chapitre 22

D’une pichenette mentale, Dark Omberius fit se refermer la lourde porte, étouffant le cri d’Anaria, restée derrière.
– C’est maintenant que tout se termine, Skelor.
– Oui, il est grand temps… Zabrak, fit Tel’Ay en se mettant en garde.
Dark Omberius était habité par l’incertitude la plus totale. Il avait déjà vécu cette scène en rêve. Et dans celui-ci, le Skelor l’abattait à l’aide d’un sabrolaser rouge parcouru d’éclairs bleus. Omberius ne comprenait pas : en matière de maîtrise de la Force, il ne se connaissait pas d’égal. Comment ce méprisable Skelor, dernier survivant d’une secte Sith concurrente à la sienne, pouvait-il s’avérer assez puissant pour le vaincre ? Quoi qu’il en fut, Omberius était prêt.
– Pourquoi, Zabrak ? Pourquoi as-tu éprouvé le besoin de détruire la Confrérie de Maal Taniet ? demanda Tel’Ay.
C’était une chose que le Skelor n’avait jamais comprise. Il ne pouvait croire qu’il s’agisse d’une simple histoire de concurrence entre courants Sith divergents. Peut-être y avait-il une histoire plus personnelle entre Maal Gami et Dark Omberius, comme il le soupçonnait ?
À la grande surprise de Tel’Ay, Omberius sourit froidement et répondit :
– Chacune des lignées Sith auxquelles nous appartenons poursuit ses propres buts et accroît sa puissance génération après génération. Nous nous appuyons sur ce que nos maîtres ont bâti pour parachever leur œuvre. La secte dont je suis issu et qui remonte à Dark Bane a pour but d’asservir la galaxie et de détruire l’Ordre Jedi.
– Tu es plutôt mal parti, ricana Tel’Ay. Tes machinations politiques et militaires, ainsi que ta mainmise sur l’Hégémonie Zabrak sont un échec total. Quant à détruire l’Ordre Jedi… tu crois vraiment qu’une secte Sith composée de trois utilisateurs de la Force en soit capable ? Tu es encore plus fou que je ne le pensais !
– Mes plans sont certes tombés à l’eau, mais ils représentent un très bon échec. Il y aura beaucoup d’enseignement à en tirer pour mes successeurs. Les analyses qui en découleront rendront mon Ordre plus fort, plus puissant. Je me trompais en pensant le moment venu de passer à l’attaque, je sais aujourd’hui que je n’étais pas prêt. Mais mon Ordre va retourner à la clandestinité pour ourdir ses plans, patiemment. Il se pourrait bien qu’il faille à nouveau des siècles avant que nous ne soyons capables d’arriver à nos fins, mais ce moment viendra, sois-en sûr.
– Je crains que tu ne t’avances beaucoup en estimant pouvoir transmettre ton savoir. Tu vas mourir aujourd’hui même.
– Nous verrons cela, Skelor, nous verrons cela…
– Je ne comprends toujours pas ce que vient faire là-dedans la confrérie de Maal Taniet. Nous ne sommes pas des Jedi et nous ne nous intéressons pas à la conquête de la galaxie. Pourquoi avoir essayé de nous détruire ?
– Officiellement, les Sith n’existent plus depuis les batailles de Ruusan. Mais la vérité est que plusieurs courants s’appuyant sur le Côté Obscur de la Force ont survécu. Mon Ordre revendique la suprématie sur tous les Sith. À nos yeux, ils sont tous engagés sur une mauvaise voie, ce sont des déviants. Nous existons donc également pour être les seuls Sith. Les anéantir prouvera que nous sommes les meilleurs, que la voie que nous suivons est la bonne.
– Alors c’est une simple question de suprématie, de prestige ? Je n’aurais jamais pensé que des Sith puissent poursuivre un but aussi trivial. En fin de compte, tu n’es pas si différent des Sith d’antan, qui s’entre-tuaient pour arriver au pouvoir. Ton Ordre n’a rien appris des erreurs du passé, en fin de compte.
– Que tu crois, jeune imbécile. Je connais la raison d’être de la confrérie de Maal Taniet, je sais quels buts elle poursuit. Mettre la main sur son héritage – sur ton héritage – me rendra beaucoup plus puissant que je ne le suis déjà.
Tel’Ay se composa un masque d’impassibilité pour masquer son trouble. Les aveux d’Omberius le renvoyèrent à des réflexions qu’il s’était faites récemment concernant la confrérie de Maal Taniet. Son maître lui avait toujours dit que la confrérie avait pour unique but de survivre et de perpétuer les traditions et les pouvoirs Sith. Aujourd’hui, Tel’Ay savait que c’était un mensonge, qu’il y avait autre chose derrière la façade.
Il était triplement vexé. Il n’avait jamais deviné jusqu’à un passé tout récent que la confrérie avait un but caché. Maal Gami n’avait jamais daigné partager cette information capitale avec Tel’Ay, même après sa mort, et alors que le Skelor était l’ultime survivant de la confrérie. Enfin, Dark Omberius, autoproclamé Seigneur des Sith et de ce fait ennemi mortel de Tel’Ay, en savait plus que lui sur sa propre confrérie.

