Chapitre IV

Quand il eut fini sa lecture, le sénateur Duro Aar Gamonn se rassit confortablement dans son fauteuil cossu. Il posa ses coudes sur les accoudoirs, posa ses mains paume contre paume, comme pour une prière muette, et les posa sur sa bouche. Il avait besoin de réfléchir. Une opportunité comme celle-là était à saisir au vol, il le sentait clairement.
Il venait de parcourir attentivement le dossier qui venait de parvenir aux Services Diplomatiques de la République, envoyé par le commandant de la Station Spatiale Carolusia. Et son contenu était très intéressant à ses yeux. Il n’avait pas encore de plan précis en tête, mais il allait certainement pouvoir jouer sur le fait que les Skelors avaient été négligés par la République. Bien que leur planète soit indépendante, jamais la République ne lui avait tendu la main, et ce fait cadrait très mal avec la politique enthousiaste de Marcus Valorum, qui se voulait à l’écoute de tous, alliés ou non.
Si Aar Gamonn se faisait le champion de ce Ver’Liu So-Ren, en s’appuyant sur les nobles concepts de justice et de solidarité, il pourrait gagner un surcroît d’influence sur l’échiquier politique, d’autant plus intéressant que les futures élections du Chancelier Galactique approchaient à grands pas.
Il fit mander ses conseillers : ils avaient un discours à préparer, en vue de la séance au Sénat qu’il allait demander, et dont l’ordre du jour serait la restauration du pouvoir de la monarchie skelorienne.


***

Comme tout cela est étrange, pense Tel’Ay Mi-Nag.
Il est à quatre pattes et regarde Séis, son ancien condisciple, qui se dirige vers lui…lentement, tellement lentement. A ce rythme, il lui faudra plusieurs minutes pour atteindre Tel’Ay.
Mais son environnement n’est guère important. Il vient de se produire un autre fait, tout aussi étrange, et qui lui a rendu son intégrité. Il perçoit à nouveau clairement la Force, elle semble chanter une litanie cristalline dans ses oreilles. Il possède à nouveau six sens, car le plus important d’entre eux, la perception de la Force, lui a été rendu.
Fait inhabituel, il voit les auras. Celui de Séis est bleu, dans une teinte sombre. Seule exception, et de taille : le Gant de Vèntorqis, nimbé d’une luminescence vert foncée. Son propre aura a la même couleur. Des tentacules immatériels de Force émanent du Gant et cherchent à se lier à lui, comme s’il ne voulait rien avoir à faire avec Séis, comme s’il rejetait sa manière d’utiliser la Force.
Le Gant de Vèntorqis serait-il en quelque sorte accordé sur les Tanietiens, conçu pour servir ceux qui utilisent la Force selon les préceptes de la confrérie ? Tel’Ay l’ignore. la seule chose qui soit sûre est qu’il existe un lien certain entre le Gant et lui. Sans qu’il puisse se l’expliquer, Tel’Ay sait qu’il peut en user.

Séis leva son sabrolaser au-dessus de Tel’Ay, toujours à quatre pattes, l’air absent. C’est vraiment trop facile, ricana intérieurement le Sith, avant d’abattre son sabre sur le Skelor. Mais il sentit une pulsion sourdre du Gant de Vèntorqis, qui détourna sa lame. Abasourdi, il la vit se ficher dans le sol, pendant que Tel’Ay se relevait et plantait un regard de tueur dans ses yeux. Totalement décontenancé, il resta tétanisé quand Tel’Ay le repoussa d’une violente impulsion de Force. Il lâcha son sabrolaser et s’affala lourdement au sol, quelques mètres plus loin.
Il se releva péniblement et sentit une douleur jaillir dans sa main gauche : le Gant de Vèntorqis se mit à serrer sa main, comme s’il voulait la broyer, et une chaleur infernale s’en dégagea. De la fumée en émergea, une odeur de chair brûlée envahit ses narines, et sa souffrance franchit un nouveau palier. Il tenta d’arracher le Gant, vainement, jusqu’à ce qu’il se serve de la Force pour l’aider. enfin, l’artefact Sith s’en détacha, emportant avec lui des lambeaux de peau carbonisés.
Il jeta un coup d’œil à Tel’Ay : celui-ci le regardait, impassible, sûr de lui. Une peur incompréhensible envahit Séis. Un sentiment d’infériorité vis-à-vis du Skelor, qu’il croyait avoir définitivement éradiqué en rejoignant Dark Omberius, s’empara de lui. Il tenta de s’en débarrasser en reprenant son contrôle, et en décidant d’aller au bout de ce combat. Son sabrolaser vient se ficher dans sa main tendue, il l’alluma et s’approcha de Tel’Ay en contournant prudemment le Gant de Vèntorqis, resté à terre.
Tel’Ay fixa son regard sur l’auvent le plus proche de lui, et l’arracha de son support par télékinésie. Il le fit tomber devant lui, amas informe de débris. Il tendit la main et une barre métallique, d’un mètre de long environ, jaillit des restes de l’auvent et vint se loger dans sa paume. Il frappa le sol de la barre et des éclairs bleuâtres l’enveloppèrent.
Séis déglutit. Il connaissait cet antique pouvoir, qui consistait à énergiser des objets pour s’en faire des armes, mais il ignorait que Tel’Ay était capable de l’utiliser.

