XXIV

 

 

    Dans mon dos, au bout du couloir, la porte d’entrée explose brusquement [Note De l’Auteur : d’un autre côté, je ne vois guère comment quelque chose pourrait exploser autrement que brusquement]. J’entends :

    – Hoy ! Hoy ! Allons au secours de Nomis ! Il est torturé et a craqué, la conversation que je viens d’avoir avec lui le prouve ! Hoy !

    Et voilà l’agent des SSI et son équipe qui se précipitent vers moi, armés jusqu’aux dents. Dans l’encadrement des restes de la porte, je constate que les Nichois sont sur leurs talons et les suivent, continuant à prendre 3D-photos et 3D-vidéos.

    Le Tarpéziste ouvre le feu, l’équipe d’Hoyddings réplique aussitôt. Les tirs de laser s’écrasent partout, me frôlent mais par miracle, me manquent, alors que je me tiens au beau milieu de la fusillade.

    Les yeux piquants à cause de la fumée, le nez irrité par l’odeur d’ozone qui envahit le couloir, je me jette sur la première porte venue pour échapper à cet enfer. Par bonheur, elle s’ouvre !

    Je respire profondément une fois en sécurité, la porte refermée et moi adossé contre. Ouf, je l’ai échappé belle ! Heureusement, mes réflexes fulgurants m’ont permis de m’en sortir sans une égratignure… pour une fois. Ma chance serait-elle enfin en train de tourner ?

    Je me frotte les yeux et découvre la pièce dans laquelle je me suis réfugié. Ou plutôt non. Je suis dans le noir le plus complet. Tandis que j’entends la fusillade étouffée qui continue par-delà les murs, je laisse mes yeux s’adapter à l’obscurité. Comme ça ne marche pas, même au bout de quelques minutes, je tâtonne et trouve un interrupteur.

    La pièce s’avère minuscule, genre placard à balais. J’écarquille les yeux [NDA : décidément, faut vraiment que je trouve un synonyme] de stupeur : face à moi, ligoté à une chaise adossée à une étagère remplie de produits d’entretien – tiens, les Tarpézistes utilisent le même détergent que moi –, le colonel Flocoche me fait face, bâillonné !

    Il a l’air aussi choqué de me voir que je le suis de l’avoir retrouvé. Contre toute attente, j’ai réussi ! Moi, Cirederf Nomis, j’ai accompli la mission des SSI à moi tout seul ! Je suis un héros, aujourd’hui et à jamais ! Y compris pour l’imbécile qui me regarde avec la lueur stupidement bovine – habituelle chez lui – que je vois dans ses ye… globes oculaires.

    Je lui lance mon meilleur rictus « Et oui, c’est encore moi qui sauve la situation ! », avant de lui retirer son bâillon.

    Il explose aussitôt :

    – Bon sang, mais qu’est-ce que foutez là, Nomis, bougre d’imbécile ?

    – J’ai rassemblé autour de moi une équipe des SSI pour vous libérer, chef.

    J’ai toujours eu un bon sens de la répartie. Certes, j’avoue légèrement déformer la réalité dans ma description de la situation, mais après tout, ne suis-je pas journaliste impartial et donc rompu à l’art difficile d’orienter les informations qui passent entre mes mains expertes ?

    – Vous ? qu’il ricane comme si je venais de prononcer la pire des incongruités.

    Pfeuh, sale ingrat !

    – Oui, chef. Vous pensez bien que dès que j’ai appris votre disparition, j’ai personnellement tout mis en œuvre pour vous sauver ! Vous êtes… euh… mon modèle, mon mentor… que dis-je, mon idole ! D’ailleurs, j’espère que vous me signerez un autographe dès que je vous aurai délié les mains.

    – Vous n’avez pas changé d’un iota, Nomis, me dit-il froidement. Toujours aussi hypocrite et incapable !

    – Non mais…

    – Sans votre père haut placé, jamais votre prose médiocre n’aurait été mise au service d’Empire Actualités !

    – Vous exagérez…

    – D’ailleurs, « mise au service » me semble bien impropre, à la réflexion. Vous tirez Empire vers le bas chaque jour un peu plus !

    – Vous savez, colonel, je…

    – Soyez sûr que dès mon retour à Planèteville, tout va changer ! Fini les passe-droits ! Je vais vous remettre à votre vraie place, à savoir la première agence de recherche d’emplois venue !

    – C’est dur, ça, alors que je…

    – Et bien sûr, je me servirai de mon rang pour vous blacklister auprès de tous les gens qui comptent ! Ah, je peux vous garantir que votre vie va devenir un enfer, Nomis !

    Je renonce à essayer de le raisonner. Visiblement, la tension et l’émotion de sa libération viennent d’avoir raison de ses nerfs.

    Mais un doute me prend quand même : et s’il était sincère ? Et s’il ne revenait pas à de meilleurs sentiments à mon égard ? Si c’était le cas, ce serait à coup sûr la fin de ma brillante carrière.

    Puis-je laisser un tel désastre se produire ? Ah ça non, c’est impossible !

    Alors je fais la seule chose logique à ce stade : je lui remets son bâillon, ignore le regard furieux qu’il me lance, me tourne vers la porte, éteins la lumière et tends l’oreille. Il n’y a plus un bruit dans le couloir. Mais qui a gagné ?

    J’entrouvre la porte et jette un œil. Les hommes d’Hoyddings tentent de refouler les Nichois vers la sortie. À l’autre bout du couloir, Hoyddings surgit, pistolet laser fumant à la main.

    – Hoy, Nomis ! Tout va bien, tous les Tarpézistes sont hors de combat ! Par contre, aucune trace de Flocoche. Hoy ! Hoy !

    – Rien non plus dans le placard où j’étais réfugié, que je dis innocemment.

 

    Flocoche l’a bien cherché ! Et de toute manière, je ne connais pas grand-monde qui regrettera un tel pisse-froid…