Chapitre XVI

Quand les traits luminescents de l’hyperespace laissèrent place à l’éternel tissu ténébreux serti de joyaux d’argent, une immense sphère baignant dans des tons émeraude striées de traînées nuageuses apparut devant les yeux de Tel’Ay et Anaria, aux commandes du transporteur PX-7 de Séis. Kashyyyk.

Même si Anaria tentait de le cacher, Tel’Ay ressentait son extrême nervosité à l’idée de se retrouver sur son monde natal, sur lequel elle n’était perçue que comme une lâche, une paria.
Avant leur départ de Velinia III, le Skelor s’était plongé dans l’étude des technologies liées aux transports spatiaux. Mettant à profit des méthodes cognitives utilisant la Force, il avait emmagasiné dans son esprit des dizaines et des dizaines de plans de vaisseaux, et avait poussé le luxe jusqu’à se lancer presque fébrilement dans l’apprentissage des calculs de plongée en hyperespace.
Il ne fut donc pas peu fier de voir qu’à leur réintégration dans l’espace normal, Kashyyyk était au rendez-vous. Quand il avait annoncé à Anaria qu’il allait rentrer lui-même les coordonnées de la planète, elle n’avait pas protesté, se contentant d’arborer une moue dubitative… et de surveiller attentivement le Skelor quand il avait programmé l’ordinateur. Elle n’avait pas eu à intervenir : il avait bien appris sa leçon.

Quand la console de communication bipa, Anaria l’ignora… jusqu’à ce que le regard froid dont Tel’Ay la gratifia soit trop pesant à supporter.
– Ici contrôle de l’astroport de Thikkiiana. Identifiez-vous et faites part de vos intentions.
Une dernière hésitation, et Anaria répondit :
– Naveromanaria. Je veux terminer mon éducation, en conformité avec les traditions de notre peuple. Je viens passer l’épreuve du hrrtayyk.
Un long silence suivit cette déclaration. Finalement, la voix du contrôleur spatial lâcha :
– Je vous envoie les coordonnées d’atterrissage.
Il coupa la communication sans autre forme de procès, et Anaria poussa un long soupir de soulagement. Tel’Ay ne pipa mot, bien qu’il sentît la peur panique contre laquelle sa compagne s’efforçait de lutter. Elle devait désormais se débrouiller seule, estimait-il. Il avait fait sa part en réussissant à la convaincre de venir jusqu’ici, ce qui avait été loin d’être une mince affaire.

Tel’Ay, désireux d’améliorer son pilotage, prit les commandes pour faire atterrir le transporteur, et y parvint sans trop de mal. Par la verrière du cockpit, il avisa trois Wookiees. Un à la fourrure brune, et deux autres ressemblant fortement à Anaria, pourvus comme elle d’une fourrure argentée zébrée de noir.
– Allons-y, on a assez perdu de temps comme ça avec cette histoire, fit le Skelor en se débarrassant de son harnais de pilote.
– Je… je ne suis pas certaine d’être prête, avoua Anaria sans bouger, les mains légèrement tremblantes.
– Alors, décide-toi vite, moi j’y vais, rétorqua Tel’Ay. Je me demande ce qu’ils vont penser de toi quand ils verront que tu n’oses pas sortir.
Il marcha d’un bon pas jusqu’à l’écoutille du vaisseau, et sourit intérieurement en activant l’ouverture. Il sentait distinctement la présence d’Anaria dans son dos.
– C’est à toi de passer la première, dit-il sur un ton plus doux.
Cette fois, elle n’hésita pas. Elle descendit la rampe et marcha d’un pas déterminé vers ses trois congénères.
Tel’Ay lui emboîta le pas en surveillant leur comité d’accueil. Il commençait à avoir par-dessus la tête de ces créatures hautaines, si méprisantes envers Anaria. Qu’importaient les conséquences, il était prêt à jouer du sabrolaser et à les couper toutes les trois en morceaux si elles levaient la main sur sa compagne de route. Il ressentit de l’hostilité et de la colère de la part des Wookiees, mais pas de violence contenue. C’était déjà ça de pris.