Tel’Ay n’avait plus de question. Il réserverait les suivantes à son défunt maître, Maal Gami. Omberius en avait lui aussi fini avec les explications. Il ôta son manteau, révélant une combinaison noire, et prit en main le sabrolaser accroché à sa ceinture. Comme ceux de feus ses apprentis, la lame énergétique issue d’un cristal synthétique était rouge sang.
– Serais-tu un lâche, Skelor ? demanda Omberius.
– Que veux-tu dire, Zabrak ?
– Nous nous apprêtons à nous mesurer l’un contre l’autre, maître contre maître, enseignement contre enseignement, et tu comptes le faire avec un artefact Sith au poing ? Aurais-tu peur de ne pas être à la hauteur, à tel point qu’il te faille un colifichet pour accroître tes pouvoirs ?
Tel’Ay ricana.
– Je ne participe pas à une compétition sportive, je veux juste te tuer et tous les moyens sont bons pour cela. Si le Gant de Vèntorqis me donne un avantage sur toi, je compte bien en profiter. Si tu espères que je vais faire preuve de fair-play, tu as frappé à la mauvaise porte. Où était le tien quand tu as corrompu Séis pour qu’il anéantisse ma confrérie ?
Omberius se le tint pour dit et se mit en garde.


Le Grand Maître de l’Ordre Jedi, Maddeus Oran Lijeril, n’avait qu’une hâte : que la date limite pour le dépôt des candidatures au poste de chancelier de la République soit enfin atteinte.
Jour après jour, il mesurait à quel point les Jedi n’étaient pas taillés pour diriger la République. Si l’Ordre était en quelque sorte la bonne conscience de la vénérable institution, il n’avait pas vocation à prendre des décisions politiques, discuter de lois et composer avec des centaines de sénateurs pour faire avancer la machine bureaucratique. Les Jedi n’étaient pas formés pour cela et ne le seraient jamais.
En conséquence, seules les affaires courantes étaient expédiées. Lijeril priait pour que la crise avec l’Hégémonie Zabrak ne prenne pas un nouveau tournant décisif, car les Jedi risquaient de ne pas être capables d’y apporter une solution politique globale.
S’ils prenaient une décision hâtive dans un sens ou un autre, la multitude de juristes qui s’assuraient de la légalité des mesures et de la possibilité de leur mise en pratique sur le terrain risquait de leur tomber dessus et de décréter l’incompatibilité des décisions avec les lois de la République. En ces temps troublés, Lijeril devait par-dessus tout éviter cette catastrophe potentielle. Les Jedi étaient les garants de la paix au sein de la République, le public leur faisait confiance. Ils ne pouvaient pas se permettre de prêter flanc à la critique, et encore moins d’ajouter à l’instabilité politique.

