XXXVI

 

 

    Quand on sort d’hyperautoroutespace au large d’Althètis, je ne peux m’empêcher d’admirer la configuration atypique de la planète. Si les planètes ceinturées d’un anneau sont un grand classique de la galaxie, Althètis en compte pas moins de quatre. Le premier gravite autour de la planète et est ceint de part et d’autre d’un nouvel anneau, comme trois maillons d’une chaîne géante. Dans lesquels sont enchevêtrés deux autres anneaux liés, juste au-dessus.

    Et avant que vous ne posiez la question, oui, bien sûr, c’est cette configuration unique qui a été reprise pour créer le logo des Jeux Olympiques Galactiques, car c’est sur Althètis qu’ils sont nés il y a bien longtemps.

    C’est une bande de hippies nudiste qui en fut à l’origine, il y a des milliers d’années de cela, comme en témoignent les fresques et les poteries d’innombrables Althètes (oui, c’est le nom des autochtones) aussi antiques que nus.

    Heureusement, depuis, la glorieuse civilisation, républicaine puis galactique, est passée par là, soutenue et financé par le lobbying intense et tenace des multinationales galactiques vendant des vêtements de sport, telles Kine, Idadis, Roobek, Pamu et tous les autres.

    La légende veut également que toutes les femmes de la planète ont lutté de toutes leurs forces pour que cette tradition de s’exhiber nu, le corps huilé et en faisant du sport soit préservée coûte que coûte, pour le plaisir de leurs yeux. Las. Leurs propres hommes, jaloux, ont fait en sorte qu’elles perdent et ont ouvert la porte à l’esclavage pour les calmer. C’est à cette occasion que les Graucelimasses ont pris pied (même s’ils n’en ont pas) sur Althètis.

    Bref, rien que de bien logique. Je décide de frim… de partager mon savoir avec mes compagnons. Avec un peu de chance, tel un guide de musée, j’’aurai peut-être droit à un pourboire ? Car oui, je suis Cirederf Nomis, je n’ai peur de rien et compte bien me refaire financièrement. Alors je me lance :

    – Savez-vous que cette planète a été découverte il y a…

    – On s’en fout ! me coupe Zavid.

    Je me renfrogne, vexé. Décidément, la tête de de Zavid n’est bonne qu’à donner des coups de boule, où à commander ses membres pour qu’ils pratiquent l’art de tuer.

    – Au fait, ajoute-t-elle, Althètis est une planète impériale, il me semble ?

    Je grogne un assentiment boudeur. Si elle avait écouté ma présentation, elle l’aurait su d’ici une petite demi-heure, dans la troisième partie de mon exposé.

    – Donc à l’astroport, nous allons être sondés ?

    Qu’on ne me parle pas des sondes des douaniers ! Je ne les connais que trop bien !

    – Oui, snif.

    – Donc la reconnaissance faciale va immanquablement reconnaître Nomis comme criminel recherché, et il sera arrêté ?

    Bon, OK. J’admets que là, elle marque un sacré point.

    – Oui, snif.

    – Très bien. Debout, Nomis.

    Je me lève et m’irrite vite de la voir faire craquer ses doigts.

    – Tu fais quoi ? que je demande.

    – Je m’échauffe.

    – Dans quel but ?

    – Je vais te latter. Comme ça ton visage tuméfié, gonflé et déformé trompera les capteurs visuels de la douane.

    – Nan mais t’es pas bien ! que je m’exclame.

    – T’as une meilleure idée ? demande-t-elle froidement.

    Vite, une idée. Viiiiiiiiiite !

    – Moi j’en ai une, snif.

    Mon sauveur !

    – C’est quoi ? demande Zavid, qui se paye le luxe d’avoir l’air déçu, cette garce.

    – Si Nomis est allergique à quelque chose, on lui en fait manger ou on lui en frotte le visage. Comme ça il va gonfler et sera méconnaissable !

    – Nan mais ça va pas, la tête ? Et si j’en meurs ?

    Pfeuh, c’est pas vrai, ça : pas un pour rattraper l’autre.

    – Nomis a raison.

    – Merci, Zavid.

    – Donc je te latte, Nomis. Debout.

