Chapitre VI

Dark Glaro soupira en entendant la console de communications biper. Que lui voulait son maître, Dark Omberius, cette fois-ci ?
Humain originaire de Jabiim, Dark Glaro avait dépassé la quarantaine depuis peu. Ses longs cheveux blonds étaient tressés et cascadaient jusqu’à ses épaules. Il arborait en outre une épaisse moustache. De haute taille, il était souvent mésestimé par ses ennemis, du fait de son léger embonpoint. Mais celui-ci n’était qu’un leurre. Dès qu’il le fallait ou qu’il le décidait, il bougeait avec une grâce et une rapidité impressionnantes, que plus d’un combattant plus jeune lui aurait envié.
Aussi loin que ses souvenirs remontaient, il avait été l’apprenti de Dark Omberius, et lui avait longtemps servi d’agent de terrain, simple outil entre les mains du maître. Aujourd’hui, il avait dépassé ce stade et Omberius le considérait de plus en plus comme un collaborateur plutôt que comme un séide. Du moins était-ce l’impression que Glaro en avait, même s’il savait que Omberius était passé maître dans l’art de manipuler autrui.

– A votre service, maître, fit-il après avoir ouvert la communication.
– Seigneur Glaro, vous savez que nous entrons dans une phase critique pour nos plans. Nulle interférence ne saurait être tolérée maintenant, or voilà que la République semble sur le point de soutenir ce jeune et stupide Skelor dans la reconquête de son trône. Cette alliance ne doit pas se produire, à aucun prix. Vous allez vous rendre sur Coruscant et éliminer le sénateur Duro, Aar Gamonn. Comme il est le soutien numéro un de Ver’Liu So-Ren, face à Marcus Valorum qui refuse d’engager la République dans ce conflit, sa mort apportera une belle dose de confusion dans un Sénat déjà divisé. De notre côté, cette situation nous permettra de gagner assez de temps pour finir nos préparatifs en vue d’entrer en guerre avec la République.
– A vos ordres, maître. Comment dois-je procéder ? Commanditer le meurtre ou l’exécuter en personne ?
– Occupez-vous en personnellement, seigneur Glaro, rien ne doit être laissé au hasard dans cette histoire. J’ai envoyé les Archanges de Norkaï éliminer le Skelor. Ainsi, ces deux fauteurs de trouble disparaîtront et rien ne s’opposera plus à nous. Que la Force soit votre servante, Dark Glaro.
– Que la Force soit votre servante, maître, conclut Dark Glaro avant de couper la communication.
Le maître ayant parlé, Glaro n’avait plus qu’à obéir. Pourvu d’une longue expérience en matière d’assassinats, fruit de décennies de pratique au service d’Omberius, des idées portant sur la manière de procéder jaillirent spontanément dans son esprit aiguisé. Le temps de rallier Coruscant, son plan serait parfaitement au point.


***

Escorté par quatre gardes de la sécurité du Carolusia, Veckmar Talorin parcourait des corridors de sa station tombés en décrépitude depuis des années. Une semaine s’était à peine écoulée depuis qu’il avait rencontré Ver’Liu So-Ren et transmit sa demande d’aide à la République. Jamais il n’aurait pensé que le demande du jeune Skelor provoquerait un débat aussi passionné au sein du Sénat, les projetant tous deux sous les feux de l’actualité.
L’affaire avait pris une dimension politique d’envergure quasiment galactique, contre toute attente, à partir du moment où le Duro Aar Gamonn avait décidé de se faire le champion de la cause skelorienne. Beaucoup d’êtres, dont Talorin, étaient parfaitement conscients qu’en temps normal, le message de Ver’Liu aurait atterri sur une déjà longue pile de plaintes et d’injustices, et noyé dans les méandres de la bureaucratie.
Aar Gamonn lorgnait vers la Chancellerie de la République, et le prétexte de la « crise » skelorienne était survenu au bon moment pour lui. A deux mois des élections, le Duro avait fédéré tous les ennemis politiques du Chancelier actuel. Ce dernier était candidat à sa propre succession, mais les sondages le donnaient désormais perdant.
Talorin était écœuré par toutes ces manœuvres. Il avait beau être lui-même un homme politique, en tant que commandant du Carolusia, sa philosophie de vie était aux antipodes de celles des sénateurs. Il dirigeait la station en ne perdant jamais de vue le plus important à ses yeux, à savoir le bien commun. D’aucuns l’auraient qualifié de naïf ou d’idéaliste, ce dont il se moquait éperdument. Il menait sa vie en se basant sur ses propres convictions, et refusait d’en changer sous prétexte que le reste de la galaxie était dur et égoïste.

