XIX

 

 

    – Tu sais, Cirederf, je n’ai pas eu une enfance facile… me dit le lieutenant Diva Zavid, pendant que je passe le balai dans la cage de Kiki.

    Je veux bien la croire ! Vu son look de cuir et latex moulant, le fouet à sa ceinture et le fait qu’elle est un minougroar comme animal de compagnie, il y a forcément de gros traumatismes derrière ! Heureusement, je ne suis pas psy. Juste journaliste. Et la devise du journaliste, c’est de ne raconter que ce qu’on comprend.

    Bon, OK, je vous l’accorde, parfois il faut déformer la vérité, mais c’est juste qu’elle est trop compliq… trop absconse pour le lecteur, sinon.

    – Enfant battue, vivant dans un placard ? que je hasarde, repensant aux célèbres livres de JR Kowling.

    – Au contraire ! J’avais ma chambre à moi, toute décorée de rose, mes poupées Rabries et son fiancé Nek. Je n’ai jamais manqué de rien. En plus j’étais fille unique, donc objet de toute l’attention de mes parents.

    – Mais où est le problème, alors ?

    – C’est évident, non ?

    Sa main se rapproche de son fouet, alors je réponds prestement :

    – Ah oui, quel drame, en effet ! Les salauds ! Euh… si vous voulez en parler plus en  détail…

    Mais qu’est-ce qu’elle raconte ? Elle a craqué ?

    – Le rose ! Non mais qu’est-ce que c’est que cette couleur de merde ? C’est sirupeux, c’est poupées, c’est les fleurs, c’est pastel… comme si les nanas n’avaient pas droit aux couleurs criardes ! Tu te rends compte ?

    – Euh… oui. Enfin… je crois…

    – À l’âge de quatre ans, pour le spectacle de fin d’année à l‘école maternelle, j’ai voulu m’habiller en bleu, histoire de me déguiser… eh bien tout le monde m’a considérée comme une aberration !

    – OK, d’accord, que je fais pour reprendre le fil. Mais à quel période votre enfance est-elle réellement devenue terrifiante ?

    – Nan mais t’as rien écouté ou quoi ? C’était ça, la terreur !

    Voilà qui me semble impossible. Je continue à creuser, fine mouche :

    – Ah, je sais ! Vos parents se sont séparés à ce moment, c’est ça ? Et là, ça a été la longue descente aux enfers ?

    – Qu’est-ce que tu racontes, imbécile ? Mes parents ne se sont jamais séparés. Cette année, ils fêtent d’ailleurs leurs noces de chêne !

    – Donc vous venez d’une famille tout à fait normale, et… Ah ! Je viens de comprendre ! Vos parents étaient très pauvres, ils n’ont jamais pu vous donner l’éducation dont vous auriez rêvé, donc tout est parti en sucette à partir de là ? J’ai bon, hein, j’ai bon ?

    – Arrête de raconter n’importe quoi ! Mon père était un député de secteur sur Planèteville, et ma mère chirurgien de renom. Je n’ai jamais manqué de rien.

    La chançarde ! Bon, OK, mon papa à moi est porte-parole du sous-secrétariat aux anciens combattants du 32ème régiment d’infanterie, ce qui est toujours mieux que simple député local, mais maman, en revanche… Heureusement, dès que j’ai été en âge de réfléchir, sans doute à deux ans – même si je ne m’en souviens pas précisément – vu que j’ai toujours été d’une intelligence supérieure, en toute modestie, papa a renvoyé maman dans la maison de passe dont il l’avait sortie pour m’élever. On ne sait jamais : elle aurait pu avoir une mauvaise influence sur moi.   

    Donc cette Zavid a eu deux parents pour l’élever et l’aimer, avec de bons moyens financiers. Ils n’étaient pas dévoyés, d’aucune manière que ce soit… Mais comment est-ce qu’elle est devenue comme ça, bon sang ?

    – Que s’est-il passé ensuite ? que je demande avec un air de chien battu qui, m’a-t-on assuré, peut aisément passer pour de la compassion.

    – J’ai fait les plus hautes écoles, avec des enfants de stars… On avait un speeder de luxe, version familiale… l’horreur, quoi ! Et un chien ! Pire, un chat !

    – Et ?

    – Tout a basculé le jour où je suis entrée au collège.

    – Ah ?

    – Oui. Les uniformes…

    – Ils étaient si hideux que ça ?

    – Non. Taillés dans la soie la plus pure, la plus chère.

    – Mais… ?

    – Les uniformes des garçons étaient noirs, et les robes des filles blanches !

    – Et alors ? que je fais, ne comprenant décidément rien.

    – C’est pourtant évident ! Dans la cour de récré, tous ces gens mélangés, on aurait dit des vaches ou des pingouins ! Or je venais à l’école, me cultiver, pas me mêler aux animaux d’une ferme !

    – Et c’est là que vous avez choisi les animaux d’un cirque, avec le fouet pour les dresser, c’est ça ?

    Je suis fier d’avoir tout compris !

    Sauf qu’à son air revêche, du genre à faire fondre de la lave déjà fondue, je sens que je me suis fourvoyé.

    – Non, c’est là que mon héros, mon dieu, est arrivé pour me sortir de ce cloaque.

    – À ce point-là ?

    – Oh oui… !

    Cette femme a donc une once d’humanité ? Waouw, c’est impressionnant tellement elle est vachement bien cachée !

    – Et ce dieu a un nom ? que je demande.

    – OUI ! RIGOBERT FLOCOCHE !

 

    Aïe ! Elle m’a pété les tympans, sur le coup ! Je ne savais pas que ce type était capable de faire un tel effet à des gens… Mon ex-patron disparu serait donc autre chose qu’un inénarrable bon à rien ? Il y aurait des gens pour l’aimer ? Voilà qui est plus qu’étrange, bien plus grave que dangereux… décidément, le conditionnel est de mise…