Anaria s’inclina avec respect devant ses hôtes, qui restèrent impassibles. Tout en ayant conscience du chaos qui régnait sous le crâne d’Anaria, Tel’Ay ne put s’empêcher d’admirer la Wookiee, pour la voix ferme avec laquelle elle annonça :
– Le passé ne peut être changé. Le présent et donc l’avenir, si. Je ne suis pas venue pour être jugée, ni pardonnée. Je suis venue revendiquer mon statut de membre à part entière de la société wookiee, en passant mon rite de passage. Dès que je l’aurai réussi, je quitterai Kashyyyk.
– Je pense en effet que cela vaudra mieux, rétorqua le plus grand des deux Wookiees argentés en la fusillant du regard.
Le, ou plutôt la – devina Tel’Ay – deuxième Wookiee argentée, plus chétive, lui sembla plus émue, bien qu’elle ne prononçât pas une parole.
Le Skelor eut la confirmation de ce qu’il commençait à soupçonner quand le troisième Wookiee, à la fourrure brune et à la carrure impressionnante, annonça à ses deux compagnons :
– Puisque votre fille est prête, je propose de commencer dès maintenant.


***

Trois jours. Ils n’avaient eu que trois jours de tranquillité pour se remettre de leurs aventures.
Anaria était handicapée par son épaule en cours de guérison. Les baumes des guérisseurs rodiens et skeloriens étaient relativement efficaces, mais il s’en faudrait de plusieurs semaines avant qu’elle ne récupère toutes ses capacités physiques.
Elle n’avait pas eu droit à un traitement au bacta, qui avait été réservé aux blessés les plus sérieux.

La colonie de Velinia III avait été transformée en un vaste hôpital, afin de soigner les victimes de la récente bataille. Des appels à l’aide avaient été lancées à travers l’espace, et des médicaments ainsi que des produits de première nécessité ne cessaient d’affluer depuis lors.
Tous pansaient leurs blessures. Et tout s’était bien passé… pendant trois jours.

À vrai dire, ce qui se produisit ne fut qu’un micro-événement à l’échelle de la colonie. Mais elle prit une importance essentielle aux yeux de Tel’Ay et d’Anaria. Alors que tous deux inspectaient les postes de sécurité disséminés à travers la ville, ils croisèrent son chemin. Deux mètres vingt de muscles recouverts d’une épaisse fourrure brune, indubitablement wookiee…
Anaria se tendit instinctivement, et Tel’Ay comprit ce qui allait suivre. Cela recommençait, comme à bord du Carolusia. Il ne se souvenait que trop bien des deux Wookiees qui avaient battus Anaria, sans raison apparente. Du moins sans raison que sa compagne ait cru bon de lui expliciter.
Et comme ce jour-là, Anaria lui supplia de ne pas intervenir. Il accéda à sa requête, et resta en apparence impassible, pendant que le Wookiee assénait une grêle de coups à la compagne du Sith.
Pendant cette correction, Tel’Ay appela une équipe médicale par comlink. Quand elle arriva, le Wookiee abandonna sa victime et s’en fut le plus tranquillement du monde.
Anaria gisait au sol, un œil poché, crachant du sang entre ses dents, et le corps couvert d’ecchymoses.
L’équipe médicale s’activa autour d’elle. Pour Tel’Ay, la honte était presque palpable dans l’aura d’Anaria. Et des sentiments de satisfaction de soi et de justice rendue agitaient l’esprit du Wookiee.
Pas pour longtemps, décida le Sith, qui marcha résolument derrière le Wookiee, avant de le rattraper et de se planter devant lui, mains sur les hanches.
Même si sa tête de Skelor n’arrivait qu’au niveau du torse du Wookiee, Tel’Ay le fusilla du regard, avant de lui lancer :
– C’est quoi le problème avec Anaria ?
– Dégage ou je t’écrase, misérable insecte ! beugla son interlocuteur.
– J’aimerais bien te voir essayer, boule de poils, fit Tel’Ay, sourire carnassier aux lèvres, tout en approchant ostensiblement sa main du sabrolaser qui pendait à sa ceinture.
– Tu t’expliques spontanément, où on fait ça à ma manière ? ajouta-t-il.
Le Wookiee hésita. Le Skelor ne semblait pas intimidé. N’était-ce que de l’esbroufe basée sur l’arme mythique qu’il arborait, où maîtrisait-il la Force ? Dans le premier cas, le Wookiee ne doutait pas une seconde de pouvoir venir à bout de l’arrogant importun. Mais dans le second, c’était une toute autre histoire…
Il décida de tenter sa chance, tendit ses muscles massifs pour entrer en action… et s’immobilisa sur-le-champ, la lame du sabrolaser de Tel’Ay pointée sur le cou. Le Wookiee fut pris d’un frisson incontrôlable. Il n’avait pas réussi à suivre des yeux le mouvement du Skelor. Celui-ci aurait même pu le tuer, sans qu’il ne puisse rien faire pour se défendre.
– J’attends, fit Tel’Ay, serein.
– C’est une lâche, elle n’a jamais passé le rite de passage !
– Et ça consiste en quoi, ce rite ?
– Pour un Wookiee, cela consiste à prouver son courage et sa valeur, et à accéder au statut d’adulte honorable. Cette misérable femelle n’en a pas été capable. Elle est une honte pour les Wookiees !
– Et c’est une raison pour la battre ?
– Nos lois ne nous autorisent pas à mettre à mort les lâches, même s’ils sont une tache indélébile sur l’honneur de notre peuple. Par contre, tout Wookiee respectable ne manque jamais de rappeler à ce type de sous-être l’indignité de sa condition. Cette femelle ne fait que récolter les conséquences de ses actes.
– À quoi reconnais-tu qu’elle n’a pas passé son rite de passage ?
–L’honneur est au centre du mode de vie des Wookiees. Ceux qui dérogent à cette règle sainte sont bannis et contraints à l’exil, et connus de tous. Actuellement, il n’existe pas plus de cent de mes congénères à être comme elle.
Cent seulement ? Un chiffre aussi ridiculement bas parut incroyable à Tel’Ay. Il comprit mieux la profondeur de l’honneur chez les Wookiees, et à quel point ils devaient se sentir humiliés par les gens comme Anaria.
– J’en sais assez, annonça Tel’Ay, avant d’éteindre son sabrolaser et de l’attacher à sa ceinture. Va-t’en, maintenant.
Le regard du Wookiee se durcit. Il n’avait pas l’habitude d’être traité avec autant de dédain. Il ravala pourtant sa colère et s’en fut lentement, tandis qu’une partie de Tel’Ay aurait préféré que le Wookiee en vienne à l’affrontement.