Dans les heures qui avaient suivi la diffusion du discours d’Aar Gamonn, les services de sécurité du Carolusia avaient rapporté à Talorin une certaine agitation dans l’un des secteurs les plus pauvres de la station. Les Skelors avaient appris l’existence de leur roi potentiel et avaient commencé à se regrouper, surexcités par la nouvelle et désireux de le rencontrer.
Talorin avait écarquillé de surprise ses grands yeux globuleux, quand il avait appris que deux cent Skelors vivaient sur la station. Ce peuple d’humanoïdes reptiliens, à l’épiderme composé d’écailles blanchâtres, n’avait jamais attiré son attention jusque-là. Il n’avait pu s’empêcher de ressentir une certaine honte d’avoir côtoyé ces pauvres hères sans les voir, en quelque sorte. Les Skelors étaient catalogués comme des sous-êtres, ou presque, population miséreuse à laquelle nul ne prêtait attention, même pas lui. Un peuple fantomatique avant ces événements.

Quand Talorin avait rejoint Ver’Liu, celui-ci tentait de faire face à ses compatriotes, agglutinés dans et autour des appartements de sa famille d’accueil. La situation menaçant de vite devenir ingérable, le commandant et Ver’Liu étaient tombés d’accord pour octroyer une partie désaffectée de la station aux Skelors. Là, ils pourraient se regrouper à leur aise. Les anciennes salles des machines, désaffectées depuis des décennies, furent choisies pour ce rôle, sur proposition du jeune Skelor, qui y vivait.
Une équipe technique du Carolusia avait donc été dépêchée sur place pour rendre l’endroit vivable et le sécuriser. Elle s’était assurée que les équipements étaient décidément inopérants, pour anticiper tout risque d’accident, et beaucoup d’antiques ordinateurs et de consoles avaient été désossés pour gagner de la place. Des cloisons préfabriquées avaient été montées à la hâte pour créer des quartiers d’habitation, des salles de réunion et une infirmerie. L’électricité et l’eau avaient été très vite acheminés. Il n’avait fallu que deux jours pour que les premiers Skelors, qui avaient participé activement à la réfection des lieux, puissent commencer à s’y installer.
Talorin avait supervisé tous ces changements avec compétence, et son flegme typiquement calamarien. A ses yeux, le seul point inquiétant aurait pu être la réaction de Ver’Liu face à l’écrasante pression qui s’était soudainement abattue sur ses épaules trapues. Il avait vite été rassuré : le Skelor s’était fondu avec une facilité déconcertante dans son rôle de leader, sans rien perdre de sa spontanéité et de sa simplicité. Si on lui en laissant l’occasion, le gamin irait loin, il en était persuadé.

