Chapitre XI : Un nouvel intervenant

Kerdan et Tchoo-Nachril se faisaient face dans un contraste saisissant. D’un côté, un Whipid musculeux de plus de deux mètres, incarnation de la noblesse et de la puissance de l’Ordre Jedi. En face, un humain qui lui rendait une cinquantaine de centimètres, silhouette si fluette qu’une simple gifle semblait pouvoir la briser en mille morceaux.
L’expression dans leurs yeux en faisait pourtant des jumeaux. On y lisait la même détermination sans faille. Ces deux êtres aux intérêts et aux buts divergents ne semblaient pas connaître le sens du mot « concession ».
Le silence tendu qui s’était instauré entre eux fut rompu par Tchoo-Nachril.
– J’ai été envoyé ici afin de mettre un terme à tes agissements, Kerdan Majoline. Tu vas me suivre jusqu’au Temple Jedi, où tu comparaîtras devant le Conseil.
– Pas question. Je suis occupé, rétorqua Kerdan sur un ton aussi sec que sans appel.
– Justement. Tes « occupations », comme tu dis, mettent en péril la paix et la sécurité de trois secteurs galactiques. La vie de milliards d’êtres est dans la balance. La seule manière de garantir la paix là-bas est de t’enfermer au Temple Jedi.
– Tu te trompes, mais tu ne peux pas le comprendre. Et je n’ai pas envie de t’expliquer ce qui se passe, il est trop tôt. Je te suivrai de mon plein gré… dès que j’en aurai terminé ici.
– Cela va à l’encontre de mes ordres. Ne m’oblige pas à employer la force, Majoline.
Le rachitique humain au visage buriné par le temps esquissa un sourire en guise de réponse. La Force avertit Tchoo-Nachril d’un danger, immédiatement concrétisé par l’apparition simultanée de landspeeders et d’airspeeders semblant de surgir de partout à la fois. Le speeder-limousine, Tchoo-Nachril et Kerdan Majoline étaient encerclés.
– Ne fais rien d’inconsidéré, Jedi, dit Kerdan d’un ton calme. Vous non plus, les gars, ajouta-t-il à l’attention des gardes du corps, déjà postés en position défensive, armes à la main. Tchoo-Nachril, tu ne connais pas les tenants et aboutissements de la situation. Toute intervention de ta part risquerait de provoquer un désastre.
– Tu n’as pas d’ordre à me donner, Majoline, rétorqua le Jedi.
– Écoute, je te jure sur la Force que je te suivrai, dès que j’en aurai terminé avec l’occupante de la limousine… ainsi qu’avec ces nouveaux arrivants.
– Tu sais qui ils sont ?
– Oui. Ryudug et ses hommes.
– Ryudug ? Comme dans « Ryudug, Vigo du Soleil Noir », un des criminels les plus puissants de la galaxie ?
– Lui-même.
– Si tu en viens à frayer avec ce type d’individu, je comprends que le Conseil Jedi veille te retirer coûte que coûte de la circulation, Majoline.
– Le Conseil Jedi n’est pas aussi omniscient qu’il aime à le faire croire.

Pendant ce temps, les véhicules avaient continué de converger lentement vers leurs cibles. Les portières s’ouvrirent et les hommes qui en surgirent pointèrent leurs armes sur le Jedi, les gardes du corps et Kerdan. Un Lannik furibond, vêtu d’un costume noir et fuchsia du dernier cri, sortit du landspeeder le plus proche et apostropha Kerdan.
– Toi !
– Oui ?
– Tu es donc l’auteur de ceci ? demanda le Lannik en activant un communicateur.
Une image bleutée et tridimensionnelle de Kerdan apparut et prononça ces mots :
« Vigo Ryudug du Soleil Noir, prend contact avec moi dès la réception de ce message si tu ne veux pas perdre ta femme et tes deux enfants. Tu me trouveras dans le quartier de Redengton. »
– Ce message est effectivement authentique, annonça calmement Kerdan. Et je te prie de modérer ta colère, ce message est toujours d’actualité.

