XCVII

 

 

    Coincée sous mon bras gauche et ma jambe droite, mémé grogne. J’empoigne solidement ses bras, la dégage de son inconfortable position et la présente à l’Empereur en disant :

    – C’est votre femme, mémé Nomis, que vous avez cherché partout ! C’est moi qui l’ai capturée ! Rien que pour vous, sire !

 

    C’est fou comme parfois, l’instinct de survie prend le pas sur toute réflexion consciente. À moins que dans mon cas, l’instinct de survie soit mon intelligence, tellement développée qu’elle agit avant même que j’ai eu le temps d’en prendre conscience.

 

    L’Empereur me toise, glacial. Tout le monde se tait religieusement derrière lui, attendant sa sentence. N’était la respiration sifflante de Dark Vador, je suis à peu près certain qu’on entendrait voler une mouche. Sans doute même deux. 

    Il continue de me toiser. Mémé bougonne dans sa barbe mais ne se débat pas. Et moi j’aimerais bien qu’il se passe quelque chose parce que tenir mémé comme je le fais me tire sur les bras, c’est mortel. Manquerait plus que j’ai une tendinite !

    Quand l’Empereur ouvre enfin la bouche, je suis résigné à entendre une sentence de mort en sortir.

    – Nomis… Vous êtes au courant de la prime qui court sur la tête de votre grand-mère ?

    – Euh… oui. Quelque chose comme un milliard de crédits, il me semble.

    – Savez-vous qui a émis cet avis de recherche, ainsi que la prime qui va avec ?

    – Vous-même, votre altesse ?

    – Exact. Au nom de l’Empire. Vous savez ce que ça implique, Nomis, misérable limace ?

    – N… non, que je réponds en déglutissant nerveusement.

    Vu le ton qu’il prend, je le sens mal…

    – Ça implique que l’Empire vous doit un milliard.

    – C’est… une bonne nouvelle pour moi, que j’avance prudemment, du bout des lèvres.

    – Et c’est la chute de l’Empire, ajoute-t-il.

    – Je ne comprends pas, votre munificente grandeur.

    – Le découvert abyssal sur votre compte en banque a plongé tout le secteur bancaire galactique dans le rouge. L’Empire a dû renflouer leurs fonds propres afin d’assurer leurs capacités de réinvestissement.

    – Aïe, je… je compatis.

    – Ce qui fait que désormais, ce sont les finances même de l’Empire qui sont au bord du gouffre.

    – Ah ? Je ne pensais que la situation était aussi dramatique.

    – Si l’Empire doit vous donner le milliard auquel vous avez légalement droit, c’est tout bonnement la fin de l’Empire. Mais si vous renonciez à cette somme…

    – Ah non, pas question, j’en ai vachement besoin, là !

    Ce n’est qu’après cette diatribe que je me rends compte que j’ai coupé la parole à l’homme le plus puissant de l’univers.

    – Euh… Je voulais dire que je suis tout ouïe, votre splendeur euh… resplendissante.

    – Si vous renonciez à cette somme, ce milliard bloqué sur compte spécial pourrait être utilisé par l’Empire pour soutenir le secteur bancaire, et sortir de la crise.

    – Vous êtes en train de me dire que le sort, le destin de l’Empire reposent sur moi ? que je demande, incrédule.

    – Oui.

    La réponse est sèche, définitive, et prononcée en grinçant des dents.

    À ce moment, je me rends compte que les possibilités qui me sont offertes sont illimitées. Le maître de l’univers, c’est moi ! Je fais couler l’Empire si je veux !

    Mouhahahahaha ! Enfoncé, le Palpy ! Remarquez, avec sa cape miteuse et sa canne de petit vieux, il pourra se reconvertir en mendiant faisant la manche sans avoir besoin de changer son look ! Ah ! Ah ! Ah !

    Je reviens sur terre quand il me dit :

    – Alors, Nomis, quelle est votre décision ? Vous gardez le milliard ou vous l’offrez à l’Empire ?