Veckmar, son escorte sur les talons, arriva en vue de l’entrée de la zone skelorienne. Il avait fait aménager une large porte en duracier, à double battant, et dont l’ouverture était automatisée, mais il fut, comme à chaque fois qu’il venait en ces lieux, émerveillé par ce qu’en avaient fait les Skelors.
La porte était ouverte en permanence, pour symboliser que quiconque en franchissait le seuil recevrait accueil et aide. La Force seule savait où les Skelors avaient récupéré du bois de volin, essence célèbre de Skelor I et produit important d’exportation de la planète avant l’invasion zabrak. Quoi qu’il en fut, ils en avaient ornementés l’entrée de leur zone, transformant la porte en une arche végétale finement ouvragée. Deux Skelors montaient la garde, en faction de part et d’autre de l’ouverture, les mains dans le dos. Ils étaient vêtus pauvrement mais arboraient un foulard noir sur le crâne, signe de leur appartenance au semblant de Garde Royale Skelorienne nouvellement reconstituée, ainsi que des vibro-dagues accrochées bien en évidence, sur le devant de leurs ceintures. Veckmar Talorin les soupçonnait aussi de cacher des blasters dans leur dos, mais n’y voyait pas d’inconvénient tant que cela ne provoquait pas de débordement. Les gardes se fendirent d’un bref hochement de tête sur son passage, et demeurèrent par ailleurs impassibles, les sens aux aguets et l’œil brillant de vigilance.
Comme à chaque fois, Talorin ne put s’empêcher de frissonner. Ces gardes, comme l’ensemble des Skelors qu’il croisait désormais, avaient dans les yeux une lueur d’orgueil et de fanatisme qui ne lui inspirait rien de bon. Ils s’étaient jetés à corps perdu dans la cause de leur roi présomptif, et semblaient prêt à tout pour lui. Si jamais Ver’Liu venait à se prendre trop au sérieux ou à déclencher des troubles, il serait suivi aveuglément par ses sujets.

La zone skelorienne était assez fréquentée, et Talorin eut vite l’impression d’être entré dans un ghetto, ce qui n’était au demeurant pas très éloigné de la vérité. Les Skelors, quand ils n’étaient pas esclaves, étaient souvent employés à travers la galaxie comme main-d’œuvre bon marché. Les plus nantis de ceux qu’il croisait étaient vêtus de simples toges sans fioritures. Les plus pauvres d’entre eux portaient des haillons, mais ils étaient de moins en moins nombreux. En effet, suite au discours d’Aar Gamonn, la situation et les espoirs des Skelors étaient connus de tous. Depuis lors, des mécènes et des contributeurs plus ou moins désintéressés ne cessaient de faire des dons pécuniaires au peuple skelorien. Les premières mesures de Ver’Liu avaient été de faire vêtir plus convenablement ses compatriotes, qui le rejoignaient petit à petit, et d’assurer un approvisionnement décent en nourriture.
Ver’Liu avait été sidéré de voir cette solidarité inimaginable se mettre en place, d’une manière aussi spontanée. Il avait dû très vite s’organiser pour gérer cette manne financière et surtout décider quoi en faire. A ce problème s’en étaient ajoutés de nombreux autres, apparus en même temps que son nouveau statut. Et tout ce qu’il croyait savoir et vouloir était tombé en miettes, confronté à la réalité.
Son rôle diplomatique lui avait complètement échappé jusque-là, et les premiers jours furent très difficiles. Plongé au milieu d’une situation totalement inédite pour lui, et qui se complexifiait jour après jour, il avait tenté de faire face à tout directement, avant de se rendre compte qu’il lui fallait impérativement déléguer.