L’humeur sombre, Tel’Ay se morigéna de se faire du mouron pour Anaria. Que lui importait cette Wookiee, après tout ? Certes, ils commençaient à avoir une sacrée histoire en commun, mais tout de même…
Il avait cédé à la faiblesse d’en venir à l’apprécier, lui, un Seigneur des Sith, alors que ses seuls buts auraient dus être de se débarrasser de ses ennemis, sans un regard sur les à-côtés. Était-il donc si peu Sith pour s’abandonner ainsi à ce qui ressemblait fort à de l’amitié ?
Non. Les choses n’étaient pas aussi simple, il le savait. Sa colère avait une autre origine, sans pouvoir réellement l’expliquer.
Il comprit soudainement, à travers un flash senti à travers la Force. Anaria était une composante essentielle de son avenir. Son destin passait par elle. Ni plus ni moins. Cette conclusion ne lui plaisait guère, mais il s’en remettait à la Force. Il devait préserver Anaria, quel qu’en soit le prix.

Poussant plus loin sa logique, il décida que le rapport de sa congénère avec ses semblables devait évoluer. Hors de question qu’elle passe le reste de son existence à se faire battre en plâtre à chaque fois qu’elle croiserait un Wookiee. Un accident arriverait fatalement : un jour, l’un d’eux frapperait trop fort…
Il n’y avait qu’une seule solution : aller avec elle sur Kashyyyk. Elle devait impérativement se plier au rite de passage. Tel’Ay sourit froidement : il allait falloir la convaincre, maintenant…

Les médecins se précipitèrent au chevet d’Anaria quand elle se mit à hurler. Ils virent que Tel’Ay lui faisait face, impassible, les bras croisés. Il les ignora quand ils voulurent le faire sortir, et ils n’osèrent s’approcher de la Wookiee déchaînée, qui gesticulait rageusement et arrachait ses perfusions une à une.
– Arrête de faire l’enfant, Anaria. De toute manière, je ne te demande pas ton avis. Nous allons sur Kashyyyk, et nous partons demain. Si tu n’as jamais trouvé le courage de te confronter à ton rite de passage, c’est parce que tu avais subi les séquelles de ta rencontre avec Dark Glaro. Ton esprit était atrophié par la blessure au sabrolaser, ce qui n’est plus le cas désormais.
Il laissait passer un nouveau flot de rugissements, avant de conclure :
– Tu refuses ? Soit. Peu m’importe, c’est là-bas que je me rends. Depuis notre rencontre, tu affirmes que tu as une dette de vie envers moi : tu n’as donc pas d’autre choix que de me suivre. Si tu ne le fais pas, tu détruis à jamais les derniers lambeaux de ton honneur. D’ailleurs, ajouta-t-il perfidement, je ne suis pas certain qu’un Wookiee n’ayant pas accompli son rite de passage ait le droit de contracter une dette de vie.

