LXX

 

 

    – Quel monstre d’insensibilité ! dit Qel.

    – Je serais vous, Nomis, je la déshériterais, surenchérit Qyp.

    – Bonne idée, ça, d’autant que je suis fauché de chez fauché. Si je peux lui laisser mes dettes, ce sera avec plaisir.

    – En tout cas, Nomis, j’ai bien envie de vous tuer, juste pour me défouler d’avoir perdu le milliard que nous aurait valu la capture de votre grand-mère.

    – Nan mais déconnez pas, les gars ! Comme vous l’avez souligné, moi aussi je suis recherché.

    – Mouais mais bon… Votre million, à côté du milliard de votre mémé, ça fait un peu caca d’amibe constipée.

    – C’est quand même une belle somme ! que j’insiste, furieux d’être ainsi dévalorisé.

    – Bof.

    – Songez à tout ce que vous pouvez acheter avec un million !

    – Hum… Il n’a pas tort.

    – Certes, mais moi j’avais fait la liste de ce que je pouvais acheter pour un milliard. Imagine, on aurait pu se payer carrément une franchise cinématholographique, genre Les Guerres de l’Étoile peut-être, et se faire des couilles en or !

    Waouw… Penser que mémé vaut la franchise des Guerres de l’Étoile, je n’y avais jamais songé. Je fais aussitôt le vœu de Qel mien, et regrette dans la foulée que mémé m’ait échappé.

    – On peut toujours attendre que votre mémé revienne et lui tendre une embuscade, propose Qyp.

    – Ah oui mais non, que je dis, on peut pas faire ça. Je l’ai balancée à l’Empire pour toucher la prime sur sa tête, malheureusement avant de savoir qu’elle quittait momentanément la planète. Du coup, y’a une flotte impériale en route, et elle sera là avant le retour de mémé.

    – Vous avez balancé votre propre grand-mère ? Mais vous êtes un monstre !

    – Bah oui mais non. Avoir Les Guerres de l’Étoile en échange…

    – Ah ouaip, c’est vrai… Les Guerres de l’Étoile…

    Pendant un bon moment, nous restons tous trois les yeux levés vers le ciel, plongés dans une douce méditation qu’on aimerait voir s’éterniser.

    – Bon, c’est pas le tout, reprend finalement Qel, mais on a toujours Nomis à livrer à notre commanditaire.

    – Vrai, approuve Qyp. Son million et demi, ça fait bigaille à côté du milliard de sa mémé, mais bon : ce sera déjà ça de pris.

    – Million et demi ? Je croyais que je ne valais qu’un seul million ?

    – Et vous croyez bien, Nomis. Sauf que quelqu’un a rajouté un demi-million à votre prime pour qu’on vous le livre vivant.

    – Alors ça c’est sympa, que je dis. Et c’est qui, ce type, si c’est pas indiscret ?

    – Gédéon Saint-Lazare.

    – Qui ?

    – Gédéon Saint-Lazare.

    – Connais pas. Il fait quoi dans la vie ?

    – Aucune idée. Il nous a contactés, donné une ligne de crédit pour prouver qu’il possédait le million et demi pour nous payer, et voilà.

 

 

    Bon. Sans doute un de mes fans, je ne vois pas d’autre explication. Une de ces personnes qui ont des portraits géants de moi partout chez moi, surtout de profil droit – mon plus beau profil –, des gens pour qui voir mon visage illumine leur par ailleurs morne vie, qui sans cela serait si désespérément vides…

    Comme je les comprends. Ces groupies, je vous jure…

    – J’ai hâte de faire la connaissance de ce type, que je fais.

    En plus, un type prêt à mettre un million et demi pour m’avoir vivant a forcément beaucoup plus de pognon, donc d’ici à ce qu’il me renfloue pour j’éponge l’intégralité de mes dettes…

    Je sens que l’avenir va être radieux !

    Sauf qu’à ce moment, Qyp, datapad à la main, annonce :

    – Je viens de faire une recherche sur Gédéon Saint-Lazare.

    – Ah ? Et ça donne quoi ? que je demande, excité comme une puce. Il a appelé son fils « Cirederf » ? Lui-même a demandé à un tribunal le droit de changer son nom en « Nomis » pour me rendre hommage ?

    – Hum… C’est un scientifique.

    C’est bien, ça ! À la réflexion, il est évident que je peux fédérer autour de ma magnifique personne non seulement tous les faibles d’esprit de la galaxie – et vous savez comme moi à quel point ils sont nombreux –, mais également les esprits les plus brillants, comme on vient de le voir ! Nul doute que ces derniers voient en moi un de leurs pairs, en cents fois mieux. C’est bien simple, si l’Empire disparaissait au profit d’une République, je me présenterais à la présidence et serais sans nul doute élu à une large majorité tellement je suis un type génial et adulé en secret par des milliards de personnes !

    – Apparemment, ce Saint-Lazare est un chirurgien… continue Qyp.

    – L’élite de la médecine, donc ! Ça me plaît, ça ! que je m’enflamme.

    – … spécialisé dans les recherches génétiques…

    – Il cherche le gène du génie ? Il a frappé à la bonne porte, j’ai toujours su que tout en moi, et donc forcément jusqu’à mes gènes, était exceptionnel !

    – … condamné à mort dans trente-trois systèmes planétaires pour tortures et manipulations génétiques allant contre toute éthique, même les plus inhumaines.

    – Hein ?

    – Ses victimes supposées se montent à sept cent soixante-douze, qu’il aurait personnellement charcutées.

    – Quoi ?

    – Bon courage, Nomis, conclut Qyp. Je ne sais pas ce qu’il veut vous faire, et crois que je n’ai pas envie de le savoir.

    – Mais enfin…

    – C’est con, vous aviez l’air sympa, ajoute Qel.

 

    Je crois que je vais devoir me faire une raison : je dois être destiné à rencontrer mes antithèses ces jours-ci, à savoir tous les allumés de la galaxie. Que de chocs successifs pour moi, si normal, si équilibré.

 

    Pourquoi, univers ? POURQUOI ? Je te fais de l’ombre, c’est ça ?