Les partisans de Marcus Valorum, après sa défaite récente, étaient décrédibilisés. Le camp du défunt Jiger Orsorul était encore plus dévasté suite à la révélation de ses malversations et à son suicide. Quelques candidats s’étaient mis en avant, mais aucun ne suscitait un enthousiasme débordant. Ce qui était le cas de tous les politiques depuis les événements récents.
À cause de la chute d’Orsorul, bien des politiciens sans scrupules et traînant un certain nombre de casseroles se tinrent en retrait pour ne pas subir le même type de révélation que l’éphémère chancelier bothan. Parmi eux, il y en eut tout de même deux ou trois grisés par la perspective d’accéder au plus haut poste de la République. Mais Maddeus Oran Lijeril refusait de laisser les erreurs récentes se reproduire. Il envoya des Jedi enquêter sur le passé de tous les candidats. Il fut ainsi « fortement déconseillé » à certains de briguer la chancellerie, leurs malversations étant susceptibles de remonter à la surface à tout moment.
Lijeril désespérait parfois de trouver des candidats charismatiques et intègres. Il mesura lors de ces événements à quel point la politique républicaine s’était laissée glisser sur la pente savonneuse de la corruption.

Aux élections précédentes, Orsorul l’avait emporté. Il était désormais mort. Sur les six autres candidats qui avaient obtenu des voix, trois avaient fait campagne avec des idées proches des siennes : Edthcom Binges, Macaron Rygogre et Saratama Canawasi. Les deux premiers cités s’étant avérés avoir trop de cadavres dans leurs placards, ce fut l’Iktotchi Canawasi qui devint le porte-drapeau des tenants de l’arrêt de l’expansion de la République. Il insista sur le fait que la République devait mieux intégrer les mondes qui la composaient, surtout les plus récents, en créant un socle de culture commune. Empiler monde sur monde n’était pas une option viable à ses yeux.
Face à lui, Offucius Vermoont Plavae se distingua dans le camp de l’ancien chancelier Valorum. Après ses errements et sa défaite, ce dernier avait décidé de prendre sa retraite politique, malgré son désir sincère de servir la République. Plavae, Coruscantais comme lui, avait repris son credo d’agrandissement de la République. Il insista énormément sur le fait que l’union faisait la force, que des planètes isolées avaient besoin de la République pour se développer. Sa politique se voulait humaniste, éclairante pour tous les peuples de la galaxie.

Canawasi et Plavae s’affrontèrent surtout sur la crise de l’Hégémonie Zabrak et le sort du peuple Skelor. S’ils étaient tous deux d’accord sur le fait que les conflits devaient cesser, ils ne s’accordaient en revanche pas sur les conséquences politiques. Canawasi refusait de forcer l’Hégémonie à réintégrer la République, il développa la notion de voisinage bienveillant entre les deux entités. Pour Plavae, le retour de l’Hégémonie et de ses alliés au sein de la République était inéluctable, mais devait passer par de longues tractations afin que chacun y trouve son compte. La négociation devait primer.
Pour Canawasi, les Skelors faisaient partie de l’Hégémonie et ne pouvaient de ce fait revendiquer un statut de citoyens de la République. Il entendit les placer devant un choix très simple : regagner l’Hégémonie ou demander leur naturalisation républicaine, individuellement. Les dossiers seraient traités au cas par cas.
Plavae estima que la grande majorité des Skelors vivant sur des mondes républicains, il serait de bon ton de leur octroyer les mêmes droits que les autres citoyens. Ils seraient apatrides mais reconnus. Par contre, il ne poussa pas à ce que Skelor I rejoigne de gré ou de force la République : si un tel événement devait arriver, ce devait être un choix politique local. Il prit ainsi publiquement position pour Ver’Liu So-Ren, qu’il présenta comme le porte-parole légitime de son peuple… du moins pour ses membres en exil. Il refusa de soutenir le jeune souverain sur sa volonté de restaurer la royauté sur Skelor I.

Une fois ces deux candidatures crédibles avalisées en coulisses par le Conseil Jedi et publiquement par le Sénat, la campagne put enfin démarrer. Lijeril la voulut la plus courte possible et décida que le vote aurait lieu deux semaines plus tard. Plus il tarderait, plus l’instabilité perdurerait.