Séis tourna autour de Tel’Ay, lentement. Il tremblait intérieurement, et se maudit d’éprouver de la crainte, lui qui avait éliminé facilement les Tanietiens, y compris Maal Gami. N’y tenant plus, il bondit sauvagement, en renforçant ses coups de toute la puissance de sa rage et de sa haine.
Tel’Ay esquiva les attaques acharnées de Séis à l’aide de sa barre métallique, qui tint parfaitement le choc. Ses pieds semblaient ancrés au sol, et seul la partie supérieure de son corps bougeait, dans une économie de mouvements qui lui évitait de se disperser. Séis fit pleuvoir sur lui une multitude de coups, dont pas un ne porta, pendant de longues minutes.
Il finit par rompre l’assaut, haletant et couvert de sueur.
– C’est tout ? demanda froidement Tel’Ay, qui ne semblait pas le moins du monde avoir entamé ses forces.

Séis ne répondit rien. Des larmes de frustration envahirent ses yeux. Il allait mourir là, il le savait. Dans un sursaut d’orgueil, il tenta d’étrangler Tel’Ay à distance. Celui-ci brisa l’emprise de Séis facilement. Le Dévaronien lança son sabrolaser sur Tel’Ay et fit jaillir des éclairs de Force de ses doigts. Il y fit passer toutes les émotions qui l’assaillaient, ainsi que son désespoir à l’idée qu’il s’agissait que sa seule chance de l’emporter.
Tel’Ay lâcha sa barre métallique, tendit une main vers le sabrolaser de Séis, et allongea son autre bras vers Séis, paume ouverte. Simultanément, il attrapa l’arme à lame rouge, et repoussa les éclairs de Force, qui rebondirent sur son autre main. Il fut quelque peu grisé de voir que tout semblait facile. Jusqu’à l’année précédente, il n’avait jamais pensé que des éclairs de Force pouvaient être arrêtés simplement avec les mains, mais Yoda lui avait démontré le contraire avec brio. Il se sentit fier d’en être à son tour capable.
Il marcha sur Séis, qui intensifia encore ses attaques. Mais rien ne pouvait ralentir et encore moins arrêter Tel’Ay. Quand moins d’un mètre les sépara, Séis arrêta son attaque, convaincu de son inutilité. Il laissa retomber ses bras le long de son corps. Des larmes coulèrent sur son visage, tandis qu’il affrontait le regard implacable de Tel’Ay Mi-Nag. Pourquoi ? Pourquoi n’avait-il pas été assez fort ? Il avait pourtant accompli de grands progrès en l’espace d’un an. Il n’eut pas la réponse, et ne fit pas un geste quand le Skelor l’abattit avec son propre sabrolaser.


***

Tchoo-Nachril ne sortit pas déçu de son entretien avec un responsable des Renseignements de la République. L’humain à qui il avait parlé avait supervisé l’analyse des débris de l’attentat qui avait coûté la vie au sénateur bothan Jeroed’Erfey, et ses conclusions avaient été aussi pertinentes qu’utiles.
La bombe avait été identifiée : il s’agissait d’une mine miniature, et ses caractéristiques correspondaient parfaitement à un modèle fabriqué par les Armements Tenuria. Tchoo-Nachril monta dans son speeder et fendit les couloirs de circulation de Coruscant. Comme beaucoup d’entreprises d’envergure, les Armements Tenuria avaient leur siège social dans la capitale de la République, et le Jedi whipid n’eut aucun mal à obtenir l’adresse.