Tel’Ay tourna les talons et s’en fut, ignorant les hurlements rageurs de la Wookiee. Kashyyyk n’était pas si éloignée que ça de Velinia III. L’absence de Tel’Ay ne devrait donc pas être un problème pour son roi. Depuis la fin de la bataille, de nouvelles troupes républicaines étaient venues renforcer la sécurité de la planète, et Ver’Liu avait embauché des mercenaires supplémentaires.
Tout le monde léchait ses blessures, dans un camp comme dans l’autre. Au Sénat, la situation politique s’enlisait et s’embrouillait, avec les élections de la chancellerie en toile de fond. Tout le monde marchait sur des œufs, chaque sénateur pesait soigneusement ses mots afin de se faire remarquer, en quête d’appuis politiques. Il n’y avait rien à attendre de ces gens-là avant les élections, un mois plus tard.

Ver’Liu, que le Sith trouva, comme souvent, au chevet de Sionarel toujours inconsciente, approuva distraitement la décision de Tel’Ay de quitter la planète pour deux semaines. Le souverain se remettait lentement de la violence de ses choix précédents. Il était si facile de succomber à l’attrait du pouvoir, quand tout un peuple fanatique était derrière soi.
Il s’était juré de ne jamais refaire une telle erreur, et avait compris que tant que les élections ne seraient pas passées, il aurait les mains liées. Il s’était donc contenté de renforcer les défenses de la planète, et attendait désormais son heure.

Le lendemain matin, quand Tel’Ay alluma les systèmes vitaux du transporteur de Séis, il entendit le chuintement de la soute du vaisseau, signe que quelqu’un était en train de la fermer. Il ne se retourna pas quand la porte du cockpit s’ouvrit, et ignora Anaria, qui s’assit à ses côtés, au poste de copilote. Ils n’échangèrent pas un mot, et Tel’Ay fit décoller le transporteur.


***

Sur la plate-forme d’atterrissage de Thikkiiana, bâtie sur un arbre wroshyr aux dimensions démesurées, le Wookiee brun toisa Anaria et lui dit :
– Au vu de ton passé, ton hrrtayyk sera l’un des plus difficiles qui ait été passé ses dernières centaines d’années. Si tu échoues, tu seras pardonnée et ta mémoire sera honorée, car tu seras morte en suivant la noble voie des Wookiees. Si tu parviens à y survivre, contre toute attente, tu accéderas à un statut envié de tous. Tu seras presque une légende vivante, avec toutes les responsabilités qui en découleront.
– Je n’échouerai pas, grogna Anaria, toute trace d’hésitation disparue.
– Nous verrons cela, rétorqua son interlocuteur. Nous allons savoir si le rrakktorr, le feu qui alimente le cœur des Wookiees, existe en toi.
Tel’Ay sentait la peur qui rongeait le cœur de sa comparse, mais il devait admettre qu’elle la cachait bien. En revanche, il était inquiet des paroles prononcées par le Wookiee. Il avait contraint Anaria à venir jusqu’ici afin de garantir sa sécurité future, mais n’avait pas imaginé que l’épreuve qu’elle allait affronter serait si mortelle. Si elle mourait, que deviendrait l’intuition qu’il avait eu, selon laquelle Anaria était une pièce essentielle de son avenir ?
Mettre le pied sur Kashyyyk n’avait peut-être pas été une si bonne idée, après tout. Mais il était trop tard pour faire machine arrière.

Le Wookiee brun reprit la parole, énonçant la mission qui attendait Anaria :
– Tu descendras dans les profondeurs de Kashyyyk sans arme, mais tu as le droit de t’en confectionner une en route. Ton épreuve consiste à revenir avec la tête d’un dirawwak.

À la vive émotion qui étreignit les deux Wookiees argentés, Tel’Ay comprit qu’aucun d’eux ne s’attendait à revoir Anaria vivante. De son côté, elle hocha simplement la tête, comme résignée, et fit jaillir ses longues griffes rétractiles. Sans un regard en arrière, elle bondit hors de la plate-forme et se rattrapa à la branche d’un arbre wroshyr voisin. Elle sauta de branche en branche, toujours plus bas, et disparut de la vue de tous en quelques secondes seulement.