Dark Omberius attaqua le premier. Il se jeta si vite sur Tel’Ay que celui-ci ne vit qu’une tache floue. Le Skelor crut le combat déjà fini quand la lame pourpre d’Omberius jaillit vers sa poitrine. En un éclair, Tel’Ay eut conscience de son impuissance à égaler une telle vitesse… et à parer le coup. Pourtant, son sabrolaser parvint à contenir la charge de son ennemi. Comme s’il avait bougé de son propre chef.
Un masque rageur déforma les traits d’Omberius, et le Seigneur des Sith repartit de plus belle à l’assaut, multipliant les attaques à une vitesse stupéfiante. Tel’Ay croyait devenir fou : il n’était pas de taille à lutter et ne le serait sans doute jamais. Il aurait dû mourir depuis le début et pourtant, sa lame repoussait inlassablement le sabre adverse. Tel’Ay n’avait aucune prise sur les événements : il n’était qu’un jouet pour le Gant de Vèntorqis. Car c’était de lui que venaient les impulsions capables de contrer le maître Sith.
Le dégoût envahit Tel’Ay : le credo des Tanietiens était de toujours garder le contrôle sur le Côté Obscur de la Force, or voilà qu’il était rabaissé au rang de simple instrument par un artefact antique. En restant sous la coupe du Gant, il trahissait l’idéal de ses maîtres. En ne le faisant pas, il mourrait à coup sûr. Dark Omberius allait bien trop vite. Il était beaucoup trop fort.

C’est pourtant du fond de ce dilemme insoluble que Tel’Ay prit conscience d’une chose étonnante. Il ne sentait pas Dark Omberius dans la Force, ce qui était impossible. Le Gant de Vèntorqis était-il si puissant qu’il privait le Skelor de ses propres ressources pour les faire siennes ? Voilà qui était intolérable, décréta Tel’Ay. Il s’ouvrit pleinement à la Force et asséna un coup de boutoir télékinétique à Omberius. Le seigneur des Sith ne put l’esquiver et fut repoussé de plusieurs mètres. Il parvint tout de même à se réceptionner sur ses deux pieds, déjà prêt à contre-attaquer. Les gestes suivants du Skelor le clouèrent sur place.

Tel’Ay éteignit son sabrolaser et l’accrocha à sa ceinture. Il enleva ensuite le Gant de Vèntorqis de son poing gauche et le jeta au loin derrière lui. Que lui importait de vaincre Omberius si la victoire n’était même pas de son propre fait ? Que le Gant lui apporte un supplément de puissance ne lui posait aucun problème. Mais qu’il se substitue à ses propres compétences pour gagner, non. Jamais. Cette victoire serait la sienne, pas celle d’un artefact. Tel’Ay afficha un sourire carnassier à l’attention de Dark Omberius pour accentuer le malaise que celui-ci ne devait pas manquer de ressentir.
Puis il déploya toute sa puissance mentale dans les courants de la Force. Pourquoi est-ce qu’il ne ressentait pas le pouvoir d’Omberius ? Il était pourtant évident qu’il se servait de la Force. Évident qu’il avait accès à une source de pouvoir qui le rendait bien plus puissant que Tel’Ay. Le Skelor devait la découvrir et la faire sienne. Et tandis qu’il cherchait, il fit signe à Omberius de revenir l’attaquer. Le déstabiliser. Gagner du temps. La fin surviendrait dans quelques secondes à peine si Omberius chargeait. Sauf si Tel’Ay découvrait le secret du pouvoir d’Omberius. S’il parvenait à s’en servir. S’il s’avérait capable d’en tirer parti.
Trop de si. Ce dont Tel’Ay se moquait éperdument. S’il réussissait, il serait digne d’être Maal Kuun, le dernier maître de la confrérie de Maal Taniet. Ou plutôt le premier des nouveaux. Et s’il échouait, s’il mourait, il aurait peut-être la chance de rejoindre sa défunte famille au sein de la Force. Quoi qu’il se passât désormais, il n’avait aucune crainte face à l’avenir.