Une demi-heure plus tard, il se posait à proximité du gratte-ciel surmonté du logo géant de l’entreprise. Sans surprise, deux vigiles tentèrent de l’empêcher d’entrer dans l’immeuble. tchoo-Nachril n’en attendait pas moins d’eux : il était fréquent que les humanoïdes qu’ils croisaient soient intimidés par sa haute taille et son apparence générale. De plus, avec son chapeau de paille au bout pointu et sa bure de Jedi, il ne ressemblait pas du tout au genre de personnes qui franchissaient la porte de l’établissement en temps normal.
Moins de cinq minutes après qu’il se fut identifié et ait montré son ordre de mission, il fut reçu par un petit Twi’lek a l’air nerveux, et qui se présenta comme faisant partie du conseil d’administration des Armements Tenuria.
Il emmena le Jedi jusqu’à un salon cossu et fit apporter par un secrétaire un petit chariot à répulseurs empli de boissons. Après les civilités d’usage et le refus de Tchoo-Nachril de se sustenter, il dit d’un ton mielleux :
– Maître Jedi, c’est un honneur que de vous rencontrer. J’ai toujours éprouvé la plus grande admiration envers l’Ordre. Que puis-je faire pour vous ?
– Avez-vous entendu parler de l’attentat dont a été victime le sénateur bothan, Jeroed’Erfey ?
– Hélas oui ! Quelle tragédie !
– L’analyse de la scène du crime a montré que l’arme du crime est une mini-bombe « expass » fabriquée par votre entreprise.
– Ah ? répondit le Twi’lek, ébranlé. Je vous assure, Maître, que les Entreprises Tenuria se contentent de vendre leurs produits, et ne peuvent en aucun cas être inquiétés par l’usage qu’en font leurs clients.
– Je connais en effet la loi, administrateur, je vous rappelle que je la défends, ironisa Tchoo-Nachril. Mais je connais aussi les fabricants d’armes et leur…prudence, ajouta-t-il en substituant au dernier moment le mot « paranoïa », qui lui était venu instinctivement à l’esprit pour décrire les mœurs des fabricants d’armes, à celui de « prudence », plus diplomatique.
– Que voulez-vous dire, Maître ? s’inquiéta l’administrateur.
– Les entreprises telles que la votre aiment bien garder un œil sur leurs marchandises, même une fois qu’elle sont passées entre d’autres mains.
Il sortit une petite boîte métallique d’une poche de sa bure et ajouta :
– Voici les débris de la mine. J’aimerais que vous la fassiez examiner par vos hommes, avant de savoir s’il est possible de déterminer à qui elle a été vendue.
– Hum…je suis désolé, Maître, mais je crains que cela ne soit guère possible. Nous ne disposons pas des systèmes de contrôle que vous nous prêtez. Nous sommes de simples vendeurs et ne nous mêlons de rien d’autre.
Tchoo-Nachril laissa un silence pesant s’installer, et finit par se lever. Il tendit la main vers le Twi’lek, comme pour prendre congé, et fit :
– Tant pis, monsieur l’administrateur. Désolé d’avoir ainsi abusé de votre temps.
– Il n’y a pas de mal, fit son interlocuteur en s’inclinant obséquieusement. Ce fut un honneur que de vous rencontrer. J’espère de tout cœur que vous trouverez les réponses que vous cherchez.
– Je n’en doute pas une seconde. Et de mon côté, je vous souhaite bonne chance pour le passage en commission sénatoriale de votre entreprise la semaine prochaine.
– Que…que voulez-vous dire ? Je ne comprends pas !
– Vous entravez mon enquête en me refusant votre aide. Quand j’aurais fait mon rapport, vous aurez des comptes à rendre aux autorités de la République. Je vous souhaite une bonne fin de journée, administrateur, conclut-il en le saluant de la tête, avant de tourner les talons et de se diriger vers la porte.
– Mais…euh…attendez, Maître Jedi, lança le Twi’lek en le rejoignant. Heu…maintenant que j’y pense, il existe…peut-être…un moyen.
Le Whiphid ne répondit rien et se contenta de présenter la boîte au Twi’lek. Celui-ci sembla encore hésiter quelque temps, puis se résigna à l’empoigner en soupirant.
– C’est par ici, fit-il, tête basse, avant de piloter le Jedi parmi les couloirs de l’entreprise.