Tchoo-Nahcril se raidit et s’ouvrit à la Force en entendant Kerdan Majoline prononcer ces paroles. Avait-il donc perdu la raison ? Défier ouvertement un homme tel que Ryudug semblait suicidaire. Et le Jedi se trouvait à la place la moins enviable : entre l’humain et le Lannik. Si Ryudug perdait son sang-froid – et il avait la réputation de le faire régulièrement –, il allait y avoir du grabuge…
Grâce à la Force, Tchoo-Nachril sentit à quel point le conflit intérieur de Ryudug fut intense. Mais en fin de compte, le Vigo se contenta d’émettre un grognement sourd et de froncer les sourcils.
– Je t’écoute, Majoline.
– Voilà qui est mieux, répliqua l’interpellé. Jouons cartes sur table, Ryudug. La situation est très simple : ta femme a décidé de te quitter et de soustraire vos enfants à ton influence. Elle s’est placée sous ma protection et m’a chargé de te faire entendre raison.
– Tu te moques de moi ? rugit le Lannik. Je ne croirai de telles billevesées que si elles sortent directement de la bouche de mon épouse !
Pour toute réponse, Kerdan posa sa mallette au sol et l’ouvrit. Il en sortit un datapad, qu’il activa avant de le présenter à Ryudug.
– Qu’est-ce que c’est que ce truc ?
– Que lis-tu à l’écran ?
– Une liste de noms, et alors ?
– C’est une liste de mille deux cent treize victimes de la guerre des gangs qui sévit sur Coruscant. Rien que ces trois derniers mois. Sais-tu ce que ces victimes ont en commun ?
– Non, mais je sens que tu vas me faire profiter de tes lumières sur le sujet.
– Toutes comptaient un officier supérieur ou chef de gang dans leur famille. Et aucune d’entre elles ne suivait cette voie. Elles n’ont été tuées que par représailles ou pour affaiblir le membre de gang.
– Peu m’importe ce qui se passe dans les clans inférieurs ! Personne n’oserait jamais s’en prendre à la famille d’un Vigo du Soleil Noir !
– Vraiment ? Ouvre le second document du datapad.
Le Lannik obtempéra d’un geste rageur.
– C’est quoi, cette fois-ci ?
– La liste de quarante-sept personnes assassinées pour la seule unique raison qu’elles étaient très proches d’un Vigo du Soleil Noir : femmes, maris, enfants.
– Peuh ! Tu es remonté de combien de siècles pour établir ta liste ?
– Dix ans.
Le Lannik ne trouva rien à répondre. Sa seule réaction fut de blêmir.
– Ta femme pourrait être le quarante-huitième nom, ajouta perfidement Kerdan.
– Il ne peut rien lui arriver tant que je la protège ! Et même si ça arrivait, je te jure que ma vengeance serait terrible !
– C’est là où je veux en venir, Ryudug. Tu sais que la possibilité que ta femme meure existe, quoi que tu fasses pour la préserver d’un tel destin. Elle aussi en a conscience, c’est pourquoi elle veut couper tous les ponts avec toi.
– Je ne l’accepterai jamais !
– Je ne te pensais pas aussi imbu de ta personne, Ryudug. Pour le plaisir de satisfaire ton orgueil, tu veux la voir rester emprisonnée dans une cage dorée, sans tenir compte de ses propres sentiments et aspirations ? Elle compte donc si peu pour toi ?
– Au contraire, elle est ce que j’ai de plus précieux au monde !
– Que tu dis ! Tout ce que je vois, et elle aussi, c’est qu’elle n’est qu’une morte en sursis en restant à tes côtés. Si tu l’aimes réellement, si tu éprouves les sentiments les plus profonds pour elle, tu dois lui rendre sa liberté. Ce n’est qu’à ce prix que tu assureras sa sécurité, ainsi que celle de vos enfants. Combien de tes ennemis seraient ravis de les torturer, de les éviscérer pour t’affaiblir, te donner une leçon ou un avertissement ?

Tchoo-Nahcril perçut le maelstrom d’émotions qui se déchaînait en Ryudug : de la colère, de la rage, du déni… de la peur, aussi. Des frissons parcoururent le corps du Lannik, et un horrible rictus déforma ses traits. Puis, tel un ballon de baudruche qui se dégonfle brusquement, un grand vide se fit en Ryudug.
Combien de fois Brennala avait-elle eu des conversations similaires avec son époux ? Au bas mot des dizaines. Mais à chaque fois, Ryudug avait rejeté ses arguments d’un revers de main négligent, riant des folles inquiétudes de sa femme. Jamais il n’avait accepté de regarder la situation en face. Jamais il n’avait admis que son activité professionnelle pouvait avoir des conséquences funestes pour les siens.
Jusqu’à ce jour. Jusqu’aux paroles de Kerdan Majoline. Jusqu’à ce que ses yeux tombent sur cette liste de quarante-sept, et qu’il en reconnaisse aisément treize d’entre eux. Tués parce qu’il en avait personnellement donné l’ordre. Pour asseoir sa propre position dans l’empire criminel le plus étendu de la galaxie. Si lui avait accompli de tels forfaits, d’autres en étaient tout aussi capables.

Ruydug crut que son cœur allait exploser avec cette prise de conscience. La vision de Brennala et des enfants baignant dans leur sang s’imposa à son esprit et refusa de le quitter. S’il devait être confronté à une telle abomination, il ne le supporterait pas. Il n’existait qu’une seule solution pour prévenir une telle horreur. Ne plus jamais avoir le moindre contact avec les siens.

Le Vigo du Soleil Noir était vaincu.