La haine, la colère et la détermination étaient des alliés précieux pour Dark Omberius. Ces sentiments aiguisaient ses affinités avec la Force. Dans cette équation, dans cet équilibre, il n’y avait pas de place pour la peur. Alors pourquoi la ressentait-il ?
Jamais Mi-Nag n’aurait dû survivre à ses attaques. C’était impossible. Ce Skelor n’était qu’un faible, Omberius l’avait tout de suite su quand il l’avait eu face à lui. Son assaut aurait dû être mortel, et même le Skelor avait parut surpris d’être capable d’y résister. Mais pourquoi ? Pourquoi est-ce que le Skelor avait rejeté son artefact Sith ? Pourquoi avoir éteint son sabrolaser ? Pourquoi provoquait-il Omberius afin que celui-ci reprenne le combat ?
Se pouvait-il qu’il ne le craigne pas ? Se pouvait-il, aussi impossible que cela semblait être, que Mi-Nag ait lui aussi accès, à l’instar d’Omberius, à un pan caché de la Force ? À moins qu’il ne fut devenu fou ?
Se jeter sur son adversaire pourrait valoir la mort à Omberius et il n’en avait que trop conscience. Normalement, il avait assuré la pérennité de son Ordre en mettant à l’abri ses artefacts comme son apprenti. Ce qui ne l’empêchait pas de vouloir survivre. De vouloir gagner. Pour l’honneur. Pour la gloire.
Il se débarrassa de ses doutes et laissa l’excitation du combat couler dans ses veines. Il chargea.

Tel’Ay n’y arriverait pas. Il le comprit vite. Le maître Sith qui lui faisait face était surentraîné, utiliser la Force tout en se cachant en elle était une seconde nature pour lui, aussi aisée que de respirer. Tel’Ay ne découvrirait pas cette manière d’utiliser la Force, et ne pourrait donc pas la retourner contre son ennemi. Le Zabrak maîtrisait parfaitement le Côté Obscur, il ne faisait qu’un avec lui. Vouloir l’égaler voire le surpasser sur son propre terrain était une chimère, une folie. Si Tel’Ay devait vaincre, ce serait avec ses propres pouvoirs, sa propre manière d’utiliser le Côté Obscur.

Sa concentration aiguisée comme jamais, il sut qu’Omberius allait l’attaquer à peine une seconde avant qu’il ne le fasse. Le temps sembla suspendre son cours. Omberius avait déjà bondi sur lui, lame en avant. Pour la première fois, Tel’Ay sentit une faille dans le mental d’Omberius. De la haine, de l’excitation. Trop fortes pour être contenues. La faille était là. Le sabrolaser d’Omberius n’était plus qu’à un mètre de Tel’Ay. Il regarda l’instrument de mort, à la fois fasciné et déconnecté. Les vagues de haine et d’excitation apparaissaient et disparaissaient au gré du manque de contrôle qu’Omberius exerçaient sur elles. Tel’Ay remonta leur piste. Cinquantaine centimètres. Tel’Ay toucha pour la première fois l’esprit d’Omberius. Trente centimètres. Omberius s’en rendit compte et voulut fermer son esprit. Vingt centimètres. Mais ce faisant, le seigneur des Sith fut incapable d’endiguer un éclair de peur. Dix centimètres. Tel’Ay s’agrippa fermement à l’esprit d’Omberius. Y déversa toute sa puissance en une attaque mentale dévastatrice. Le Sith fut repoussé en arrière, comme balayé par une gifle géante, et le temps reprit son cours.

Tel’Ay le tenait et refusait de le lâcher. Le Côté Obscur coulait à flots dans ses veines, il s’empara de la peur d’Omberius et lui fit exploser. Il se drapa dans l’effroyable douleur qui déchirait le crâne du Zabrak et l’alimenta de son propre pouvoir.

Dark Omberius tomba lourdement sur le sol et hurla. Il tenta d’ériger des barrières pour protéger son esprit mais Tel’Ay les détruisit tour à tour avant qu’elles ne soient efficaces, tout en continuant à amplifier toutes les émotions qui sourdaient d’Omberius. Celui-ci résista comme il le put, repoussant de plus en plus maladroitement les attaques mentales. Il sentit le spectre de la folie le menacer et recroquevilla son âme sur elle-même, le plus profondément possible. En espérant trouver un endroit en lui où le Skelor ne pourrait pas l’atteindre.

Il n’en trouva pas.