Deux heures plus tard, Tchoo-Nachril et l’administrateur attendaient devant un laboratoire de l’entreprise. Le premier était aussi serein que le second était nerveux, et chacun d’eux ignorait consciencieusement l’autre. Un Verpine, vêtu d’une blouse mauve, sortit enfin du laboratoire, rendit sa boîte métallique au Jedi et remit un bloc de données au Twi’lek. Celui-ci lui défiler avec fébrilité les informations qu’il contenait, et il soupira d’aise quand il vit la conclusion du rapport. Sur l’un des micro-débris était apparu le numéro de série de la mini-bombe, incrusté secrètement au laser lors de l’usinage.
Il releva les yeux vers le Whiphid et lui dit :
– Bonne nouvelle, je suis en mesure de vous dire à qui cette bombe a été vendue !
– Je vous écoute, fit Tchoo-Nachril, impavide.
– Voyons voir ça, répondit l’administrateur en entrant des codes dans un terminal informatique.
Ses sourcils se froncèrent, au fur et à mesure qu’il lisait les informations qui apparurent dans une fenêtre sur l’écran.
– Cette bombe faisait partie d’une cargaison destinée à la planète Tatooine.
– Parfait. Je n’ai jamais entendu de cette planète, mais j’en trouverais trace sans mal.
– Oui, mais attendez ! La cargaison n’est jamais arrivée à bon port !
– Que voulez-vous dire ?
– Le cargo qui la transportait a été arraisonné en cours de route, et la marchandise volée.
– Par qui ?
– Des pirates, qui ont revendiqué faire partie des Archanges de Norkaï.
– Je vous remercie de votre collaboration, administrateur.

Tchoo-Nachril n’eut pas longtemps à réfléchir pour savoir ce qu’il avait à faire. Il prit rapidement congé, fit son rapport via comlink tout en rejoignant son landspeeder. Une fois aux commandes, il mit le cap vers les bas-fonds.


***

Gloire, prestige, pouvoir, et vengeance. Voilà quelles étaient les scènes auxquelles rêvait Dark Omberius la nuit, comme présentement. Mais il fut brusquement tiré du sommeil quand un mal de crâne l’assaillit soudainement. La douleur disparut aussi vite qu’elle était apparue, mais il comprit aussitôt ce que cela signifiait. Dark Seid était mort.
Voilà qui changeait beaucoup de choses à ses plans. Il s’assit dans son lit et les rouages de son cerveau se mirent automatiquement en branle. Le complot était une seconde nature chez lui, et ourdir des plans de rechange était presque devenu un réflexe chez lui, après des années de pratique intensive de manipulations de toutes les personnes qu’il croisait.

La question du choix entre ses deux apprentis, Glaro et Seid, était résolue. Et comme chacun d’eux ignorait l’existence de l’autre, il n’y aurait pas de vague avec le survivant. Omberius se demanda s’il devait prendre un nouvel apprenti, ou un exécuteur sensible à la Force, mais il décida de laisser cette question en suspens. Elle était loin d’être sa priorité du moment.
Un fait était surtout inquiétant, avec la mort de Dark Seid : le message qu’Omberius lui avait laissé, et qui lui ordonnait de se rendre sur le Carolusia pour tuer le jeune héritier du trône des Skelor. Il y avait de fortes chances que l’assassin de Seid tente de sauver son roi présomptif, car Omberius était persuadé qu’il s’agissait du Skelor de son rêve. Probablement ce Mi-Nag qui avait étudié les voies de la Force dans la même confrérie Sith que Seid. Il fallait absolument le prendre de vitesse.

Dark Omberius se leva, alluma le central de communications, enfila sa longue robe de Seigneur Sith et en rabattit la capuche pour masquer ses traits. Il réfléchit longuement aux options qui se présentaient à lui, et décida qui il allait envoyer sur le Carolusia : parmi tous les agents subversifs qu’il connaissait, les Archanges de Norkaï lui semblèrent parfaits pour cette mission. Ces pirates, bien que limités, étaient tenaces, et accomplissaient leurs tâches sans poser de questions inutiles, d’autant plus que Dark Ombeirus les payait grassement.


