– Beuheuheuheu…

 

    Ça y est ?

 

    – Beuheu…

 

    Faut croire que non.

 

    – Beuhhhh…

 

    Ah ?

    Ah ?

    Oui, cette fois c’est la bonne ! Je n’ai enfin plus rien à vomir !

 

    Je me redresse péniblement dans les toilettes exiguës du transport spatial et tire la chasse d’eau. Au-dessus du lavabo, je m’humecte le visage avec de l’eau du robinet, avant de contempler l’ampleur du désastre dans le miroir.

    Comme j’ai l’air blafard ! Un vrai vampire de feuilleton-3DHD ! Sans parles des cernes sous mes yeux, qui feraient pâlir de jalousie un insomniaque chronique.

 

    Une secousse manque de me faire perdre mon équilibre. Non mais c’est pas vrai, ça ! On est en hyperautorouteespace, normalement y’a pas de secousses, enfin quoi, merde ! Sauf à bord de ce vieux tas de boulons moisis, il faut croire. Un transport spatial si vieux qu’il doit remonter à avant l’invention des voyages hyperautoroutespatiaux. Au moins…

 

    Qu’ils soient tous deux maudits ! Ce vieux dégénéré d’Empereur pour avoir levé de nouveaux impôts et rogné sur tous les budgets d’État, y compris celui d’Empire Actualités ! Et le colonel Flocoche, ancien des Services Secrets Impériaux et chef d’Empire, pour avoir répercuté les économies dans son service, au point d’oser faire voyager ses journalistes dans ce genre de tas de ferraille !

    Me faire ça à moi, Cirederf Nomis, fine fleur du journalisme impartial d’État ! Mais je n’ai pas dit mon dernier mot, ah ça non ! Très bientôt, je reviendrai sur le devant de la scène ! Très bientôt ils me mangeront tous dans la main ! Tous ! Papa est porte-parole du Sous-Secrétariat Aux Anciens Combattants du 32ème Régiment d’Infanterie, poste ô combien stratégique s’il en est ! Et puis j’ai interviewé l’Empereur lui-même pour les vingt ans de son règne ! Rien que pour ça, on devrait m’ériger une statue de mille huit cent mètres de haut, à l’échelle de mon mètre quatre-vingt !  

 

    – Y’en a qui attendent ! s’exclame sur une voix furieuse de l’autre côté des toilettes, tandis qu’un poing martèle la porte.

    Oui, qu’ils soient tous maudits !

    J’ouvre la porte et fait face à l’importun, l’air sévère… qui se transforme vite en grimace. Un Rigelien… Je hais les Rigeliens, avec leurs faces de pruneaux désséchés… et qui parlent, qui plus est. Depuis je les connais, je ne mange plus de pruneaux. Et puis comme ils n’ont jamais été bons pour ma digestion, j’avoue que ça tombe plutôt bien.

    – Ah, quand même ! fait-il avant de m’agripper par le bras pour m’éjecter.

    Des visions de dizaines de vidéos-3DHD me dansent dans les yeux, dans lesquelles différents héros font face à ce type de situation : Breece Lu, Nhuck Coris, Sylterves Stanelo, Kluh, Roht… Ils auraient eu tout fait de le réduire en miettes. Mais comme je ne suis pas eux que je ne sais pas me battre et que le verbe est mon arme, je rétorque d’un ton glacial :

    – Monsieur, je…

    Il grommelle, m’attire à lui, me fait une clé au bras et me jette à terre. Ouille ! Espèce de barbare ! J’entends la porte des toilettes claquer dans mon dos. Bon… Ça vaut mieux pour lui de s’être enfermé, parce que si j’avais perdu mon sang-froid…

    Je me relève piteusement – aïe, j’ai trop mal au bras ! – et mon regard tombe sur les rangées de sièges occupées par les passagers qui me font face, la plupart hilares en me contemplant. Qu’ils soient tous maudits, eux aussi, avec leurs sales têtes ! C’est fou, ça, je dois être le seul humain à bord ! En même temps, si loin de la capitale de l’Empire, en pleine Frange Lointaine… Ils feraient moins les malins si la politique de la Prépondérance Humaine s’appliquait aussi ici. Malheureusement, l’univers est vaste, et notre glorieux Empire n’a pas encore eu le temps d’éduquer toutes ces races inférieures qui pullulent tels des rats. Tas de barbares !

    Je regarde mon chrono : ouf, plus que deux heures à supporter cet environnement infect ! Bientôt, ce mal de l’air qui m’empoisonne depuis trois jours que j’ai embarqué ne sera plus qu’un mauvais souvenir !

 

    Enfin je vais pouvoir poser le pied sur la terre ferme ! Enfin je vais m’extirper de ce cloaque de métal décrépit aux odeurs nauséabondes, et ne plus entendre les crissements – oui, oui, j’ai bien dit crissements et pas ronronnements – des moteurs !

    Et là, je pourrais m’adonner à mon travail, que dis-je, mon sacerdoce ! L’activité pour laquelle je suis né, celle qui me portera au pinacle de la gloire, celle qui fera que tous reconnaîtront mon talent – ma modestie habituelle m’empêchant de parler de génie – et connaîtront mon nom. Le journalisme !

 

    Le vrai, le pur, de celui qui participe à l’édification des foules, qui doit comprendre à quel point l’Empire est la meilleure chose qui soit jamais arrivé à cette galaxie. Hum… c’te farce ! Mais bon, en attendant, l’Empire étant au pouvoir, faut bien que je compose avec lui. Ce qui me fait penser… et si par miracle la Résistance parvenait à renverser le pouvoir en place, je deviendrais quoi ? Bon, j’y penserai plus tard. De toute manière, aucun bookmaker sensé – et même insensé – ne parierait sur ces anarchistes ridicules. Quoi, plaît-il ? La destruction par les Résistants du Canon Planétaire, avec ses deux cent mille membres d’équipage ? Boarf… un coup de bol monstrueux, voilà tout.

 

    Allez, courage, Cirederf ! Un nouveau reportage, qui contribuera lui aussi à ta renommée intergalactique, t’attend au bout de ce voyage infernal ! Il faut juste trouver cette ville de Nameo City où vit la femme que je dois rencontrer. Elle s’appelle comment, déjà ? Ah oui ! Ancor Niedy. Généticienne et cunicultrice, qui élève des lapins sur la fourrure desquels apparaît le sigle de l’Empire en vert fluo la nuit.

 

    OOOOOK… Finalement, peut-être que pour la gloire intergalactique et le prix Puzerlit, je vais devoir attendre encore un peu…