Tel’Ay continua à faire exploser l’essence même de Dark Omberius, morceau après morceau. De coup de butoir en coup de butoir, les défenses d’Omberius tombaient les unes après les autres. Tel’Ay était partout. La présence d’Omberius disparaissait, petit à petit.
Le Skelor se matérialisa dans une impasse encerclée de murs si hauts qu’il n’en voyait pas le sommet. Recroquevillé face à lui, appuyé contre le mur, un jeune Zabrak d’une dizaine d’années le regardait avec horreur, les yeux emplis de larmes.
– Je te hais ! lança-t-il.
Tel’Ay sourit froidement. Attaque après attaque, il n’avait non pas affaibli ou blessé son ennemi, mais détruit des pans entiers de son cerveau. Au fil des siècles, les Tanietiens avaient développé certains pouvoirs du Côté Obscur, dont ceux liés aux manipulations mentales. Les simples suggestions ou illusions utilisées par les Sith d’antan étaient devenues chez les Tanietiens des attaques mentales capables de déchiqueter des esprits. Rares étaient les Tanietiens qui avaient maîtrisé ce pouvoir au fil des siècles. Et encore plus rares étaient ceux qui avaient survécu à son utilisation.
Tel’Ay Mi-Nag plongea son regard dans les yeux du jeune Zabrak. Voilà donc ce qui restait du fier Dark Omberius, le maître Sith qui avait tenté de s’emparer de la galaxie et qui avait décrété l’extinction de ses pairs. Il lui parut pitoyable, tandis que lui se sentait fort. Si fort. Invincible.
Pourtant… Pourtant il sentait ses propres forces le fuir. Il n’était plus qu’un ballon de baudruche percé qui se vidait de son air. Il avait réussi à contrôler ce pouvoir, ce dont il était très fier. Mais il n’avait aucune prise sur les conséquences qui en découleraient, sur son corps comme sur son esprit.
Il reporta son attention sur le Zabrak, sur l’impasse, ultime siège de l’esprit du seigneur Sith, et déploya le reste de sa force pour faire exploser l’endroit.

Le corps d’Ovelar Nantelek cessa de bouger. Ses yeux grands ouverts ne contempleraient plus rien désormais. La mort avait figé sur son visage l’expression d’une perplexité certaine.
Tel’Ay sentit ses jambes se dérober sous lui et il chut lourdement avec le sentiment que tous les os de son corps avaient été brisés. Il mobilisa les ultimes forces de son corps défaillant pour ramper vers Omberius. Lentement. Si lentement. La douleur était atroce. Il aurait à peine été étonné de voir des morceaux entiers de son corps s’en détacher tellement il avait mal. Il continua pourtant à ramper en serrant les dents. Jusqu’à sentir le goût du sang dans sa bouche.
Il parvint enfin aux côtés d’Omberius, le souffle court. Il s’évanouit une seconde mais se réveilla quand sa tête percuta le sol. Les yeux brouillés, il tâtonna et trouva ce qu’il cherchait : le sabrolaser de son ennemi. Soulever l’arme lui demanda un effort incommensurable. Il l’alluma sur-le-champ, plaça la lame au-dessus de la gorge d’Omberius et laissa retomber son bras gourd. Même sans force, le coup fut suffisant pour décapiter le seigneur noir des Sith.


Ven’Mar Ar-Din quitta le palais royal de Skelor I en toute discrétion, par une porte dérobée. Les quatre mercenaires zabraks qui l’escortaient dissimulaient leurs visages et leurs armes derrière de larges manteaux à capuches, tout comme lui.
Même s’il avançait d’un pas serein, il était intérieurement au bord de la panique. Ovelar Nantelek, maître de l’Hégémonie Zabrak, était mort ! Or sans le soutien de l’être le plus puissant du secteur, comment Ar-Din, président de Skelor I, pouvait-il continuer à diriger ?
La démocratie skelorienne était une vaste farce destinée à l’extérieur : c’était Nantelek qui choisissait un notable local pour occuper le poste, qui n’était qu’une façade creuse. C’était les troupes du Zabrak qui maintenaient fermement l’ordre sur la planète. Maintenant qu’il était mort, Ar-Din se demandait comment lui-même allait bien pouvoir survivre au chaos qui n’allait pas manquer de s’ensuivre. Il n’avait pas les moyens d’entretenir une milice planétaire sous ses ordres. Tous les fonds permettant le fonctionnement du gouvernement fantoche qu’il dirigeait provenaient des mondes zabraks. Skelor I était un monde sinistré, exsangue.
Ar-Din n’avait aucun pouvoir sur les mercenaires, et il avait dû négocier ferme avec le chef de son « escorte » pour être mis à l’abri. Et encore… c’était plus la perspective de recevoir des instructions de la part d’un de leurs véritables employeurs qui avait convaincu les mercenaires d’emmener Ar-Din à l’astroport pour y prendre contact avec Tol Guela, le sénateur zabrak et bras droit politique d’Ovelar Nantelek.

