ce type n’en vaut pas la peine. Ensuite, en tant que Jedi, nous sommes très  dangereux, pour nous comme pour les autres. Veille toujours à ne libérer ta puissance que pour des nobles causes. Notre pouvoir implique de grandes responsabilités.

    – Oui, Maître, fit Moqtar en baissant la tête, penaud.

    – Et dès que nous serons rentrés au Temple, nous nous pencherons sur la prescience. C’est un pouvoir qui peut s’avérer utile. Très utile…