***

Tel’Ay ne s’attarda guère à contempler la dépouille fumante de Séis. Il décida de garder pour lui le sabrolaser de son ancien condisciple, et se demanda brièvement où était passé le sien. Il l’avait sans doute abandonné auprès du corps de Kuun, après l’avoir tué, un an auparavant. Il faillit éprouver de la lassitude en se penchant vers son passé, mais il repoussa fermement ses souvenirs et redressa la tête. Il refusa de se laisser aller à s’apitoyer sur ses erreurs d’antan.
Il avait d’autres soucis sur les bras. Il s’assura qu’Anaria, qui gisait inerte, n’était qu’évanouie, et se renfrogna à l’idée qu’il lui fallait attendre qu’elle reprenne connaissance avant de quitter cet endroit. Heureusement, ils étaient sur Nar Shaddaa, planète où chacun s’occupait de ses propres affaires et ne mettait le nez dans celles des autres qu’à ses risques et périls. En conséquence, nul attroupement de badauds ne s’était formé autour des deux combattants pendant leur duel. Les passants s’étaient contentés de regards en coin avant de poursuivre leur chemin.
Il s’accroupit au-dessus du Gant de Vèntorqis, et resta méditatif un long moment. Tel’Ay avait la certitude que l’artefact avait en quelque sorte choisi son camp, si tant est qu’une telle chose soit possible, entre Séis et lui. Pourtant, tous deux avaient été des traîtres à leur Ordre : Séis en devenant l’apprenti d’un autre Seigneur Sith, qui utilisait la Force d’une autre manière et pour des buts différents aussi, sans nul doute. Et Tel’Ay en se laissant investir pleinement pas le Côté Obscur de la Force, qui en avait fait brièvement son esclave. Mais suffisamment longtemps pour qu’il est le temps de tuer sa femme et son fils. Avant de tuer son ami Kuun Hadgard à son tour.
Comment le Gant de Vèntorqis avait-il fait son choix ? Avait-il opté pour le Sith dont la philosophie se rapprochait le plus de celle des Tanietiens ? Où s’était-il attaqué au meurtrier de son maître ? Perplexe, Tel’Ay se rendit compte qu’il était presque prêt à considérer le Gant comme un être doté de libre arbitre.
Quoi qu’il en soit, hors de question de le laisser là. Séis avait affirmé avoir tué tous les membres de leur Confrérie, y compris leur Maître, Maal Gami. Tel’Ay ne voyait pas comment une telle chose était possible, mais il devait bien se rendre à l’évidence. Jamais Maal Gami n’aurait impunément laissé Séis s’emparer du Gant. S’il avait accompli un tel sacrilège, il n’aurait pas survécu longtemps et toute la Confrérie aurait été lancée à ses trousses. Non, Maal Galmi et les siens étaient tous sûrement morts à l’heure qu’il était.
Mais le Skelor devait s’en assurer. Avant de croiser la route de Séis, il avait décidé de rallier Meros V pour subir son châtiment. Il comptait toujours s’y rendre, mais pour se rendre compte par lui-même de ce qui s’y était produit.

Il prit le Gant dans sa main. Il était plus léger qu’il ne l’aurait cru. Il perçut son pouvoir. Il en ceignit sa main gauche, et ses perceptions furent soudainement accrues. C’était un outil puissant, pas de doute là-dessus. Il retourna auprès du corps de Séis et fouilla ses poches. Il trouva quelques crédits, qu’il laissa, et surtout une carte magnétique, commande d’ouverture de vaisseau. Au moins, il n’aurait pas à se poser la question de comment quitter la planète.
Grâce au Gant, il sut aussi qu’il n’avait pas besoin d’attendre le réveil d’Anaria pour s’occuper d’elle. L’artefact semblait en effet conçu pour que les réserves d’énergie de son détenteur soient toujours pleines, et Tel’Ay sut qu’il pourrait puiser dans la Force sans effort pendant un long moment. Il n’était pas idiot et savait qu’il y aurait un prix à payer, mais il estima que ce n’était guère le moment d’y songer. Chaque chose après l’autre.
Avec l’aide la Force, il prit la Wookiee dans ses bras, sans effort. Qu’importait s’il attirait l’attention, il ne resterait plus très longtemps sur cette planète. Il s’orienta instinctivement et prit la direction de l’astroport, à pied.


