Tout a commencé un matin, qui aurait pu s’avérer être un matin comme un autre sauf qu’il ne le serait pas. Genre qu’il serait même aux antipodes d’un matin normal, même si les antipodes et la Bretagne dans lequel ce matin pas normal allait se dérouler ne semblent pas aller très bien au niveau climatique. Encore un coup du dérèglement, m’est avis.

    Ce matin-là, donc, histoire de bien insister sur la répétition du mot « matin » (et je pense tenir là un record ou pas loin), ma compagne, à qui pour des raisons évidentes de préservation d’anonymat, nous (oui, c’est le « nous » royal qu’emploient les auteurs pour parler d’eux-mêmes, alors même qu’ils sont seuls, sauf peut-être certains dans leur tête, ce qui pourrait bien me correspondre, d’ailleurs, même si ceci est une autre histoire. C’est bon, j’ai aussi battu le record de la mise en parenthèse la plus longue de la galaxie de l’univers ?) donnerons un pseudonyme, celui de EivlyS (oui, comme Presley), m’apprend que nous allons à l’hôpital à onze heures.

    – Ah merde, quelqu’un est malade ou s’est blessé ? que je demande alors, plein de compassion parce que je suis un humain empathique vis-à-vis du malheur des autres.

    – Ne me dis pas que tu as déjà oublié que c’est aujourd’hui l’échographie ? qu’elle me rétorque, menaçante, telle la lionne s’apprêtant à bondir hors des fourrés dans la savane pour se jeter sur une antilope passant à sa portée.

    – Bien sûr que non, chérie, je plaisantais ! Ah ! Ah ! Ah ! Comment aurais-je pu oublier ?

    Ouf, la tête de la lionne disparaît derrière les feuilles de l’arbuste.

 

    Réfléchis, Derf (oui, moi aussi je me donne des pseudos parce que je suis un mec trop fun), réfléchis ! Elle a dit quel mot ? Échographie ? Qu’est-ce que c’est donc que ce truc ?

    Voyons voir… Si je me sers de mon surpuissant cerveau pour analyser les racines étymologiques de ce mot, il se décompose donc en « écho » et en « graphie ».

    « Écho », je connais : quand on pousse un gros cri dans la montagne et qu’on a la chance de ne pas déclencher une avalanche, on a la surprise d’entendre ce cri se répercuter tout autour de soi. Sauf bien sûr quand on s’adonne à cette activité de touriste Breton de base durant un quart d’heure, auquel cas la réponse ne finit plus par être notre propre cri mais un bon vieux « C’est bon, on a compris ! Ta gueule, maintenant ! ».

    Les scientifiques se perdent encore en conjectures quant à cette variante de l’écho. Pour ma part, il est l’éclatante démonstration de l’existence des yétis, avec en prime une information de première importance : les yétis parlent.

    Quant à « graphie », trop facile : ça veut dire « écrire ». Est-ce que c’est grec, ce truc ? Ou romain ? Je ne sais pas (quoique : un « ph » plutôt qu’un « f » indique une origine plutôt grecque que germanique, car oui, cette histoire est aussi l’occasion de se cultiver un peu) mais en tout cas, que ce soit l’un ou l’autre, ça ne ressemble à rien, cette histoire d’écho écrit.

    Et puis pour trouver un écho dans les montagnes bretonnes dont le point culminant est plus bas que le point culminant belge (et oui, chez les gens du plat pays), va falloir se lever tôt.

    À moins que « écho » ne fasse bien sûr écho (ah ! ah ! Elle est bien bonne, celle-là !) aux paroles que prononcent Chuck Norriss dans n’importe quel téléfilm moisi quand, dissimulé dans la jungle moite pleine de bébêtes méchantes, il dit « Écho tango charlie » dans sa radio, une fois que ses supérieurs viennent de lui donner l’autorisation d’aller libérer les 421 gentils américains détenus par les 99 soldats vietcongs et psychopathes de tout bon mauvais téléfilm des années 80 qui se respecte. Bien entendu, il gagnera à la fin, aucun otage ne mourra (sauf éventuellement le grand-père de la plus belle, qui avant de mourir donnera l’autorisation voire l’ordre à Norriss de couch… de veiller sur sa petite-fille chérie), et les 99 ennemis seront tous morts.

