XV

 

 

    [note de l’auteur : dans un souci de permettre à certains lecteurs d’épargner le peu de neurones qu’il leur reste suite à la lecture du présent ouvrage, leur est offerte la possibilité d’arrêter là les frais en considérant le chapitre précédent comme mettant un point final à l’histoire. Oui, il s’agissait d’une fin alternative, un peu comme dans les « livres dont vous êtes le héros ». Trop lol, quoi. Pour les autres, ceux qui estiment avoir suffisamment de neurones pour être capables de venir à bout de l’histoire, et ceux qui les ont déjà tous perdus, la suite arrive dès maintenant.]

 

    – COUCHÉ !

    À ce simple mot, émis aussi sèchement qu’un coup de fouet dans le club privé VIP l’Aspiratrice, dont je suis membre, le minougroar se contorsionne dans les airs – un bel exploit vu sa vitesse et sa taille –, m’évite de justesse et s’aplatit au sol.

    Et il se tient immobile.

    – Pas vous, idiot, reprend la voix. Je parlais au minougroar.

    C’est à ce moment que je me rends compte que je me suis moi aussi jeté machinalement au sol en entendant cette voix transpirant d’autorité et de menace voilée.

    Je tourne la tête pour voir à quoi ressemble mon sauveur.

 

    Une combinaison intégrale de latex noir brillant qui épouse des formes parfaites. Des bottes à talons aiguille qui montent jusqu’aux genoux. Des jambes interminables, d’ailleurs. Un fouet-laser accroché à la ceinture. Un ovale de visage humain parfait, des traits harmonieux de madone.

    Belle à en crever, et en plus elle vient de me sauver. J’en tombe amoureux aussi sec.

 

    Je saute sur mes pieds, manque de retomber – j’avais oublié cette maudite cheville foulée –, m’époussette du mieux que je peux et prend ma voix la plus mielleuse :

    – Merci, gente dame. Mon nom est Cirederf Nomis, journaliste émérite à Empire Actualités. Je vous serai éternellement reconnaissant de m’avoir sauvé la vie.

    Je lui décoche mon plus beau sourire, entretenu au blanchiment laser chez mon dentiste tous les quinze jours. Et je referme la bouche aussitôt. J’ai encore dû me cogner, elle est pleine de sang.

    De son côté, elle reste me toiser avec froideur, sourcils froncés. Elle lève les yeux vers le haut plafond, constate le trou dans la verrière, avant de reporter son attention sur moi.  Elle me fusil-laserise du regard. Je déglutis nerveusement. Elle va changer d’avis ? Finalement, elle va me donner à manger au minougroar ? Ce serait dommage, j’étais bien parti pour battre mon record d’utilisation du mot « elle » en un paragraphe.

    – T’as de quoi payer pour les dégâts ? qu’elle me fait d’un ton assez dur pour faire fondre du bétonacier.

    – Euh… Pas nécessairement, mais ceci dit, en tant que missionné officiel du célèbre journal Empire Actualités, dont je suis l’un des éléments les plus brillants, soit dit en passant, je peux avoir accès à des lignes de crédit…

    Elle ne répond rien, mais approche sa main du fouet à sa ceinture.

    – Écoutez, que je rajoute précipitamment, j’ai quelques centaines de crédits dans mon portefeuille, ils sont à vous !

    Et recouvrant un semblant de sang-froid, je rajoute sur le ton de séducteur invétéré qui m’a valu tant de succès jusqu’à ce jour :

    – Laissez-moi juste de quoi vous inviter à dîner ce soir… voire plus si affinités.

    Un clin d’œil pour clore ma proposition et hop, emballé c’est pesé ! Quelle femme pourrait résister à mon sex-appeal ravageur ?

 

    – Les hommes sont tous des porcs tugais [NDA : de la planète Tugal, en l’occurrence], sale porc tugais ! C’est pour ça que je suis lesbienne !

    Oups. J’ai un problème, là…

    – Kiki ! Debout !

    Hein ? Quoi ? « Kiki » ? Elle craque, là, non ? J’entends le rugissement du minougroar dans mon dos. Il s’est remis sur ses pattes et me regarde d’un air menaçant.

    Kiki… Ça y est, j’ai compris. Mais… elle ne va quand même pas… ?

    – Attaque, Kiki !

    Ah bah si, elle a osé.

 

    Le minougroar se ramasse sur lui-même et… bon, je connais la suite, je l’ai déjà vécue.

 

    Sauf que des explosions se font soudainement entendre autour de nous. La dompteuse a déjà son fouet à la main, prête à se défendre.

    Ce sont les quatre portes, situés aux points cardinaux de bâtiment, qui ont sauté. Une silhouette se dessine à chacune d’entre elles, derrière la fumée qui se dissipe lentement.

 

    Sans perdre son sang-froid, la femme appuie sur une télécommande à sa ceinture, et quelques barreaux s’effacent derrière le minougroar.

    – Va chercher, Kiki ! l’exhorte-t-elle.

    La monstrueuse créature ne se fait pas prier et bondit hors de la cage.

    En ce qui me concerne, je n’espère qu’une seule chose : qu’elle referme la cage. Sans le minougroar, je pense que c’est l’endroit où je serai le plus en sécurité.

 

   J’attends une voix provenant de l’une des portes :

    – Hoy ! Hoy ! Hoy ! La diversion a porté ses fruits et focalisé l’attention. Maintenant, opération « Libérer Flocoche ! ».

    Je vois le minougroar sprinter si vite que j’ai du mal à le suivre des yeux, droit vers le chef des agents des SSI, qui s’écrie alors, paniqué :

    – Hoy ! Hoy ! Opération « Retraite » ! Opération « Sauve qui peut » ! Opération « Tirez, les gars, mais faites bien attention à ne pas me toucher » ! Opération « Maman, j’ai peur ! » ! Opération « Je suis trop jeune pour mourir » !

 

    Il se met à tirer sur Kiki, et ses collègues ouvrent le feu à leur tour, dans toutes les directions. Surtout, ne pas me relever…

    Certes, je n’ai rien pour me protéger des tirs de laser, mais au moins je suis à l’abri dans la cage, car la femme au fouet a refermé la porte. Ouf, me voilà provisoirement sauvé ! Je n’ai plus qu’à regarder tranquillement le minougroar manger les agents des SSI, et espérer qu’il sera suffisamment rassasié quand sa maîtresse lui ordonnera d’en finir avec moi.

 

    En attendant, il ne peut rien m’arriver !

    Tiens ? C’est quoi cette odeur de brûlé ?

    Sûrement due à un tir perdu de laser, une flamme vient d’apparaître dans le foin. À moins que ce ne soit de la paille, je n’ai toujours pas tranché ce débat. Je rampe vers la flamme : pas question qu’il se propage ! Il faut que je l’éteigne. Ce serait dommage d’avoir fait tout ça pour se retrouver carbonisé dans une cage à minougroar sur P-oilad’e !

    Le feu se répand comme une traînée de poudre, et voilà qu’un bon tiers du foin-paille s’enflamme avant que j’ai pu atteindre le foyer de l’incendie.

 

    Alors c’est donc ainsi que tout va se terminer ? Mon corps d’athlète réduit en cendres ? En achetant mes premières merguez de la saison vendredi dernier, je me faisais pourtant une joie de mon premier barbecue de l’année.

 

    Finalement, je suis beaucoup moins chaud. Mais ça ne va pas durer…