Tel’Ay leva les yeux vers l’immense Wookiee brun et lui demanda :
– Qu’est-ce qu’un dirawwak ?
– L’un des prédateurs les plus dangereux qui écument les sols. Il se présente comme un humanoïde, avec deux bras et deux jambes, et il est pourvu d’une épaisse fourrure brune. Les spécimens les plus petits mesurent trois mètres. Certains prétendent que les dirawwaks et les Wookiees sont apparentés. Comme nous, ils ont des griffes et des dents faites pour déchiqueter leurs proies, et le plus chétif d’entre eux est plus fort physiquement que le plus puissant des Wookiees. Sans parler de leur odorat, plus développé que le nôtre.
– Charmant, ironisa Tel’Ay. Et qu’est-ce qu’il possède comme faiblesses ?
– Je ne suis pas certain qu’il en ait une. Oh, j’oubliais : ses griffes sécrètent du venin pour paralyser ses proies.
– Un Wookiee a-t-il déjà réussi à en tuer un ?
– À ma connaissance, seul mon grand-père a réussi un tel exploit… armé de deux fusils-blaster lourds.
– Il a dû devenir un sacré héros aux yeux des vôtres.
– En effet, il a eu droit à des funérailles dignes des plus grands.
– Funérailles ? Je croyais qu’il avait réussi à tuer le dirawwak ?
– Cinquante mètres les séparaient. Le dirawwak s’est jeté sur mon grand-père, qui a tiré sans discontinuer. Avant de s’écrouler mort sur mon aïeul, le dirawwak a eu le temps de lui arracher la tête d’un coup de patte.
Tel’Ay ne trouva rien à répondre. Oui, c’était décidément une bien mauvaise idée de venir ici, en fin de compte, pensa-t-il.

Telle une ombre, Anaria se faufile dans l’impénétrable jungle. À ce niveau, l’obscurité est presque totale. Thikkiiana est invisible, plusieurs centaines de mètres au-dessus d’elle, masquée par l’enchevêtrement des arbres.
Étrangement, elle ne ressent plus la peur. Seul subsiste le rrakktorr. La soif de vivre, l’instinct du prédateur. Même le Wookiee le plus téméraire ne descend pas à ces profondeurs. Trop dangereux. Mais Anaria n’est plus une Wookiee. Elle est la jungle elle-même.
Les fragrances capiteuses qui assaillent ses narines la retournent, la font presque régresser à un stade animal. La loi du plus fort s’applique en ces lieux, or les Wookiees n’y sont pas en haut de la chaîne alimentaire. Loin de là.
Elle n’en a cure, grisée par un sentiment de toute-puissance. Seule Wookiee présente en ces niveaux dangereux, elle éprouve le sentiment d’être supérieure à ses congénères.
Ils l’ont pourtant envoyée à la mort, et elle le sait. Elle reprend ses esprits et remet les choses en perspective. Elle est seule, désarmée, entourée de créatures parmi les plus dangereuses auxquelles l’univers ait jamais donné vie. Les ombres s’étendent partout autour d’elle, masquant la mort sous ses formes les plus diverses.