Veckmar Talorin rejoignit Ver’Liu dans la pièce austère et d’importance moyenne qui lui servait de bureau. Le jeune Skelor se leva pour l’accueillir, les yeux gonflés de sommeil et un fin sourire aux lèvres. Il apprenait tout juste à diriger une communauté et Talorin eut un élan de compassion en voyant la lassitude qui imprégnait ses traits. Lui avait eu la chance de grimper peu à peu dans la hiérarchie de la station, ce qui lui avait permis d’en appréhender les rouages. Quand il avait été élu, le Carolusia n’avait plus de secret pour lui.
Ver’Liu, de son côté, devait apprendre sur le tas et rapidement, ce qui nécessitait une force de caractère certaine. Le Skelor semblait bien s’adapter à cette situation, et Talorin en était fort aise, car le gamin était décidé à assumer son rang d’une manière que le comandant approuvait totalement. Hermétique aux corruptions du pouvoir, Ver’Liu n’avait en tête que le bien-être de sa communauté.
– Commandant, c’est un plaisir de vous voir ici, fit Ver’Liu en lui serrant la main. Que se passe-t-il ? ajouta-t-il, après l’avoir enjoint à s’asseoir.
– Et bien…disons que la situation est de plus en plus confuse. La cause skelorienne est toujours âprement débattue au sénat républicain, avec Aar Gamonn en ferveur défenseur de vos droits, tandis que le Chancelier Valorum cherche à faire valoir son autorité en prônant une stricte neutralité.
– Ils se moquent éperdument de Skelor I, commenta Ver’Liu, amer. Pour eux, cette crise n’est qu’un prétexte pour faire avancer leurs propres intérêts.
– En effet. Les élections à la Chancellerie avancent à grands pas., et les manœuvres politiques battent leur plein. J’aurais préféré une aide franche et objective, se basant sur les principes de justice défendus par la République. J’étais bien naïf de penser que la justesse de ma cause suffirait à me donner des alliés.
– C’est de la politique, répondit le Calamarien en haussant les épaules. Nous ne pouvons guère agir de ce côté-là. En fait, je suis venu vous voir car un autre problème est apparu, et qui devient plus préoccupant chaque jour.
– Je vous écoute.
– Cette partie de la station, que je vous ai octroyé, ne va bientôt plus suffire eu regroupement des vôtres. Depuis une semaine que votre cause est connue, il y a déjà une centaine de Skelors à vous avoir rejoint, et il est évident que cet afflux de réfugiés va aller en augmentant.
– Nous allons manquer de place pour accueillir tout le monde, comprit Ver’Liu.
– Exactement. Ces installations provisoires risquent très vite de ne plus suffire. Je pense que vous devriez d’ores et déjà réfléchir sérieusement à un lieu plus approprié pour rassembler votre peuple. Une planète serait sûrement l’idéal.
– Reste à savoir laquelle…il y aura sûrement des dirigeants politiques pour nous accueillir quelque part, mais la colonisation d’un endroit par les Skelors risque de créer des conflits avec des autochtones.

Talorin acquiesça de la tête, sans rien ajouter. De telles tensions surviendraient quel que soit le lieu où les Skelors se rendraient, à moins de trouver un monde vierge de toute occupation…ce qui poserait le problème du manque d’infrastructures d’accueil. En attendant, sur le Carolusia, les conflits commençaient à émerger. Des Zabraks avaient été pris à partie ces derniers jours, et ils en accusaient invariablement les Skelors.
Ces événements risquaient d’aller en augmentant, et les deux dirigeants en avaient parfaitement conscience. Ver’Liu ferma les yeux, las. Tant de problèmes à régler…
Ce qui l’inquiétait le plus était qu’il n’avait pas encore eu le temps de développer une stratégie pour reconquérir son trône. Son tempérament modéré le poussait à privilégier un accord pacifique, mais une petite voix intérieure lui susurrait de temps à autre qu’il était le roi légitime, et que s’il lançait un djihad contre l’occupant zabrak, son peuple le suivrait aveuglément. Il devait être très prudent, à chaque instant, pour éviter que les choses s’enveniment jusqu’à l’explosion.

La sonnerie du comlink de Talorin vint dissiper le silence tendu. Le Calamarien y répondit prestement :
– Oui, Kahaan ?
– Commandant, nous venons de recevoir un appel d’un Chevalier Jedi, du nom de Tchoo-Nachril. Il dit qu’il arrivera dans quelques heures et qu’il mène une enquête pour le compte du Conseil Jedi. Il affirme qu’il a des suspects à appréhender sur le Carolusia et demande officiellement, en vertu des accords qui nous lient à la République, à obtenir toute latitude dans l’accomplissement de sa mission.
– Donnez l’accord, Kahaan. Il y a autre chose ?
– Oui, commandant, diverses affaires réclament votre attention. Rien de grave, néanmoins.
– Je vous rejoins dans quelques minutes, Kahaan, soupira Talorin.
Il prit rapidement congé de Ver’Liu, le laissant se débattre avec la problématique du regroupement skelorien.


