Piminomo ! On racontait qu’en des temps anciens, les Piminomos étaient l’espèce dominante sur Galéir. Que parmi ces oiseaux de proie hors du commun, espèce intelligente douée de parole, certains avaient une grande maîtrise de la magie élémentaire, voire même qu’ils l’avaient inventée. Et qu’au fil des siècles, ils s’étaient fait de plus en plus rares, se retirant du monde au fur et à mesure que de nouvelles espèces s’imposaient aux quatre coins de la planète. Rares étaient ceux qui pouvaient se vanter d’en avoir rencontré.
– Tu es fou, Seqeral ! commenta Delental. Les Piminomos ne sont qu’une légende !
– S’il y a bien quelqu’un ici capable de rencontrer des légendes, c’est Seronn, aucun doute là-dessus, intervint Jemril, qui savait depuis longtemps qu’avec son compagnon, il fallait s’attendre à tout.
– Je vous présente Talcaminanècqeterès, dit Seronn, tout sourire. C’est un ami.
Le volatile, indifférent à tous les regards braqués sur lui, se lissa consciencieusement les plumes. Il redressa ensuite la tête, observa son public médusé. De son bec crochu, une voix grave s’éleva :
– Et alors, les jeunes, vous n’avez pas entendu Seronn ? Dire bonjour vous arracherait la gorge ?
Des murmures inquiets, parfois au bord de la panique, s’élevèrent dans les rangs de l’armée mauve. Jemril, lui, éclata de rire. Une fois de plus, Seronn avait rabattu son caquet à ses détracteurs, et de la plus belle des manières : la sienne, qui n’appartenait qu’à lui. Recouvrant son sérieux, le frère d’Osterren s’approcha et s’inclina bien bas en guise de salut.
– C’est un honneur de faire votre connaissance, Maître du Vent, dit-il.
– Honneur partagé, mon garçon.
Vhondé, handicapée par son état, se fendit d’une révérence maladroite et serait tombée si Jemril ne lui avait prêté un bras secourable pour la soutenir. Des marmonnements de bienvenue indistincts s’élevèrent parmi les soldats, comme s’ils redoutaient d’attirer l’attention sur eux.
– Princesse Vhondé du Lacteng, je suis honoré.
Toute à la magie de l’instant devant cette créature mythique, Vhondé ne releva pas que le Piminomo connaissait son identité.
– Moins que moi, Maître Talc… amin… euh… Pardonnez-moi, je n’ai pas bien saisi votre nom.
– Talcaminanècqeterès, rappela Seronn.
– Seronn s’est entraîné une journée entière pour le retenir, expliqua le Piminomo en roulant les yeux au ciel. Il serait certes amusant de vous voir faire la même chose, tous autant que vous êtes, mais je vais vous faciliter la tâche : vous pouvez m’appeler Talca.
– Seronn, bougre d’âne bâté ! Comment diable connais-tu un Piminomo ? demanda un Jemril émerveillé.
– En fait c’est Talca qui est venu à moi. Il a atterri un jour dans la cour de ma ferme, parmi mes poules. Je n’y ai pas assisté mais quand je les ai comptées pour vérifier qu’elles étaient toutes là, il s’est avéré que j’en avais une de trop. Pour débusquer l’intruse, je les ai bien regardées une à une, les mettant de côté au fur et à mesure que je les identifiais par leur nom.
– Tu donnes des noms à tes poules ? demanda Delental, sidéré.
– Pourquoi est-ce que ça ne m’étonne guère ? fit Vhondé.
– Oui. Et c’est ainsi que j’ai trouvé Talca. Il m’a expliqué par la suite qu’il enquêtait sur les agissements d’un certain Laenn-Boer, qui…
– Seronn ! coupa le Piminomo.
– Oui, pardon, j’oubliais que ça doit rester secret. Il a suivi une piste de magie tellurique qui l’a conduit à mon père et…
– Seronn !
– Ah oui, désolé. Enfin bref, nous sommes devenus amis, et il m’a dit que si un jour j’avais besoin de son aide, il faudrait l’appeler grâce à ce type de flûte en bois que j’ai fabriqué. Ça envoie des mégasons.
– Ultrasons, corrigea Talca.
– Pourquoi est-ce que tu n’as pas demandé son aide quand Osterren a été fait prisonnier ? demanda Jemril.
– Je l’ai fait. Mais Si Talca était prêt à l’affronter, il ne voulait pas s’attaquer à Sss-Sss.
– Sss-Sss ?
Le Piminomo continua.
– Je suis un Maître du Vent, mais j’ai également des notions de magie concernant les autres éléments. En l’occurrence, il faut connaître celle de l’élément Eau pour espérer venir à bout d’un gardien des eaux. Je devrais en être capable mais pour cela, il me faut méditer longtemps afin de rassembler mes forces. De plus, ceux qui lancent des sortilèges pour créer des prisons aquatiques ne prennent pas de risque : en plus d’un gardien magique, il n’est pas rare qu’ils installent un geôlier physique. En l’occurrence, Sss-Sss.
– C’est moi qui lui ai donné ce nom, reprit Seronn, car c’est le bruit qu’il fait avec sa bouche. Je trouve que ça va très bien à ce serpent géant.
– Un serpent géant, répéta Jemril, pensif. Voilà qui risque d’être intéressant.
– Je suis un être de magie, dit Talca, ce qui a son revers de la médaille : je suis impuissant contre les gros êtres physiques, surtout quand ils sont aussi imposants qu’un serpent géant.
– Du coup, dit Seronn, j’ai dû renoncer à libérer Osterren, mais je m’étais dit que le jour où j’aurais la possibilité de le faire, je reviendrai pour l’aider. Par un heureux hasard, nous nous sommes rencontrés, Jemril, et te voilà aujourd’hui animé de la même volonté que moi de libérer Osterren, qui plus est à la tête d’une petite armée. J’espère que vous viendrez à bout de Sss-Sss.
Jemril, hilare, donna une si grande claque dans le dos de Seronn que celui-ci faillit tomber.
– Les fous ont l’air normal à côté de toi, Seronn ! Mais je crois qu’en fin de compte, je t’aime bien !