    Toujours grisé par ma position unique dans les annales de l’Empire, je me demande si je ne vais pas le chambrer un peu, voire le faire marcher. Mais alors que j’ouvre la bouche pour lui balancer une vanne, je vois des petits éclairs bleus crépiter au bout de ses doigts, et ses yeux virer au jaune.

    C’est peut-être pas le moment de me moquer de lui, en fait. Ni aujourd’hui ni jamais, à vrai dire. N’empêche que je n’en reviens toujours pas de cette situation, et je m’en ouvre à l’Empereur.

    Je ne comprends pas comment il est possible qu’un simple milliard fasse ainsi pencher la balance, alors que le budget de l’Empire est de dizaines de milliers de milliards.

    À ma grande surprise, Palpatine se dandine d’un pied sur l’autre en regardant le sol, comme s’il se sentait coupable de quelque chose.

    – Sire ? que j’ose ajouter, interloqué par sa drôle d’attitude.

    Il s’arrête, comme s’il avait enfin pris une décision, s’approche lentement de moi, qui m’attends au pire. Il se penche sur mon oreille. Je me crispe, craignant qu’il ne l’arrache avec les dents. Mais il se contente de me chuchoter :

    – L’Empire a des problèmes financiers depuis quelques mois. Nos traders gungans ont perdu la moitié de nos avoirs sur les marchés boursiers. Les destructions opérées par la Rébellion nous coûtent une fortune. Et le pire…

    – Le pire ?

    – Ahem… Ceci est secret-défense, Nomis. Donc gardez-le pour vous.

    – Bien sûr, votre altesse, je suis votre humble et obéissant serviteur.

    – Je développe une nouvelle arme de destruction massive et elle a englouti plus que la somme de nos avoirs.

    – Ah ouais ? Quel type d’arme ? que je m’exclame.

    – Moins fort, imbécile ! Une nouvelle Étoile de la Mort.

    Je me mets à rire et lui réponds :

    – Sans déconner ? Le fiasco de la première ne vous a pas suffi, vous remettez ça ? Non mais sans blague, je…

    Oups. Là, ses yeux sont très très jaunes, et les éclairs bleus crépitent désormais tout le long de ses bras.

    – Elle est beaucoup plus grosse et dangereuse que la première, et donc beaucoup plus chère aussi. Pour la concevoir, on a tout investi, Nomis, tout et même plus ! La prochaine levée d’impôts arrive dans les caisses de l’État la semaine prochaine, or nous n’avons plus rien ! S’il faut en plus vous donner un milliard, nous ne tiendrons pas jusque-là ! Nous aurons des émeutes, des rébellions spontanées partout ! Ce sera l’anarchie ! Avec des centaines de millions de morts ! Vous tenez vraiment à avoir ça sur la conscience, Cirederf, mon ami ?

    Son discours enflammé, à la limite du désespoir, me fait monter les larmes aux yeux. Le pauvre homme ! Si près de tout perdre, après ses deux décennies d’efforts sans relâche pour bâtir le plus grand Empire que l’univers ait jamais connu. Si j’avais cinq crédits en poche, je lui en ferai don tellement il me fait pitié.

 

    Quoiqu’il en soit, mon sens aigu des responsabilités, qui n’est plus à démontrer, et mon bon cœur habituel me poussent à l’aider. Donner une piécette à un pauvre n’a jamais servi à rien, sauf à enrichir le vendeur du mauvais pinard qu’il achètera avec ces sous, mais donner un milliard à un homme aussi respectable que l’Empereur a du sens. Plus que jamais, le sort de la galaxie dépend de cet illustre homme éclairé.

    Et de moi, que je me redis avec fierté. Depuis le début, j’avais raison : je suis un homme très important, pour ne pas dire essentiel. J’ai toujours pensé qu’il y aurait un avant et un après Cirederf. Et là, on est en plein dedans.

 

    Je m’éclaircis la gorge, prends mon meilleur ton de grand seigneur magnanime, et dis :

    – Abandonner un milliard pour vous rendre service, votre altesse ? Mais bien sûr, aucun problème ! J’accepte sans la moindre hésitation.

    Et au moment même où j’ai fini de prononcer mon discours de frimeur, je me dis : mais quel abruti je suis ! QUEL ABRUTI ! UN MILLIARD !