Chapitre X : Sur la piste de Kerdan

Dans la galaxie, une multitude de prédateurs est capable de flairer la piste d’une proie, la plupart grâce à un odorat particulièrement développé ou une perception étonnante des champs magnétiques ténus enveloppant chaque être vivant.
Les Jedi, dont certaines techniques résultaient d’une étude approfondie de la nature et des mœurs de ses habitants, avaient mis au point des millénaires auparavant leur propre version de ce don de pistage.
Dans l’appartement où Kerdan Majoline l’avait berné, Tchoo-Nachril déploya ses sens de Jedi à la recherche d’une empreinte, d’une trace psychique de Kerdan dans la Force. Dès qu’il l’eut trouvée et saisie, il mit un pied devant l’autre pour remonter la piste.
Cela n’avait rien d’un jeu d’enfant, au contraire. La précision était cruciale. Il devait être capable de relier l’empreinte psychique à un passage temporel. Plus la trace était ancienne, moins elle était marquée dans la Force. Mais de pas en pas, les différences étaient pour le moins subtiles. Se rendre compte que telle trace immatérielle était plus vieille d’une minute que telle autre demandait une concentration et un discernement hors du commun.
Tchoo-Nachril connaissait ses compétences et ses limites, et la tâche lui paraissait être dans ses cordes. À la limite de ses possibilités, mais faisable. S’il s’avérait capable de maintenir sa concentration à un très haut niveau pendant une période qui risquait d’être longue.
Sans parler du fait que si Kerdan Majoline avait circulé à bord d’un véhicule, la piste s’arrêterait net. Tchoo-Nachril restait optimiste : d’après ses informations, Majoline n’écumait le quartier qu’à pied.
Le Chevalier Jedi eut de la chance dans sa quête. Par deux fois, la piste de Majoline qu’il suivait fut coupée par une autre plus récente, et donc plus marquée dans la Force, plus facile à suivre. Décidément, Majoline marchait beaucoup. Tchoo-Nachril sut dès lors que sa proie ne lui échapperait pas.
Il dut tout de même y mettre du sien en puisant largement dans ses réserves. Maintenir un pouvoir de la Force actif aussi longtemps était pour le moins éprouvant. Mais si Tchoo-Nachril fut satisfait de constater qu’un tel effort n’était pas hors de sa portée, il s’inquiéta pour la suite des événements.
Sa mission consistait à appréhender Kerdan Majoline, or il était bien parti pour épuiser son capital de Force dans cette poursuite. Sans un minimum de puissance, il ne ferait pas le poids face à Majoline. Il se demanda même s’il serait capable d’en venir à bout en pleine possession de ses moyens. Cet homme était si retors, disposait de tant de ressources…

Au détour de la rue suivante, Tchoo-Nachril s’arrêta : ses sens percevaient la présence de Majoline tout près. Ses yeux se posèrent naturellement sur le seul élément du décor qui sortait de l’ordinaire. Un speeder-limousine garé à cheval sur le trottoir, encadrés par huit malabars patibulaires en costumes et munis d’oreillettes. Gardes du corps, se dit le Jedi. Et pas trop mauvais, ajouta-t-il in petto en constatant que deux d’entre eux l’avaient déjà repéré.
Le langage corporel des gardes du corps ne trompait pas. Tchoo-Nachril était considéré comme une menace potentielle. Rien d’étonnant à cela. Qui pouvait savoir ce qui se cachait sous sa cape ?
Il prit soin de la dégrafer lentement afin de montrer sa tenue de Jedi ainsi que son sabre-laser. Il leva ses mains ouvertes devant lui en signe de paix, tout en déployant des trilles de Forces destinés à endormir la méfiance des gardes.
Le Jedi n’en avait pas après eux et espérait ne pas avoir à les combattre. Dans une rue si passante, même si les autochtones prenaient soin de ne pas s’approcher du speeder-limousine, des innocents risquaient de pâtir d’un affrontement.
Heureusement, à force de vivre dans un quartier miné par la violence, les habitants savaient reconnaître les signes avant-coureurs du danger. La présence des gardes du corps les avait déjà alertés. Un Jedi ajouté à l’équation et la rue se vida étonnamment vite.
Tchoo-Nachril fit quelques pas avant de s’arrêter à distance prudente. La présence de Majoline dans le speeder illuminait la Force tel un phare dans une nuit noire.
La voix puissante et rocailleuse du Jedi retentit :
– Kerdan Majoline, je t’ordonne de sortir de là et de me suivre. Tu vas répondre de tes actes devant le Conseil Jedi.

En sortant du speeder-limousine, Kerdan assura aux protecteurs de dame Brennala qu’il n’y avait aucun danger. Dubitatifs, ils ne relâchèrent pas leur vigilance, prêts à tout.
Tchoo-Nachril était encore plus aux aguets et se demanda si de chasseur, il ne venait pas devenir proie. Il repoussa cette pensée déprimante. Malgré sa fatigue, il fit monter la Force en lui. Kerdan Majoline était trop rusé pour être sous-estimé. Dans le fond de son cœur et malgré ses grands talents, le Jedi n’avait que peu d’espoir d’être à la hauteur si la situation dégénérait.
Il n’était rien à côté de Kerdan Majoline et le savait. Son seul et unique avantage était d’avoir tout l’Ordre Jedi derrière lui en cas de besoin : Majoline n’était pas sans ignorer qu’il était en sursis et que l’Ordre finirait par lui mettre la main dessus tôt ou tard. Même si, sachant de quoi le frêle humain était capable, Tchoo-Nachril ne pouvait s’empêcher d’être rongé par le doute.
Serait-il à la hauteur ou balayé comme le plus insignifiant des insectes ?