Au-dessus de sa tête, l’épais manteau d’enchevêtrements végétal lui fait désormais comprendre à quel point elle n’est rien, rien de plus qu’un minuscule grain de poussière.
Elle se réfugie dans un arbre, à plusieurs dizaines de mètres du sol. Comment trouver un dirawwak ? Et surtout, comment le tuer ? Le tout en se jouant de tous les dangers qui peuvent survenir à n’importe quel moment ?
Anaria n’en a aucune idée, mais les souvenirs lointains de sa jeunesse reviennent affleurer son esprit. Jusqu’à sa première rencontre avec Dark Glaro, elle était une Wookiee, une vraie, avec toutes les connaissances sur son environnement que cela supposait.
Elle découvre avec étonnement que ces connaissances sont toujours présentes en elle, et qu’elles menacent de la submerger sous la forme de dizaines de conseils élémentaires de survie.
Elle découvre les crocs, à nouveau habitée de l’instinct du prédateur. Elle arrache une courte branche déformée par une protubérance, pour s’en faire un gourdin. Sa vision, qui s’adapte enfin à l’obscurité crépusculaire qui règne en ces lieux, se plante vers le sol, à la recherche d’une sorte de buisson bien précise. N’en trouvant pas, elle se déplace d’arbre en arbre, bondissant et se propulsant grâce à des lianes, dont elle prend bien soin de tester la solidité… et de s’assurer qu’il s’agit bien de lianes. Les serpents de wylokk ont une capacité impressionnante à leur ressembler, et leur technique de chasse consiste à se laisser pendre dans le vide, jusqu’à ce qu’une proie passe à leur portée.
Enfin, après quelques minutes de recherche intensive, elle trouve sa cible : un monticule vaguement sphérique, plus haut qu’elle. Cet arbre sans feuilles et pourvu de branches chenues dont l’extrémité se pare d’aiguilles de bois s’appelle un hrosileyyn. Ses aiguilles sont assez urticantes pour provoquer une paralysie mortelle en quelques secondes, même chez un Wookiee au sommet de sa forme.
Elle tranche un mètre de liane et saute au sol. Elle assène un coup de sa massue improvisée au hrosileyyn, en prenant bien soin de rester hors de portée des aiguilles. Dès qu’elle en a détaché deux branches touffues, d’environ trente centimètres, elle les saisit avec prudence. Avec l’aide de son bout de liane, elle les attache à mi-hauteur de son gourdin. L’opération lui prend plusieurs minutes, et est très dangereuse : le moindre contact avec le hrosileyyn peut la tuer, mais elle ne doit pas non plus négliger de surveiller les ombres autour d’elle, où peut se cacher n’importe quoi.

Enfin, elle se redresse, satisfaite de son œuvre : si Anaria doit frapper, elle fera mal grâce à sa force. Et si cela ne suffit pas, les branches du hrosileyyn, qui dépassent du bout de son arme, égratigneront à mort son ennemi. En théorie…

Dans un tel environnement, nul n’a jamais essayé d’estimer la durée de vie moyenne d’un Wookiee. Parce qu’aucun d’entre eux n’a été assez fou pour le faire. Quoi qu’il en soit, même les plus téméraires des Wookiees pensent que cette estimation ne doit pas voler bien haut.
Sur la plate-forme d’où Anaria est partie, les deux Wookiees argentés se pressent l’un contre l’autre. Déjà vingt-neuf minutes que leur fille est descendue. Ils craignent d’ores et déjà le pire.
– Elle est toujours en vie, annonce Tel’Ay, en réponse à leurs pensées inquiètes, qu’il perçoit. Elle va bien et est prête à affronter son destin.

Anaria se demande comment trouver un dirawwak. Est-ce à elle d’aller à sa rencontre, ou le fera-t-il de lui-même ? À vrai dire, elle ne sait même pas, et nul ne peut lui répondre, si des dirawwaks vivent dans les environs. Elle ignore combien de sortes de prédateurs l’entourent, et lesquels vont l’attaquer les premiers. Elle pourrait bien être morte dans cinq minutes, après avoir succombé à son premier affrontement.

Combien d’ennemis devra-t-elle défaire avant de se retrouver face-à-face avec un dirawwak ?
Le nombre qu’il faudra, décide-t-elle en poussant un rugissement de défi. Ce n’est que quand elle se tait à nouveau qu’elle remarque qu’un silence pesant s’est abattu sur la jungle. Peu à peu, des bruissements, des crissements, des raclements, des cris de rongeurs et de volatiles se font à nouveau entendre.

Elle avance lentement, aux aguets, en y regardant à deux fois où elle met les pieds. Des araignées-scorpions se cachent parfois sous certains types de mousse qui recouvre le sol, mais ses souvenirs la fuient. Quel types ? L’apprendra-t-elle quand il sera trop tard ?
La première attaque vient de l’air, quand une nuée de ptérax, pas plus grands que le poing mais dotés par une nature vicieuse de becs acérés et tranchants, fond sur elle. Ils sont cinq.
Elle lance un nouveau cri de défi pour les faire fuir, en vain. Son gourdin s’abat sur le ptérax de tête avec un craquement de mauvais augure pour le volatile, qui en heurte deux autres. Elle se contorsionne pour éviter l’attaque meurtrière des deux derniers, mais sa réussite n’est que relative : s’ils ne lui infligent pas de blessure mortelle, leurs becs aussi affûtés qu’une vibro-lame laissent deux sillons aussi profonds que sanglants sur sa poitrine.
Pendant que ces deux-là reprennent de l’altitude pour un nouvel assaut, Anaria s’empresse d’écraser ceux qui sont tombés avec sa première victime. Elle est à nouveau prête à faire face aux deux derniers qui, plus malins que la première fois, attaquent séparément.
Anaria se campe fermement sur des jambes robustes face au plus rapide des deux. Ce faisant, elle expose son dos à l’autre. Elle n’aura qu’une seconde de répit, avec un peu de chance, entre le moment où elle portera le premier coup et celui où il faudra se débarrasser du deuxième ptérax.