***

Les huit Archanges de Norkaï enfilaient les larges coursives du Carolusia, tendus vers leur but : abattre l’héritier du trône, le jeune Skelor à la tache de naissance noire sur le front. Parmi eux, Nassil Veraian n’en menait pas large. Il n’avait pas osé parler à ses camarades du rôle qu’il avait joué dans l’assassinat du sénateur bothan, et espérait que les choses se tasseraient d’elles-mêmes avec le temps. Si ses pairs l’apprenaient, ils se sentiraient sûrement en danger et le chasseraient…dans le meilleur des cas. Au pire, ils seraient fort capables de le livrer pour toucher la substantielle prime que la République n’avait pas dû manquer d’offrir pour sa capture.
Pendant leur voyage en hyperespace, ils avaient mis leur plan au point avec méticulosité : leur cible n’aurait aucune chance de s’en sortir.
Ils passèrent des heures à fouiner dans la station, repérant les caméras de surveillance, notant la fréquence des rondes des gardes, ainsi que leurs parcours. Quand ils s’estimèrent satisfaits de leurs investigations, ils attendirent que le cycle nocturne, avec ses lumières tamisées, se mette en place sur le Carolusia, et ils passèrent à l’action.

Au poste de sécurité 42, deux Calamariens scrutaient avec attention les écrans de surveillance, prêts à alerter leur hiérarchie et les patrouilles de tout incident, notable ou potentiel. Sur l’un des quatre écrans sous sa responsabilité, l’un des Calamariens vit plusieurs silhouettes encapuchonnées apparaître. Elles marchaient dos à la caméra, qui surplombait une coursive peu fréquentée. Son instinct lui souffla que quelque chose se tramait, et il en eut confirmation quand la dernière silhouette se retourna vers la caméra. Le garde eut le temps de voir un bas de visage se tendre vers l’objectif. deux secondes plus tard, l’image sauta et disparut. Le garde se pencha prestement sur sa console de communications, inquiet, et prit contact avec la patrouille la plus proche.

Le Falleen et Archange de Norkaï Roghmar, dès qu’il eut désactivé le caméra, murmura à ses compagnons :
– C’est fait, les gars. En repassant l’enregistrement, la sécurité pensera avoir affaire à un Skelor, fit-il en commençant à enlever la crème dont il s’était enduit le visages et les mains.
Sa carnation naturelle, verte, réapparut vite. Ils parcoururent une cinquantaine de mètres supplémentaires et s’arrêtèrent devant une porte métallique. L’un d’eux s’affaire sur le panneau de contrôle et la porte coulissa quelques secondes plus tard. Ils entrèrent tous les sept, tandis que Roghmar restait faire le guet dans le couloir, et terminait de se débarrasser de son maquillage. Des bruits de coups portés, d’os cassés et des cris d’agonie se firent entendre derrière la porte.


***

Anaria, assise au poste de pilotage du transporteur de Séis, soupira d’aise quand l’astronavigateur l’avertit du passage imminent dans l’espace normal. Elle n’avait jamais été très férue de voyages en hyperespace : rares étaient les navires adaptés à la morphologie wookiee, et le transporteur n’en faisait pas partie. Elle grogna dans l’intercom pour réveiller Tel’Ay et le prévenir qu’ils arrivaient à destination.
Tel’Ay ouvrit les yeux et se redressa aussitôt, pleinement réveillé et reposé. Il avait tenté de mettre à profit ces derniers jours pour mener des expériences avec le Gant de Vèntorqis, mais celui-ci n’avait pas été réactif. Tel’Ay estimait pouvoir reproduire le processus de guérison qu’il avait employé sur Anaria. Même après plusieurs essais, en revanche, il n’avait pas réussi à acquérir d’autres techniques de soins.
Ayant gardé en mémoire les paroles de son maître, prononcées plus d’une année auparavant, il avait utilisé la Force et le Gant de Vèntorqis pour ressentir la technologie et pouvoir agir sur elle, en vain. Il n’était pas parvenu à ne faire qu’un avec le navire. Pensant avoir été trop ambitieux, il s’était concentré sur l’astronavigateur, puis un blaster, avant de finir par un simple fusible. Rien. Il ne parvenait pas à les ressentir dans la Force.