    Comment ça, je m’égare ? Rhooo, tout de suite…

 

    L’hôpital pour le rendez-vous de onze heures, disais-je donc (à moins que je ne l’ai pas encore dit, mais comme ça c’est fait). On se gare facilement après avoir fait dix-huit fois le tour du parking pour trouver une place (et je sens qu’on va bien se marrer le jour de l’accouchement, du coup…), et hop, direction l’accueil de l’aile idoine de l’hôpital. On peut d’ailleurs se demander pourquoi les morceaux de bâtiments s’appellent des ailes vu qu’ils ne servent pas à voler, mais ceci est un autre débat, pour lequel je n’ai d’ailleurs aucun argument à faire valoir ni dans un sens ni dans l’autre, ce qui va nous éviter une énième digression, ouf.

 

    On se retrouve donc devant une secrétaire, et c’est là que ce que la France produit de mieux, et de loin, entre en scène : la bureaucratie. Elle démontre encore une fois, si besoin était, son sens inné de l’efficacité en demandant trois-cent-quarante-deux papiers d’identité et de justifications diverses et variées, à un tel point que je la soupçonne d’en inventer certains.

    Pourquoi tant de haine de sa part, me demanderez-vous ? Euh… Les psychopathes aussi ont le droit de travailler, non ? Voilà qui pourrait être un bon début d’explication.

    Et pour en revenir aux papiers, s’il en manque un, on fait quoi ? On fait demi-tour et on reprend rendez-vous pour dans trois mois ? Ou une interdiction d’accoucher est décrétée ? Pire que les impôts, leur truc…

    En tout cas, moi, pendant que ma chère et tendre se bat avec la paperasse, je suis peinard tranquille. Par contre, c’est bizarre : dans cette salle, tout autour, y’a des femmes enceintes et des bébés sur les murs (pas en vrai, hein, juste des posters, sinon on serait dans la salle des trophées d’un collectionneur fou). Ça mettrait presque un bon coup de pression.

 

    Et nous voilà enfin à attendre devant un bureau, et le stress monte, monte, monte… Arriverais-je à passer le niveau 52 547 du jeu à la con sur lequel je m’acharne sur mon smartphone en attendant que notre tour arrive ?

    Ah bah non. Non pas que l’attente ait pris fin (depuis quand les hospitaliers sont à l’heure ?), mais j’arrive à court de vies. Crotte, va falloir attendre une demi-heure avant d’en récupérer.

 

    Finalement, le docteur débarque et nous emmène dans une salle sombre à l’éclairage feutré. C’est la cave, c’est ça ? J’espère au moins qu’il y a du pinard. Ah non, on n’est pas là pour ça ? Dommage…

 

    À l’aise, comme à la maison, le toubib dit à ma copine de se désaper. Alors que je m’apprête aussi sec à bondir de mon fauteuil pour lui exploser la tronche, je me retiens quand même vu qu’elle s’exécute sans rechigner. Y’a un truc entre eux, c’est ça ? J’ai raté un épisode ? Je me suis fait éjecter sans qu’on m’ait prévenu ? Pff, de toute manière je suis tout le temps le dernier au courant des changements…

 

    Le toubib nous dit de regarder un écran au mur, pendant qu’il met une douchette (comme au supermarché, pas comme sous la douche) sur le ventre de ma copine. Pas de « bip », donc il n’a pas dû trouver le code-barres. Par contre, une grotte noire aux murs gris apparaît sur l’écran.

    – Voyons voir ce qu’il y a dedans, dit le toubib.

    Il s’attend à quoi ? À un dragon dormant sur son tas d’or ?

    – Ah, c’est bon, je le vois, qu’il enchaîne. Je confirme, madame : vous êtes enceinte. Il n’y en a qu’un, on le voit distinctement.

    – Ah oui, c’est clair, qu’elle répond, imperturbable.

    Moi aussi je regarde. Je dois avoir un problème aux yeux, je ne vois pas la même chose qu’eux. Y’a une tache. Ou plutôt deux, une grande et une petite. Il semblerait donc que je me voilà papa d’un barbapapa. De 2,3 centimètres, d’après le médecin. Comme on ne sait ni si c’est un gars, une fille, un alien, un tricératops ou le Pokémon 328 (il paraît qu’il est trop tôt pour le savoir), je pense que le nom de « Barbatruc » va lui convenir à merveille en attendant, parce qu’en plus y’a clairement une ressemblance.