***

Tchoo-Nachril se faufila dans un dédale de ruelles enfoncé dans les entrailles de Coruscant. Les niveaux inférieurs de Coruscant représentaient l’opposé, à plus d’un titre, des quartiers à ciel ouvert. Ici, rares étaient les endroits que baignait la chaleur du soleil. Tout n’était que ruines, saletés et décrépitude. Mais cette partie de la ville-planète n’en était pas moins vivante que les autres. Seul le type de population qui y vivait était différent, ainsi que leur mode de vie.
Dans ce monde à part se côtoyaient tous les êtres vivant en marge de la société. Membres de la pègre, contrebandiers, trafiquants en tous genres. Un rappel constant, pour Tchoo-Nachril, du fait que quels que soient les efforts des Jedi, il y aurait toujours, quelque part, des êtres vivants dont l’existence serait régie par le Côté Obscur de la Force. Comme ses pairs Jedi, il devait souvent se contenter d’empêcher les activités illégales de proliférer, car les éradiquer était un vœu pieux, une utopie : tout être abritait en lui l’obscurité.
Un paradoxe faisait que cette frange de population était parfois tolérée par les Jedi, mais aussi que les Chevaliers aient des accointances dans ce milieu, ou au moins des contacts. Cela leur permettait de se débarrasser des plus dangereux. Ceux qui faisaient le moins de mal pouvaient espérer continuer à vivre leur existence vouée aux petits trafics, mais ils savaient que s’ils franchissaient une limite invisible, les Jedi fondraient aussitôt sur eux pour leur couper les ailes.

Tchoo-Nachril cacha sa grande carcasse dans l’encoignure d’une porte dès qu’il entra dans une certaine ruelle sinistre et déserte. Un peu plus loin, il avisa du coin de l’œil son objectif : une porte en duracier, qui abritait, il le savait, un night-club fréquenté par une faune peu recommandable, parmi laquelle se trouvait sa « cible ».
Il n’eut pas longtemps à attendre. Empruntant le même chemin que lui-même peu de temps auparavant, un couple de Zabraks, légèrement éméché, entra à son tour dans la ruelle et se dirigea vers la porte blindée. Il leur emboîta le pas comme si de rien n’était, après avoir implanté dans leur esprit l’idée que sa présence avec eux était tout ce qu’il y avait de plus normale. Exercice facile au vu de la confusion alcoolisée dans laquelle ils se trouvaient déjà.
Lorsque l’un des deux toqua à la porte, un compartiment s’effaça à sa surface et dévoila l’objectif d’une caméra. Le Zabrak bredouilla quelques mots. Quelques secondes plus tard, la porte pivota sur ses gonds, vers l’extérieur, et tous trois entrèrent.

Un mélange d’odeurs exotiques assaillit les narines sensibles du Whiphid : drogues éthérées, sueur d’une demi-douzaine d’espèces différentes. La chaleur qui régnait dans ce lieu était étouffante, et voulue, afin de doper les ventes de boissons rafraîchissantes au sein de l’établissement. Le pire était les sons qui saturaient l’atmosphère et qui lui semblèrent s’attaquer directement à son cerveau. Certains appelaient cela « musique », mais Tchoo-Nachril n’y vit qu’une agression sauvage de décibels, bien décidés à ronger ses tympans.
Il se pinça mentalement les nerfs auditifs et se retrouva aussitôt plongé dans le monde salvateur du silence. Il déploya le reste de ses sens pour pallier à cette carence, qui n’en fut bientôt plus une, quand il adapta son esprit à la perception des vibrations des ondes sonores.