Le Gant de Vèntorqis ne semblait vouloir l’aider qu’à ses heures, ou en des circonstances précises, peut-être. Tel’Ay ne connaissait pas la réponse et n’était pas loin de s’en moquer. Pragmatique, il se consola en sachant qu’il existait d’autres moyens d’apprentissage, qu’il finirait bien par découvrir.
Il enfila rapidement une tunique vert foncé de Séis, légèrement trop grande pour lui, mit sur ses épaules un long manteau à capuche et rejoignit sa compagne de voyage. Il la salua de la tête en réponse au grognement de bienvenue qu’elle émit. Il s’assit dans le siège de copilote et se plongea dans les courants sinueux de la Force.
Par-delà le cockpit apparaissait la station spatiale itinérante Carolusia, amalgame chaotique d’anciens navires de toutes sortes et tailles, et qui semblait être issue du rêve d’un architecte fou.
Un léger picotement prit naissance dans sa nuque. Impression que les prochaines heures seraient déterminantes. Danger latent, calme avant la tempête. Tel’Ay détestait subir ce type « d’avertissement », trop vague pour apporter quelque éclaircissement précis. Encore une chose qu’il devrait travailler à l’avenir, s’il voulait se montrer digne du statut de maître que Maal Gami lui avait octroyé.
– Comment procédons-nous, Tel’Ay Mi-Nag ? Nous prenons contact avec ton roi et offrons nos services pour le protéger ?
– Ce n’est pas mon roi, comme je te l’ai déjà expliqué. A mes yeux, il est juste bon à servir d’appât pour attirer mes ennemis. Dès qu’ils se seront dévoilés, il n’aura plus aucune importance et, en ce qui me concerne, il pourra mourir dans la seconde sans que je lève le petit doigt pour l’aider.
– Il n’est qu’un outil pouvant s’avérer utile, si je te suis bien, et pas un être vivant à part entière ?, demanda Anaria, tristement.
– Exactement.
– Et moi, que suis-je pour toi ?
– Je l’ignore pour l’instant. je sens juste que tu es à ta place, en quelque sorte. Que ta présence ici et maintenant est…adéquate, en quelque sorte.
– Ton cœur est froid comme de la glace, Tel’Ay Mi-Nag. Je te souhaite sincèrement de le voir se réchauffer, pour ton propre bien.
Tel’Ay planta ses yeux noirs dans ceux d’Anaria et rétorqua sèchement :
– Je n’ai pas besoin de cœur pour accomplir mon destin. Si ça ne te convient pas, tu peux toujours t’en aller, mais nous savons tous deux que tu n’en feras rien, puisque tu t’es liée à mon sort avec ton truc de dette de vie. En outre, sache ceci : si nous survivons à la guerre contre mes ennemis, nos chemins se sépareront.
– Seule la mort peut mettre fin à une dette de vie.
– Je sais.
– Alors mon sort est d’ores et déjà scellé ?
– Tu as tout compris, conclut froidement Tel’Ay, tout en sondant Anaria.
Il fut surpris de ne sentir aucune trace de peur en elle. De son être n’émanaient qu’une tristesse lancinante, de la sérénité et de la réflexion. Il en fut troublé mais n’en montra rien. Les êtres rongés par la peur étaient des proies faciles pour les Sith, et Tel’Ay avait toujours été quelque peu désarçonné par ceux qui parvenaient à la tenir à distance, même après qu’on leur eut annoncé leur fin.

La console de communications bipa, et Anaria répondit. Il s’agissait des contrôleurs aériens du Carolusia. Ils donnèrent le cap à suivre, puis demandèrent et obtinrent les codes d’asservissement du navire. Bientôt, ils purent prendre à distance les commandes du vaisseau, qu’ils firent se poser dans une baie protégée par un champ de rétention d’atmosphère.


***

La patrouille du secteur 42 ne parvint pas à mettre la main sur les huit silhouettes encapuchonnées. Par sécurité, en revanche, ils explorèrent minutieusement le secteur, à moitié abandonné, et dont certaines zones étaient squattées par des êtres miséreux.
Dès qu’ils firent la macabre découverte, ils prévinrent aussitôt le chef de la sécurité, et mois d’une demi-heure plus tard, Veckmar Talorin et Ver’Liu So-Ren étaient sur les lieux, révoltés. Le Skelor tremblait d’indignation, de rage et de honte.
Le médecin légiste qui s’occupa des corps déclara, blême, que les victimes étaient toutes zabraks, et au nombre de quatre. Un couple d’adultes et deux enfants en bas âge. Les corps étaient méconnaissables, réduits à l’état de pulpe sanguinolente. Tous les os de leurs corps semblaient avoir été brisés, et ils présentaient d’innombrables morsures et autres griffures. Ils avaient été tués d’horrible manière, sans arme.
Ver’Liu eut du mal à croire que des Skelors aient pu perpétrer un tel acte, mais se rendit à l’évidence quand on lui montra les dernières images de la vidéo-surveillance, avant qu’elle n’ait été désactivée.
La tension allait immanquablement monter dans les prochains jours entre les ressortissants zabraks et les Skelors. Il devenait plus que jamais urgent pour Ver’Liu de se trouver un nouveau lieu pour rassembler son peuple.