    Et là elle se met en garde de boxeur.

    – Kiki ! que je crie, mu par une soudaine impulsion. Je suis allergique aux poils de Kiki !

    – Tant pis, fait Zavid en baissant les bras, l’air de plus en plus déçu.

    Ouf, je commence à respirer. Mais pas longtemps quand Zavid ajoute en me pointant du doigt :

    – Kiki, attaque !

    Je n’ai pas le temps de réagir que cette monstrueuse bête des enfers me saute dessus, m’attrape entre ses crocs dégoulinant de bave et me secoue comme si j’étais une vieille chaussette. Je suis tellement brinquebalé en tous sens que je n’arrive même pas à vomir sur Kiki – ce qui m’aurait fait un bien fou au moral, mine de rien… quoique : je suis sûr que Zavid m’aurait fait tout nettoyer –, malgré la nausée qui s’empare de moi.

    Ça me rappelle le jour où l’astrophysicien Beralt Steinen m’avait fait visiter son installation scientifique. J’avais trouvé ça sport de sa part, dans la mesure où je venais de publier un article assassin sur ses travaux délirants – même s’ils s’étaient avérés exacts depuis. Mais au cours de la visite, il m’avait bousculé par inadvertance et fait tombé dans une centrifugeuse géante destinée à tester la résistance des organismes vivants à des poussées extrêmes, genre grand huit en huit fois pire.

    Bref, je morfle autant entre les crocs de Kiki.

    – Écrase-le, Kiki ! fait Zavid.

    Kiki me lance dans les airs et je crie :

    – Je vooooooole !

    La gravité me rattrape et je m’affale comme une serpillière trempée, le souffle coupé. J’écarquille les yeux en voyant Kiki : le formidable saut qu’il vient de faire avec grâce pendant ce temps l’a conduit juste au-dessus de moi, et c’est le trou noir quand il me tombe dessus.

    J’ai juste pu entendre quelques trucs casser dans mes os, et je sais désormais ce que ressent une noix entre les mâchoires d’un pince-crustacés.

 

    J’étouffe. Mes yeux me piquent, ma gorge aussi. Je ne peux même pas éternuer, j’ai à peine la place pour respirer. Je sens des picotements, des démangeaisons sur tout le corps. Et ça dure une éternité. Alors que j’ai le sentiment d’être dévoré tout cru par des milliards de fourmis carnivores (oui, des milliards : c’est petit, une fourmi), j’entends enfin :

    – Couché, Kiki. Ça devrait le faire.

 

    Je me relève, ankylosé de partout. Je dis :

    – Fleuhbeuhleuh elfheureleuh…

    On dirait que ma langue a bien gonflé dans ma bouche que je sens pâteuse.

    – Il est parfait, dit Zavid, contente d’elle.

    – Oh, c’est horriiiible, snif !

    – Tiens, Nomis, voici un miroir. Regarde-toi : à mon avis, tu arriveras à berner la douane.

    Je saisis le miroir maladroitement : mes mains semblent avoir doublé de volume. J’entrouvre comme je peux mes yeux qui semblent vouloir se coller irrémédiablement à mes paupières.

 

    Et je contemple, indigné, l’homme à la tête de pop-corn qui me fait face dans le miroir.

Révolté comme jamais, je me tourne vers Zavid et Snaf et, oubliant toute pondération et politesse, les gratifie de tous les jurons que je connais, du genre à faire passer le langage du pire criminel endurci pour une histoire racontée par môman à son bébé au moment de s’endormir. Ce qui donne dans ma bouche :

    – Fzerfjiorueh zerfuyh frfiuh, fzzeruifhih zedf plio ! Dheff fruhze ! Sajzeiuj deuh fkr fefih !

 

    Je sais que je viens de signer mon arrêt de mort. Jamais Zavid ne me permettra de vivre après l’avoir ainsi insultée et d’en avoir tant dit sur les mœurs de ses ancêtres. Mais tant pis ! Je ne regrette rien ! Il fallait que ça sorte ! Quitte à en mourir !

 

    – Qu’est-ce qu’il a dit, snif ?

    – Aucune idée. Mais je crois qu’il a essayé de nous remercier pour cette bonne idée.