Au moment où son gourdin éclate le crâne du premier ptérax, elle se laisse tomber au sol, tout en se contorsionnant, arme devant elle, en une pitoyable tentative de se défendre contre l’autre créature. La seconde attaque ne vient pas, et Anaria comprend vite pourquoi : le ptérax a frôlé une liane, qui s’est avérée être un serpent de wylokk, et celui-ci s’est brusquement enroulé autour du ptérax lors de son passage en trombe.
Anaria est fascinée par le spectacle : le serpent de wylokk s’est enroulé autour de sa proie et commence à la serrer, tout en prenant garde à bien rester hors de portée du bec de sa victime. Au bout d’une minute, la victoire du reptile est consommée. Le volatile ne tardera pas à l’être…

Anaria, bien que sauvée, se retrouve dans une situation plus que précaire : ses deux blessures saignent abondamment, et ne vont pas manquer d’attirer inexorablement de nouveaux prédateurs. Elle se rend compte avec tristesse que le moment de la curée se rapproche.

Il arrive même plus vite qu’elle n’aurait pensé, quand le silence se fait autour d’elle, soudainement. Un scorpion se laisse tomber sur son épaule. Elle s’en débarrasse prestement, d’un revers de la main bien senti, avant de s’éloigner d’une dizaine de mètres, au cas où il s’agirait d’un nid entier.

Instinctivement, elle sent sa présence avant même de le voir. Il descend des arbres vénérables en bondissant plus vite qu’un Wookiee, et avec une dextérité inégalable. Quand ses pieds touchent pesamment le sol, il prend aussitôt une posture de défi et pousse un long rugissement. Précédemment, le cri d’Anaria a fait taire les nombreuses créatures qui vivent dans la zone. Ce cri-là les fait fuir. La terreur des bas-fonds de Kashyyyk se tient devant Anaria. Un dirawwak.

Il mesure trois mètres cinquante et est deux fois plus large qu’Anaria. Il fait jouer ses griffes et ne prend pas la peine d’essuyer la bave qui lui monte à la gueule, signe indubitable de la faim qui le tiraille. Il fait crisser ses crocs et esquisse un ersatz de sourire de contentement. Les muscles noueux et saillants qui se laissent deviner sous sa fourrure brune indiquent qu’il serait capable de briser la tête d’Anaria entre ses bras comme une vulgaire coquille de noix.

Elle lève son gourdin en tremblant et se sent ridicule face à cette force de la nature. Elle a presque l’impression d’avoir un cure-dent à la main. Tétanisée, elle se rend compte que rien ne peut la sauver.

Sur la plate-forme, Tel’Ay murmure : le moment est venu. La mère d’Anaria, recroquevillée dans les bras de son mari, gémit sa peine et sa douleur.

Anaria reprend ses esprits. Sa vie se joue ici et maintenant. Si elle doit mourir, et tout indique que cela va arriver, elle le fera la tête haute. Elle s’empare d’une pierre de belle taille et la lance au visage de son ennemi. Il se contente de fermer les yeux et la pierre rebondit sur lui sans qu’il tressaille. Quand il plante à nouveau son regard dans celui de la Wookiee, il grogne… et se met à courir sur elle.

Elle tourne les talons et saute se réfugier dans l’arbre le plus proche. Tout en l’escaladant, elle se rappelle qu’un dirawwak, malgré sa taille et son poids, est encore plus à l’aise qu’un Wookiee dans les arbres. Certes, se dit-elle, mais il n’a pas mon intelligence.
Elle s’engage sur un enchevêtrement de branches qui ploie sous son poids, et se retourne vers son poursuivant. Le dirawwak semble hésiter à la suivre, comme s’il savait que les branches ne résisteront pas à sa carcasse massive.
Elle lance un cri de défi, prête à sauter sur une liane pendant à un arbre voisin au moment fatidique. Le dirawwak, enhardi par l’effronterie de la Wookiee, saute à son tour. Anaria est surprise par la vitesse de la bête et n’a pas le temps de se dégager. Les branches cèdent et tous deux tombent lourdement au sol, cinq mètres plus bas.
Anaria se reçoit sur le genou, qu’elle entend distinctement craquer. Elle serre les dents, clopine jusqu’au gourdin qu’elle a lâché dans sa chute, et fait à nouveau face au dirawwak. Celui-ci est déjà debout et ne semble souffrir d’aucune séquelle de sa chute. Une lueur amusée court dans ses yeux, ce qui vexe profondément Anaria. Elle n’est qu’un jouet pour son adversaire.