Dédaignant le vestiaire, tenu par une accorte Twi’lek, il avança vers un portique de sécurité qui détectait les armes, passage obligé pour qui voulait rejoindre l’une des nombreuses pistes de danse baignant dans un brouillard psychotrope. Autour du portique, trois Trandoshéens ne le quittaient pas des yeux. Sa carrure et sa haute taille avait toujours tendance à provoquer la méfiance instinctive de tous les gros bras de l’univers.
Il se demanda brièvement si les détecteurs étaient capables d’identifier son sabrolaser comme une arme, mais ne réussit pas à se souvenir si l’un des rapports d’activités des Jedi en mission mentionnait ce fait. Il se sermonna intérieurement, y voyant une lacune dans la préparation de sa mission, et se décida de franchir le portique sans fioritures pour obtenir la réponse. Après tout, maintenant qu’il était dans la place, le reste n’avait pas grande importance. Le portique ne réagit pas quand le couple de Zabraks y passa, mais il vira intégralement au rouge vif quand ce fut le tour de Tchoo-Nachril.
Il soupira. Les Trandoshéens empoignèrent leurs blasters et les pointèrent sur lui. Lentement, les mains bien en évidence, il dégrafa le haut de sa cape, et la laissa tomber à ses pieds, dévoilant ainsi sa tenue caractéristique de Chevalier Jedi. Il croisa les bras sur sa poitrine, le plus tranquillement du monde, et dit :
– Veuillez annoncer au directeur de votre établissement que le Chevalier Tchoo-Nachril sollicite un entretien avec lui. Je suis venu en paix.
Il tenta de propager des ondes apaisantes de Force aux alentours, mais il ne sut pas juger de l’efficacité de cette technique car il était peu familier des Trandoshéens en général. Il fut soulagé de voir que l’un d’eux, après avoir donné un ordre bref à ses pairs, sortit un comlink et prononça quelques mots dedans. Il hocha la tête, coupa la communication et vient se planter face à Tchoo-Nachril.
– Ton sabrolaser, ordonna-t-il avec hargne, en tendant la main.
Le Whiphid le lui donna sans hésiter. Le Trandoshéen cracha un ordre à la Twi’lek s’occupant du vestiaire, et celle-ci posa le sabrolaser dans l’un des petits coffres-forts qui tapissaient le mur derrière elle. Dès qu’elle l’eut fermé hermétiquement, le Trandoshéen se tourna à nouveau vers Tchoo-Nachril et lui fit signe de le suivre, ce qu’il fit, talonné par les deux autres gardes qui ne cessèrent pas un instant de pointer leurs armes sur lui. Ils franchirent une porte à usage privé, après que l’homme de tête eut composé un code sur un petit boîtier adjacent. Ils arpentèrent un couloir sobre et violemment éclairé, au bout duquel deux autres Trandoshéens, armés eux aussi, encadraient une porte blindée.
L’un des deux gardes de la porte resta à l’extérieur, et le second se joignit au groupe qui franchit la porte.

La pièce dans laquelle ils entrèrent n’aurait pas déparé dans un intérieur de riche bourgeois. Le mobilier, les riches tapis, les sculptures et œuvres d’art qui ornaient les murs indiquaient un luxe certain, sans tomber pour autant dans le clinquant et le tape-à-l’œil. L’être assis derrière un bureau, face à Tchoo-Nachril, était à l’évidence un collectionneur, un esthète. Pas un arriviste superficiel qui jouait un rôle.
Le Jedi se permit tout de même d’être surpris intérieurement, car il ne s’attendait pas du tout à rencontrer tant de raffinements chez un truand notoire, Wookiee de surcroît.

– Salutations, Vegrafoluk, fit Tchoo-Nachril en s’inclinant devant le Wookiee, dont la fourrure châtain était barrée d’une longue zébrure noire qui prenait naissance au niveau de son crâne.
– J’hésite à vous retourner ce salut tant que je ne sais pas pourquoi vous êtes là, rétorqua le Wookie en Shyriiwook.
– Je suis en quête de renseignements, et je pense que vos contacts peuvent m’y donner accès.
– Je ne crois pas être votre débiteur, Jedi.
– En effet, Vegrafoluk.
– Mes tarifs sont très élevés en matière de renseignements, et je n’ai pas pour habitude de livrer des informations à des personnes qui ne font pas partie de mon cercle de connaissances. Et je ne vous apprendrais rien, Jedi, en vous disant que vous n’en faites pas partie.
– C’est vrai. Mais il est également vrai que vous vous livrez à des activités illicites. Bien que votre organisation et vous ne soyez pas en tête de liste des problèmes dont s’occupent les Jedi, ce fait pourrait changer selon que vous m’apportiez votre aide ou non.
– Du chantage, Jedi ?
– Un échange de bons procédés, dirais-je plutôt. Vous ne cessez de m’appeler « Jedi » : vous savez qu’à ce titre, la demande que je vous fais est exceptionnelle, et que je n’abuserais pas de cette manière de faire. Le jour où vous tomberez, et soyez sûr que ce jour se rapproche, je serais peut-être là pour témoigner que vous m’avez aidé un jour.
Vegrafoluk resta pensif plusieurs minutes, puis congédia ses gardes d’un geste. Dès qu’ils furent seuls, il demanda :
– Que voulez-vous savoir ?
– Je traque une organisation de pirates qui portent le nom d’Archanges de Norkaï, et je cherche à savoir où se trouve leur repaire.
– Vous devriez tenter votre chance du côté du champ d’astéroïdes de Belsémas. Ils ne restent jamais très longtemps au même endroit, mais leur installation là-bas est toute récente.
– Je vous sais gré du temps que vous avez bien voulu m’accorder, Vegrafoluk, répondit Tchoo-Nachril en se levant pour prendre congé.


