Le plus grand tort qu’on puisse faire à l’art est sans doute d’en surestimer le rôle, en l’opposant, de manière quelque peu obscurantiste à ceux de la science et de la technique, et en assimilant abusivement son « message » à celui de la philosophie - même si les déplorations inverses et complémentaires (qui procèdent négativement de la même prétention, une fois déçue) sur son impuissance à « faire arriver » quoi que ce soit, à réparer Auschwitz et Hiroshima, ou compenser la mort d’un enfant, me semblent un peu naïves, et somme toute déplacées, comme d’un cordonnier qui s’excuserait de ne pouvoir provoquer une éclipse de soleil : là n’est pas sa fonction, et qui veut agir effectivement sur l’état du monde doit s’y prendre autrement - au risque d’ailleurs d’échouer autrement, ou de « faire arriver » quelque effet contraire à son but

Gérard Genette, L’ oeuvre de l’art, La relation esthétique.