Du coin de l’œil, elle avise le cadavre du ptérax broyé par le serpent de wylokk. Elle se dirige alors lentement vers lui, à reculons, sans lâcher le dirawakk des yeux. Quand son talon touche le cadavre du volatile, elle se replie sur elle-même et pousse le plus formidable rugissement qui ait jamais franchi ses lèvres.
Le dirawwak ne peut résister et se jette sur elle. Anaria effectue un roulé-boulé et se redresse de l’autre côté de la dépouille du ptérax. Le dirawwak est presque sur elle, quand le serpent de wylokk, jusque-là immobile, se déploie brusquement pour enserrer le monstre.
Anaria est soulagée de constater que le serpent s’attaque à qui l’approche, sans avoir conscience de la folie de s’en prendre à un dirawwak, bien trop puissant pour lui. Il ne faut que trois secondes au dirawwak pour empoigner le serpent de wylokk et pour le déchirer littéralement. Il n’en faut que deux à Anaria pour se jeter dans ses jambes en lui portant un coup de gourdin.
Au moment où elle porte son coup et qu’elle voit les éraflures dues à la branche de hrosileyyn, une pensée incongrue lui vient à l’esprit : et si le dirawwak était immunisé contre ce poison ?
Peu importe désormais, car son ennemi l’attrape par le cou et lui assène un formidable coup de butoir à l’épaule. Sous la violence du choc, elle entend ses os craquer, et sa main, qui retombe inerte, lâche le gourdin. La main du dirawwak se serre sur sa gorge, et elle sent l’air fuir ses poumons. Des tremblements, de plus en plus violents, l’assaillent, tandis qu’elle essaie vainement de faire lâcher prise au monstre qui la tient dans son étau mortel.
Chose étrange, elle se rend alors compte que ses mains sont fermes. Ce n’est pas son corps meurtri et attaqué qui tremble, mais le bras qui tente de l’étrangler. Puis tout le corps du dirawwak, dont la prise sur la gorge d’Anaraia se relâche légèrement. Avant de libérer la Wookiee.
Celle-ci rampe le plus loin possible, ignorant les protestations de son corps perclus de douleur, avant de se retourner. Le dirawwak est à genoux et hurle sa douleur, le feu qui coule dans ses veines. Anaria est désormais pleinement rassurée : le hrosileyyn est également efficace contre les dirawwaks.

Dès que la bête immonde aurait succombé à l’empoisonnement, il ne restera plus à Anaria qu’à lui couper la tête. Elle n’a certes pas de lame, mais dispose d’un bec de ptérax…
Elle comprend enfin qu’elle a réussi son rite de passage, son hrrtayyk.


***

Sur la plate-forme d’atterrissage, Tel’Ay resta immobile, indifférent aux retrouvailles émues entre Anaria et ses parents. Le Wookiee brun était abasourdi, les yeux plantés sur la tête du dirawwak, qui reposait à même le sol.
Le Skelor était aux aguets. Au fur et à mesure qu’Anaria affrontait la pire épreuve de sa vie, il avait senti un malaise diffus l’envahir, qui n’avait rien à voir avoir le rite de passage. Quand il perçut des mouvements hors de sa vue, il sut que le moment était venu.
Une quinzaine d’êtres surgirent soudainement, Zabraks et Trandoshans. Tous armés de pied en cap et pointant leurs blasters vers les cinq occupants de la plate-forme. L’un des Zabraks annonça :
– Pas un geste ! Nous emmenons avec nous Tel’Ay Mi-Nag et la femelle wookiee Anaria. Vous serez jugés et exécutés pour crimes contre l’Hégémonie Zabrak !
Tel’Ay ne perçut pas de danger, juste de la détermination. Était-il capable de se défaire de tant d’ennemis ? Il n’en était pas sûr. Par contre, la tournure prise par les événements lui sembla très intéressante. Ces imbéciles semblaient se porter volontaires pour les mener droit au cœur de l’ennemi de Tel’Ay. Voilà qui lui simplifierait énormément les choses.

Il se retint de sourire et se contenta de lever les bras en signe de reddition.