LXXXII

 

 

 

    Oh non. Diva Zavid. Et Kiki. En matière de destruction, à côté d’eux, une hydre c’est de la gnognotte.

    – Tiens, un nexu, dit Saint-Lazare. J’ai toujours aimé les gros chats.

    – Je connais celui-là, que je réponds. C’est un monstre ! Et ce n’est rien à côté de sa maîtresse, qui est dix fois pire.

    – Parfait. Les choses vont peut-être devenir intéressantes, tchip, rétorque Saint-Lazare, sourire ravi aux lèvres. Eux aussi ils vous en veulent, mon cher Nomis ?

    Je m’apprête à lui répondre que non, vu que la dernière fois que je les ai vus, c’était au palais de Gaga, et qu’on n’avait pas eu le temps de se faire nos adieux vu que j’avais dû m’enfuir de mon côté, quand Zavid crie :

    – NOMIIIIIIIIIS ! Je vais t’arracher les ongles et jongler avec tes yeux que je vais arracher de leurs orbites !

    – On dirait qu’elle m’en veut aussi, que je dis en rentrant les épaules.

    – Elle veut jongler avec seulement deux yeux, tchip ? Ça ne va pas être très spectaculaire, regrette Saint-Lazare.  

    Kiki ne fait pas dans la dentelle en ce qui concerne l’hydre. De toute manière, même s’il le voulait, il ne saurait pas faire dans la subtilité. Cette immonde bête monstrueuse n’est bonne qu’à déchiqueter des têtes de chatons, comme il est présentement occupé à le faire. Hop, une tête en moins ! Une autre ! Une troisième !

    Et alors qu’il bondit déjà sur la quatrième, qui ne se défend pas autrement qu’en émettant des miaulements pitoyables destinés à amadouer Kiki, tout comme ses grands yeux tristounets, voilà que Zavid saute aussi, sur la dernière tête, celle du chien.

    Elle enroule ses jambes autour du cou démesuré, se redresse grâce à ses abdos en permabéton, colle le blaster-mitrailleur immense qu’elle a dans les mains dans la gueule du chien, et appuie sur la détente en continu, tout en hurlant des insultes si colorées que la décende m’oblige à ne pas reproduire ici.

    En tout cas, je suis choqué de ce que j’entends, Saint-Lazare aussi, bouche bée, mains crispées sur les accoudoirs de son fauteuil, Kiki aussi, qui se fait tout petit, aplati au sol. Car oui, il a eu le temps de dézinguer la tête du chaton d’avant. Quant à Hoyddings et ses hommes, ils préfèrent rester cachés et muets.

    Une fois – ou plutôt cent-trente-sept fois si on veut être au plus près de la vérité – la tête de chien morte – faut dire qu’il n’en reste rien. Littéralement –, Zavid se laisse glisser au sol en disant :

    – Aaaaaaah, ça fait du bien.

    Elle a droit à des applaudissements et des cris enthousiastes de Hoyddings et de ses hommes, enfin sortis de leur cachette.

    – B-S-I ! B-S-I ! B-S-I !

    – Donnez-moi un « Z » ! Donnez-moi un « A » ! Donnez-moi un « V » ! Donnez-moi un « I » ! Donnez-moi un « D » ! « ZAVID » !

    Je trouve quand même qu’ils en font un poil trop. Ce serait mon nom qui serait ainsi scandé, je dis pas, mais là, bof, quoi…

    – Fermez-la, dit doucement Zavid, qui a quand même un petit sourire satisfait au coin des lèvres.

    Ils se taisent, sauf Hoyddings :

    – Hoy ! Hoy ! Lieutenant Zavid, quel plaisir de vous revoir ! Vous aussi vous êtes là pour Nomis ?

    – Oh que oui ! J’ai appris qu’il avait abandonné et trahi plusieurs fois mon mentor, le colonel Covelian, aussi est-il hors de question que je quitte les lieux sans l’avoir transformé en bouillie de steack haché !

    J’avoue avoir du mal à visualiser intérieurement ce qu’elle vient de dire. Une chose est sûre, ça me fait froid dans le dos.

    – Cool !

    – Hâte de voir ça !

    – Je prendrai des holophotos !

    – Et moi je ferai un holofilm.

