Épisode 7

 

 

    Dix-neuf mois. Oui, dix-neuf mois que Barbatruc est obligé de me supporter. Et vice-versa, on va dire. Pas toujours simple de faire cohabiter deux êtres vivant dans des mondes aux antipodes l’un de l’autre !

 

    La dernière fois que j’ai causé du monstre, il marchait. Rassurez-vous : il n’a pas régressé depuis. Au contraire : désormais, il court (sur la pointe des pieds, tel le futur danseur étoile qu’il sera, sans doute), grimpe et escalade.

 

    Il grimpe donc sur le repose-pieds, sur le canapé, sur mon fauteuil informatique (oui, à roulettes et qui tourne sur lui-même parce que sinon, c’est pas un vrai défi). Et pour en revenir au repose-pieds, il a tout compris à son usage puisqu’il met ses pieds dessus. bon, OK, c’est pas tout à fait ça vu qu’il s’y tient debout et que ça lui sert de strapontin : soit pour essayer de me sauter dessus quand je suis dans mon fauteuil qui tourne, soit pour s’accrocher au petit meuble-bibliothèque à cases : mains sur le haut du meuble, pieds sur l’un des niveaux.

 

    Alors de deux choses l’une : soit il se prépare pour une carrière genre Indiana Jones, soit il sera plus tard alpiniste et partira à la conquête des plus grands sommets bretons (et sans oxygène supplémentaire parce qu’il sera un héros). Car oui, on en a, des sommets enneigés en Bretagne, dont le plus haut est le Roc’h Ruz, qui culmine à 3 850,10 mètres. Ah tiens non, il semblerait qu’il y ait un souci de virgule et que ce soit plutôt 385,01 mètres. Oui, bon, OK, on va pas chipoter. Le Barbatruc mesurant 84 cm au dernier pointage, c’est quand même un bel objectif.

 

    Comme c’est un garçon et qu’il y a des trucs génétiques, faut croire, il adore les voitures, parce que les roues, ça tourne. Monsieur bébé est déjà capable de se dépatouiller avec une voiture télécommandée. Fais gaffe quand même, Barbatruc : on se croit tout-puissant en maîtrisant les machines, mais on sait où ça mène. Un jour tu verras « Terminator » et tu comprendras ce que je veux dire par là… Peut-être finira-t-il champion du monde de Formule Un ? Ou conducteur de moto-crottes ? Oui, décidément, que de carrières qui s’offrent à lui…

 

    Mais y’a pas que les voitures dans la vie. Empiler des trucs et des machins c’est génial aussi. Rien de tel, pour commencer la journée, que d’ouvrir son sac à gros légos et transformer le salon en champ de bataille en 2,35 secondes top chrono. Et quand ça ne suffit pas au bonheur de Barbatruc, il reste toujours les verres sur l’étagère, que c’est trop rigolo d’empiler. N’oubliez pas, amis et collègues parents : mettre le couteau électrique hors de portée du mini-monstre ne suffit pas. Il trouvera toujours une solution de repli, à laquelle vous n’aurez bien évidemment pas pensé.

 

Il aime bien lire, aussi. En tout cas mettre des dizaines de livres par terre en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, et feuilleter le tout très rapidement. Soit il lit très vite, soit c’est juste le fait de feuilleter qui est rigolo. J’avoue ne pas connaître la réponse…

 

    Comme je l’ai dit, il marche, mais il est tout petit donc il ne peut pas atteindre les objets en hauteur, ouf ! Ouf ? Bah non, il a trouvé la parade, le petit Gollum sournois. S’accrocher aux jambes de ses esclaves (parents/sœurs, rayer la mention inutile) pour qu’il se retrouve dans les bras, et à partir de là, montrer du doigt les endroits où il veut aller et pigner si on n’y va pas.

 

    Il en est aux balbutiements, et c’est le cas de le dire, de la communication. Dès que je porte un truc lourd, genre lui, je grogne. Et quand il m’embête, genre me réveiller au milieu de la nuit, mon réflexe de survie est également de grogner. Cherchez pas, c’est génétique : mon père était pareil, mon frère l’est aussi. Ça doit être un truc qu’on se transmet dans la famille de père en fils depuis la préhistoire. Sauf que quand je grogne, le Barbatruc aussi, du coup on en fait des conversations entières. Par contre je n’ai toujours pas tranché la question : il m’imite, admiratif des sons qui sortent de ma gorge, ou il se fout de ma gueule ? Je lui laisse le bénéfice du doute. Mais qu’il fasse gaffe, je l’ai à l’œil. Non mais oh…

 

    On va dire que son acquisition d’un vrai langage se fait tout de même, bien que cahin-caha. Là où les premiers mots normaux prononcés par les bébés sont « maman » et « papa », le Barbatruc a choisi de cultiver son originalité. Il connaît donc les mots « OK » (car oui, le Barbatruc est par-là même déjà bilingue), « chat » (faut croire que c’est toujours bien de connaître le nom de la bestiole qu’on torture) et « hachis » (ça, c’est le début de la politesse, car contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce n’est pas le nom de son plat préféré mais sa version perso de « merci »).  Oui, trois mots… plus une véritable phrase, oui oui oui, car il sait dire « a pu », ce futur génie au moins einsteinien, phrase qu’on traduira évidemment par « Je crains fort qu’il n’y en ait plus ». C’est juste qu’il fait dans l’efficacité et la concision, on va dire.

 

    Quant à son seul véritable ami, un nounours que ses parents ont baptisé « Doudou » parce qu’ils ont trop d’imagination, je crains que son espérance de vie ne soit guère élevée. Il fait serpillière, il saute, il est jeté par terre, dans l’herbe mouillée, dans la baignoire pleine d’eau. Étrange qu’il n’ait pas encore demandé une augmentation ou une prime de risque. Faut croire qu’il est trop bonne pâte.

 

    Pour finir, on soulignera la sournoiserie du Barbatruc, déjà fin stratège pour piquer la place de sa grande sœur sur le canapé. La technique est très simple : vous allez dans la cuisine piquer le tapis d’évier, vous l’amenez à votre sœur assise dans le canapé, elle se lève pour le ramener à sa place et pendant ce temps, hop, vous lui piquez la place toute chaude. Facile ! Quel fin stratège ! Un futur Napoléon ? Ou le candidat stratège à mort dans Koh-Lantah au point qu’on a tous envie de lui filer des baffes ? Là encore, l’avenir nous le dira.

 

    En tout cas ça lui en fait du potentiel. L’exploration de l’univers se passe bien. Et comme d’habitude, suite au prochain numéro…