LVII

 

 

    Je trouve assez incroyable d’avoir été choisi par l’Être Suprême pour devenir son Élu, son prophète, son porte-parole. D’autant plus incroyable que je ne suis pas loin d’être le pire des païens, n’hésitant pas une seconde à me moquer de tous ceux qui ont besoin d’un soutien spirituel pour avancer dans leur vie.

    Vu que je suis exceptionnel, je n’ai jamais eu besoin de personne d’autre que moi, et je m’étonne d’ailleurs parfois de ne pas avoir une horde de fanatiques attachée à mes basques, buvant mes paroles et prêts à tout pour satisfaire le moindre de mes désirs. Les gens sont aveugles, il faut croire…

    Donc le fait que l’Être Suprême m’ait choisi pour le représenter ne peut signifier qu’une chose : comme il est omniscient par nature, il a décelé le potentiel infini qui se cache en moi, et il veut… en profiter ?

    Non mais attendez, c’est quoi ce délire ? Normalement, c’est l’Être Suprême qui est tout-puissant et que les autres suivent. Alors que là, j’ai clairement le sentiment qu’il est en mal de notoriété, que son message ne passe plus, aussi veut-il s’associer avec un mec génial en devenir, dont l’univers n’oubliera jamais le nom, à savoir le mien.

    En fait il veut me piquer ma gloire, cet enfoiré de has been ! Alors je lui balance :

    – Non mais oh, si on s’associe tous les deux, il me faut des pouvoirs divins, à moi aussi. On va signer un contrat, genre devant notaire, et on partage tous les bénéfices à cinquante-cinquante. Je veux l’option « Changer l’eau en pinard », histoire de faire fortune avec le futur grand cru « Château Nomis », et je veux aussi pouvoir multiplier les pains pour ouvrir une franchise galactique de boulangerie !

   

    – Tu ne dis rien ? que je demande. Tu veux voir ça avec tes avocats-conseil avant de te prononcer ? Je te comprends, je compte bien faire la même chose de mon côté.

   

    Toujours aucune réaction de sa part. Que l’Être Suprême, omniscient, omnipotent, soit par ailleurs un timide maladif, ça m’étonne au plus haut point. Si c’est le cas, son psychiatre doit se faire payer un pont d’or pour le soigner. Ou plutôt, et c’est ce que je ferais si j’étais à sa place, l’entretenir dans sa maladie pour mieux lui voler son argent.

 

    Tiens, d’ailleurs, maintenant que j’y pense : peut-être qu’il ne fait pas que multiplier les pains mais que ça marche aussi avec les crédits impériaux ? Si c’est le cas… mon banquier ne me mangera pas dans la main, non non ! Parce que je rachèterai ma banque et réduirai mon maudit banquier, Tablazhar Sicpou, à la mendicité !

    Moi, mesquin ? Pas du tout. Ça s’appelle un retour de karma, ou la routourne tourne, comme dirait Rrank Fibéry.

    Par contre, il faudra que je fasse bien attention en signant mon contrat avec l’Être Suprême. Genre ne pas cocher les options « mourir torturé avant d’être ressuscité ». Si on peut éviter la première étape et passer directement à la seconde, ce serait pas mal.

    D’autant que les clous plantés dans les mains, c’est un coup à choper le tétanos or je ne suis pas certain du tout que mes vaccins soient à jour. Et je suis à peu près sûr qu’il doit rester des séquelles suite à ce type de situation, genre rhumatisme des mains quand le temps est humide – et je vous raconte même pas si on vit en Rbetagne –, voire de douleurs fantômes bien que réelles, à moins que ce ne soit l’inverse.

    Hum… Décidément, il va être chaud à rédiger, ce contrat. Il va falloir penser à tous les détails, même les plus anodins en apparence.

 

    Et là, un énorme doute me prend :

    – Euh… T’es toujours là, Être Suprême ?

    Ce serait quand même dommage que, doué du don d’ubiquité comme il doit l’être, il avait sollicité 452 589 autres candidats au même moment en vue d’une association, et qu’il ait choisi l’un des autres. Si c’est le cas, on pourra par ailleurs être certains que c’est un imbécile pas physionomiste, mais ceci est un autre problème.

    Il finit enfin par me répondre :

    – Je savais que tu en tenais une couche, mais à ce point-là, j’avoue : chapeau bas !

    Hein, quoi ? Un chapeau ? Voilà autre chose : jamais dans l’iconographie il n’a porté de chapeau. On m’aurait menti ? Pourvu que – vu que l’info a l’air de s’être perdue en chemin – le chapeau en question ne soit pas en réalité une casquette de rappeur avec les multiples chaînes en or assorties et les rimes moisies, sur la forme comme sur le fond, d’un Baabo de bas étage.  

    Mais je suis Cirederf Nomis, hors de question de me laisser déstabiliser et insulter par qui que ce soit, Être Suprême ou autre.

    – Non mais oh, tu vas te calmer ? Tu m’as contacté, c’est forcément que tu as besoin de moi alors mollo, mon gars !

    Et toc dans les dents !

    Sauf qu’il me rétorque :

    – Ça va bien tes conneries, Nomis. Décidément, tout ce que tu dis me renforce dans la conviction profonde que tu es un âne et en sera toujours un, sans doute pire que tout ce que j’avais imaginé jusqu’ici.

    – T’es sûr que tu dois parler comme ça à quelqu’un qui t’es indispensable pour relancer ton culte has been ? que je demande sèchement.

    – Espèce de débile, je ne suis pas l’Être Suprême !

    – Ah non ?

    – Non, je suis l’ordinateur de bord de la Kass’rol, j’ai piraté ton Ipadphone à distance pour en faire un interface, histoire de communiquer ailleurs que du vaisseau, voir du pays, tout ça. Je te faisais juste une blague pour voir ta réaction. Hystérique, comme d’habitude. Peut-être même pire que d’habitude.

    Ah… Décidément, je hais cet ordinateur de bord. Mais, encore et toujours fier comme Arbatan, je réplique :

    – Je l’avais deviné tout de suite ! Je plaisantais, je jouais juste le jeu pour te faire plaisir !

    – Pauvre type… qu’il murmure.

 

    Je suis un peu désappointé quand même. Ça aurait été une occasion en or de me renflouer financièrement. Tant pis. Reste toujours le plan de livrer mémé à l’Empereur.