    Ça, c’est les hommes de Hoyddings. Toujours fidèles à eux-mêmes. Malgré la zen attitude de Gédéon Saint-Lazare à mes côtés, je suis de moins en moins rassuré. Est-ce qu’il ne sous-estime pas cette bande de tueurs surentraînés et joyeux lurons ?

    Comme s’il lisait dans mes pensées, l’homme-poulet me tapote la main et me fait :

    – Vous n’avez rien à craindre, mon ami, tchip. Ces agents du BSI, aussi forts et expérimentés soient-ils, et même avec l’aide d’un nexu, n’ont aucune chance de survivre aux pièges que j’ai concoctés, je vous le répète. Tchip.

    – Vraiment ?

    – Oh que oui, tchip ! Il y en a plein, aussi variés que sympas, et à un point tel que j’envisage de développer le concept sous la forme d’une franchise de parcs d’attraction. J’ai même déjà pensé à un nom : Saint-Lazaric Park. Tchip. Vous en pensez quoi ? Ça envoie du pâté impérial, hein ?

    – Top moumoute, que je réponds parce que je ne vois vraiment pas quoi répondre d’autre. C’est peut-être un génie mais y’a des fois, quand je l’écoute, il me fatigue tellement que je sentirais presque mon cerveau fondre.

    – Encore un peu de – tchip – pop-corn et de caco-calo ?

    – Avec plaisir.

    Heureusement, comme il vient de le faire, il arrive encore à sortir des paroles profondément intelligentes.

    Pendant ce temps, Zavid, Kiki, Hoyddings et les autres se sont remis en route, galvanisés par leur victoire. Je constate vite qu’ils ne rencontrent plus aucune résistance, ce qui ne manque pas de m’inquiéter.

    Je vais pour m’en ouvrir auprès de Saint-Lazare quand Kiki, qui mène les troupes, est stoppé net par un obstacle invisible et se retrouve à terre, à moitié sonné.

    Son gros flingue à la main, Zavid s’avance avec circonspection et tend la main, jusqu’à elle aussi être confrontée à l’obstacle.

    – On dirait du verre, qu’elle fait.

    – ET OUI ! retentit la voix de Saint-Lazare dans les hauts-parleurs ; je vois qu’il a un micro à la main. BIENVENUE DANS MON GRAND LABYRINTHE DE VERRE ! VOUS Y RENCONTREREZ – TCHIP – DES DANGERS MORTELS ! MOUHAHAHAHAHA !

    – Rien à foutre, rétorque Zavid en pointant son blaster-mitrailleur sur la paroi de verre en face d’elle.

    – JE SERAIS VOUS, JE NE FERAIS PAS…

    Elle tire. Tire. Tire. Retire. Retire encore. Et s’arrête là parce qu’elle se rend alors compte que tous les tirs sont déviés et rebondissent sur les parois autour, obligeant tous les agents du BSI présents à se lancer dans une magnifique danse effrénée d’esquives qui, j’en suis convaincu, leur vaudrait un prix dans la célèbre émission « L’Empire a un incroyable talent ».

    Seul Kiki, toujours sonné, est plus lent qu’avant, et ce qui devait arriver arrive : un tir le touche. Pas beaucoup, hélas, genre il a juste quelques poils de roussis, mais ça suffit pour que Zavid se jette sur lui pour le protéger, tout en poussant un cri si aigu que je crains un instant qu’il ne détruise les parois de verre.

    Ouf, elles tiennent.

    Dès qu’elle s’est assurée que Kiki va bien, et une fois les tirs dissipés, Zavid lève un poing vengeur vers le ciel et clame :

    – Ça aussi tu me le paieras, Nomis !

    – Mais enfin, c’est trop pas juste, ça ! que je réponds à l’écran derrière lequel elle ne peut pourtant pas m’entendre. En plus c’est cette crétine qui a tiré, j’y suis pour rien si elle est débile !

    – Je t’ai entendu, Nomis, répond Zavid, verte de rage. T’es mort ! Mort ! Mort ! Mort !

    Mais comment ?

    C’est seulement à ce moment que j’avise Saint-Lazare qui s’était approché de moi, son micro tendu vers mes lèvres.

 

    Décidément, il a décidé de ne pas m’aider, lui…