***

Quand Nassil Veraian sortit de l’hyperespace, tout près du champ d’astéroïdes de Belsémas, il n’en menait pas large. Les longues heures oisives qu’il venait de passer lui avait laissé tout le loisir nécessaire pour faire le point sur sa situation. Mais il arrivait invariablement à la même conclusion, quel que soit le bout par lequel il prenait ses réflexions : il était en grand danger. Avoir tué un sénateur de la République, même involontairement, le destinait à être traqué sans pitié, par des chasseurs de primes sans nul doute, et peut-être même par des Jedi.
Les Archanges de Norkaï, puissante organisation pirate à laquelle il appartenait, ne pourraient pas le protéger. Au contraire, il était fort possible qu’ils le livrent pour toucher la prime : la vie de pirate pouvait s’avérer très lucrative, tant qu’on n’avait pas trop de scrupules. Il allait devoir disparaître, et le plus rapidement possible, mais préféra rejoindre les siens une dernière fois, pour récupérer ses maigres possessions et prendre congé. Ensuite…il ne savait pas de quoi serait fait cet ensuite, mais il y avait de fortes chances qu’il se passe dans les régions Inconnues.

Mais il n’eut pas le loisir d’aborder la question de son départ car, dès qu’il eut posé son vaisseau à l’intérieur réaménagé de l’immense astéroïde qui abritait les pirates, ses camarades, surexcités, lui apprirent qu’ils avaient reçu une mission. Tous partiraient une heure plus tard, lui y compris : ils avaient un Skelor à abattre sur la Station Spatiale Carolusia.
Nassil Veraian éprouva une double contrariété : il venait déjà de passer de longues heures en hyperespace et ne rêvait que d’une douche, et voilà qu’il y retournerait sous temps. Il n’était en effet pas question, et c’était le deuxième point noir, de laisser tomber ses camarades maintenant. Ils ne l’auraient jamais accepté. Résigné, il se mit en quête de la salle de bains la plus proche.


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Le transporteur PX-7 de Séis fut facile à trouver pour Tel’Ay, une fois qu’il eut connecté la carte qui l’ouvrait à un terminal de l’astroport. Dès qu’Anaria avait fait mine de se réveiller, il l’avait replongé dans un sommeil artificiel, car le moment était mal choisi pour une explication entre eux. Cela attendrait qu’ils soient en sécurité dans l’hyperespace.

Il installa la Wookiee sur une couchette et commença ses calculs hyperspatiaux en vue de trouver une route qui les conduirait sur Meros V. Il devait absolument se rendre sur la planète de la Confrérie, même s’il risquait de n’y trouver que mort et désolation. Son devoir l’exigeait. Il lui fallut plus de quatre heures avant d’être à peu près satisfait de ses calculs.

Une fois en hyperespace, il se détendit enfin. Il avisa un message en attente dans le système de communications, et le visionna. L’hologramme d’une silhouette encapuchonnée apparut et dit :
« J’ai une nouvelle mission pour vous, mon jeune apprenti. Vous allez vous rendre sur la Station Spatiale Itinérante Carolusia et abattre un jeune Skelor du nom de Ver’Liu So-Ren. Cet imbécile vient de se dévoiler comme étant l’héritier du trône des Skelors, et cela ne peut qu’interférer dans nos plans. Eliminez-le au plus vite ! »
Ce message laconique laissa Tel’Ay pensif. L’être qu’il venait de voir était donc le nouveau maître de Séis, un Sith d’une autre obédience. L’homme à cause duquel la Confrérie avait été éradiquée. Tel’Ay avait trahi les siens un an plus tôt, mais il était aujourd’hui le seul à pouvoir les venger. Et maintenant, il connaissait le visage de son ennemi.
Le contenu du message, en revanche, ne lui fit ni chaud ni froid. Il n’avait jamais connu précisément ses origines en tant que Skelor, et le sort de ce soi-disant héritier du trône n’était absolument pas son problème. Qu’il tente de reconquérir sa planète si cela l’amusait ! Tel’Ay, lui, avait d’autres chats à fouetter.