Une fois arrivé à destination, il fallut une demi-heure à Ar-Din pour réussir à entrer en communication avec Guela. Il put enfin laisser sa panique s’épancher.
– Sénateur Guela, c’est la catastrophe ici. Nantelek est mort, vous m’entendez ? Il est mort ! Envoyez-moi des troupes le plus vite possible pour sécuriser la planète avant qu’une révolution se mette en marche !
– Mort ? répéta Tol Guela, abasourdi. Comment est-ce possible ? Vous en êtes sûr ?
– À moins qu’il ne puisse survivre à une décapitation par sabrolaser, oui, j’en suis sûr ! Vous devez m’aider !
Tol Guela resta longtemps silencieux, avant que le chef des mercenaires n’intervienne :
– Sénateur, que devons-nous faire, mes hommes et moi ?
Si Ar-Din tiqua de ne pas être inclus dans la question, il préféra ne pas le relever. Sa survie dépendait sans doute de la réponse qu’allait donner Guela.
– Rentrez sur Iridonia. De nouvelles instructions vous y attendront.
– Et le Skelor ? demanda le Zabrak en désignant Ar-Din.
– Emmenez-le avec vous, il pourrait nous servir.

Tol Guela coupa la communication, la main tremblante. Ovelar Nantelek était mort. Un tel événement semblait si… impossible !
Tol Guela était un homme politique aguerri. Il avait depuis longtemps pensé aux conséquences si cela arrivait. Et aucune n’était réjouissante. Nantelek était au pouvoir depuis très longtemps et, hormis Tol Guela lui-même, il n’avait aucun conseiller proche. Seulement des pions interchangeables.
Restait à savoir ce que l’ambassadeur allait faire. La puissance d’un seul être pouvait être terrifiante, et Nantelek avait été de ceux-là. Mais l’enlever de l’équation revenait à voir le château de cartes s’écrouler. Tol Guela avait tenté une fois, des années auparavant, de demander à Nantelek s’il avait pris des dispositions pour l’Hégémonie Zabrak s’il venait à disparaître. Son supérieur l’avait alors gratifié d’un regard… Même aujourd’hui, en y repensant, Tol Guela sentit des frissons le parcourir. Dès qu’il avait posé la question, il avait senti un grand froid l’envahir et s’était demandé s’il ne subissait pas une attaque cardiaque. Une peur sans nom l’avait envahi d’un coup, comme si un seau d’eau glacée avait été versé sur sa tête. Cette sensation n’avait pas duré longtemps, mais les yeux hypnotiques et la froideur presque reptilienne de Nantelek avaient dissuadé Guela d’obtenir une réponse… à jamais.
Et maintenant ? Devait-il rentrer sur Iridonia et revendiquer le pouvoir ? La perspective aurait été alléchante nonobstant la grave crise galactique actuelle. Le sénateur était depuis tant d’années cantonné au rôle de second qu’il se demanda s’il serait capable d’être le numéro un.
Mais que faire d’autre ? Rester sagement au sénat, drapé dans sa dignité d’édile républicain, en se contentant de continuer à être le porte-parole du dirigeant de l’Hégémonie Zabrak ? Il faudrait des semaines voire des mois avant qu’un leader capable émerge sur les ruines de l’empire créé par Nantelek. Pire, l’Hégémonie s’effondrerait peut-être sur elle-même entre-temps. Si Guela ne voyait aucun inconvénient à être le second d’un être important, le devenir pour un petit dirigeant sans envergure sonnerait la fin de son influence au Sénat.
Il finit par prendre sa décision : le mieux était encore qu’il prenne lui-même en main le destin de son peuple. Il ouvrit une communication vers son assistant et lui ordonna de faire préparer son yacht pour un retour sur Iridonia.
Il sentit un frisson d’exultation le parcourir : il allait assumer l’héritage politique d’Ovelar Nantelek !