***

Tout se passait comme prévu pour les huit Archanges de Norkaï. Le meurtre des Zabraks et Roghmar se montrant à la caméra « grimé » en Skelor avait suffit à faire sortir Ver’Liu d’un lieu où il était inaccessible. Disséminés entre les quartiers skeloriens et la scène du crime, ils tablaient sur le fait que l’héritier du trône et son escorte – quatre Skelors armés de dagues courbes – prendraient le même chemin quand ils retourneraient auprès des leurs.
Ils repérèrent trois endroits propices à une embuscade et, après en avoir choisi un au terme d’un rapide conciliabule, ils le rejoignirent prestement. Le lieu en question avait peut-être été un hall, au temps où il était entretenu. Désormais, ce lieu de passage était laissé à l’abandon et peu usité. Beaucoup d’appliques lumineuses murales ne fonctionnant plus, le hall baignait dans une lumière crépusculaire permanente.
Ils arrachèrent sur les murs des bouts de tuyaux métalliques pour s’en faire des matraques, ou des bâtons rudimentaires. Ils n’avaient en effet pas pris le risque d’essayer de faire rentrer des armes sur la station, lors de l’inspection douanière qu’ils avaient subis en arrivant.
Ils se scindèrent ensuite en deux groupes : un pour empêcher Ver’Liu et ses hommes de revenir sur leurs pas, et l’autre pour attaquer de front. Chacun se fondit dans les ombres et l’attente commença.


***

Tel’Ay et Anaria passèrent le poste douanier sans la moindre difficulté, d’autant que le Skelor ne tenta pas de faire passer le sabrolaser de Séis, ni le Gant de Vèntorqis. Un sabrolaser était certes extrêmement utile, mais il était tout à fait capable de se débrouiller sans.
Il fit presser le pas à sa compagne dès qu’ils se retrouvèrent dans les larges coursives. En tant que Sith, il pouvait ressentir facilement une atmosphère imprégnée de violence contenue, qui n’allait pas tarder à exploser : exactement la sensation qui l’assaillait en cet instant.


***

Quand les échos lointains de pas se rapprochant lentement se firent entendre, Nassil Veraian serra instinctivement son bout de tuyau. Lourd d’une dizaine de kilos, il suffirait amplement à fracasser les crânes et les os des Skelors qui se dirigeaient droit vers le guet-apens. Autour de lui, dans l’ombre, il sentit que ses camarades étaient eux aussi prêts.
Les Archanges de Norkaï avaient su en arrivant qu’ils ne parviendraient pas à faire passer des armes à la douane de la station, mais ils avaient appris depuis longtemps à improviser avec ce qui leur tombait sous la main, même en dans des lieux où ils n’avaient pas de contacts pour les armer, comme c’était le cas présentement. Il fallait si peu de choses pour donner la mort.
Des ombres se dessinèrent dans le couloir éclairé d’où provenaient le bruit des pas, et les silhouettes des humanoïdes reptiliens qu’ils attendaient ne tardèrent pas à apparaître à leur tour. Comme prévu, ils étaient cinq, les quatre gardes encadrant leur suzerain.
Dès qu’ils eurent franchis l’arche du corridor sombre, Veraian vit quatre de ses congénères se détacher des ombres derrière eux. Sur un signe discret de leur chef, Veraian et les trois Archanges restants se dévoilèrent à leur tour, face aux Skelors.

