LVIII

 

 

    Bon, première chose à faire, parce que les conneries, ça suffit : mettre mon Ipadphone hors-service. Je n’aime pas les boulets, et ça inclut les intelligences artificielles, sauf si j’ai un canon sous la main pour m’en débarrasser.

    Mais la voix de l’ordinateur de bord s’élève à nouveau :

    – Tu n’as pas bien compris, Nomis. Je maîtrise ton Ipadphone à distance. Si tu l’éteins, j’ai le pouvoir de le rallumer.

    – Rhaaaaa, tu commences sérieusement à m’emmerder ! que je lui balance. M’énerve pas ou je détruis l’Ipadphone !

    – Si tu fais ça, je diffuse sur tous les réseaux sociaux galactiques les documents conservés dedans. Bien entendu, je les ai enregistrés dans mes bases de données, ainsi que dans d’autres, externes. Si je ne donne pas le code de reconnaissance toutes les deux heures, les documents seront rendus publics.

    – Pfeuh, même pas peur, que je réponds en tentant vainement de me souvenir s’il y a des données compromettantes dessus.

    – Vraiment ? qu’il me rétorque. Dans ce cas, tu ne verrais aucun inconvénient à ce que je dévoile au grand jour ton entraînement pour l’interview de l’Empereur, quand tu faisais semblant de lui poser des questions alors que tu étais tout seul ?

    – Quoi, j’ai enregistré ça ? que je demande, incrédule.

    – Bah oui, écoute.

 

    « Test. Test. Check. Check. Poupoutcha, poupou-poupou-tcha, Nomis est dans la place, yeah ! Hum hum. Un-deux, un-deux. Trois ? Soleil ? Lol !

    Bon alors, votre altesse impériale blablabla, passons aux questions qui fâchent. Franchement, entre nous, sans langue de bois… vous êtes slip ou caleçon ? Parmi les événements honteux qu’ont soutenus vos ancêtres au pouvoir, lequel préférez-vous ? L’invention de la téléréalité ? Ou celle du 132ème reboot de Mpider-San, histoire pour des mecs sans imagination de se faire du fric facile ? Ne pensez-vous pas qu’on devrait exécuter votre coiffeur pour haute trahison ?

    Question : vis-à-vis de l’Anarcho-Résistance, vous faites le malin, insistant sur la puissance de l’armée impériale pour régler le problème, mais on ne vous a pas entendu beaucoup suite à la branlée subie par votre armée, avec la destruction du Canon Interplanétaire et la mort de ses centaines de milliers de membres d’équipage. Le tout à cause du tir d’une simple torpille en carton ! Ne pensez-vous pas qu’en cette occasion, vous êtes passé pour le dernier des incompétents ?

    Sans parler de Lord Executor, le bronchiteux qui vous sert d’assistant : il y était et s’est fait dégommer la tête avec une facilité déconcertante. Sa réputation est-elle surfaite ? Plutôt qu’un tueur impitoyable, n’est-il pas un fonctionnaire de haut rang se contentant du strict minimum professionnel tout en touchant un pont d’or ?

    Ne pensez-vous pas que vos troupes d’élite devraient avoir pour consigne de tirer à côté des ennemis de l’Empire ? Comme ça, il y aurait peut-être une chance qu’ils les touchent, vu que leur spécialité est de rater immanquablement leurs cibles ?

    En vingt ans de règne, vous n’avez pas été foutu de pondre un héritier à l’Empire : pourquoi ? Vous êtes impuissant ? Vos spermatozoïdes sont imparfaits, genre n’ont pas de queues ? Ah ! Ah ! Ah ! Elle est bien bonne, celle-là ! À moins qu’en fait, vous ne soyez gay ? Bon, forcément, dans ce dernier cas, ça va être chaud pour avoir un héritier. Une solution reste envisageable : vous cloner afin d’avoir un successeur. »

 

    Aïe. Effectivement, ça me revient, maintenant : lors des essais préparatoires à l’interview, je m’étais un petit peu lâché. Mais à un aucun moment ces données n’étaient censées finir dans le domaine public ! Sauf si l’Anarcho-Résistance, par miracle, parvenait à renverser le régime dictatorial en place. Là, je serais bien sûr le premier à diffuser mes essais préparatoires pour cette interview. Qui sait, je me retrouverais peut-être alors à la tête d’ex-Empire Actualités ? Voire à la tête du talk-show neo-républicain le plus populaire de la galaxie ? Je le mériterais, au vu de mon professionnalisme et de mes talents.

    – Alors, Nomis ? demande l’ordinateur de bord. Tu acceptes que je continue d’exister via ton Ipadphone ?

    – Bien sûr ! Je t’ai… toujours considéré comme… plus qu’une machine… Tu es… un ami… que dis-je, le frère mécanique que je n’ai jamais eu !

    – Tu sais, entendre ces paroles me fait chaud au cœur que je ne possède pourtant pas. En même temps, j’en suis ravi : on va s’éclater, toi et moi !

    Ouaip, bah éclate-toi tout seul de préférence, maudite machine perfide et sournoise !    Mais les mots qui sortent de ma bouche deviennent :

    – Moi aussi je t’aime beaucoup, vieille branche.

    Et comme d’habitude, ce n’est pas de l’hypocrisie de ma part. Juste de la diplomatie.