Chapitre V : Les Lunes Pourpres

L’estomac de Kerdan gargouilla, lui rappelant que son petit déjeuner n’était plus qu’un lointain souvenir. Il avait bien mérité une pause. Il gagna l’appartement de sa cousine Nevella sans être importuné par quiconque. Les regards en coin qu’il surprit sur son passage lui indiquèrent que sa réputation commençait d’ores et déjà à se propager, ce dont il se réjouit. Une réputation pouvait dans certains cas être un atout primordial.

Nevella l’accueillit avec un pauvre sourire. Elle pleurait encore la disparition de sa sœur. Elle débarrassa Kerdan de sa veste. Ils s’installèrent dans le sofa et évoquèrent la mémoire d’Évanie Majoline autour d’un apéritif mélancolique.
Les activités professionnelles de Kerdan ne lui avaient jamais permis d’être réellement proche de ses cousines, sa seule famille, mais les rares visites dont il les gratifiait dès qu’il le pouvait étaient importantes à ses yeux : elles lui apportaient un ancrage différent dans la vie, bien loin de son quotidien.
Kerdan avait encore beaucoup de travail mais préféra le laisser de côté pour se consacrer à Nevella. Elle avait besoin d’une présence familière et réconfortante à ses côtés. Ce n’est qu’après avoir déjeuné que Kerdan alluma son ordinateur.
Lorsqu’il avait quitté l’appartement au matin, sa messagerie était vide, il y avait veillé. Quelques heures avaient suffi pour qu’elle soit à nouveau saturée. Un jour comme un autre dans sa vie. 312 messages. Tous importants, qu’ils émanent de la Chancellerie de la République, de l’Ordre Jedi, des Forces de Sécurité de Coruscant, des Renseignements de la République ou du réseau d’individus qu’il s’était constitué à travers la galaxie afin de faire progresser les dossiers dont il avait la charge.
Il ne lui fallut que dix-sept minutes pour se mettre à jour, trier, traiter, répondre et classer les messages. Et il avait désormais de nouveaux éléments pour continuer son travail dans le quartier.

Les Saigneurs Noirs étaient le moindre mal parmi les gangs des environs. Cambriolages, escroqueries et rackets étaient leur gagne-pain. Agressions, à mains armées ou nues, représentaient une exception. Les meurtres étaient rarissimes dans le cadre de leurs activités illégales.
Kerdan avait bien évalué leur situation leur historique. Il n’était pas inquiet les concernant : ils seraient sensibles à son offre de rédemption, négociée la nuit précédente avec les autorités de Ryloth.
Rien ne serait aussi simple avec les deux gangs restants. Le fonds de commerce des Lunes Pourpres était la prostitution, la drogue et le jeu, tandis que le Soleil Noir n’était plus à présenter… Les Saigneurs Noirs, surtout composés de gens qui n’avaient pas eu de chance dans leur vie, étaient des enfants de cœur à côté d’eux.

À l’aide d’un solvant, Kerdan se débarrassa de son faux tatouage du Soleil Noir. Ce subterfuge avait porté ses fruits en attirant sur lui l’attention des Saigneurs Noirs et n’était désormais plus nécessaire. La rue savait qui il était. Du moins le croyait-elle…

Il enfila sa veste étriquée, attrapa sa mallette, souhaita une bonne après-midi à sa cousine et ressortit mener sa guerre personnelle.

Les messages que Kerdan avaient reçus dans la matinée étaient plus que satisfaisants, se réjouit-il en arpentant de nouveau les rues. Grâce à ses multiples contacts, il avait la synthèse de l’organisation des Lunes Pourpres en tête. Ils seraient ses prochaines victimes. À vrai dire, ils avaient déjà été ses victimes la nuit précédente, même s’ils l’ignoraient encore.

Il passa devant une grande bâtisse crasseuse, dont la porte d’entrée et les fenêtres étaient condamnées par des planches cloutées de manière anarchique. Il s’engouffra dans la ruelle adjacente et marcha jusqu’à une porte latérale du bâtiment, dont le blindage déparait avec la décrépitude alentour. Comme d’habitude, les informations glanées étaient justes.
Il sortit un mini-comlink de la poche de sa veste et l’accrocha à son col.
– Mikx, tu me reçois ?
– Oui, Kerdan.
– Tout est en place ?
– Je suis prêt à agir à ta convenance.
– Bien. J’entre.

Il toqua à la porte et leva des yeux impassibles vers la caméra de sécurité qui surplombait l’entrée. Quelques secondes plus tard, la porte s’effaça dans un cliquetis. Kerdan entra.

Le hall était sombre. Mais dans la lumière tamisée, Kerdan distingua la dizaine de malabars qui pointaient tous leurs blasters sur lui.

– Les gens comme toi ne sont pas les bienvenus ici, Kerdan Majoline, dit l’un d’eux, un imposant Barabel. Donne-moi une bonne raison de ne pas te tuer sur-le-champ. Sois court et convainquant.
Kerdan plissa les yeux et laissa le silence s’appesantir. Finalement, il déclara :
– Sois un gentil petit lézard et conduis-moi à ton maître, au lieu de pérorer dans le vide. Qui plus est, ce n’est pas avec ton blaster déchargé que tu pourras m’abattre.
Le Barabel sursauta et pressa la détente. Le chuintement pitoyable qui émana de l’arme rappela le râle d’un mourant. Nul trait d’énergie ne jaillit.
– Je serais toi, j’éviterais de faire des bêtises… regrettables, Corrigan Huff, fit Kerdan en plantant ses yeux dans une caméra-bouton cachée au niveau du plafond. D’autant que je ne suis venu que pour te parler. Rien de plus.

Le Corellien Corrigan Huff, chef du gang des Lunes Pourpres, regarda avec dédain le visage de Kerdan Majoline sur son écran de surveillance, tout en tirant nonchalamment sur son cigare. Il ouvrit un canal de communications.
– Tu ne m’impressionnes guère, Majoline. Et tu as signé ton arrêt de mort en mettant les pieds ici. Amenez-le-moi, les gars.