II

 

 

    J’ignore quelle est l’espèce du pilote de ce transport antédiluvien – ni même s’il possède une vraie licence de pilote, d’ailleurs – mais il a un effroyable accent quand il parle en desesperanto, la langue la plus commune de l’univers.

    J’ai entendu « rissage », « bouquer » et « centor ». Le temps que je décrypte ces mots sibyllins pour en faire une phrase s’approchant de « Nous allons procéder à l’atterrissage, veuillez boucler votre ceinture », une forte secousse me fait tomber au sol. Encore !

    Le transporteur se lance dans un tel piqué que me voilà parti dans un roulé-boulé incontrôlable. Difficile de dire si c’est une manœuvre classique ou si le navire est en perdition. Je parviens à me stabiliser grâce au mur de la soute, tout au fond du compartiment, quand mon dos le heurte brutalement.

    J’ai l’impression de m’être cassé tous les os je et décide de ne pas bouger d’un poil pour ne pas tomber en mille morceaux. Autant apprendre les mauvaises nouvelles le plus tard possible.

– Vous vous sentez bien ? me demande d’une voix compatissante la charmante – même si presque humaine – hôtesse de l’air lanconienne à mes côtés.

    Enfin, à mes côtés… si on veut. Elle est assise sur son strapontin rétractable et regarde avec anxiété l’amas de chair avachi à ses pieds que je suis à ce moment-là.

    Je lève un peu la tête – ouille, ça picote ! – mais pas de chance, ses interminables jambes sont croisées sous sa mini-jupe. Dans ce genre de moment magique et hors du temps, je ne peux m’empêcher de penser que la politique de la Prépondérance Humaine devrait faire preuve d’un peu plus de pragmatisme et intégrer en son sein des espèces presque humaines telles que les Lanconiens… ou au moins leurs femmes. Je vous ai dit que par un caprice bienvenu de la nature, les Lanconiennes avaient trois seins ?

    Quand je sens que le pilote redresse l’appareil, je commence à me rassurer. Si la descente en piqué était prévue, c’est que tout va bien. Et si elle ne l’était pas, c’est qu’il a repris le contrôle.

    Porté par un nouvel espoir, je tente de me lever, perclus de douleurs. Aïe, ma cheville gauche a du mal à supporter mon poids.

    Oh non ! Une nouvelle secousse, pire que les précédentes, me précipite dans les bras d’une passagère ! Heureusement, elle n’a ni griffes, ni crocs, ni cornes, mais plutôt une chair suffisamment généreuse pour que m’y enfonce sans douleur. Ouf, pour une fois, j’ai de la chance, que je pense.

    Sauf que de son côté, elle se met aussi sec à hurler, dans un registre si aigu qu’il manque me percer les tympan, puis m’assène un direct à la mâchoire qui me fait sauter une dent. Son mari, aussi robuste qu’elle et assis à ses côtés, n’est pas en reste et m’écrase son poing dans l’œil droit.

    Je chute donc de nouveau, étourdi, sous une bronca générale. Même si aucun passager ne s’exprime en desesperanto, il est évident qu’ils font savoir leur mécontentement face au traitement que je subis, et je suis on ne peut plus d’accord avec eux ! Quel scandale de traiter ainsi un homme tel que moi, si illustre, si Impérial !

    Alors que j’ouvre mon œil valide pour remercier ces braves gens – bien que non-humains – pour leur soutien à mon encontre, moi, pauvre victime, je m’aperçois qu’en fait, c’est moi qu’ils fusillent du regard et vouent aux gémonies !

    Bande de barbares ! Comme si c’était moi l’agresseur ! Comme si je dérangeais tout le monde ! Il faut vraiment qu’à mon retour, je glisse un mot à papa pour qu’il fasse en sorte que l’Empire s’intéresse de près à cette planète d’arriérés ! Ils ont bien besoin d’être remis au pas !

 

    Pendant ce temps, le transporteur s’est immobilisé et le bruit des moteurs se tait enfin. Ouf ! Quelle délivrance ! Mon calvaire s’arrête enfin !

    Je me relève et claudique jusqu’à mon siège. Aïe, maudite cheville ! Je tente d’ouvrir l’œil droit. Bof. Mes paupières s’entrouvrent à peine. J’avale ma salive ; le goût du sang manque de me faire vomir à nouveau.

    J’ouvre le compartiment à bagage au-dessus de mon siège pour attraper mon sac, mais j’ai à peine le temps de tendre la main pour l’attraper qu’il me tombe lourdement sur le crâne.

    Reste calme, Cirederf. Ne cède pas à la provocation des gens qui ricanent autour de toi en te montrant du doigt. Un jour, tu auras ta revanche. Un jour, la galaxie sera à tes pieds. Et puis bon, ils sont quand même vachement plus nombreux que moi, et en plus je ne sais pas me battre.

 

    Je quitte l’appareil avec un grand soulagement. Faites place à Cirederf Nomis, le journaliste le plus en vue d’Empire Actualités ! Enfin, qui devrait l’être si les jaloux ne conspiraient pas constamment contre lui ! Mais ça aussi ça changera un jour…

    Perdu au milieu des autres passagers, j’avance dans les tunnels menant au hall de l’astroport. La tête haute, comme un prince de la planète L’U. Allons bon, il y a un poste de contrôle douanier.

    Bah, tout va bien, ils se contentent de regarder les passagers passer. Probablement des fonctionnaires, vu le peu de zèle dont ils ont l’air de faire preuve.

 

    Mais pourquoi ce grand escogriffe en uniforme se met sur ma route et me fait signe de le suivre ? Houlà, il parle le pat’ois… hum… j’ai connu cette langue il y a longtemps… Voyons voir si j’arrive encore à comprendre un peu. Il parle de… fouille ? Houlà, c’est qu’il parle vite, et avec un sale accent, en plus. Son mot qui revient le plus après, c’est l’adjectif de corps, non ? Donc corporel.

    Ah, il vient de poser une question ! Age bla…Où sont… devero ni… mes gants… ner lexun… en latex ?

 

    Oh merde…

 

    Je hais cette journée…