Les Reptiliens comprirent vite ce qui se passait, et les gardes resserrèrent leurs rangs, tout en sortant leurs dagues courbes. Veraian sourit. Leurs lames ne faisaient que quarante centimètres de long, contre un bon mètre du côté des bâtons improvisés des Archanges de Norkaï. Avec une allonge aussi supérieure, il y allait bientôt y avoir de la bouillie de Skelor sur les murs, se dit Veraian, hilare intérieurement.

Alors que les Archanges marchaient en silence d’un pas déterminé vers leurs victimes, tout en soupesant leurs gourdins, Veraian vit de nouvelles ombres apparaître dans le couloir éclairé. Avant qu’il n’ait eu le temps de jeter un cri d’alarme, un petit humanoïde trapu surgit en courant. Le nouvel arrivant lança son poing en avant, dans le vide, et Veraian vit avec stupéfaction ses quatre collègues être renversés comme des quilles dans un improbable jeu de bowling.
L’être sauta par-dessus les Skelors et se réceptionna fermement sur ses pieds, face à Veraian et ses amis. Roghmar abattit son lourd tuyau sur l’être, qui l’attrapa avec une facilité déconcertante. Il le lui arracha des mains sans effort, avant de le retourner pour porter un coup fulgurant sur le crâne du Falleen. Il n’eut pas le temps d’esquiver, et après un craquement sinistre à l’impact, il s’écroula à terre sans un mot.
Veraian tenta d’attaquer à son tour, mais son adversaire était trop rapide et trop fort, bien plus que le laissait présager sa morphologie. Veraian eut l’impression de frapper un mur de duracier quand leurs tuyaux se téléscopèrent. Il mit toute sa force dans ses deux mains, pour tenter de faire reculer ce démon, mais rien n’y fit.
Du coin de l’œil, Veraian vit un autre Archange attaquer l’être par-derrière, mais ce dernier semblait avoir des yeux dans le dos : sans même se retourner et sans rompre l’engagement avec Veraian, il détendit son pied en arrière. Son talon percuta le menton de l’Archange, dont les dents s’entrechoquèrent, avant de partir à la renverse et tomber sur les fesses, sonné.
Dans le chaos grandissant, Veraian entendit un hurlement sourd et vit un Wookiee se jeter sur ses camarades, tandis que les gardes skeloriens se lançaient à leur tour à l’attaque. Il comprit que tout était perdu, à défaut d’avoir compris comment, aussi tourna-t-il les talons et tenta-t-il de s’enfuir.
Il réussit à faire deux pas, avant de ressentir une grande douleur à la jambe et de s’affaler lourdement au sol, le souffle coupé. Il n’essaya pas de se relever et jeta un regard derrière lui. L’être avait lancé son tuyau dans les pieds de Veraian. Dans un nouvel effort, l’Archange voulut attraper le tuyau, mais il le vit s’élever dans les airs et se loger doucement dans la main tendue de l’inconnu.
C’est à ce moment qu’il comprit réellement que tout était perdu pour lui. Et que l’acceptation de son sort, face à une créature aussi surnaturelle, le rendit incapable du moindre mouvement. Il put enfin distinguer les traits de son ennemi et reconnut avec surprise qu’il avait affaire à un Skelor. Ce dernier lui adressa un sourire sinistre, se pencha sur lui et lui murmura :
– Point de repos pour ton âme. Va donc rejoindre le Chaos.
Tel’Ay Mi-Nag posa sa main sur le front de Nassil Veraian, tétanisé, et broya son âme avec des griffes psychiques. Il resta se délecter de la dissolution de l’esprit de l’Archange de Norkaï, et perdit conscience de son environnement pendant ce bref instant de déconcentration. Pas assez bref, néanmoins. Ce court laps de temps fut suffisant pour le perdre.

Simultanément, il prit conscience d’une nouvelle présence dans la Force, juste derrière lui, et entendit le grésillement caractéristique d’un sabrolaser s’allumer. Il n’eut pas besoin de se retourner pour savoir que l’arme des Jedi était pointée sur lui, à quelques centimètres de sa nuque.
La voix grave de Tchoo-Nachril fit :
– Au nom du Conseil Jedi, tu es en état d’arrestation, adepte du Côté Obscur de la Force.