    J’en entends qui s’insurgent que j’ai traité mon Barbatruc de tache ? Faut pas se faire d’illusion : je suis prêt à parier que ce ne sera pas la dernière fois. Mais comme il faut bien un début à tout, on va dire que ça, c’est fait.

    Concernant Barbatruc, le médecin ajoute :

    – C’est un acrobate.

    Je plisse les yeux pour mieux regarder, m’attendant à voir le petit machin faire de la balançoire, sauter sur des trampolines en faisant des triples axels dans le ventre de sa mère, mais non, rien.

    En même temps, s’il se veut acrobate, le Barbatruc, vaudrait mieux pour lui qu’il soit plus souple que son père, parce que sinon il ne dépassera guère le niveau de Plouf le cascadeur.

    Je me dis donc, fort pragmatiquement, que ce médecin doit être alcoolique, et que s’il fait le test de Rorschah, je ne veux surtout pas connaître le résultat. Sauf qu’il ajoute :

    – Bah oui, il a la tête en bas.

    D’accord, j’ai pigé. Il y avait bien une logique dans ses paroles. Il n’est peut-être pas aussi malade dans sa tête que je le pensais. Du coup, c’est peut-être la mienne qui ne va pas très bien ?

    Euh…

    On s’en fiche, et puis c’est pas le moment, na. On en reparlera au siècle prochain. Au moins.

    Mais du coup, en repensant à cette histoire de tête en bas, une autre idée me vient en tête : et s’il/elle/Obi-Wan Kenobi (rayer la mention inutile) avait des gènes de chauve-souris ? Voilà qui expliquerait le pourquoi d’une telle position.  Et si l’on va plus loin, pourquoi n’aurait-il/elle/etc (ok c’est bon on a compris et je vais me calmer sur les running gag) pas les gènes de Batman ? Ça, ce serait trop la classe.

 

    Le toubib appuie ensuite sur un bouton et une boîte à rythme nerveuse se fait soudain entendre. Euh… On se fait un bœuf, c’est ça ? Par contre je vous préviens tout de suite, je ne sais ni chanter ni danser, moi.

    Mais en fait non, car le toubib dit :

    – Tout baigne, on entend bien les battements de son cœur.

    Ah. Je comprends mieux. Ouf. Parce que je sens que si on avait été aux auditions de La Voix En Anglais ou de La France A Plein De Talents Inutiles, je n’aurais pas dépassé le stade des qualifications. Avec un peu de chance, je serais quand même passé à la télé, mais bon : c’est jamais top d’être dans les bêtisiers.

 

    Et hop, après un petit coup d’imprimante pour immortaliser Barbatruc dans sa caverne (même pas né, déjà diva pour les photos. Ces djeunes, je vous jure…), briefing dans le bureau du toubib pour les rendez-vous ultérieurs, plus paperasses supplémentaires, genre question du médecin :

    – Qui est le médecin traitant ?

    Et la réponse qui va bien de ma compagne :

    – Docteur Machin, mais il n’est pas déclaré à la Sécu.

    Alors que je ricanais intérieurement suite à ces paroles pouvant prêter à confusion, je vis tout de suite qu’il n’y avait aucune confusion dans l’esprit du toubib, nous regardant avec de grands yeux et se demandant ce qui se passait au juste : médecin pas déclaré ? Un gourou ? Un déconteur ? Un vétérinaire ?

    J’ai senti son soulagement après l’explication selon laquelle ma compagne, nouvelle arrivée dans la région, n’avait pas encore déclaré officiellement de médecin traitant du coin à la Sécu.

 

    Enfin bref. Tout ça pour dire que fin août, je serai papa. T’as pas fini d’en chier, gamin, c’est moi qui te le dis.

 

    PS : Reste désormais à savoir qui va l’emporter entre la ligue de ma mère et de la future mère, qui veulent une fille, et la ligue que je forme tout seul avec moi-même, tel le loup solitaire chassant dans la toundra, ou la taïga, au choix, et qui préférerait avoir un garçon histoire de rééquilibrer l’univers à la maison : ça ferait trois filles d’un côté, deux gars de l’autre. Sinon tant pis, je me consolerais en me disant que mon harem s’agrandit, ce qui peut être un peu beaucoup la classe aussi, dit comme ça…